Amours et Haines (1869)/La Hêtrée
LA HÊTRÉE.
à m. octave feuillet.
Dans le bois, j’étais ce matin
Couché sur un lit de pervenches ;
Avril, aux yeux couleur du lin,
Regardait à travers les branches.
Un oiseau chantait dans un houx,
Ivre des senteurs de la sève ;
Son chant était si doux, si doux,
Qu’il chantait comme l’âme rêve.
Le silence écoutait vibrer
Son écho sonore en cadence,
Et moi, j’écoutais le silence,
Et je me suis mis à pleurer.
Et moi, j’écoutais le silence,
En songeant que j’étais bien là,
Qu’ombre calme et calme indolence,
Le bonheur est fait de cela,
Que notre désir est presbyte,
Que l’on veut être heureux trop loin,
Qu’il suffit bien pour mourir vite
D’un peu de soleil dans un coin,
Que nous vivons dans le délire ;
Et je rêvais à nos combats,
À nous qui luttons ici-bas, —
Et je me suis mis à sourire.
À nous qui luttons ici-bas,
À nous les vainqueurs de la vie,
À ses vaincus, aux morts, hélas !
À celle que Dieu m’a ravie ;
À l’heure noire où, m’étouffant
Devant le cercueil, sous la porte,
Je pensais que la chère morte
Ne me dirait plus : « Mon enfant !… »
Et je sentais un deuil extrême
Dans mon pauvre cœur las d’errer,
Mourant de vivre de lui-même,…
Et je me suis mis à pleurer.
Mourant de vivre de lui-même !…
J’évoquais, pour le ranimer,
Et mes amis qui croient m’aimer,
Et moi qui crois que je les aime,
Et celle aussi qui, sur ce point,
En sait plus long que moi, j’espère,
Et l’une qui ne m’aimait guère,
Et l’autre que je n’aimais point,
(Ni meilleure pourtant, ni pire),
Et puis, et puis,… à pas traînants,
Je remontais le cours des ans,
Et je me suis mis à sourire.
Je remontais le cours des ans,
Source d’argent, fleuve de cendre,
Au rebours des autres courants,
Doux à monter, dur à descendre,
Et le cours des âges aussi
(Car le rêve est une aile immense),
Et j’allais d’eux à celui-ci,
De leur folie à sa démence,
Pensant : « Vivre, c’est espérer,
Mais j’espère, qui peut le dire ? »
Et je me suis mis à sourire,
Et je me suis mis à pleurer.