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Amours et Haines (1869)/La belle Gelée

La bibliothèque libre.
Amours et HainesMichel Lévy frères, éditeurs (p. 151-155).
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LA BELLE GELÉE.

à m. victor cherbuliez.


Allons ! le rimeur diligent !
Tes vitres ont des fleurs d’argent
Que midi cueille goutte à goutte,
Le soleil est de fin acier,
Il gèle à fendre un créancier,
En route !

Chansons aux dents, bâton en main,
Du talon frappant le chemin,

À travers la bise et le givre,
S’en aller par vaux et par monts,
Buvant le ciel à pleins poumons ;
C’est vivre !

Allons toujours, allons là-bas !
Allons jusqu’où l’on ne va pas,
Toujours plus loin, plus loin encore,
Vers ce pôle, éternel aimant,
Où rayonne éternellement
L’aurore !

L’hiver est brutal, Dieu merci !
Il me plaît qu’il en soit ainsi
Et que rien ne reste de même :
Aujourd’hui blanc et demain vert,
Je le veux bien ! J’aime l’hiver,
Je l’aime !

L’hiver est le temps des efforts,
L’hiver est la saison des forts ;

Tout combat, le torrent et l’arbre :
L’un s’est mis nu comme un lutteur,
L’autre a l’air d’un gladiateur
De marbre.

Belle, nous n’irons plus au bois ;
Adieu les chansons d’autrefois
Et la blonde houle des seigles !
La terre n’a plus que les os,
Les chiens sont des loups, les oiseaux
Des aigles !

Adieu jusqu’au printemps vermeil !
Le grand Pan dort son grand sommeil,
Las de l’amour, soûl de la fête,
Enroulé dans son blanc linceul ;
Ton cauchemar l’agite seul,
Tempête !

Car c’est du fouet des tourbillons,
C’est des nuages, ces haillons,

C’est de l’éclair, cette couleuvre,
C’est de ce qu’on craint et qu’on hait,
C’est de tout cela que Dieu fait
Son œuvre.

Jusqu’à ce qu’il ait dit : « Assez ! »
Que du sang des soleils blessés
Il empourpre les aubes molles ;
Qu’il reprenne à la neige en pleurs
Ces beaux diamants dont les fleurs
Sont folles.

Ô jours ! ô nuits ! Étés ! hivers !
Lourd pendule de l’univers,
Et vous, flux et reflux de l’onde,
Action et réaction,
Immense respiration
Du monde !

Puisque tout a ce cours fatal,
Puisque l’œuf du bien c’est le mal,

Que tu veux que la créature
Soit ton maître et non ton amant,
Et qu’on te force incessamment,
Nature !

Voyons qui sera le vainqueur !
La lutte est le tremplin du cœur.
Vous, timides, restez dans l’arche.
Quant à nous, dehors et devant !
Et par la froidure et le vent
En marche !