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Analyse de L’Anneau du Nibelung (Albert Lavignac)

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Analyse du poème[modifier]

Le Voyage artistique à Bayreuth (1897)
Librairie Ch. Delagrave (p. 180-235).


LA TÉTRALOGIE

DE

L’ANNEAU DU NIBELUNG

______



La Tétralogie[1] ou plus exactement La Trilogie de l’Anneau du Nibelung (der Ring des Nibelungen), festival scénique en un prologue : L’Or du Rhin (das Rheingold), et trois journées : La Walkyrie (die Walküre), Siegfried (Siegfried) et Le Crépuscule des dieux (Gœtterdæmmerung) a été tirée par Wagner des Eddas Scandinaves et du vieux poème des Nibelungs, mais considérablement remaniés, modifiés, amplifiés par l’art merveilleux de son puissant génie.

Les quatre drames qui forment l’ensemble du Ring développent les péripéties produites par la malédiction que le Nibelung Alberich a attachée à l’Anneau dispensateur de la puissance, forgée par lui avec l’Or du Rhin dérobé aux Ondines, et qu’à son tour Wotan lui a ravi. À travers maintes vicissitudes, la bague maudite cause la perte de tous ceux qui la possèdent ; la série de catastrophes qu’elle suscite aboutit à la ruine finale de la race des dieux et ne prend fin que lorsque sa dernière victime, Brünnhilde, rendant aux flots purificateurs du Rhin le trésor qu’on lui avait dérobé, délivre enfin le monde du terrible anathème.

Ces personnages appartiennent à la mythologie Scandinave, mais sont souvent modifiés, parfois même dénaturés par le caprice de l’auteur.

LA TÉTRALOGIE DE L’ANNEAU DU NIBELUNG
 
PERSONNAGES
selon l’ordre de leur première entrée en scène

L’OR DU RHIN
 

LA WALKYRIE
 

SIEGFRIED
 

LE CRÉPUSCULE DES DIEUX
 
1er
ACTE
2me
ACTE
3me
ACTE
1er
ACTE
2me
ACTE
3me
ACTE
PROLOGUE 1er
ACTE
2me
ACTE
3me
ACTE
SCÈNES : 1 2 3 4 1 2 3 1 2 3 4 5 1 2 3 1 2 3 1 2 3 1 2 3 1 2 3 1 2 3 4 5 1 2 3
Première entrée en scène dans L’OR DU RHIN :
Les Filles du Rhin. Nymphes ou Nixes gardiennes de l’Or du Rhin :

                Woglinde (sopr.),
                Wellgunde (mezzo),
                Flosshilde (contr.).
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Alberich (baryt.). Gnome hideux, Roi des Alfes noirs ou Nibelungs, race de nains habitants des cavernes et habiles forgerons.
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Fricka (mezzo). Déesse du Mariage, Épouse de Wotan, sans enfants ; sœur de Freïa, Donner et Froh.
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Wotan [le Voyageur] (baryt.). Roi des Dieux ; père des 9 Walkyries, dont Erda est la mère. Père aussi de Siegmund et Sieglinde. Époux de Fricka.
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Freïa (sopr.) Déesse de l’Abondance et de l’Amour. Sœur de Fricka, de Donner et de Froh.
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Fasolt (baryt.). L’un des Géants chargés par Wotan de construire le palais des Dieux, le Walhalla.
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Fafner [le Dragon] (basse). Autre Géant, qui, dans Siegfried, se transforme en dragon.
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Froh (ténor). Dieu de la Joie. Frère de Donner, de Fricka et de Freïa.
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Donner (baryt.). Dieu du Tonnerre. Frère de Fricka, de Fieïa et de Froh.
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Loge (ténor). Dieu du Feu, des Flammes, et aussi de la Ruse et du Mensonge, astucieux et malfaisant.
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Mime (ténor). Nain ou Nibelung, forgeron, père adoptif, mais haineux, de Siegfried, qui le tue.
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Erda (contr.). Déesse de la Sagesse et de la Terre. Mère des Nornes, et des Walkyries, dont le père est Wotan.
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Première entrée en scène dans LA WALKYRIE :
Siegmund (ténor). Fils de Wotan (sous le nom de Wälse), frère et époux de Sieglinde, père de Siegfried.
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Sieglinde (sopr.). Fille de Wotan (sous le nom de Wälse), épouse de Hunding, puis de Siegmund, son frère. Mère de Siegfried.
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Hunding (basse). Premier époux de Sieglinde, qui le déteste, car elle lui a été vendue.
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Brünnhilde (sopr.). L’aînée des Walkyries, fille de Wotan et d’Erda, épouse de Siegfried, puis, par trahison, de Gunther.
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Les Walkyries. Vierges guerrières, filles de Wotan et d’Erda, sœurs de Brünnhilde :

                Helmwigue, Guerhilde (sopr.),
                Waltraute (mez.).
                Ortlinde, Siegrune, Rossweisse (mez.).
                Grimguerde, Schwartleite (contr.).
Première entrée en scène dans SIEGFRIED :
Siegfried (ténor). Fils de Siegmund et de Sieglinde, petit-fils de Wotan (Wälse), époux de Brünnhilde, puis, par trahison, de Gutrune (sœur de Gunther).
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L’Oiseau (sopr.). Personnage prophétique et mystérieux.
Entrée en scène dans LE CRÉPUSCULE DES DIEUX :
Les Nornes. Filles de la Terre, qui filent la destinée des Dieux comme celle des humains, et connaissent l’avenir :

                1re Norne (contr.).
                2me Norne (mez.).
                3me Norne (sopr.).
Gunther (baryton). Fils de Gibich et de Grimhilde, frère de Gutrune ; demi-frère de Hagen ; époux, par trahison, de Brünnhilde.
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Hagen (baryton). Fils du nain Alberich et de Grimhilde (séduite par l’or du gnome) et demi-frère de Gunther et de Gutrune.
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Gutrune (sopr.) Fille de Gibich et Grimhilde ; sœur de Gunther, demi-sœur de Hagen ; épouse, par trahison, de Siegfried.
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Il faut les accepter ici, non tels que la tradition nous les rapporte, mais selon la conception propre au poème de Wagner, et avec le caractère qu’il attribue à chacun d’eux.

Ce n’est à vrai dire ni la mythologie du Nord, ni celle du Rhin. — C’est la mythologie wagnérienne, tout comme la religion du Graal, que nous avons entrevue dans « Lohengrin », et que nous retrouverons dans « Parsifal », n’est pas la religion chrétienne, mais un culte spécial sorti du cerveau de Wagner, avec l’aide de quelques légendes également poétisées et transformées.

L’OR DU RHIN


Scène i. — L’action du premier tableau de ce prologue se passe dans les profondeurs du Rhin, parmi les eaux verdâtres et limpides, les rochers et les cavernes.

Les trois Ondines, ou Nixes, filles du Rhin, folâtrent au milieu des flots tout en gardant le précieux trésor, l’Or pur, qui leur fut confié par le fleuve.

Alberich, le plus astucieux, le plus avide et le plus hideux des Nibelungs, sortes de gnomes ou nains repoussants, habitant, dans les entrailles de la terre, le noir royaume de Nibelheim, Alberich s’est glissé dans l’humide demeure, et, plein de désirs voluptueux, voudrait séduire les nymphes ; tour à tour elles l’attirent par de trompeuses promesses, puis se moquent de lui ; mais elles lui révèlent, par leurs bavardages, la magie du dépôt dont elles ont la garde : l’Or du Rhin, forgé en anneau par l’audacieux qui saura s’en rendre maître, donnera à son possesseur un pouvoir illimité sur tout l’univers, car il sera plus puissant que les dieux mêmes, mais à la dure et formelle condition de renoncer à tout jamais à l’amour.

Le gnome, rendu furieux par les refus narquois des Ondines, sent s’éveiller en lui, à leurs paroles imprudentes, une nouvelle convoitise, celle de l’Or et de la domination ; il escalade le rocher sur lequel brille le trésor et, malgré les lamentations des trois Nixes, s’en empare, après avoir formulé sa renonciation à l’amour : c’est lui qui forgera l’anneau enchanté et détiendra la puissance suprême. Il s’éloigne en laissant éclater un triomphant et sinistre ricanement.

Le fleuve, dès qu’il n’est plus éclairé par son joyau, s’emplit de ténèbres épaisses, dans lesquelles disparaissent les Ondines à la poursuite de l’Alfe[2] ravisseur. Des flots sombres montant de tous côtés envahissent la scène de haut en bas, puis finissent par se calmer et s’éclaircir ; ils font place peu à peu à un brouillard, qui se dissipe et découvre, éclairée par le jour naissant, une contrée rocheuse traversée au second plan par la vallée au fond de laquelle coule, invisible, le Rhin. Au loin se dresse, sur le sommet d’une montagne élevée, un Burg aux multiples coupoles étincelant aux rayons de l’aurore.

Scène ii. — Le dieu Wotan et son épouse Fricka, reposant sur un tertre, s’éveillent et contemplent l’édifice que viennent de construire, sur les ordres du dieu, les géants Fasolt et Fafner. La récompense promise pour ce travail par le Maître de l’univers, et à l’instigation du rusé dieu Loge, doit être Freïa, la déesse de la jeunesse, de l’amour et de la beauté, sœur de Fricka et des dieux Froh et Donner ; mais Fricka est effrayée à l’approche de l’imminente échéance, car les géants vont venir réclamer leur salaire ; elle reproche à Wotan l’engagement inconsidéré qu’il a pris, et la construction du palais qu’ellemême avait pourtant désiré, espérant y retenir son volage époux.

Wotan lui promet de ne point abandonner Freïa, qui arrive éplorée et poursuivie par Fafner et Fasolt. Elle appelle à son aide les dieux ses frères ; un débat s’élève entre eux et les géants, et menace de s’envenimer, lorsque apparaît Loge, qui avait été parcourir le monde, à la recherche d’une compensation à offrir aux constructeurs en échange de la radieuse divinité. Mais Loge n’a rien trouvé que l’on puisse préférer à la femme et à la jeunesse. Un seul être, le nain Alberich, a renoncé à ces biens précieux pour l’Or qui donne la puissance, et il a maudit l’amour. Loge raconte le rapt du trésor par le gnome et les lamentations des filles du fleuve, qui implorent l’assistance du maître des dieux. Les géants, ayant entendu ce récit, sont frappés de convoitise ; ils se concertent à l’écart et proposent d’échanger Freïa contre l’Or du Rhin. Ils mettent Wotan en demeure de se le procurer pour le leur donner, et emmènent la déesse en otage, se réservant de la garder si le trésor ne leur est pas promptement livré. À peine ont-ils entraîné Freïa, les dieux commencent à dépérir, car elle seule savait cultiver les Pommes d’Or qui leur donnaient la jeunesse éternelle[3] Wotan prend alors la résolution de descendre au sombre royaume des Alfes et d’y conquérir l’anneau, non pour le rendre aux Nixes, mais pour en faire la rançon de la déesse. Accompagné de Loge, il s’enfonce au milieu des rochers dans les entrailles de la terre à la recherche du Nibelheim.

Scène iii. — Une épaisse vapeur jaillit de la crevasse par laquelle ils sont passés (la faille du soufre) et enveloppe le paysage de nuages opaques qui assombrissent toute la scène et la plongent dans une totale obscurité. Quand les ténèbres se dissipent, on se trouve dans un vaste souterrain hérissé de rochers ; à droite, au fond, un passage descendant de la surface de la terre ; à gauche, dans une caverne, une forge avec des lueurs incandescentes et des tourbillons de fumée rougeâtre.

C’est le royaume des Alfes noirs, où Alberich, grâce à l’anneau magique qu’il a forgé avec l’Or du Rhin, commande aux autres Nibelungs et leur fait fouiller les profondeurs du sol pour en extraire les richesses accumulées ; il s’est fait fondre par l’un d’eux. Mime, habile forgeron, les mailles d’un heaume enchanté, le « Tarnhelm », qui le rendra invisible. Mime aurait bien voulu, par malice, conserver son ouvrage ; mais Alberich, grâce au talisman, se dérobe à la vue de son esclave et le roue de coups. Les plaintes du misérable sont entendues de Wotan et de Loge qui descendent par l’orifice de la caverne. Ils lui font raconter ses infortunes, le travail auquel il est contraint, et lui promettent ironiquement assistance. À ce moment on voit défiler en longues théories dans le fond de la grotte le peuple des Nibelungs, ployant sous le poids des trésors réunis par les ordres d’Alberich ; celui-ci injurie ses frères et les pousse devant lui à coups de fouet ; mais quand il aperçoit les deux nouveaux venus, c’est vers eux qu’il tourne ses invectives, les prévenant, lorsqu’il les a reconnus, des projets de vengeance qu’il a formés contre leur race, maintenant qu’il a la toute-puissance. Wotan, outré, lève sa lance sur l’audacieux ; mais Loge, plus retors et plus politique, arrête ce mouvement de colère du dieu, et, s’adressant au nain, le félicite sur son pouvoir si grand, dont il doute cependant… Piqué au jeu dans son amour-propre, et voulant lui montrer ce dont il est capable, Alberich, à l’aide du casque magique, se transforme d’abord en dragoa terrifiant, puis en crapaud immonde ; Wotan et Loge peuvent alors s’en emparer facilement en mettant le pied dessus ; ils l’ont à leur merci, le garrottent et remontent avec leur prisonnier, écumant de rage, à la surface de la terre.

Scène iv. — La caverne s’emplit de vapeurs comme précédemment ; et lorsqu’elles s’éclaircissent, le décor est le même qu’à la deuxième scène, mais l’arrière-plan reste enveloppé de brumes. Wotan et Loge, sortant du gouffre, traînent derrière eux le nain fou de colère. À leur tour de le railler. Ils l’obligent d’abord à leur livrer le trésor qu’il a amassé et que, sur ses paroles magiques, les Nibelungs apportent de leur retraite profonde ; puis ils exigent, malgré ses récriminations, le heaume enchanté forgé par Mime, et enfin le forcent, malgré sa résistance folle et les injures qu’il bave dans sa méchanceté exaspérée, à leur livrer l’anneau qu’il voulait garder comme suprême ressource. Alberich, au comble de la fureur, se voit arracher le talisman par Wotan ; mais, dans une farouche et sinistre imprécation, il voue aussitôt à une terrible malédiction celui qui s’emparera de son bien : « Que désormais son charme engendre la mort pour quiconque le portera ; … que celui qui le possédera soit rongé d’angoisse, et celui qui ne le possédera pas dévoré d’envie ; … que nul n’en tire profit, mais soit voué à l’égorgeur ;… que la peur enchaîne le lâche ; … que le maître de l’anneau soit l’esclave de l’anneau,… et cela jusqu’à ce que le Nibelung rentre en possession du bien qui lui est ravi ! »

Il s’abîme dans les profondeurs de la crevasse après avoir proféré ces terrifiantes paroles. Wotan, qui ne tient pas compte de leur menaçante portée, met paisiblement la bague à son doigt et se perd dans sa contemplation.

Les géants paraissent alors vers la droite, venant chercher le trésor qu’on doit leur livrer en échange de Freïa. À l’approche de la déesse, les autres divinités sentent leur vigueur et leur jeunesse les animer de nouveau et lui font fête ; mais Fasoll met un terme à leurs épanchements en réclamant la rançon promise. Il plante en terre son pieu et celui de Fafner et prétend que l’on amoncelle entre eux assez de richesses pour lui masquer, comme le ferait un rideau, la vue de l’enchanteresse qu’il aime et dont il regrette de se séparer. Lui et son compagnon entassent les joyaux précieux, y compris le heaume magique, mais par un interstice on voit encore briller le doux regard de Freïa ; pourtant les trésors sont tous réunis là ; il ne reste plus que l’anneau dont on puisse disposer pour combler le vide ; les géants l’exigent énergiquement. Wotan refuse, un débat s’élève, ils vont remmener pour toujours la déesse, lorsque la lumière s’obscurcit, et la divinité, l’âme antique de la terre, Erda, la mère des trois Nornes qui filent le câble du destin, Erda, celle qui sait toutes choses et rêve l’avenir, apparaît dans les profondeurs d’une grotte parmi les rochers et baignée d’une lueur pâle et voilée. Déjà elle prévoit le crépuscule des dieux et conjure Wotan de céder l’anneau merveilleux, mais maudit. Wotan, étonné de ses paroles, l’interroge : il veut savoir et se précipite vers l’antre mystérieux pour la contraindre à s’expliquer ; mais la prophétesse a déjà disparu ; le dieu s’abîme alors dans une profonde méditation, puis enfin, résolument, se décide à jeter l’anneau sur le trésor. Les géants se le disputent aussitôt, éprouvant ainsi, eux les premiers, l’effet de la malédiction que le Nibelung y a attachée : ils en viennent aux mains, et Fafner, frappant brutalement Fasolt, l’étend mort à ses pieds d’un coup de massue. Il reste donc seul possesseur de la bague maudite et des richesses ; il les entasse tranquillement dans un grand sac qu’il a apporté, et disparaît, le traînant après lui, sans même jeter un coup d’œil sur le cadavre de son frère. Les dieux épouvantés restent muets d’horreur ; le ciel s’assombrit, un nuage lugubre se forme.

Donner, le dieu des tempêtes, pour rasséréner l’atmosphère, appelle à lui tous les nuages et disparaît dans une nuée ; le tonnerre gronde, la foudre éclate, puis les brouillards se dissipent et laissent voir un merveilleux arc-en-ciel édifié par Froh au plus fort de la tempête et qui servira de pont pour arriver au Burg inaccessible. Wotan, après avoir ramassé une épée oubliée par Fafner, et provenant de son butin, invite les dieux à pénétrer avec lui dans le Walhalla qu’il a payé d’un salaire maudit ; mais il prévoit la lutte qu’il va avoir à soutenir avec les puissances de l’ombre et songe dès à présent à créer, pour la leur opposer, une race de vaillants héros. Le rusé Loge, qui de son côté est pénétré des mêmes pressentiments que Wotan, pense à séparer sa cause de celle des autres dieux et à édifier sa propre fortune sur leur ruine.

On entend dans les profondeurs de la vallée les filles du Rhin qui pleurent leur trésor perdu ; les dieux, sans pitié pour leurs lamentations, s’égaient des railleries de Loge à l’égard des Ondines et s’engagent sur la route lumineuse qui leur est ouverte.

Le rideau se referme lentement.

LA WALKYRIE

1er Acte.

Scène i. — L’action va se dérouler dans une vaste cabane rustique construite autour d’un énorme frêne qui couvre le sol de ses racines et dont la puissante ramure traverse la toiture. Dans le tronc de l’arbre on aperçoit la garde d’une épée dont la lame tout entière est enfoncée et dont la poignée se voit confusément dans l’ombre. À droite, au premier plan, un brasier devant lequel est un amoncellement de peaux de bêtes formant une sorte de lit de repos. Au pied de l’arbre qui occupe tout le milieu, une table rustique et des escabeaux. Derrière le brasier, des degrés conduisant à un garde-manger. À gauche, un escalier menant à une chambre.

L’orage gronde avec force au dehors, la chaumière est déserte.

La porte du fond s’ouvre brusquement et livre passage à un guerrier sans armes, les vêtements en désordre, l’air harassé de fatigue ; tout en lui dénote un fugitif. Après avoir fouillé du regard la pièce inhabitée, il se laisse glisser sur les fourrures devant le foyer, et, cédant à la lassitude, ne tarde pas à s’endormir.

L’habitante de la rustique demeure, Sieglinde, survient, et apercevant, étonnée, cet inconnu, elle l’éveille et s’enquiert avec sollicitude de son état ; elle lui donne à boire et apprend de lui que, traqué par ses ennemis, trahi par ses armes qui se sont brisées entre ses mains, il a dû chercher son salut dans la retraite. Avec de longs regards d’amour, il accepte l’hydromel que lui verse Sieglinde et dont, selon l’usage, il lui demande de goûter avant lui, mais veut fuir sans retard son hospitalité, car il apporte le malheur partout où il repose. — Hélas ! lui répond-elle, la tristesse depuis longtemps habite cette maison, ce n’est pas lui qui l’y attirera ; et elle l’engage à attendre le retour de son époux, Hunding, qui va rentrer de la chasse.

Scène ii. — Ils se considèrent mutuellement avec une attention soutenue et un intérêt toujours croissant, quand le maître du logis se fait entendre au dehors ; il paraît sur le seuil de la chaumière ; surpris de la présence de l’étranger, il interroge Sieglinde du regard. Renseigné par elle, il demande à son hôte de lui dire son odyssée et le fait asseoir avec eux à sa table. Une chose le frappe pendant le récit de l’inconnu : c’est la ressemblance qui existe entre sa femme et le nouveau venu.

Celui-ci leur raconte alors sa vie, qui semble vouée au malheur. Son enfance s’était écoulée heureuse entre son père, qui avait nom Wälse (le loup), sa mère et une sœur jumelle. Mais un jour, au retour de la chasse, son père et lui trouvèrent leur habitation réduite en cendres et la mère assassinée ; quant à sa jeune sœur, nul ne put jamais en retrouver la trace. Les auteurs de ce forfait étaient les Neidings, fils de la haine et de l’envie. À partir de ce moment, son père et lui errèrent dans la forêt jusqu’au jour où le vieillard, traqué lui-même par leurs ennemis, disparut à son tour.

Lui, poursuivi sans cesse par la destinée, ce qui l’a fait surnommer Wehwalt (qui cause le malheur), repoussé de tous, sans armes, vient enfin d’éprouver un dernier échec en voulant affranchir une jeune femme sans défense que les siens allaient livrer à un fiancé détesté ; il a vu sa protégée mourir sous ses yeux, tandis que lui, accablé par le nombre, a dû renoncer à la lutte.

Dès les premières paroles de ce récit, que Sieglinde a écouté avec une émotion profonde, Hunding reconnaît dans le fugitif un adversaire de sa race que les siens venaient justement de l’appeler à combattre ; il lui accordera néanmoins l’hospitalité pour la nuit, mais le provoquera dès l’aube prochaine pour une lutte sans merci. Il se retire menaçant et ordonne à son épouse de le suivre, après lui avoir préparé sa boisson du soir. Sieglinde, absorbée dans ses pensées, va chercher dans une armoire des épices quelle mêle au breuvage de son maître, puis, en s’éloignant, elle jette un long et tendre regard à l’étranger et semble lui indiquer le tronc du frêne où se trouve fichée l’épée. Hunding, surprenant ce regard, lui enjoint de rentrer dans son appartement, où on l’entend s’enfermer avec elle.

Scène iii. — La scène n’est plus éclairée que par le feu mourant dans l’âtre, qui, en s’écroulant, projette sa lumière sur la poignée de l’arme et la fait scintiller dans l’ombre. Le guerrier, sans l’apercevoir, se demande avec inquiétude s’il trouvera jamais le glaive promis jadis par son père pour le défendre dans la détresse suprême : puis ses pensées prennent un autre cours : il se souvient avec ravissement de la beauté de Sieglinde et du sentiment profond qu’elle a fait naître en son cœur : le rayon qui éclaire cet arbre, est-ce le regard de la bien-aimée qui l’a allumé ?… Mais le feu séteint, la nuit devient presque totale, et Sieglinde, vêtue de blanc, sortant avec précaution de sa chambre, s’avance doucement vers son hôte.

Elle a versé à son époux un breuvage assoupissant, afin de pouvoir s’entretenir avec celui dont la vue ravit son âme. Elle lui révèle que le jour de ses tristes noces avec Hunding, à qui des brigands l’avaient vendue, un vieillard drapé dans un ample manteau et coiffe d’un large chapeau cachant un de ses yeux, est entré dans cette chaumière, causant l’effroi à tous, sauf à elle, qui sentait en ce vieillard un protecteur et a reconnu en lui les traits d’un père chéri. Enfonçant jusqu’à la garde une épée dans le tronc du frêne, il a promis que cet acier appartiendrait au héros qui pourrait l’arracher de sa gaine vivante. Aucun n’a pu jusqu’ici triompher, malgré des efforts renouvelés ; mais Sieglinde pressent que le vainqueur sera l’ami que le sort lui envoie, celui qui saura guérir les blessures de son cœur et auquel, dans un élan passionné, elle promet le don de sa personne. Le fils de Wälse l’étreint ardemment ; ils se regardent avec ivresse, lorsque la porte de la chaumière s’ouvre spontanément, mue par une main invisible, et laisse voir la forêt baignée dans la douce atmosphère d’une nuit radieuse et inondée par la blanche clarté de la lune, projetant ses rayons lumineux sur les deux amants, qui peuvent ainsi se contempler ravis. « Qui donc est sorti ? » murmure Sieglinde effrayée. Personne n’est sorti, mais quelqu’un est entré : c’est le doux Printemps, c’est le Renouveau qui vient leur chanter son épithalame et célébrer l’amour qui fleurit au fond de leurs cœurs.

En considérant de nouveau son bien-aimé, Sieglinde croit l’avoir déjà vu autrefois ; leurs souvenirs se réveillent en même temps. Ce regard si brillant qu’ils possèdent tous les deux, c’est le signe distinctif de l’héroïque race des Wälsungs ; ils sont enfants du même père, et le nom de Siegmund doit être celui du héros à qui Wälse destina la vaillante épée. À lui aussi est réservé de délivrer Sieglinde du joug odieux qui la tient enchaînée. Siegmund, plein d’enthousiasme, s’élance vers le frêne, et, saisissant la poignée du glaive, l’arrache avec une force irrésistible, en la nommant à son tour Nothung, l’arme promise à sa détresse. Sieglinde, enivrée de joie et d’amour, se précipite dans les bras de son fiancé.

Le rideau se referme rapidement.

2me Acte.

Scène i. — La scène représente une contrée montagneuse, sauvage et aride ; à droite, un chemin taillé dans le roc monte à une sorte de plate-forme pierreuse. Sous cette plate-forme se trouve une grotte. Au milieu du théâtre s’ouvre un passage étroit avec un chaos de rochers à l’arrière-plan ; puis, vers la gauche, encore un amoncellement de blocs dans lequel sélève une route qui fait un coude et va aboutir aux rochers du fond.

Wotan remet entre les mains de sa fille préférée, la vierge guerrière Brünnhilde, le sort de Siegmund, qu’il veut voir sortir vainqueur de la lutte avec Hunding. La Walkyrie se retire, heureuse de la mission qui lui est confiée, en poussant son cri de guerre et annonçant à son père la venue de la déesse Fricka, qui s’avance dans un char conduit par deux béliers et vient combattre la résolution de son époux.

L’amour coupable de Siegmund et de Sieglinde l’offense, elle, la gardienne des liens sacrés du mariage et de la famille, et elle réclame la victoire pour Hunding, le mari outragé, qui lui a confié sa défense. En vain le dieu soutient-il la cause de ceux qui s’aiment et qu’il trouve libres de suivre l’entraînement de leur amour ; en vain expose-t-il à la déesse les motifs impérieux qu’il a de conserver Siegmund pour accomplir l’acte qui devra sauver les dieux du péril extrême : la déesse, déjà maintes fois blessée par les infidélités de son volage époux, a bien voulu consentir à supporter la présence des Walkyries, ses filles illégitimes, qui du moins, elles, sont respectueuses de son autorité ; mais que le dieu vienne à présent protéger le couple criminel, vivant témoignage de ses amours avec une mortelle, alors que, sous le nom de Wälse, il errait dans les forêts, cela, elle ne le tolérera pas.

Wotan, au fond de sa conscience, est forcé de reconnaître la légitimité des revendications de sa compagne. Ne représente-t-elle pas l’ordre établi, la sagesse des choses, et n’a-t-il pas jadis payé sa précieuse conquête, lorsqu’il a voulu boire à la source de Sapience, de l’abandon d’un de ses yeux ?

Après une lutte violente avec lui-même, il a fait le serment que réclame Fricka, et, resté seul en proie à une sombre douleur, tandis que la déesse s’éloigne, forte de la promesse obtenue, il voit revenir Brünnhilde à laquelle il va dicter de nouvelles instructions.

Scène ii. — La Walkyrie, saisie d’inquiétude en présence de l’allure triomphante de Fricka, s’approche vivement de son père, qu’elle trouve accablé par l’assaut qu’il vient de subir et le serment qu’il a été contraint de faire. Navrée de l’abattement de ce père chéri, elle jette au loin ses armes, son bouclier, et se laisse tomber devant lui dans un mouvement plein de confiance et d’affection ; elle le conjure de décharger son cœur. Il se confie alors à sa fille préférée, celle qui est la vaillante expression de sa volonté et de sa pensée la plus intime. Devant elle il revoit, descendant au plus profond de son âme, les fautes qui l’ont amené à ce résultat : l’ambition qui s’est emparée de son cœur lorsque l’ardeur de l’amour légitime s’est éteinte en lui ; les traités qu’il a contractés, avide de domination et sur les conseils du rusé Loge, pour asservir les autres dieux ; le rapt de l’anneau, qui lui a valu la haine implacable du Nibelung Alberich. Cet anneau, il eût fallu le rendre aux abîmes du Rhin pour faire cesser tous les dangers qu’il suscite, mais Wotan en a fait le payement du Burg que lui ont construit les géants, le Walhalla, et il est maintenant la propriété de Fafner, qui le garde avec un soin jaloux au fond de sa caverne.

Dans sa détresse, le dieu a voulu consulter Erda, qui déjà une fois lui avait donné de salutaires avis ; il l’a contrainte à lui dire toute sa pensée ; puis, la séduisant à l’aide d’un philtre d’amour, il l’a rendue mère de neuf vierges guerrières, Brünnhilde et ses sœurs, dont il voulait faire l’instrument de son salut : les Walkyries ont reçu de lui la mission d’amener au Walhalla tous les héros morts sur les champs de bataille, et de peupler ainsi le royaume de Wotan de défenseurs intrépides pour le jour où l’armée d’Alberich s’avancerait menaçante. Mais toutes ces précautions seraient vaines si le gnome pouvait de nouveau s’emparer de l’anneau maudit ; il faut l’en empêcher à tout prix, et pourtant Wotan ne peut dérober à Fafner ce qu’il lui a donné jadis. Un seul pourrait accomplir ce prodige : ce serait un héros libre, indépendant, et qui agirait inconsciemment, sans en avoir reçu la mission. Le dieu avait choisi Siegmund son fils pour être ce héros ; dès longtemps il l’a préparé à cet acte de rédemption : il a erré avec lui dans les forêts, le stimulant à la témérité ; il l’a armé d’une épée invincible ; mais à quoi serviront maintenant tous ces soins, puisque Fricka a contraint son époux à céder à ses vœux ?

La fureur et le désespoir de Wotan éclatent à la pensée d’abandonner celui qu’il aime et qu’il aurait voulu protéger, et, dans sa désolation, il maudit sa souveraineté et souhaite la fin des dieux. Cette fin, il la prévoit ; Erda la lui a annoncée pour le jour où naîtrait un fils à Alberich : or ce fils est enfanté, il va voir le jour ; et Wotan, dans l’excès de sa colère, lui lègue les tourments et les splendeurs funestes de la divinité.

En vain Brünnhilde plaide-t-elle la cause de Siegmund, qu’elle sait aimé de son père ; elle voudrait agir selon le secret désir du dieu, en dépit du serment qu’il a fait ; mais Wotan est inébranlable ; il lui enjoint avec amertume d’obéir à Fricka ; et, menaçant la Walkyrie de son châtiment si elle tentait de transgresser ses ordres, il s’éloigne dans la montagne

Brünnhilde, effrayée, affligée, ramasse tristement ses armes et se dirige vers la grotte où est son coursier Grane, en jetant un regard sur Siegmund et Sieglinde qui montent le ravin.

Scène iii. — Sieglinde, sourde aux paroles d’amour que lui murmure Siegmund, le conjure de fuir à présent ; elle ne veut plus se donner à celui qu’elle aime après avoir appartenu de force à un maître détesté.

Les accents lointains du cor et de la meute de Hunding la font tressaillir ; son ami ne pourra lutter contre tant d’adversaires, et son épée sera impuissante à le défendre. Folle de douleur et d’angoisse, entendant l’ennemi se rapprocher, elle croit voir, en son hallucination, son amant devenir la proie des dogues furieux, et, poussant un cri déchirant, elle s’évanouit. Siegmund l’étend avec précaution sur le sol et, mettant un baiser sur son front, il s’assied sur un tertre et place sur ses genoux la tête de sa bien-aimée.

Scène iv. — Pendant ce temps Brünnhilde s’avance, conduisant avec gravité son noble coursier. Elle se montre au guerrier et lui annonce qu’il est désigné pour périr dans le combat qui s’apprête ; elle n’apparaît qu’aux héros voués à la mort glorieuse : il doit se préparer à la suivre au Walhalla. Siegmund, méprisant le trépas, lui demande si, dans la demeure des dieux, il retrouvera sa Sieglinde adorée. — Non, lui répond Brünnhilde, ce sont les Walkyries qui lui verseront l’hydromel ; Sieglinde doit rester encore sur cette terre. — Le guerrier refuse alors les joies du séjour enchanté, s’il ne doit pas les partager avec sa compagne chérie ; il luttera sans crainte contre Hunding, grâce à l’arme invincible dont son père lui a annoncé le succès ; mais si celui-ci lui retire maintenant sa protection, s’il faut périr, qu’Hella[4] le prenne : il ne veut pas partager le sort des immortels, et, avant de mourir, il tuera sa fiancée, afin que nul être ne la touche vivante. — Il tire son épée et va transpercer Sieglinde toujours évanouie ; en vain Brünnhilde lui révèle-t-elle qu’en frappant sa compagne, c’est deux vies qu’il va trancher, car Sieglinde porte en elle un gage de son amour ; il veut quand même lui donner le coup fatal, lorsque la Walkyrie, touchée de compassion devant tant de fidélité, arrête son bras et, lui promettant son appui et son assistance pour l’heure du combat, lui donne rendez-vous sur le champ de bataille et s’éloigne avec Grane. Siegmund, transfiguré par le bonheur, la suit des yeux.

Scène v. — Il dépose doucement Sieglinde endormie sur un siège de pierre et s’élance dans la direction de l’ennemi, au milieu des lourdes nuées d’orage qui se forment et assombrissent tout le fond de la scène. Les fanfares guerrières de l’adversaire se rapprochent de plus en plus.

Sieglinde, dans son rêve, évoque ses souvenirs d’enfance : elle revoit l’incendie néfaste qui a consumé sa maison et dispersé les siens, puis elle est brusquement réveillée par l’éclat du tonnerre qui gronde de toutes parts ; on entend, venant des rochers de l’arrière-plan entourés de brouillards, les voix des deux combattants, Siegmund et Hunding, qui se provoquent mutuellement. Sieglinde veut s’élancer pour les séparer, elle est aveuglée par les éclairs et chancelle. On aperçoit alors Brünnhilde dans la nue au-dessus de Siegmund, qu’elle protège et encourage de la voix ; il va donner à Hunding le coup mortel, lorsque Wotan, apparaissant à son tour dans un sillage de feu, étend son épieu entre les deux ennemis ; à ce contact, la lame de Siegmund se brise, et Hunding peut lui enfoncer son arme dans le cœur. Les ténèbres envahissent la scène ; on distingue à peine Brünnhilde enlevant Sieglinde inanimée et la plaçant sur son coursier pour disparaître avec elle. À ce moment le nuage s’entr’ouvre et laisse voir Hunding retirant son épée du corps de Siegmund. Wotan contemple avec désespoir le cadavre de son fils et lance à Hunding un si terrible regard que celui-ci tombe foudroyé à ses pieds ; puis le dieu laisse éclater son courroux furieux contre la fille rebelle qui a osé lui désobéir, et s’élance à sa poursuite pour la châtier terriblement. Il disparaît parmi les éclairs et la tourmente.

Le rideau se referme rapidement.

3me Acte.

Scène i. — La scène représente un plateau rocheux au sommet d’une montagne. Quelques sapins le parsèment d’une maigre verdure ; dans le lointain, séparés des premiers plans par de larges vallées, d’autres sommets qui, pendant les premières scènes, sont cachés par des brouillards balayés par le vent et montant sans cesse des profondeurs. À droite, une éminence rocheuse dans laquelle se taille une sorte d’escalier ; au milieu du théâtre, au second plan, un bloc aride formant un poste d’observation au-dessus de la vallée. À gauche, plusieurs sentiers donnant accès au plateau ; derrière, un sapin plus vaste que les autres étend ses larges ramures au-dessus de ses racines puissantes.

Quatre des Walkyries, Gerhilde, Ortlinde, Waltraute, Schwertleite, armées de pied en cap, sont étagées en observation jusqu’au sommet du rocher de droite ; elles font entendre leur cri de guerre pour appeler leurs sœurs, qui, à l’exception de Brünnhilde, arrivent tour à tour, chevauchant dans les airs sur des nuées rapides et ayant, attachés à leurs selles, des cadavres de guerriers morts en héros et destinés au Walhalla. Les nouvelles venues, Helmwige, Siegrune, Grimgerde, et Rossweisse, font paître leurs chevaux, encore animés de l’ardeur de la lutte, et attendent la retardataire Brünnhilde, qui paraît bientôt, hors d’haleine, montée sur son beau coursier Grane et portant en croupe une femme vivante… Sieglinde.

Interrogée par ses sœurs, elle leur apprend qu’elle fuit la fureur de Wotan, auquel elle a osé désobéir et qui, courroucé, la poursuit ; elle les conjure de l’aider à sauver sa protégée ; mais les Walkyries ne veulent pas attirer sur elles la colère du dieu et refusent. Sieglinde, désespérée de survivre à celui qu’elle aimait, reproche à Brünnhilde de l’avoir dérobée à la mort et l’adjure de lui plonger son épée dans le cœur ; mais Brünnhilde lui révèle qu’elle porte un Wälsung en son sein, quelle doit vivre pour conserver les jours de ce fils qui naîtra bientôt, et qui sera un héros vaillant. Sieglinde, effrayée d’abord, puis saisie d’une joie immense, veut maintenant vivre à tout prix ; sur le conseil des Walkyries, et pour sauver son enfant, elle se réfugiera seule dans la forêt qui s’étend vers l’est et qui est habitée par Fafner, gardien jaloux du trésor funeste. Jamais Wotan ne porte par là ses pas ; elle sera donc en sûreté dans cette retraite.

Mais il faut se hâter, car l’orage précurseur de la venue de Wotan se rapproche de plus en plus ; des éclairs sillonnent la nue, et Waltraute signale bientôt l’arrivée du père des dieux.

Brünnhilde hâte la fuite de l’infortunée et, l’exhortant à supporter vaillamment la rude vie qu’elle va mener solitaire, elle lui promet que l’enfant qu’elle porte dans ses flancs sera un héros sublime entre tous. Son nom sera Siegfried, et sa mère l’armera, quand il en sera temps, de l’épée de son père, qui n’est autre que l’Épée des Dieux, brisée par Wotan lui-même dans le combat funeste, et dont la Walkyrie a soigneusement recueilli les tronçons, qu’elle confie à Sieglinde. La fugitive bénit Brünnhiide pour sa tendre sollicitude et s’élance dans la forêt vers la retraite désignée.

Pendant cette dernière scène, l’orage a redoublé d’intensité.

Scène ii. — Entre les roulements du tonnerre on entend gronder la voix de Wotan ; Brünnhilde ne peut plus fuir ; pâle, éperdue, elle se cache au milieu de ses sœurs ; elles essayent en vain de la dérober au regard de leur père, qui, en proie à une colère terrible, réclame la coupable. La vierge se détache alors du groupe des Walkyries, et, dans une attitude respectueuse, mais ferme et héroïque, vient se soumettre aux volontés de son juge. Il éclate alors en reproches contre cette fille autrefois aimée entre toutes, qu’il se plaisait à charger des plus glorieuses missions, qui était l’enfant de son vœu et qui maintenant, rebelle, a osé le braver. C’en est fait d’elle : il l’exile du Walhalla, la renie et la prive à jamais de son essence divine. Il la laissera, sans défense, endormie sur le bord du chemin, et le premier passant qui l’éveillera pourra en faire son esclave ; elle filera le lin, soumise à un mortel, et sera la risée de tous.

Les autres Walkyries poussent des cris de désespoir et essayent en vain de fléchir leur père, qui les menace du même sort si elles tentent de défendre la révoltée. Elles s’enfuient en donnant les signes d’une douleur farouche, et on les aperçoit bientôt dans le lointain, chevauchant parmi les nuages.

La tempête, qui n’a cessé de gronder, se calme peu à peu ; les brouillards se dissipent, une nuit sereine fait place à la tourmente et enveloppe la nature.

Scène iii. — Brünnhilde, qui était restée abîmée aux pieds du dieu, lève la tête et cherche à rencontrer le regard de son père pour implorer son pardon. Elle l’adjure d’examiner sa faute avec plus de douceur : son crime était-il tellement infâme qu’elle ait mérité une peine si cruelle et si dégradante ? D’abord il lui avait commandé de soutenir et de faire triompher le Wälsung ; ce n’est que sous la pression d’une promesse arrachée par contrainte qu’il a détourné sa protection de son fils ; mais elle, Brünnhilde, l’enfant de son cœur, a cru agir selon sa pensée intime et son secret désir, en favorisant quand même Siegmund. — Non, lui dit Wotan, elle ne devait pas s’arroger le droit de faire ce qu’il eût si volontiers accompli en personne, sans le fatal serment arraché par Fricka, elle ne devait pas, à l’heure même où son père, torturé par le destin, rêvait, dans son désespoir, de s’anéantir à tout jamais, se laisser aller au doux bonheur d’écouter sa tendre compassion ; le dieu persiste dans son arrêt rigoureux : il la bannit pour toujours de sa présence, et, puisqu’elle s’est laissé dominer de son plein gré par l’amour, c’est l’amour qui désormais fera d’elle son esclave.

La Walkyrie infortunée adjure son père de se souvenir, s’il la bannit de son existence, qu’elle a fait partie autrefois de son être divin, et que ce serait se déshonorer lui-même que de la livrer au premier venu, un lâche peut-être... Un nouveau héros va naître de la race des Wälsungs, valeureux et brave ; que ce soit lui son sauveur et son maître !… Sur le nouveau refus du dieu, elle le supplie au moins de permettre qu’un obstacle terrible se dresse autour d’elle pendant le fatal sommeil, afin que seul un mortel inaccessible à la crainte puisse, en triomphant du danger, s’assurer sa conquête. Le dieu, enfin touché par la vaillance de son enfant infortunée, sent son cœur paternel se fondre devant tant de fierté dans la détresse ; il consent à exaucer son dernier vœu : autour d’elle il élèvera un foyer ardent, dont le feu dévorant chassera les timides, et que seul sera capable de franchir le héros désiré ; puis, la relevant, il la tient longuement embrassée sur son sein en lui faisant de tendres adieux. — Que ces lèvres, qui chantaient si joyeusement la gloire des héros, se taisent ; que ces yeux lumineux qu’il a si souvent baisés avec bonheur et dont la vue l’a maintes fois réconforté aux heures de tristesse, se ferment à jamais pour l’éternel infortuné, et ne se rouvrent que pour le mortel heureux qui saura la conquérir. — Dans un suprême baiser, il lui enlève sa divinité et lui clôt les paupières. Brünnhilde, vaincue par le sommeil, s’endort peu à peu ; il la conduit alors sur un tertre de mousse ombragé par un sapin aux lourdes branches, à l’abri duquel il l’étend inanimée. Il la contemple, ému, puis ferme son casque, étend à côté d’elle sa lance en signe de commandement, et la couvre de son long bouclier d’acier de Walkyrie.

Puis, frappant trois fois le roc de son épieu, il évoque Loge, le dieu du feu. Une flamme s’allume, grandit et enveloppe bientôt le rocher d’une redoutable et grandiose ceinture de feu, formant un rempart inaccessible autour de la vierge endormie.

Ici le rideau se referme très lentement.

SIEGFRIED

1er Acte.

Scène i. — Le décor représente une vaste caverne au milieu de la forêt, et dans laquelle Mime a établi son gîte et sa forge. Au fond et à droite, de larges ouvertures naturelles par lesquelles on aperçoit la verdure des bois ensoleillés. À droite, au premier plan, un lit recouvert de peaux de bêtes ; au second plan, à gauche, le fourneau et le soufflet de la forge dont la fumée s’échappe par une vaste cheminée, naturelle aussi. Au premier plan, une armoire dans laquelle le gnome renferme ses aliments. Escabeaux épars.

Mime forge, en maugréant, une nouvelle épée pour Siegfried, qui prend un malin plaisir à briser sans cesse les lames que le nain lui présente.

Ah ! que ne peut-il venir à bout de ressouder les tronçons de Nothung, l’arme de Siegmund ! Entre les mains de l’adolescent, elle triompherait aisément de Fafner, qui, changé en dragon, est toujours détenteur de l’anneau magique. Siegfried pourrait s’emparer du talisman, que lui, Mime, saurait bien à son tour lui soustraire ; mais, vains efforts ! Les débris de l’épée mystérieuse ne veulent pas se réunir entre ses mains ! Plein de dépit, il continue à frapper sur l’enclume tout en devisant avec lui-même.

Siegfried, vêtu en habitant des forêts, un cor d’argent en sautoir, paraît, joyeux, menant en laisse un ours qu’il a capturé dans les bois et qu’il excite contre Mime effrayé. Il raille celui-ci de sa poltronnerie, puis, détachant l’ours, qui s’enfuit dans la forêt, il réclame du Nibelung l’arme qu’il lui avait commandée, et qu’il brise sur l’enclume au premier essai, comme il l’avait fait des précédentes. Son discours témoigne clairement du peu d’affection et d’estime qu’a su lui inspirer le nain ; et Mime récapitule vainement toutes les peines, tous les soins qu’il a pris de lui depuis sa naissance, Siegfried va s’étendre sur le lit de repos et jette à terre, d’un méprisant coup de pied, les aliments que le nain lui présente ; il le bafoue et se demande comment, étant donnée l’aversion que lui inspire ce misérable gnome, il revient chaque jour ici après ses courses à travers la forêt. — Cela prouve, lui répond son père nourricier, qu’en dépit de ses boutades Mime est cher à son cœur. — Mais Siegfried rit à cette idée ; il pose de nouvelles questions au nain et se refuse à croire que cet avorton louche et méchant soit l’auteur de ses jours, comme le fourbe veut le lui persuader. Il le presse de lui dire quels étaient ses vrais parents ; Mime cherche à éluder la réponse, puis finit par lui avouer, contraint par le jeune homme irrité, qu’il est né d’une malheureuse fugitive qui, accablée de tristesse et d’angoisse, avait un jour cherché refuge dans la forêt et est morte en le mettant au monde. Siegfried manifeste une grande émotion à ce récit. L’astucieux nain veut sans cesse en revenir à l’énumération de ses bienfaits envers l’enfant que la pauvre Sieglinde mourante avait confié à ses soins, mais l’impétueux adolescent l’interrompt sans pitié et le force à lui révéler la fin de son histoire. Il apprend peu à peu que sa mère, avant d’expirer, lui a donné son nom de Siegfried, et que son père avait été tué dans un combat, laissant pour tout héritage les tronçons d’une épée qui s’était brisée pendant la lutte suprême et dont lui, le Nibelung, détient maintenant les morceaux. Sur cette révélation, Siegfried s’emporte ; il somme le nain de lui ressouder les fragments du glaive paternel, avec lequel il veut, libre et joyeux, quitter la forêt et parcourir le monde ; cette épée, il la lui faut de suite ; il exige que Mime la lui forge sans retard, et s’élance hors de la grotte après avoir menacé le nain, qui, resté seul, se désespère : il ne sait pas plus comment faire pour manier l’acier rebelle que pour retenir près de lui celui dont le bras inconscient devait, selon ses ténébreuses machinations, lui conquérir le trésor qui fait son envie et qui est si bien gardé dans le repaire par l’effroyable dragon.

Scène ii. — Pendant qu’il se livre à ces décourageantes réflexions, entre dans sa caverne un inconnu amplement drapé dans un sombre manteau, coiffé d’un large chapeau lui cachant une partie du visage. Cet inconnu, qui n’est autre que le dieu Wotan, refuse de révéler sa personnalité à Mime ; il s’intitule le Voyageur et demande à se reposer des fatigues de la route. Malgré le mauvais accueil du gnome, qui voit en lui un espion dont la présence l’effraye et l’inquiète, le dieu entre et, s’asseyant au foyer, dit à son hôte que souvent, errant sur le dos de la terre, il a payé l’hospitalité reçue, par les sages conseils qu’il donnait à qui voulait l’interroger, et il offre sa tête en gage à Mime si celui-ci, le questionnant, n’apprend point, par ses réponses, ce qu’il lui importerait de savoir. Le nain, pour se débarrasser de l’importun, accepte la gageure et lui pose trois questions, que le Voyageur promet d’élucider : « Quelle est la population vivant dans les entrailles de la terre ? demande tout d’abord Mime. — Ce sont les Nibelungs, que leur chef Alberich avait asservis grâce à la puissance de l’anneau magique, lui répond l’inconnu. — Quelle race respire à la surface du globe ? — La race des géants, dont les princes, Fasolt et Fafner, ont conquis les richesses du Rhin et l’anneau maudit. Fafner a tué son frère, et, changé en dragon, il garde maintenant le trésor, » Mime, profondément intéressé par les réponses du Voyageur, lui demande encore : « Quels sont les habitants des cimes nébuleuses ? — Ce sont les Alfes de lumière qui habitent le Walhalla, et leur chef, Wotan, a conquis l’univers grâce à sa lance, sur laquelle sont gravés les pactes divins. »

En achevant ces mots, l’inconnu frappe le sol de son bâton, un roulement de tonnerre se fait entendre, arrachant Mime à sa rêverie. Le nain, satisfait des réponses qui lui ont été faites, veut maintenant éloigner le Voyageur, dans lequel il a enfin reconnu le père des dieux ; mais celui-ci le questionne à son tour, prenant sa tête en gage s’il ne répond pas à ses interrogations : « Quelle race est persécutée par Wotan, malgré l’amour qu’il a pour elle ? — Les Wälsungs, répond Mime, qui en trace rapidement l’historique. — Quelle épée pourra, suivant les ténébreuses menées d’un Nibelung avisé, tuer Fafner par l’entremise de Siegfried et rendre le nain maître de l’anneau ? — Nothung ! s’écrie Mime entraîné par l’intérêt que lui inspire la question. — Enfin, quel est l’habile forgeron qui saura ressouder les merveilleux débris du glaive ? » À ces mots Mime tressaute d’effroi ; cette demande réveille toutes ses angoisses, et le Voyageur, riant de son émoi, lui apprend que seul celui qui ne connaîtra pas la peur pourra triompher du problème. Le nain n’a pas su répondre à cette dernière interrogation : sa vie appartient donc à l’étranger, qui s’éloigne dans la forêt en léguant la tête du gnome à « celui qui n’a jamais appris la crainte ».

Scène iii. — Se retrouvant seul, Mime s’affaisse derrière lenclume ; cette peur, qu’il faudrait ne jamais avoir ressentie pour pouvoir marteler victorieusement l’acier, elle l’envahit tout entier ; déjà, dans son affolement, il croit voir s’approcher le dragon, le terrible Fafner ; il tremble de tous ses membres, pousse des cris et se roule sur le sol.

C’est dans cet état que le trouve Siegfried en rentrant de son expédition dans la forêt. Il réclame de nouveau son épée ; mais le nain sait maintenant qu’il ne pourra la lui forger lui-même, puis comprend que l’adolescent, qui n’a jamais connu la crainte, est celui à qui le Voyageur a légué sa tête en partant. Pour échapper au péril, il lui faudra, coûte que coûte, imprimer l’effroi dans cette âme téméraire, et pour cela, il imagine de déclarer à Siegfried qu’il ne peut, selon le vœu de sa mère, quitter cette solitude sans avoir auparavant appris la peur. Pour l’y exciter, il lui fait un tableau troublant de la forêt à l’heure où l’ombre l’envahit de toutes parts, où des murmures mystérieux se mêlent aux grognements farouches des fauves. — Siegfried la connaît bien, cette heure indécise dans les bois, mais elle n’a jamais jeté l’angoisse dans son cœur. — Mime alors lui parle du dragon terrible, Fafner, qui étrangle et dévore tout ce qui tente de l’approcher, et dont le repaire, Neidhöhle, la caverne d’envie, se trouve à l’extrémité de la forêt.

Ce récit du nain ne fait qu’éveiller la curiosité du bouillant enfant : c’est devant le repaire du monstre qu’il veut aller chercher la peur ; il va donc partir, mais non sans être armé de Nothung, et il somme une dernière fois Mime de la lui forger. Sur les nouveaux atermoiements du méchant gnome, qui se sait impuissant pour une telle besogne, Siegfried lui arrache des mains les morceaux de l’épée et se met lui-même à réduire le métal en limaille pour le travailler ensuite avec ardeur. En l’honneur de l’arme chérie, il entame un joyeux chant, qui alterne avec les imprécations de l’Alfe haineux, sentant renaître toutes ses angoisses et voyant son plan ténébreux s’écrouler

Le nain va cependant tenter un dernier effort pour s’assurer le succès : il laissera le téméraire vaincre le dragon avec son épée fameuse, puis, comme ce combat l’aura épuisé, Mime lui présentera, sous prétexte de le réconforter, un breuvage enchanté dont quelques gouttes l’endormiront d’un profond sommeil et le lui livreront sans défense. Alors le Nibelung n’aura plus qu’à se frayer son passage vers la grotte, où il s’emparera facilement du trésor si ardemment et si longuement convoité par lui. Déjà il se voit en possession de l’anneau renfermant le charme tout-puissant, et savoure par avance à longs traits les enivrements de la royauté souveraine. Il prend dans son armoire les sucs nécessaires à son infernale cuisine, qu’il met cuire sur l’extrémité du fourneau de la forge.

Cependant Siegfried, tout en chantant, a fini de marteler son arme merveilleuse ; il la trempe, puis la brandit sur l’enclume, que cette fois il fend en deux d’un mouvement plein de force et d’aisance. Le nain, arraché à ses méditations, sursaute et tombe affolé par terre, tandis que l’adolescent élève joyeusement son épée en signe de triomphe.

2me Acte.

Scène i. — L’action se passe dans la forêt, devant la caverne ou Fafner assoupi garde son trésor. À droite, au premier plan, des roseaux touffus ; au milieu, un vaste tilleul aux puissantes frondaisons et dont les racines offrent une sorte de banc naturel. Au second plan, qui est un peu surélevé, se trouve, à gauche, à demi cachée par un amas de rochers, l’ouverture de l’antre du dragon. L’arrière-plan est formé par une muraille de rocs à pic. Une nuit obscure règne sur toute la scène.

Alberich veille anxieusement aux abords de Neidhöhle, le repaire du monstre auquel il conserve l’espoir d’arracher son trésor, lorsque arrive, accompagné d’un souffle de tempête, le Voyageur, subitement éclairé par un rayon de lune qui perce la nuée.

L’Alfe, rendu furieux par la présence de son ennemi, éclate en menaces et en injures contre le dieu, qu’il soupçonne de vouloir assister Siegfried dans sa lutte avec le monstre. Mais Wotan, qui est venu pour voir et non pour agir, ayant la ferme volonté de ne protéger en rien le héros dont il a été contraint d’abandonner la race, répond à Alberich que le seul qu’il ait à redouter, c’est Mime. Mime seul désire l’anneau, dont l’adolescent ignore la puissance magique. Wotan, lui, le dédaigne. À l’appui de son dire, il propose au Nibelung l’idée d’avertir le monstre du danger qui le menace et de lui offrir la vie sauve en échange du talisman. Le dragon Fafner, réveillé de son lourd sommeil, se refuse à la proposition qui lui est faite : il ne veut pas se départir de son inutile possession. Le dieu, riant de la déconvenue du nain, s’éloigne au milieu des grondements de l’orage, en lui conseillant de tenter une démarche conciliatrice auprès de son frère Mime.

Le Nibelung, le suivant de son regard haineux, renouvelle ses imprécations, se jure de poursuivre sa conquête et d’écraser un jour la race détestée des dieux. Il se cache dans un creux du rocher ; l’aube commence à poindre.

Scène ii. — Mime et Siegfried arrivent, Siegfried armé de son épée. Il s’assied sous le grand tilleul, son compagnon se place en face de lui et commence à vouloir le terroriser en lui montrant le repaire qui s’ouvre béant à quelques pas d’eux, en lui dépeignant l’horrible monstre, habitant de ce gouffre, qui engloutit dans sa gueule épouvantable ceux qui ont l’imprudence de l’approcher, qui répand sur eux une bave venimeuse consumant la chair de ses victimes, ou les élreint dans sa longue queue elles étouffe en les brisant.

Siegfried, très calme à ce récit, se promet d’enfoncer Nothung dans le cœur du monstre ; et lorsque Mime insiste et lui prédit qu’il ressentira la peur en se trouvant face à face avec le dragon, il s’impatiente et l’oblige à s’éloigner, en le menaçant à son tour de l’affreuse bête.

Resté seul en attendant le combat, Siegfried pense avec joie qu’il va quitter à tout jamais ce nain odieux qui lui fait horreur ; il songe aussi avec un profond attendrissement à cette mère qu’il aurait tant aimée et dont les caresses lui ont été refusées. Il se plaît à se la représenter belle et douce, avec des yeux clairs et brillants comme ceux des gazelles. Il soupire et médite, puis est tiré de son rêve par les murmures de la forêt qui montent de tous côtés et emplissent son âme d’une poésie mystérieuse ; par le chant joyeux d’un oiseau perché au-dessus de sa tête et dont il regrette de ne pouvoir comprendre le doux langage ; peut-être lui parlerait-il de cette mère tant aimée ? Il veut essayer d’imiter son gazouillement et taille un roseau avec son épée pour s’en faire un chalumeau ; mais il ne peut tirar que des sons criards de ce primitif instrument, et le jetant avec dépit, il le remplace par son cor d’argent, sur lequel il sonne sa joyeuse fanfare.

C’est ainsi que jadis, demandant à la forêt un cher compagnon, il n’a trouvé que l’ours et le loup : que viendra-t-il maintenant ?

En se parlant ainsi, Siegfried se retourne et se trouve en présence de Fafner, qui, sous la forme d’un reptile hideux, s’est avancé vers le milieu de la scène et fait entendre un grognement sonore. L’adolescent rit à sa vue et ne s’effraye nullement des paroles menaçantes du monstre ; il le raille sur les mignonnes dents qu’il exhibe, et, tirant son épée, se place résolument en face de lui. Le dragon, essaye vainement de lui lancer sa bave mortelle et de l’enlacer dans sa queue pour le broyer : le jeune héros déjoue ses calculs et, profitant d’un instant où son ennemi se retourne, il lui enfonce Nothung dans le cœur. Fafner expirant admire le courage de cet enfant qui a osé le braver ; il lui révèle quelle personnalité il cachait sous cette forme hideuse, et ses dernières paroles sont un utile avis à Siegfried, qui devra se tenir en garde contre les noires menées de celui qui l’a conduit jusqu’ici ; puis il roule inanimé sur le sol. Au moment où Siegfried retire son épée de la poitrine du monstre, sa main est inondée d’un sang brûlant qui sort de la blessure ; il porte involontairement ses doigts à ses lèvres pour essuyer le sang, puis il reste un instant rêveur. Soudain son attention est attirée par le chant des oiseaux, dont il lui semble maintenant comprendre la signification. Est-ce d’avoir goûté au sang qui opère en lui un tel prodige ? L’oiseau, dans un langage intelligible, lui conseille de pénétrer dans la caverne et de s’emparer du Tarnhelm et de l’anneau, dont il lui révèle la puissance. Le héros remercie son gracieux protecteur et disparaît dans les profondeurs de la grotte.

Scène iii. — Pendant qu’il l’explore, Mime sort de sa retraite, et, ne voyant plus Siegfried, veut se diriger vers la caverne, lorsque Alberich, surgissant à son tour de sa cachette, lui barre le passage. Une furieuse discussion s’engage alors entre les deux nains au sujet du trésor convoité. Mime finit par proposer un partage à son frère, qui le repousse avec dédain : il lui offre l’anneau et gardera pour lui le Tarnhelm, pensant, dans sa ruse, qu’il lui sera facile, plus tard, à laide du casque enchanté, de ravir la bague à son frère. Celui-ci refuse avec mépris ; la querelle s’envenime, et, chacun se jurant à lui-même que le trésor lui appartiendra tout entier, ils disparaissent au milieu des arbres et des rochers pour laisser place à Siegfried, qu’ils voient avec rage sortir de la caverne en considérant longuement la coiffure magique et l’anneau. Il s’arrête sous l’arbre, se demandant à quoi lui seront utiles ces joyaux qu’il n’a recueillis que sur l’avis de l’oiseau, dont il n’a pas compris exactement la portée, et qui lui rappellent seulement sa victoire, dans laquelle il n’a pas appris la peur.

Au milieu du silence, les murmures de la forêt reprennent, grandissent et montent en une adorable symphonie jusqu’à l’âme de l’adolescent, qui, en communion complète maintenant avec les voix mystérieuses de la nature, en perçoit pleinement le sens sublime et caché. Le chant de l’oiseau se fait de nouveau entendre pour l’instruire de la traîtrise de Mime : Siegfried n’aura qu’à écouter attentivement les paroles du gnome pour en comprendre le sens véritable. En effet, l’astucieux s’avance, méditant la trahison qui doit lui assurer la victoire si longuement convoitée ; son langage le trahit malgré lui, et ses paroles correspondent exactement avec ses vilains sentiments intimes, bien qu’il veuille les faire rassurantes et affectueuses : il a toujours haï l’enfant qui lui a été confié, mais il voulait s’en faire un instrument pour conquérir le trésor ; il lui présente maintenant, sous prétexte de le réconforter, un breuvage empoisonné, et lorsque sa victime sera couchée par terre, les membres raidis par la mort, il lui enlèvera enfin le talisman, objet de son ardent désir. Siegfried, indigné des odieux calculs du fourbe, brandit son épée et, le transperçant, l’étend à ses pieds ; puis il ramasse le corps et le jette dédaigneusement au fond de la caverne, devant laquelle il roule ensuite le cadavre du dragon ; ils garderont ainsi ensemble les richesses entassées dans l’antre.

Fatigué par tous ses exploits, le héros s’étend au pied de l’arbre ; les mélodies de la forêt se font de nouveau entendre, et il demande à son gentil compagnon, l’oiseau, de chanter encore. L’ami qui lui a déjà donné de si précieux conseils ne peut-il continuer à le guider, lui, si seul au monde et qui aspire si ardemment aux affections dont son cœur sevré est avide ? L’oiseau merveilleux lui révèle alors que sur un rocher solitaire dort, entourée de flammes qui la gardent jalousement, la plus belle des femmes ; elle y attend le fiancé qui saura braver le feu pour la conquérir ; Brünnhilde est son nom ; elle n’appartiendra qu’au héros dont l’âme n’aura jamais été accessible à la peur.

Siegfried, dont le cœur est vierge de toute crainte, reconnaît en lui-même l’élu qui doit triompher. Ravi, exalté, ivre de désirs, il s’élance à la conquête de la bien-aimée ; l’oiseau, qui lui montrera le chemin, plane dans les airs, et le héros, poussant des cris d’allégresse, suit la route qui lui est indiquée.

3me Acte.

Scène i. — Le décor représente un étroit défilé dans une contrée rocheuse d’aspect sévère et dénudé. Une crypte, dont on aperçoit la sombre ouverture, est taillée dans la montagne qui se dresse à pic au second plan. À gauche un passage parmi les chaos de rochers ; une obscurité relative règne sur le paysage.

Le Voyageur s’est arrêté à l’entrée de la crypte, au sein de laquelle repose de son éternel sommeil Erda, l’âme antique de la terre. Il l’évoque, et par la puissance de son charme la force à s’éveiller. Il veut l’interroger, car elle est la sagesse du monde ; aucun mystère ne lui est inconnu, et le dieu est avide de partager sa science.

La prophétesse émerge lentement de sa mystérieuse retraite, enveloppée d’une lueur confuse ; sa chevelure et ses vêtements scintillants semblent couverts de givre. Elle s’est arrachée avec peine, et sous l’influence du charme, à son profond assoupissement, mais elle ne sait rien : tout son savoir l’abandonne lorsqu’elle veille ; elle ne peut répondre à Wotan, et elle lui conseille de s’adresser aux Nornes, qui dans le câble des destins filent et tissent toute la science de leur mère éternelle. — Mais ce que cherche le dieu, ce n’est pas de connaître l’avenir : il voudrait le modifier. — Pourquoi n’interrogerait-il pas la fille de son vœu, la voyante Brünnhilde ? lui demande la Vala[5] Alors Wotan lui apprend le châtiment qu’il a dû infliger à la vierge rebelle. — Peut-il, maintenant qu’il l’a privée de sa divinité, la consulter encore ? — La déesse médite longuement ; ses pensées se troublent depuis qu’elle est éveillée ; elle ne veut pas conseiller celui dont elle blâme les agissements, celui, qui, après avoir ordonné à la Walkyrie d’agir, la punit d’avoir agi ; qui tour à tour protège ou entrave la justice et qui se parjure pour tenir ses serments ; d’ailleurs elle ne peut pas changer les lois immuables de ce qui doit être. Elle demande à être délivrée du charme et à se replonger dans son sommeil séculaire. — Wotan, ne pouvant rien obtenir d’elle, la laissera donc redescendre dans sa sombre retraite. Que les destins s’accomplissent : il ne luttera plus contre la fin ; ce qu’il a décidé autrefois, maintenant il l’exécutera avec joie ; et le monde que, dans sa colère, il avait voué à la haine du Nibelung, il le lègue maintenant au fils des Wälsungs : le héros qui, libre de toute crainte, a su se conquérir l’anneau magique, va réveiller Brünnhilde, et la fille déchue des dieux accomplira, consciente, l’acte libérateur qui affranchira le monde ; c’est elle qui rendra au Rhin l’or maudit qui a causé de si grands malheurs ; c’est elle aussi qui, embrasant le Walhalla d’un incendie grandiose, déterminera la fin des dieux. Wotan alors rompt le charme qui retenait la prophétesse ; elle disparaît dans l’abîme, qui est de nouveau plongé dans l’obscurité ; la tempête se calme, et le voyageur attend, silencieux, l’arrivée de Siegfried.

L’aube matinale commence à éclairer la scène ; l’oiseau prolecteur s’approche en voletant, puis tout à coup inquiet, car il a aperçu les deux corbeaux qui accompagnent toujours le Maître du Monde, il disparaît à tire-d’aile.

Siegfried s’avance joyeux en suivant le chemin que lui a indiqué l’oiseau.

Scène ii. — Le dialogue s’engage entre lui et Wotan qui l’interroge, et à qui il raconte son odyssée, son exploit avec le dragon, l’épée merveilleuse qu’il a entre les mains et la douce conquête qu’il aspire à faire.

Ces paroles ravivent momentanément chez le dieu l’angoisse des événements qui vont se dérouler et qu’il acceptait tout à l’heure encore avec une ferme volonté ; une dernière fois il est tenté d’agir, et cherche à s’opposer à la marche du jeune héros. Siegfried veut suivre quand même la route que l’oiselet lui avait montrée avant de fuir la présence des corbeaux de Wotan ; il s’irrite contre l’importun qui veut lui barrer la route, et déclare qu’il le privera, s’il résiste, du seul œil qui lui reste ; mais le Voyageur, dédaignant le courroux du jeune téméraire et se disant gardien du rocher où dort Brünnhilde, menace de ses flammes l’audacieux qui veut passer outre ; dans un accès de colère, il lui ferme le passage avec sa lance, Siegfried, dont l’impatience est à son comble, tire son épée et en frappe lépieu de Wotan, qui se brise avec fracas. Le tonnerre gronde, un océan de feu emplit la scène ; le dieu, se sentant décidément vaincu, cède la place au jeune et impétueux combattant et disparaît dans l’embrasement général.

Siegfried, maintenant tout à sa conquête, sonne une fanfare joyeuse et se précipite au travers des flammes qui envahissent de plus en plus la montagne ; on entend le son du cor qui s’éloigne et indique que le sonneur escalade le rocher ; puis le feu s’apaise, les nuées disparaissent et laissent voir sous un ciel d’azur le rocher où dort Brünnhilde. Le décor est le même qu’au troisième acte de la Walkyrie.

Scène iii. — Siegfried, dont la fanfare a cessé, regarde autour de lui avec étonnement ; il aperçoit un noble coursier qui sommeille à l’ombre des sapins, puis des armes en acier brillant qui reluisent au soleil ; il s’approche, et voit un guerrier armé qui repose, endormi, la tête serrée par un heaume. Il détache doucement le heaume pour mettre plus à l’aise le dormeur. Une magnifique chevelure s’échappe de la coiffure. Siegfried reste stupéfait et en admiration. Il veut maintenant ôter la cuirasse étouffante ; du tranchant de son épée il coupe avec précaution les lanières qui tiennent l’armure : il demeure confondu et troublé en voyant un gracieux corps de femme enveloppé d’un blanc vêtement aux plis harmonieux. Un charme troublant l’envahit soudain, une angoisse mortelle l’étreint, et dans son émoi il évoque le souvenir de sa mère. Est-ce la peur qu’il éprouve enfin ? Était-il réservé à cette adorable créature de la lui faire connaître ?

Pour réveiller la jeune fille, il dépose un long baiser sur ses lèvres ; Brünnhilde ouvre alors les yeux, et ils se contemplent avec ravissement.

La Walkyrie se dresse lentement et adresse un salut solennel à la lumière du soleil, dont ses regards ont été privés si longtemps. Qui l’a éveillée de son interminable sommeil ? Siegfried ému se nomme, bénissant la mère qui l’a enfanté, la terre qui l’a nourri, et lui ont permis de voir se lever ce jour bienheureux.

Brünnhilde mêle son chant d’allégresse et de reconnaissance à celui de Siegfried, ce Siegfried bien-aimé qui, avant même d’être engendré, a été l’objet de son amour et de sa sollicitude.

Ces paroles singulières donnent le change au jeune héros : n’est-ce pas sa mère qu’il croyait à tout jamais perdue pour lui et qu’il a retrouvée ? — Non, lui dit la vierge en souriant, sa mère ne lui est point rendue, mais il a près de lui celle qui l’a toujours aimé, qui pour lui a toujours lutté, car c’est inconsciemment, mais par le fait de son amour, qu’elle a autrefois transgressé les ordres de Wotan et mérité la longue expiation sur le rocher et l’exil du Walhalla. À cette pensée, une tristesse l’envahit ; elle veut résister aux ardentes caresses du héros et ressaisir sa virginité divine, son essence éternelle ; elle contemple avec regret l’acier éclatant de sa cuirasse, l’armure brillante qui protégeait autrefois son chaste corps contre les regards des profanes ; elle fait appel à sa sagesse, à sa clairvoyance passées, et comprend avec effroi qu’elle n’en est plus animée ; son savoir reste muet, les ténèbres descendent dans sa pensée : la fille des dieux est devenue une simple femme !

Mais en même temps l’amour terrestre monte en son âme et l’envahit toute ; en vain veut-elle lutter encore avec elle-même et repousser les ardeurs de Siegfried qui la supplie d’être à lui ; l’amour est le plus fort. Briinnhilde en est enivrée : elle abandonnera la cause des dieux. Qu’ils périssent tous, race vieillie et sans force ; que le Walhalla s’écroule, que le Burg tombe en poussière, que les éternels finissent…

Nornes, rompez le câble des destinées divines ; que le crépuscule des dieux commence : la vierge ne vit plus que pour l’amour de Siegfried, son bien, son tout, son étoile… Éperdue, elle se précipite dans les bras de son époux, qui la reçoit extasié.

LE CRÉPUSCULE DES DIEUX

Prologue. — Le décor représente, ainsi qu’au troisième acte de la Walkyrie, le rocher de Brünnhilde, mais la scène est plongée dans la nuit noire. Le lointain s’éclaire seul d’un vague reflet de flammes.

Les trois Nornes, drapées dans de longs vêtements flottants, tressent le câble d’or de la destinée, qu’elles se passent tour à tour. La première, la plus âgée, est assise au second plan à gauche, sous le sapin ; la deuxième est étendue à l’entrée de la grotte de droite ; et la troisième, la plus jeune des trois, est assise au pied du roc qui commande la vallée. La première Norne montre à ses sœurs la clarté qu’entretient sans cesse Loge autour du rocher de Brünnhilde, et elle les engage à chanter et à filer. Elle attache le câble d’or à une des branches du sapin et se souvient que jadis elle accomplissait sa tâche avec joie, s’abritant sous les puissantes ramures du frêne du monde, au pied duquel bruissait une source fraîche d’où sortait la sagesse. Un jour vint où Wotan s’approcha de l’onde limpide pour y boire, et paya la redevance sacrée du sacrifice d’un de ses deux yeux ; puis il cueillit un des plus vigoureux rameaux de l’arbre pour s’en faire un épieu de combat. Mais, à dater de ce moment, le frêne périclita, son feuillage jaunit, tomba ; au cours des siècles, le tronc périt, et la source en même temps se tarit. — Qu’arriva-t-il alors ? Et la Norne, jetant le câble à sa deuxième sœur, l’invite à parler à son tour. — Wotan, reprend la Sibylle, avait gravé sur son épieu les runes des traités qui faisaient sa force ; il vit, sombre présage, son arme brisée dans sa lutte avec un jeune héros ; alors il réunit les guerriers du Walhalla et leur fit abattre le frêne du monde. Qu’advint-il depuis ? demande la Norne à sa plus jeune sœur, à qui elle lance la corde. — Les héros formèrent un bûcher colossal autour de la demeure des éternels, et Wotan est silencieusement assis au milieu de l’auguste assemblée des dieux. Si le bois, s’embrasant, allume le Burg magnifique, ce sera la fin des maîtres du monde. Wotan a asservi le rusé Loge et l’a fixé en flammes claires autour du rocher de Brünnhilde ; puis il a plongé les éclats de son arme brisée au cœur du flamboyant. Que se passe-t-il alors ? — Le fil que tressent les Nornes s’embrouille, le roc tranchant l’entame ; c’est l’anathème d’Alberich, le ravisseur de l’or du Rhin, qui porte ses funestes fruits ; enfin le câble se rompt par le milieu, et avec lui s’évanouit la clairvoyance des trois sœurs, qui se lèvent épouvantées ; elles en renouent les bouts avec précipitation et, se liant entre elles, elles descendent dans les profondeurs de la terre retrouver Erda, leur mère éternelle.

Le jour s’est levé progressivement ; il brille maintenant de tout son éclat et laisse voir Siegfried arrivant armé en guerre, et Brünnhilde qui l’accompagne, tenant son noble coursier Grane par la bride.

L’amoureux couple, qui goûte déjà depuis de longs jours un radieux bonheur, échange des serments de fidélité. Brünnhilde a transmis à son époux les runes sacrées que les dieux lui avaient enseignées ; elle lui a donné toute sa science et ne lui demande en retour que sa constance, sa tendresse ; elle l’excite à de nouveaux exploits. Siegfried, qui va partir après l’avoir encore assurée de son amour, lui donne en gage de sa fidélité l’anneau dérobé à Fafner, et qui ne vaut pour lui que par les vertus qu’il a dû déployer afin de le conquérir.

Brünnhilde, ravie, lui fait don, en échange, de Grane, le noble compagnon qui l’a jadis si souvent portée à ses prouesses guerrières. Que le superbe coursier, au milieu des combats, rappelle Brünnhilde au souvenir de son époux.

Le couple se sépare après un dernier embrassement ; Siegfried descend le rocher, conduisant sa monture ; Brünnhilde le suit longtemps du regard, extasiée, et l’on entend dans le lointain retentir la joyeuse sonnerie du cor du héros.

1er Acte.

Scène i. — Le décor représente le palais des Gibichs, sur les bords du Rhin. La grande salle, largement ouverte à l’arrière-plan, est de plain-pied avec la rive ; elle laisse voir le fleuve dans toute sa largeur. À droite, au second plan, une table autour de laquelle sont des sièges. À gauche et à droite, l’entrée des appartements privés.

Gunther et sa sœur Gutrune, enfants de la dynastie des Gibichs, conversent avec Hagen, fils de leur mère Grimhilde, et rendent hommage à la sagesse de ce frère qui leur a toujours donné d’utiles avis.

Hagen, le continuateur de la noire pensée de son père Alberich, qui poursuit toujours l’idée de la reconquête de son anneau dérobé par Wotan, Hagen, instruit des vaillants exploits de Siegfried et de ses amours avec la Walkyrie, mais les taisant soigneusement, conseille à son frère et à sa sœur, ignorants de ces faits, de consolider leur dynastie par de glorieuses unions : pour Gunther, il veut Brùnnhilde, la vierge qui dort sur un rocher inaccessible, protégée par un océan de flammes ; mais à Gunther n’est pas réservé de franchir l’obstacle redoutable : Siegfried seul peut accomplir l’acte héroïque, Siegfried, le dernier rejeton des Wälsungs, qui a vaincu Fafner et s’est emparé du trésor des Nibelungs.

C’est lui que Hagen destine à la fille des Gibichs. Il cédera facilement l’objet de sa victoire à Gunther si son cœur est asservi aux charmes de Gutrune, et à cela elle pourra aider en faisant boire au héros certain breuvage enchanté qui fera son âme oublieuse des serments passés et le rendra l’esclave de celle qui versera le philtre.

Le frère et la sœur adoptent avec enthousiasme le projet de Hagen et attendent impatiemment celui qui doit réaliser leurs vœux, que ses courses peuvent amener d’un moment à l’autre dans leurs parages.

Scène ii. — Le son du cor se fait entendre dans la direction du Rhin, annonçant justement l’arrivée de Siegfried. Hagen aperçoit le jeune guerrier dirigeant d’une main habile la barque qui le porte avec Grane. Gunther descend sur le rivage pour le recevoir, et Gutrune, après avoir contemplé de loin le héros, se retire dans ses appartements, en proie à une émotion visible. Siegfried débarque avec son coursier et demande aux deux hommes lequel d’eux est Gunther, dont il a entendu vanter la gloire et auquel il vient offrir, à son choix, le combat ou son amitié. Gunther se nomme et répond à son hôte par des serments d’alliance et de fidélité. Hagen, qui a pris soin de Grane et Ta emmené par la bride, revient et interroge Siegfried sur les richesses des Nibelungs, dont il le sait maître ; mais le héros, dédaigneux de ces inutiles trésors, les a laissés dans le repaire du dragon ; il n’en a pris que ce heaume accroché à sa ceinture et dont Hagen lui révèle la puissance magique, sans toutefois frapper son attention. Il possède encore un autre objet provenant du trésor conquis : c’est un anneau qu’il a donné à une noble femme, comme gage de sa foi. Hagen alors appelle Gutrune, qui arrive, portant une coupe, qu’elle présente en signe de bienvenue à Siegfried.

Celui-ci s’incline et, au moment de vider la coupe, s’absorbe en un souvenir tendre et ému pour Brünnhilde, jurant au fond de son cœur de ne jamais oublier leur fidèle et brûlant amour.

Il boit et rend la corne à Gutrune confuse, et troublée ; mais, sous le charme du philtre, la passion s’allume soudain dans ses yeux en regardant la jeune fille ; il lui fait part du sentiment qui vient de l’envahir tout entier, et demande sur-le-champ à Gunther de lui donner sa sœur. Gutrune, oppressée par le remords qu’elle éprouve de forcer ainsi le sentiment du héros, lui fait signe qu’elle n’est pas digne de lui, et quitte la salle en chancelant, Siegfried, charmé, l’a suivie des yeux, et interroge alors son ami sur lui-même. A-t-il déjà fait choix d’une épouse ?

Gunther lui répond en lui disant la difficulté qu’il aura pour conquérir celle qu’il aime, Brünnhilde, emprisonnée par les flammes sur un rocher solitaire. Siegfried, à ce nom tout à l’heure tant aimé, est vaguement frappé par une réminiscence qui s’efface de suite ; le philtre continue son œuvre ; il offre à Gunther de poursuivre pour lui cette conquête, et n’y met qu’une condition, le don de Gutrune en récompense.

À l’aide du Tarnhelm, il prendra l’aspect de son hôte et lui ramènera la fiancée promise. Ils s’engagent par un solennel serment à ne jamais trahir leur alliance, et cimentent le pacte en buvant tour à tour dans une corne, ayant auparavant mêlé au breuvage quelques gouttes de leur sang. Hagen, qui a refusé de participer à l’engagement fraternel, prétextant de son origine bâtarde, et s’est tenu à l’écart, brise la corne d’un coup d’épée, tandis que Gutrune, inquiète et agitée, est venue présider au départ des guerriers ; il médite et pense avec une ironie méchante que ces deux vaillants, égarés, l’un par ses perfides conseils, l’autre par son odieux sortilège, sont en train d’édifier sa fortune à lui, l’humble fils du Nibelung.

Un superbe rideau se déploie sur le devant de la scène et la ferme ; lorsqu’il se rouvre, on voit, comme au prologue, le rocher de la Walkyrie.

Scène iii. — Brünnhilde, silencieuse et pensive, est assise à l’entrée de la grotte, contemplant l’anneau que Siegfried lui a donné, et qu’elle couvre de baisers passionnés. Elle entend au loin un bruit jadis familier : c’est le galop d’un coursier aérien ; elle prête l’oreille, et, ravie, s’élance au-devant de Waltraute, la Walkyrie sa sœur, qui vient la trouver dans sa retraite et dont elle ne remarque pas l’expression d’inquiétude ; est-ce le pardon du dieu trop sévère que sa compagne chérie lui apporte enfin ? Wotan s’était adouci envers la coupable, puisqu’il avait permis que le feu dévorant la protégeât dans son sommeil, et que de son châtiment même sortît sa félicité ; elle appartient maintenant à un héros dont l’amour l’enivre d’orgueil et qui a fait d’elle la plus heureuse des femmes.

Waltraute, qui ne partage pas l’allégresse de sa sœur, est venue à elle pleine d’angoisse et, malgré la défense de Wotan, pour la conjurer de sauver le Walhalla du malheur qui le menace : depuis l’exil dont il a frappé la fille de son vœu, le dieu des armées, inquiet, découragé, n’a cessé de parcourir le monde comme un voyageur solitaire : un jour, il rentra de ses courses vagabondes, tenant à la main son épieu brisé ; muet et sombre, il ordonna alors d’un geste à ses héros d’abattre le frêne du monde et d’en former un vaste bûcher autour de la demeure des éternels ; puis il convoqua le conseil des dieux, et depuis, il trône, immobile et farouche, parmi eux et les héros, considérant avec douleur son arme vaincue ; c’est en vain que ses filles, les vierges guerrières, l’implorent et veulent le réconforter ; il reste sourd à leurs prières, attendant ses deux corbeaux qu’il a envoyés au loin et qui, hélas ! ne viennent lui rapporter aucune nouvelle rassurante !

Une seule fois, ému des caresses de sa fille Waltraute, son regard s’est voilé au souvenir de Brünnhilde, et il a laissé tomber ces paroles : « Si elle rendait aux filles du Rhin l’anneau maudit, les dieux et le monde seraient sauvés. » Alors, Waltraute a quitté furtivement la demeure endeuillée, pour venir supplier sa sœur d’accomplir l’acte rédempteur.

Brünnhilde, à ces mots, se révolte : sacrifier l’anneau de Siegfried, le gage sacré de leur amour, plus précieux pour elle que la race des dieux, que la gloire des éternels ? À cela jamais elle ne consentira, dussent les splendeurs du Walhalla s’écrouler à l’instant ; et elle laisse s’éloigner sa sœur désolée, emportant sa décision immuable.

Waltraute, au comble du désespoir, s’enfuit vers le palais de son père, accompagnée par une nuée d’orage sillonnée d’éclairs ; la nuit est venue, et la flamme qui entoure le rocher brille d’un éclat inusité.

On entend le cor de Siegfried qui retentit dans le lointain. Brünnhilde, ravie, s’élance au-devant de lui, puis recule épouvantée à l’aspect dun guerrier inconnu : c’est son époux qui, toujours sous l’influence du philtre maudit qui aveugle son âme, et grâce au pouvoir du heaume, se présente à elle sous les traits de Gunther, au nom duquel il veut la conquérir. L’infortunée, frappée d’horreur, se débat en vain, appelant dans sa détresse Wotan, dont elle croit éprouver de nouveau le courroux. Elle invoque vainement le pouvoir de l’anneau, ses forces la trahissent. Siegfried la terrasse et, lui arrachant la bague, qu’il passe à son propre doigt, il la déclare fiancée de Gunther et la force à entrer dans la grotte, où il la suivra, mais où, fidèle à la parole donnée à son allié, il la gardera intacte pour le fils de Gibich. Il en prend Nothung, son épée, à témoin.

2me Acte.

Scène i. — Le Rhin offre une belle et longue perspective, et forme vers la gauche un brusque coude passant devant le palais des Gibichs, que l’on aperçoit de profil au premier plan à droite. Des rives du fleuve, qui sont escarpées et rocheuses, monte à droite, au second plan, un chemin au bord duquel sont étagées des pierres de sacrifice, les deux premières dédiées à Fricka et à Donner, enfin une troisième, plus grande que les autres, consacrée à Wotan.

Il fait nuit obscure. Hagen, assis immobile et en armes à la porte du palais qu’il garde, semble dormir, bien qu’il ait les yeux ouverts. Son père, Alberich, accroupi devant lui, dirige son rêve et, lui parlant à voix basse, l’excite à la lutte dans laquelle il s’est engagé pour reconquérir l’anneau sur Wotan le maudit : déjà le dieu est affaibli par sa propre lignée ; un Wälsung lui a brisé son épieu, instrument de sa force et de sa puissance, et le dieu désarmé, amoindri, voit avec angoisse approcher sa fin et celle du Walhalla. Si Hagen veut aider l’Alfe qui l’a engendré, il peut recueillir à son profit la souveraineté des dieux. L’anneau, dont il faut s’emparer à tout prix, est aux mains de Siegfried ; mais le héros, n’en connaissant pas la puissance ou la dédaignant, échappe par cela même à la malédiction qui s’attache à la possession du talisman ; il faut donc ruser avec lui et agir en toute hâte, afin que, conseillé par la noble femme dépositaire de la bague magique, il n’ait pas le temps de rendre aux filles du Rhin le trésor qu’elles réclament avec tant d’instances et qui dès lors serait irrévocablement perdu pour les Nibelungs.

Scène ii. — Hagen, toujours rêvant, jure à son père, à lui-même, qu’il saura s’emparer de l’anneau. Alberich disparaît, excitant son fils à tenir sa promesse. Une ombre épaisse couvre Hagen, le jour point du côté du Rhin, et le soleil se lève, se reflétant dans le fleuve et éclairant l’arrivée de Siegfried, qui, transporté par la puissance de son heaume magique, vient du rocher où il a conquis Brünnhilde pour Gunther, annoncer la bonne nouvelle à la fille de Gibich.

Gutrune, ravie, se fait conter le nouvel exploit de son fiancé et apprend avec joie que Gunther, ayant par un habile subterfuge reçu son épouse des mains du vainqueur, est en route avec elle pour le palais de ses pères.

Scène iii. — Il faut se hâter de préparer la réception du nouveau couple ; Hagen, qui était en observation sur la hauteur, appelle à son de trompe les vassaux de son frère ; ils accourent en armes, se demandant quel danger court leur seigneur et maître ; mais Hagen les rassure : il s’agit seulement de souhaiter la bienvenue à l’épouse qu’il a conquise à l’aide de Siegfried, et de préparer des sacrifices aux dieux qui leur ont été propices. Sur l’autel de Wotan, qu’ils immolent un vigoureux taureau ; un sanglier pour Froh, un bouc pour Donner, et qu’ils consacrent une douce brebis à Fricka, pour qu’elle accorde aux nouveaux époux un heureux hymen.

Les vassaux, entraînés par les gaies paroles de Hagen, habituellement sombre et farouche, se réjouissent et jurent protection à leur future souveraine.

Scène iv. — La barque amenant Gunther et Brünnhilde vient d’atterrir. Le guerrier en sort avec sa triste fiancée, qui se laisse conduire, pâle et les yeux baissés. Il la présente aux vassaux, qui l’acclament joyeusement, puis à Gutrune et à son futur époux.

Brünnhilde, en voyant Siegfried, reste muette d’épouvante et s’arrête en le regardant fixement ; lui, inconscient de ce qui se passe dans l’âme de l’infortunée, supporte avec calme son regard ; elle est sur le point de défaillir, Siegfried froidement la soutient ; elle aperçoit l’anneau au doigt du parjure ; alors elle se redresse avec violence et demande comment la bague que lui a arrachée Gunther et qu’il dit être le gage de leur union est en la possession dun autre. Le fils de Gibich se trouble et ne sait que répondre. Siegfried, perdu dans sa rêverie en contemplant l’anneau, se souvient seulement qu’il l’a conquis jadis dans sa lutte avec le dragon ; il l’affirme loyalement. Hagen, se mêlant au débat, feint de soupçonner le Wälsung de trahison et engage Brünnhilde à la vengeance ; celle-ci, en proie à une douleur et une révolte suprêmes, déclare Siegfried fourbe et infâme ; elle accuse les dieux de tous les maux qui l’accablent et repousse Gunther qui cherche à la calmer, le reniant pour son époux et désignant le fils de Wälse comme celui à qui elle s’est donnée, corps et âme.

L’émotion est à son comble ; Siegfried veut se disculper d’une telle traîtrise ; tous le somment de déclarer sous la foi du serment qu’il n’a point failli à la parole donnée et qu’il a respecté en Brünnhilde l’épouse de Gunther. Il l’affirme solennellement sur l’arme que lui présente Hagen : qu’il périsse par cette arme même, s’il a forfait à l’honneur.

Scène v. — Brünnhilde s’avance, indignée, terrible, appelant la vengeance, par ce fer aigu et tranchant, sur le traître et le parjure, et tandis que Siegfried s’éloigne, insouciant de ses menaces et ne songeant plus qu’à sa nouvelle fiancée, qu’il entraîne dans le palais, la malheureuse créature, restée en proie à la plus affreuse des douleurs, se demande avec angoisse de quel cruel sortilège elle a été la victime, quel est l’astucieux ennemi qui lui a suscité une pareille infortune et comment elle dénouera, maintenant qu’elle a perdu sa science divine, les liens odieux qui l’enserrent. Hagen s’approche alors de la pauvre abandonnée et lui offre le secours de son bras pour la venger ; mais à cette proposition elle rit amèrement : n’a-t-elle pas elle-même pris soin de rendre le héros invulnérable ? et d’ailleurs sa bravoure ne paralyserait-elle pas quiconque voudrait se mesurer avec lui ? — Hagen connaît son infériorité dans une telle lutte ; mais n’y aurait-il aucun moyen secret de vaincre le coupable ?

Brünnhilde lui révèle alors qu’un seul point est attaquable, qu’elle n’a point compris dans ses enchantements, sachant bien que jamais il ne tournera le dos à l’ennemi : si Hagen peut l’atteindre entre les épaules, il lui portera là un coup mortel. — Le misérable se promet de profiter du précieux avis ; il fait part de son projet à Gunther, resté à l’écart, abîmé dans ses pensées et accablé par l’accusation de lâcheté que porte contre lui son épouse. Gunther frémit à la pensée de trahir celui qu’il a nommé son frère d’armes ; mais Hagen cherche à endormir ses remords : il lui rappelle à voix basse quelle puissance découlera pour lui de cet acte, puisqu’il le rendra maître de l’anneau. Gunther hésite encore en songeant à la douleur de Gutrune. Ce nom éveille toute la haine jalouse de Brünnhilde : cette femme qui a dû, par un charme, lui ravir son époux, il faut qu’elle soit châtiée dans son amour ; et Brünnhilde associe ses instances à celles de Hagen. Siegfried périra donc, Gunther s’y résigne ; la chasse qui doit avoir lieu le jour suivant fournira le prétexte de sa mort : un sanglier l’aura frappé dans un lieu isolé.

Pendant que le noir complot se trame, Siegfried et Gutrune, accompagnés de leur cortège nuptial, paraissent, la tête ornée de fleurs et de feuillages. Ils invitent leurs frère et sœur à les imiter, et tandis que Gunther, prenant la main de Brünnhilde, suit la joyeuse assemblée avec elle, Hagen, resté à l’écart, invoque l’assistance de son père Alberich, l’Alfe haineux, et se jure à lui-même d’être bientôt le possesseur de l’anneau tant convoité.

3me Acte.

Scène i. — La scène représente un ravissant paysage des bords du Rhin ; les eaux azurées du fleuve, encaissées entre deux rives montagneuses et agrestes, permettent de voir dans leurs flots transparents les Ondines qui prennent leurs ébats. Au premier plan, une sorte de plage occupe le devant du théâtre ; à droite, un sentier monte escarpé, parmi les rochers, et atteint les sommets élevés de la rive.

Woglinde, Wellgunde et Flosshilde, les trois filles du Rhin, tout en évoluant dans l’onde, se lamentent sur la perte de leur or, dont l’éclat pur égayait jadis le fond du fleuve, voué maintenant à l’obscurité et à la tristesse. Si le possesseur du trésor voulait consentir à le leur rendre !…

Justement, le son du cor dans le lointain leur apprend que le héros vient dans leurs parages. Elles plongent pour aller délibérer entre elles, quand Siegfried, armé de toutes pièces, apparaît sur la hauteur, égaré dans la campagne à la poursuite du gibier.

Les Ondines reparaissent, interrogent le chasseur et lui offrent de lui retrouver l’ours qui s’est dérobé à ses coups, s’il veut leur abandonner en échange l’anneau d’or qu’il a au doigt.

Il refuse la proposition des Nixes : donner un bien conquis au prix d’un combat terrible avec le dragon Fafner, jamais ! Elles le taquinent, se moquent de son avarice et de la crainte qu’il a, lui si beau, si fort, d’être battu par sa femme si elle s’apercevait de l’absence de la bague, et elles disparaissent de nouveau sous les flots. Siegfried, ébranlé par ces railleries, se décide presque à leur offrir le joyau auquel il tient si peu ; il les rappelle ; mais les trois sœurs, qui se sont concertées et sont devenues graves, lui conseillent de conserver l’anneau jusqu’à ce qu’il comprenne la malédiction qui y est attachée ; alors il le leur abandonnera avec joie. Elles savent de funestes choses concernant Siegfried : son anneau maudit, fait avec l’or du Rhin, voue au malheur, par l’anathème de celui qui l’a forgé, quiconque s’en rendra possesseur. Comme Fafner a péri, il périra lui-même, à moins qu’il ne rende le joyau aux gouffres du fleuve ; seuls ses flots auraient le pouvoir d’annuler la malédiction, cette malédiction que les Nornes ont tressée dans le câble du destin. Siegfried ne se laisse pas troubler par ce qu’il regarde comme de vaines menaces ; il n’attache aucune foi au récit des nymphes et bravera les prophéties alarmantes des Nornes, dont Nothung saura, au besoin, trancher la corde. Cet anneau lui assure, dit-on, l’empire du monde : il le donnerait volontiers aux gracieuses Nixes si elles lui offraient, en échange, l’amour et ses douces extases ; car la vie sans l’amour, il s’en soucie comme de ceci (en prononçant ces paroles, il prend une motte de terre, qu’il jette au loin) ; mais ce n’est pas devant des menaces qu’il cédera jamais, car la peur lui est inconnue.

Les Ondines, le voyant sourd à leurs exhortations, renoncent à convaincre un insensé qui n’a pas su conserver et apprécier le bien le plus précieux qui lui était échu, l’amour de la Walkyrie, et ignore même avoir gaspillé son bonheur tandis qu’il s’acharne à la possession du talisman qui le voue à la mort. Mais, heureusement pour elles, aujourd’hui même son héritage passera aux mains d’une noble femme qui, elle, écoutera leurs prières et y fera droit. Elles se hâtent d’aller la trouver. — Siegfried les suit de l’œil en souriant et en admirant leurs ébats gracieux.

Scène ii. — Des fanfares de chasse se font entendre au loin et se rapprochent peu à peu ; le jeune chasseur répond joyeusement de son cor d’argent. Gunther et Hagen descendent la colline avec leur suite. Les serviteurs préparent le repas, tandis que les chasseurs s’étendent à terre et se mettent à boire en causant. Siegfried, tout en confessant qu’il a fait une chasse nulle, raconte, insouciant, sa rencontre avec les sœurs, qui lui ont prédit sa mort pour le jour même, Gunther se trouble et regarde furtivement Hagen, qui demande à Siegfried de lui parler du temps où, dit-on, il savait converser avec les oiseaux. — Mais le héros a cessé depuis longtemps de comprendre leurs gazouillements, auxquels il préfère maintenant de douces paroles de femme. Hagen insiste, ainsi que Gunther, pour connaître cette aventure. Siegfried leur retrace alors son enfance dans la forêt en compagnie de Mime, le gnome astucieux dont il a mis à néant les noirs projets, son combat contre Fafner à l’aide de Nothung, sa vaillante épée, la conquête du trésor et les sages conseils de l’oiseau merveilleux. Quand le héros est arrivé à ce point de son récit, Hagen mêle en cachette à son breuvage un philtre réveillant ses souvenirs endormis ; Siegfried, dès lors en pleine possession de sa mémoire, raconte devant tous, au profond étonnementde Gunther, qui l’écoute avec une émotion croissante, son odyssée victorieuse pour aller délivrer Brünnhilde et la délicieuse récompense qui l’attendait pour prix de sa vaillance. Gunther, abîmé de stupéfaction, semble commencer à comprendre. À ce moment, deux corbeaux sortant d’un buisson voisin viennent tournoyer au-dessus de Siegfried, qui se retourne pour les regarder ; Hagen profite de ce moment pour fondre sur celui que sa haine guette si lâchement, et lui enfoncer son épieu entre les deux épaules. Gunther, plein d’horreur, s’élance, trop tard hélas ! pour détourner le bras du meurtrier. Siegfried lève son bouclier pour écraser le traître, mais ses forces l’abandonnent, et il tombe sur le sol, tandis que son lâche assassin s’éloigne tranquillement et gagne la hauteur. Avant d’expirer, Siegfried peut encore envoyer un suprême adieu à la bien-aimée qu’il n’a toujours pas conscience d’avoir trahie et dont le radieux souvenir adoucit ses dernières souffrances. Il meurt en emportant la chère vision dans son cœur extasié.

Les vassaux placent le corps du héros sur une litière de verdure. Le funèbre cortège se forme : Gunther le premier suit le cadavre, en donnant les signes du plus profond désespoir. Les rayons de la lune éclairent le lugubre défilé, puis des brouillards se dégageant du Rhin viennent envahir le devant de la scène. — Quand ils se dissipent, le théâtre représente de nouveau la grande salle du palais des Gibichs, plongée cette fois dans l’obscurité. Seul le fleuve, à l’arrière-plan, est éclairé par le brillant reflet de la lune.

Scène iii. — Gutrune sort du palais endormi et silencieux, attendant, inquiète, le retour de son époux et de son frère ; elle est envahie par de sombres pressentiments. Le rire enfiévré et sinistre de Brünnhilde a interrompu son sommeil. Est-ce cette femme qu’elle a vue dans le lointain se diriger vers le fleuve ? Elle s’assure en effet que Brünnhilde a quitté ses appartements, et elle est sur le point de rentrer dans le palais ; mais elle entend la voix de Hagen qui la glace d’effroi. Voici le retour des chasseurs : comment n’entend elle pas le son éclatant du cor de Siegfried ? Elle interroge Hagen, qui d’abord lui dit que son époux revient et de se préparer à le saluer, puis lui apprend brutalement que le héros ne fera plus entendre sa joyeuse fanfare, car il a trouvé la mort dans un combat contre un sanglier furieux.

Le funèbre cortège arrive à ce moment, et toute la foule des serviteurs se presse, apportant des torches et des brandons. Les chasseurs, parmi lesquels se trouve Gunther, déposent le corps au milieu de la salle. La consternation est générale. La malheureuse Gutrune tombe évanouie en voyant sans vie celui qu’elle aimait. Gunther veut la relever ; mais, revenant à elle, elle repousse avec horreur son frère, qu’elle accuse d’avoir assassiné son époux. Gunther se disculpe et dévoile alors le crime de Hagen, qu’il maudit et voue au malheur et à l’angoisse. Le traître s’avance impudemment et proclame avec hauteur son acte odieux ; il exige comme droit de dépouille la bague qui brille au doigt du héros. Gunther lui défend de toucher à l’héritage de Gutrune. Hagen le menace, ils dégainent tous deux, et Gunther, frappé par l’épée de son frère, tombe mort à ses pieds. L’assassin veut alors s’emparer de l’anneau et se jette sur le corps de Siegfried pour le prendre ; mais la main du cadavre se dresse menaçante, serrant l’anneau entre ses doigts… L’épouvante est à son comble. Gutrune et ses femmes poussent des cris aigus.

Brünnhilde, paraissant alors au fond du théâtre, s’avance, calme et imposante, et veut faire taire ces clameurs ; elle, la femme abandonnée et trahie par tous, vient pour venger le héros dont la mort ne sera jamais assez dignement pleurée.

Gutrune éclate en reproches, l’accusant d’avoir attiré tous les malheurs sur leur maison ; mais Brunnliilde, avec noblesse, lui impose silence, elle, l’épouse légitime que seule Siegfried a jamais aimée et à laquelle il avait juré une éternelle fidélité. Gutrune alors, au comble du désespoir, comprend quel rôle odieux Hagen lui a fait jouer en lui conseillant de faire usage du philtre maudit, et, appelant sur le misérable l’anathème, elle tombe abîmée de douleur sur le corps de Gunther. Hagen, dont le regard est animé d’une expression de défi, reste à l’écart, absorbé dans une sombre rêverie.

Brünnhilde, après avoir contemplé longuement et douloureusement le visage de Siegfried, ordonne avec solennité aux vassaux de former sur les bords du fleuve un bûcher destiné à recevoir le corps du héros ; puis on lui amènera Grane, son fidèle et noble coursier, avec qui elle veut partager les honneurs sacrés réservés au plus valeureux des guerriers.

Pendant que les vassaux entassent les fortes bûches sur lesquelles les femmes jettent des tapisseries et des fleurs, Brünnhilde se perd de nouveau dans la contemplation du bien-aimé, le pur des purs, le cœur loyal entre tous, celui qui cependant l’a trahie, abandonnée, elle, la seule qu’il ait chérie. — Comment cela s’est-il fait ? Wotan, dieu inexorable, qui n’a pas craint, pour réparer sa faute éternelle, de vouer sa fille à cette extrême détresse en sacrifiant ainsi celui qu’elle aimait ! Combien douloureusement elle a appris, par l’excès de son malheur, ce qu’il lui fallait savoir ! Maintenant elle voit, elle sait, elle comprend tout, mais au prix de quelles souffrances !…

Elle aperçoit, tourbillonnant dans les airs, les deux noirs messagers du Père des combats : qu’ils retournent au Walhalla annoncer que maintenant tout est accompli, consommé, et que la race divine aura bientôt cessé d’être. Repose, repose, ô race des dieux !…

Elle fait signe aux vassaux de porter sur le bûcher la dépouille de Siegfried, à qui elle enlève d’abord l’anneau, qu’elle passe à son doigt. Cet anneau néfaste dont elle reprend possession, elle le lègue aux Filles du Rhin : qu’elles viennent le rechercher tout à l’heure, au milieu de ses cendres, après que le feu l’aura purifié de la malédiction qui a pesé si lourdement sur tous ceux qui l’ont possédé !

Elle s’approche du bûcher où repose déjà le corps du héros, et, brandissant une torche, elle enjoint de nouveau aux corbeaux d’aller alors dire à Wotan ce qui se passe ici ; puis, qu’ils volent jusqu’au rocher où elle a dormi, et ordonnent à Loge, qui y séjourne encore, de se transporter au Walhalla et d’embraser la royale demeure des dieux ; car le crépuscule éternel commence pour eux, et le feu qui va bientôt la consumer elle-même se propagera jusqu’à l’inaccessible retraite du Maître du monde.

Elle lance le brandon sur le bûcher, qui s’enflamme aussitôt. Puis, se retournant une dernière fois vers le peuple assemblé, elle lui lègue, dans un suprême adieu, le trésor de sa science sacrée : la race des dieux est éteinte, l’univers est sans maître ; mais il lui reste un bien précieux entre tous et qu’il doit apprendre à chérir plus que l’or, plus que la gloire et la grandeur : c’est l’amour, qui seul peut sortir victorieux de toutes les épreuves et donner la félicité parfaite.

Brünnhilde reçoit son coursier Grane, que deux jeunes gens lui amènent ; elle lui enlève tous ses harnais, le débride, lui montre le bûcher où repose son maître, puis, s’élançant sur le noble animal, elle bondit avec lui dans les flammes, qui s’élèvent en crépitant et gagnent toute la scène. Le peuple consterné se disperse, puis le bûcher s’écroule en dégageant une épaisse colonne de fumée. Bientôt la nuée se dissipe, et l’on aperçoit les flots du Rhin qui débordent maintenant et montent jusqu’au seuil du palais, amenant les trois Ondines sur leurs eaux.

Hagen, qui a observé toute la dernière scène avec une sombre angoisse, se précipite, poussant un dernier et formidable cri de convoitise, au milieu des flots pour y chercher l’anneau ; mais il se voit saisi et entraîné au fond de l’abîme par Wellgunde et Woglinde, tandis que Flosshilde se montre à la crête des vagues, brandissant joyeuse l’Anneau enfin reconquis !…

Au loin le ciel s’embrase : l’incendie gagne tout l’hor rizon, et les vassaux, muets de stupeur, contemplent le sinistre et saisissant spectacle de l’anéantissement du palais des dieux, qui s’abîme dans l’horreur grandiose d’un océan de feu.

C’est par cet émouvant cataclysme que se termine la quatrième et dernière journée de l’Anneau du Nibelung.

__________

Analyse musicale[modifier]

Le Voyage artistique à Bayreuth (1897)
Librairie Ch. Delagrave (p. np).
LA TÉTRALOGIE DE
L’ANNEAU DU NIBELUNG


DÉSIGNATION
des principaux Leit-motifs de la
Tétralogie de

L’ANNEAU DU NIBELUNG
dans l’ordre de leur première
apparition intégrale.

_________________________
L’OR DU RHIN LA WALKYRIE SIEGFRIED LE CRÉPUSCULE DES DIEUX
[PRO. = Prologue] 1er
ACTE
2me
ACTE
3me
ACTE
1er
ACTE
2me
ACTE
3me
ACTE
PRO 1er
ACTE
2me
ACTE
3me
ACTE
[P = Prélude] P P P P P P P P P
SCÈNES : 1 2 3 4 1 2 3 1 2 3 4 5 1 2 3 1 2 3 1 2 3 1 2 3 1 2 3 1 2 3 4 5 1 2 3
Le Rhin
Les Filles du Rhin
La Servitude
L’Or
Adoration de l’Or
La Puissance de l’anneau
Renoncement à l’amour
L’Anneau
Le Walhalla
Salut au Walhalla
Le Traité
La Fascination de l’amour
Freïa
La Fuite
Les Géants
Convention avec les Géants
Les Pommes d’or
Loge
Charme des flammes
Le Regret de l’amour
La Forge
Le Pouvoir du Casque
La Réflexion
La Puissance d’Alberich
L’amoncellement du trésor
Cri de triomphe du Nibelung
Le Dragon
Travail de destruction des Nibelungs
Malédiction de l’anneau
Les Nornes
Le Déclin des dieux
Incantation du tonnerre
L’Arc-en-ciel
L’Épée
La Tempête
Lassitude de Siegmund
La Compassion
L’Amour
La Race des Wälsungs
Hunding
L’Héroïsme des Wälsungs
Hymne au Printemps
La Volupté
La Chevauchée
Cri d’appel des Walkyries
Le Courroux de Wotan
Détresse des dieux
La Poursuite
Le Sort
La Mort
Siegfried gardien de l’Épée
La rédemption par l’amour
Le Sommeil éternel
Le Sommeil de Brünnhilde
L’Annonce d’une nouvelle vie
Chant d’adieu de Wotan
Appel du fils des bois
L’Amour de la vie
L’Amour filial
Le Désir de voyager
Wotan errant
La Puissance divine
Mime rampant
La Fonte de l’acier
Fafner
La Vengeance
L’Oiseau
L’Héritage du monde
Salut au monde
Salut à l’amour
Enthousiasme de l’amour
La Paix
Siegfried, trésor du monde
La Décision d’aimer
Brünnhilde
L’Amour héroïque
Amitié perfide de Hagen
La Trahison par la magie
Bienvenue de Gutrune
Justice de l’expiation
Le Meurtre
Appel au mariage

L’ANNEAU DU NIBELUNG

_________

L’OR DU RHIN


Prélude. — Le prélude de l’Or du Rhin consiste uniquement en cette colossale tenue d’un seul accord, l’accord de mi ♭, dont nous avons déjà parlé (p. 282). Cette tenue elle-même est déjà un Leit-motif des plus expressifs et descriptifs, du caractère le plus philosophique. Elle symbolise l’élément primitif, l’eau, à l’état de repos ; l’eau, dont, suivant la donnée mythologique, sortira la vie tout entière, avec ses luttes, ses passions. Pendant cette longue tenue, nous allons entendre se constituer la vie ; voilà de ces choses qui échappent au domaine de la parole, et que seule la musique, parlant sans intermédiaire à l’intelligence, peut tenter de nous faire concevoir.

Une seule note mystérieuse, fort grave, se fait d’abord très longuement entendre : c’est la nature qui sommeille ; à ce son fondamental, unique, primitif, vient s’adjoindre sa quinte ; longtemps après encore, l’octave ; puis peu à peu, tous les autres harmoniques dans l’ordre même où les produit la nature : puis des notes de passage, de plus en plus fréquentes ; des rythmes apparaissent, d’abord rudimentaires et se compliquent, se mélangent ; c’est déjà un commencement d’organisation ; les instruments s’ajoutent les uns aux autres, à de longs intervalles ; une sorte d’ondulation, régulière et cadencée, s’établit et donne le sentiment de l’eau en mouvement ; la sonorité s’enfle graduellement, envahit l’orchestre comme un torrent : l’agitation des vagues s’accentue, un frémissement s’annonce et grandit, faisant pressentir la vie, et lorsque

le rideau se lève… nous ne sommes nullement surpris de nous trouver au fond d’un large fleuve coulant à pleins bords ; notre esprit l’avait déjà conçu tel que le montre le décor.

[Ce prodigieux motif, qu’on appelle souvent motif de l’Élément Originel, restera destiné, dans toute la « Tétralogie », à personnifier Le Rhin, et néanmoins ses rappels ne seront pas des plus fréquents. En dehors du Prologue, qu’il encadre, nous le retrouverons seulement, d’une façon incidente, esquissé en passant dans la 1re scène de « Siegfried », simplement parce que celui-ci, dans son langage imagé, parle de poissons qui nagent ; il reprend la plus grande importance dans le « Crépuscule », toutes les fois qu’il est question de rendre son bien au Rhin, considéré ici comme représentation de l’élément primordial, l’eau.

Mais son importance capitale domine l’œuvre entière, et se manifeste en ceci que la plupart des motifs les plus essentiels sont formés de ses éléments constitutifs, c’est-à-dire des sons harmoniques naturels (l’accord parfait majeur), groupés de différentes façons et plus ou moins ornés de notes de passage que tout musicien saura discerner. Parmi ceux qui en dérivent ainsi le plus indubitablement et qu’on rencontrera par la suite, je citerai principalement : Les Filles du Rhin, L’Or du Rhin, Les Pommes d’or, Les Nornes, Le Déclin des Dieux, L’Incantation du Tonnerre, L’Arc-en-ciel, L’Épée, La Chevauchée des Walkyries, Le Sommeil de Brünnhilde,… dont la signification, soit matérielle, soit psychologique, soit métaphysique, permet toujours d’établir un lien quelconque entre eux et l’idée de l’élément originel.]

Voici donc ce très important motif sous quelques-unes des formes principales qu’il revêt successivement dès le début du Prélude,

LE RHIN
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]


lequel Prélude il remplit dans son entier, toujours croissant, grandissant et envahissant, sans jamais quitter le seul et unique accord de mi ♭ majeur.

C’est une merveille d’audace et de génie.

Scène i. — Aussitôt qu’apparaît un nouvel accord, la vie elle-même se manifeste par la présence et le chant plein de séduisante innocence des charmantes Filles du Rhin, nageant gracieusement autour de leur Or.

LES FILLES DU RHIN
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]

Ce motif souple et charmeur, mélangé avec celui du Rhin, domine tout l’ensemble de la scène i, dans laquelle pourtant se dessinent certains rythmes saccadés et heurtés, apparaissant l’un à l’entrée d’Alberich (sol mineur), l’autre au 2/4, tous deux caractérisant, sans nul doute, la disgracieuse démarche et les allures répulsives de l’antipathique gnome.

[On reconnaîtra le deuxième au début de la scène iii.]

Lorsque Alberich a successivement essuyé les refus moqueurs des trois Ondines, il exhale sa rage en une sorte de cri douloureux, deux fois répété, formé de deux notes seulement, en seconde mineure descendante, qui exprime énergiquement le désespoir que lui cause son impuissance.

LA SERVITUDE
[partition à transcrire]

[Cette brève formule restera attachée, pendant tout le cours de la «Tétralogie», aux idées de Servitude, de servage, d’asservissement, et ses emplois seront très fréquents, pour ne pas dire perpétuels.

Si elle est difficile à reconnaître en raison de sa brièveté, en revanche le caractère pénible de son expression la signale toujours à l’attention.]

Au moment où l’Or s’illumine, il est salué par une brillante fanfare, plusieurs fois répétée, qui restera son motif caractéristique,

L’OR

\relative c'' {
\clef F
\key c \major
\time 3/4
\set Staff.midiInstrument = #"trumpet"
\partial 4  d,,8. d16
  g4. (d16)  d16 g8 b8 
  d2.
  }


visiblement dérivé du Rhin, ainsi que le veut la logique, puisque c’est de l’Or du Rhin qu’il s’agit.

Dans l’ensemble chatoyant des trois voix qui suit immédiatement cette apparition de l’Or, il est glorifié par une sorte de cri de joie des nymphes, lequel affecte deux formes différentes, pouvant se présenter séparément ou réunies sans pour cela rien perdre de leur signification, mais ne restant pas plus attaché à leur personne qu’il n’entraînera nécessairement par la suite l’idée de la joie. C’est L’Adoration de l’Or, et rien autre.

Cette première forme est généralement répétée deux fois. (Il est d’ailleurs à remarquer que lorsque Wagner veut incruster un Leit-motif dans l’oreille de l’auditeur, il ne craint jamais d’insister dessus, et c’est là une des choses qui font qu’on n’a nul besoin de les chercher ; il suffit de savoir écouter.)

ADORATION DE L’OR
[partition à transcrire]

Dans la deuxième forme, il faut distinguer l’accent vocal, son inflexion caractéristique, et le dessin instrumental, scintillant comme du métal poli ; l’un et l’autre seront employés isolément, sans que leur signification soit modifiée : c’est toujours L’Adoration de l’Or.

C’est alors que l’une des nymphes commet l’imprudence insigne de révéler au gnome la toute-puissance qui serait attachée à cet or forgé en anneau, et cela, au moyen de ce nouveau motif, qui, on le remarquera, offre beaucoup de rapports avec celui de l’Anneau, lequel n’apparaît qu’un peu plus loin.

LA PUISSANCE DE L’ANNEAU
[partition à transcrire]

Ici se noue, à vrai dire, l’action du drame entier ; sans le bavardage inconsidéré des Nixes, Alberich n’aurait pas songé à dérober l’Or, qui va causer tant de malheurs.

Mais, pour posséder cet or, lui apprend à son tour une autre fille du Rhin, il faudrait renoncer à l’amour.

RENONCEMENT À L’AMOUR
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]


[Exemple musical sans titre]


Alberich n’hésite pas longtemps ; se voyant dans l’impossibilité d’atteindre et d’enlacer les agiles nymphes, il tourne son ambition vers la richesse et la puissance ; l’orchestre, écho de sa pensée, murmure sourdement le thème de La Puissance de l’Anneau, suivi de la formule de Renoncement, et dès lors, s’élançant âprement sur le roc, le gravissant, l’escaladant plutôt, il peut s’emparer de ror convoité.

À l’extrême fin de la scène i apparaît pour la première fois le thème spécialement attaché à L’Anneau.

L’ANNEAU
[partition à transcrire]

[Celui-là, bien entendu, traversera l’ouvrage tout entier."]

Scène ii. — Par un procédé fréquent chez Wagner, mais qui trouve ici une de ses plus belles applications, le motif précédent, au moyen d’une suite de transformations insensibles, vient se fondre en celui du Walhalla, d’un caractère absolument différent, et dépeignant majestueusement la somptuosité du Palais des dieux. Ce motif déroule placidement sa splendeur dans la douce et calme tonalité de ♭ majeur.

LE WALHALLA

\relative c'' {
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<des, des'>2~ <des des'>8 <des des'>8
(<ges des'>8. <des des'>16 <des des'>8 <aes aes'>8 <des des'>4)
}
>>
}


[Il sera l’objet de multiples transformations. Au 3e acte, scène i de « Siegfried ». nous le voyons triomphant, à 4 temps, et associé au thème de L’Épée ;


\relative c'' {
\new PianoStaff << 
\new Staff {
\clef G
\key bes \major
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<bes ees g bes>4_\f
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<ees bes' ees>4
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<g ees' g>2\! |
}
\new Staff  {
\clef F
\key bes \major
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au 2e acte du « Crépuscule », à la fin de la scène i, où Alberich excite Hagen à reconquérir le pouvoir, il apparaît comme démantelé, en mine, méconnaissable.

Il a déjà été entrevu en cet état lorsque, à la scène ii du 2e acte de la « Walkyrie », Wotan prévoit la fin prochaine des dieux.

Enfin il est souvent représenté par ses seules dernières notes, formant une resplendissante conclusion, dans laquelle on peut voir une sorte de grandiose Salut au Walhalla, qui se trouve dans « L’Or du Rhin », scène ii, trois mesures avant la suppression des bémols.]

SALUT AU WALHALLA
[partition à transcrire]

Encore trois mesures plus loin apparaît le thème dit du Traité, représentant d’une façon générale l’idée d’un traité quelconque, d’un pacte, d’un marché conclu, ce qu’expriment énergiquement d’abord ses deux notes initiales (qui sont celles de La Servitude), puis sa descente par degrés pesants, lourds, implacables comme la destinée, entraînant l’idée d’un devoir à remplir.

LE TRAITÉ
[partition à transcrire]

42 mesures ensuite se présente le joli thème de La Fascination de l’amour, qui forme d’abord la deuxième moitié d’une belle phrase de Fricka (en fa), et que Wotan reprend ainsi peu après (en mi b) :

LA FASCINATION DE L’AMOUR
[partition à transcrire]

Au moment même où Freïa entre en scène en courant, on entend pour la première fois ce motif en quelque sorte double, dont les deux parties ont deux significations distinctes : la première appartient à Freïa, déesse de l’Amour, et lui restera personnelle ; la deuxième représente La Fuite, et exprimera par la suite l’acte de fuir, quel que soit le personnage fuyant. Tel qu’il se présente ici» c’est Freïa en fuite, poursuivie.

FREÏA et LA FUITE
[partition à transcrire]

Peu après, nous voyons apparaître Les Géants, avec leur motif lourd, pesant, massif, qui a l’air de remuer des pierres ;

LES GÉANTS
[partition à transcrire]


ce thème sera l’objet d’une curieuse transformation dans « Siegfried », lorsqu’il devra représenter l’un des Géants lui-même métamorphosé en Dragon (page 428).

Lorsqu’il s’agit de désigner, non plus un pacte ou un traité quelconque, mais bien et seulement celui conclu avec les Géants pour la construction du Walhalla, Wagner a recours à cette nouvelle forme, qui n’est pas sans quelque parenté avec le motif du Traité.

CONVENTION AVEC LES GÉANTS
[partition à transcrire]


et qu’il traite généralement en canon.

C’est dans cette scène, 37 mesures après l’armature du ton de la b, que ce motif est entendu pour la première fois.

Environ deux pages plus loin, un gracieux contraste est fourni par l’élégant contour des Pommes d’or (ces pommes qui donnent aux dieux la jeunesse éternelle, que seule Freïa sait cultiver), que Fafner nous présente sur les notes les plus caverneuses de sa voix de basse-taille, ce qui produit par opposition un effet assez curieux.

LES POMMES D’OR
[partition à transcrire]

Le motif-type correspondant à la personnalité du malicieux dieu Loge est aussi changeant et aussi variable que lui-même. L’exemple que j’en donne ici, et qui accompagne ses premières entrées, réunit, groupées, plusieurs des formules essentiellement chromatiques, tortueuses ou sifflantes par lesquelles il est toujours représenté ; ces mêmes dessins sont fréquemment intervertis, devenant alors descendants, ou tronqués, modiliés, mais ils restent toujours aisément reconnaissables, aucun autre Leit-motif n’ayant cette allure sautillante et malicieuse.

LOGE
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]

Assez proche parent de ce dernier est le scintillant motif des Flammes, qui apparaît ici lui faisant suite,

CHARME DES FLAMMES
[partition à transcrire]


[et protégera le sommeil de Brünnhilde au 3me acte de « La Walkyrie ».]

[partition à transcrire]

Le dernier nouveau motif que nous présente cette scène est celui-ci, qu’on trouvera aisément au moment où apparaît l’armature du ton de et la mesure à 3/4, et qui a nom : Le Regret de l’Amour.

LE REGRET DE L’AMOUR
[partition à transcrire]

Ici se place, pendant le changement de décor, une sorte d’intermède purement musical, figurant la descente de Wotan et de Loge dans le sombre Nibelheim, dans la forge souterraine d’Alberich. Cet intermède est principalement construit au moyen du motif de Loge, avec quelques rappels de La Lamentation, de La Servitude, de L’Or et de La Fuite, dont l’à-propos ne fait pas de doute ; peu à peu s’établit à l’orchestre le rythme du motif de La Forge,

LA FORGE
[partition à transcrire]


dont s’emparent avec une vigueur croissante des enclumes accordées placées derrière la scène.

Encore un double rappel de La Servitude et de L’Anneau, et commence la

Scène iii, où, presque au début, Alberich désirant mettre à l’épreuve la puissance du Heaume magique, le Tarnhelm, qu’il s’est fait forger par Mime, l’orchestre nous fait connaître la mystérieuse harmonie par laquelle il sera désigné musicalement. Ces accords, confiés parfois à des cors placés dans la coulisse, produisent l’effet le plus étrange. Le mot allemand Tarnhelm a été traduit de différentes façons : le Casque enchanté, le Charme du Casque, ou encore

LE POUVOIR DU CASQUE
[partition à transcrire]

Après une bruyante reprise du rythme de La Forge se présente une singulière suite de tierces disjointes, qui paraît représenter La Réflexion, une méditation profonde,

LA RÉFLEXION
[partition à transcrire]


et peut s’appliquer à divers personnages.

Beaucoup plus loin dans la même scène, lorsque Alberich, au comble de l’orgueil, embrasse son anneau et le brandit d’une façon menaçante, se fait entendre pour la première fois le motif caractéristique de sa puissance. comme de la vanité qu’il en tire. Il est fort intéressant d’étudier de près ce motif en quelque sorte complexe, qui, dans l’exemple ci-dessous, est confié à l’orchestre,

LA PUISSANCE D’ALBERICH
[partition à transcrire]


et dans lequel on peut retrouver, quelque peu dénaturées par l’emploi du mode mineur et du genre chromatique, les deux formes de L’Adoration de l’or (p. 375) suivies des notes initiales de L’Amoncellement du trésor, ci-après. (La 1re forme de L’Adoration de l’or se confond ici avec celle de La Servitude.)

Un peu plus loin encore, apparaît le motif de l’Amoncellement du trésor qui fait la gloire momentanée du nain.

L’AMONCELLEMENT DU TRÉSOR
[partition à transcrire]

[On le retrouvera, curieusement associé à La Servitude et à La Forge, lorsque le nain capturé devra livrer son trésor à Wotan.]

[partition à transcrire]

Un motif curieusement constitué est celui qui a reçu le som de Cri de triomphe du Nibelung. Il se compose d’une mesure empruntée au Walhalla, et d’une mesure affectant la forme habituelle à Loge, démontrant ainsi qu’Alberich se croit déjà, par le feu, le maître du monde, ce dont il exulte.

CRI DE TRIOMPHE DE NIBELUNG
[partition à transcrire]

Beaucoup plus simple, mais bien descriptif, est le mugissant motif du Dragon, qui trouve naturellement sa place lorsque, sur la demande de ses visiteurs, l’orgueilleux nain, à l’aide de son heaume, revêt cette forme.

LE DRAGON
[partition à transcrire]

Le nain capturé, les dieux remontent à la surface de la terre avec leur prisonnier, ce qui donne lieu à un nouveau changement de décor et à un nouvel intermède symphonique. Celui-ci débute par un rappel, à coup sûr ironique, du Triomphe du Nibelung, dans lequel l’élément du feu, Loge, prend un développement inaccoutumé ; L’Anneau paraît joyeux, puis se termine par La Lamentation ; alors reparaissent les bruits de Forge, mais en diminuant ; on éprouve cette sensation qu’on parcourt le même chemin, mais en sens inverse. Après un retour de La Fuite, le motif des Géants se fait sourdement entendre, comme pour rappeler qu’ils ne sont pas loin ; il se combine avec Le Walhalla, puis avec La Servitude, et s’enchaîne avec la scène suivante au moyen d’une pédale de dominante sur laquelle on retrouve L’Adoration de l’or et plusieurs des motifs précédents.

Scène iv. — Dès le début de la scène, à la 9e mesure, une amusante petite figure sautillante représente le dieu Loge dansant de joie autour du nain ficelé, en faisant claquer ses doigts. Sans avoir caractère de Leit-motif, elle se reproduit deux pages plus loin.

Remarquer aussi la façon imitative dont l’orchestre rend le bruit du frottement des cordes lorsque Loge délivre graduellement le Nibelung de ses liens.

Aussitôt qu’il est libre, gronde sourdement dans les profondeurs de l’abîme mystique ce rythme menaçant,

TRAVAIL DE DESTRUCTION DES NIBELUNGS
[partition à transcrire]


décelant le travail continu par lequel dorénavant les gnomes rancuniers vont sans cesse miner l’édifice divin, le saper dans sa base jusqu’à sa ruine complète.

[Ce rythme bien reconnaissable ne paraîtra pas dans la « Walkyrie », mais on le retrouvera très souvent dans « Siegfried » et le « Crépuscule ».]

Aussitôt Alberich, dans une phrase à l’allure démoniaque, lance son anathème à l’Anneau qu’il maudit, et qui devra dorénavant porter malheur à tous ses possesseurs.

MALÉDICTION DE L’ANNEAU
[partition à transcrire]

Ce haineux motif est presque constamment accompagné du rythme de Destruction, et vers la fin du récit par La Puissance d’Alberich, aussitôt atténuée par La Servitude.

L’action se déroule sans qu’il soit besoin d’y introduire de nouveaux motifs jusqu’au moment de l’apparition d’Erda, qu’annonce sinistrement le thème des Nornes, ses filles, les Parques de la mythologie Scandinave. Ce motif

LES NORNES
[partition à transcrire]


reproduit, mais en mineur et à 4 temps, la forme principale de celui du Rhin, de l’élément originel.

De même en dérive, par mouvement contraire, Le Déclin des dieux [6],

LE DÉCLIN DES DIEUX
[partition à transcrire]


qui ne tarde pas à apparaître, ainsi que L’Anneau, aux derniers mots de la prophétie d’Erda, laquelle a reçu pour accompagnement les motifs des Nornes et du Travail de destruction.

Les nombreux Leit-motifs déjà établis suffisent à Wagner jusqu’à la formidable Incantation du Tonnerre, que répercute avec fracas l’écho des cuivres tonitruants.

INCANTATION DU TONNERRE
[partition à transcrire]

[Ce thème ne se représentera qu’une seule fois, dans le Prélude de « La Walkyrie ».]

Après le passage d’un court orage, apparaît rapidement, radieux, le thème serein de L’Arc-en-ciel traçant une belle courbe sous un trille mesuré et étincelant des violons, des flûtes et de tous les instruments aigus.

L’ARC EN CIEL
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]

[Ce motif ne reparaîtra pas dans les journées suivantes.]

Le motif du Walhalla accompagne le passage des dieux sur ce pont céleste. On sent se presser dans le cerveau de Wotan l’idée de L’Anneau qu’il a dû conquérir, puis donner, pour payer son Burg ; du Rhin auquel il a été antérieurement volé, et de la nécessité de créer une milice invincible pour le défendre ; de là jaillit comme un éclair la pensée de L’Épée des dieux.

L’ÉPÉE
[partition à transcrire]


le dernier Leit-motif nouveau que présente le Prologue.

Les Filles du Rhin se font entendre, pleurant leur or dérobé, et l’entrée au Walhalla a lieu sur une pompeuse reprise du thème de L’Arc-en-ciel.


LA WALKYRIE


1er Acte.

Scène i. — Le Prélude représente un orage violemment déchaîné ; au milieu des rafales mugissantes, des éclairs et du tonnerre, des averses, on distingue à plusieurs reprises le thème de L’Incantation du Tonnerre combiné avec le thème propre de La Tempête ; c’est un des plus beaux orages qui existent, soit au théâtre, soit dans la symphonie.

LA TEMPÊTE
[partition à transcrire]

Au lever du rideau, la tempête se calme

Alors, les six notes descendantes (si, la, sol, fa, mi, ) du motif de La Tempête, par une légère modification rythmique, deviennent caractéristiques de La Lassitude de Siegmund (lassitude causée en partie par la tempête), venant s’affaler harassé et poursuivi par l’orage.

LASSITUDE DE SIEGMUND
[partition à transcrire]

[Ce fait n’est pas sans analogie avec celui que nous avons remarqué dans la transition du 1er au 2e tableau de « l’Or du Rhin », où le thème du Walhalla semble sortir de celui de L’Anneau par lequel il a été payé. D’autres exemples du même genre, que nous ne pourrons tous signaler, sont assez fréquents dans l’ouvrage, et toujours ces fusions de motifs trouvent leur logique dans une association d’idées.]

À ce premier motif vient presque aussitôt (un peu après l’arrivée de Sieglinde s’en adjoindre un deuxième qui lui sera très souvent associé ; celui-ci personnifie la tendre sympathie de Sieglinde pour Siegmund, et a reçu pour nom : La Compassion.

LA COMPASSION
[partition à transcrire]

À la suite d’un beau contour de violoncelles sans accompagnement, tiré de La Lassitude, reparaît le motif de La Fuite, que nous avons déjà vu, dans « L’Or du Rhin », mais tout autrement rythmé, et combiné avec celui de Freïa. Cette fois, il se relie à un nouveau thème, L’Amour, ce qui peut s’expliquer ainsi : c’est La Fuite qui a amené Siegmund sous le toit de Sieglinde, et qui est donc par conséquent la cause occasionnelle de L’Amour.

LA FUITE et L’AMOUR
[partition à transcrire]

[Quelques pages plus loin, le thème de L’Amour précédera celui de La Fuite ; cela signifiera alors que l’Amour est à son tour la raison d’être de La Fuite des deux jumeaux.]

Au moment où Siegmund, un peu réconforté et déjà prêt à partir, se décide, sur les instances de Sieglinde, à rester sous son toit, se fait entendre pour la première fois l’un des thèmes empreints de noble tristesse qui représenteront dorénavant la race si profondément malheureuse et persécutée, quoique d’essence divine, des Wälsungs.

LA RACE DES WÄLSUNGS
[partition à transcrire]

Associé à La Compassion, puis suivi de L’Amour, ce beau thème se fait entendre deux fois, presque de suite, avant l’arrivée de Hunding.

Scène ii. — Le thème de celui-ci, quoique noble d’allure, forme par sa violence, son rythme dur et sa rude orchestration, un contraste heurté avec le précédent,

HUNDING
[partition à transcrire]


et dès à présent les deux caractères des deux hommes sont nettement dessinés ; autant Siegmund est digne et résigné dans sa souffrance, autant Hunding nous apparaît violent, implacable et brutal. Tout le dialogue entre les deux ennemis est paraphrasé par ces deux motifs alternant entr’eux, avec quelques courtes apparitions de L’Amour, de La Compassion, correspondant à un mot ou même à un geste de Sieglinde, comme aussi du Traité, de L’Orage ou même du Walhalla, selon les événements antérieurs auxquels le poème fait allusion. C’est seulement lorsque le Wälse termine le récit de ses malheurs, qu’au premier thème de La Race des Wälsungs vient s’adjoindre, le suivant immédiatement, un deuxième thème de sentiment analogue, mais caractérisant d’une façon spéciale L’Héroïsme de cette race dans la souffrance qui la poursuit.

HÉROÏSME DES WÄLSUNGS
[partition à transcrire]

Avant la fin de la scène, lorsque Sieglinde cherche à attirer l’attention de son hôte sur l’arme qui est plantée dans le frêne, retentit par deux fois le motif de L’Épée, aussitôt suivi de la menace de Hunding.

Scène iii. — Cette scène, une des plus émouvantes de l’ouvrage, se déroule à l’aide des motifs déjà connus, auxquels s’adjoint, vers la fin du récit de Sieglinde, une éclatante fanfare et un riche trait de violons qui font penser à Weber, et se retrouvent fréquemment, mais dans cette scène seule. C’est alors qu’après un souffle de vent figuré par des arpèges de harpes, souffle par lequel la massive porte se trouve subitement ouverte, apparaît, radieux, le délicieux Hymne au Printemps,

HYMNE AU PRINTEMPS
[partition à transcrire]


qui, bien que constituant une phrase indépendante, peut aussi être considéré comme un Leit-motif, puisqu’il donnera lieu à des rappels suggestifs dans l’acte suivant.

Peu après apparaît, escorté des motifs de L’Amour, de Freïa, déesse de l’Amour, du Printemps, celui, nouveau, de La Volupté, enlaçant, enivrant, que nous retrouverons dans le Prélude de la scène iii du 2e acte :

LA VOLUPTÉ
[partition à transcrire]

Siegmund va arracher l’épée ; alors se pressent les motifs des Wälsungs, de L’Héroïsme, du Traité, de L’Épée, et la formule terrible du Renoncement à l’amour, sur un énergique développement de laquelle le glaive des Dieux reste aux mains du héros ; à ce moment précis le thème de L’Épée atteint son maximum d’éclat, et l’acte se termine par des combinaisons symphoniques des motifs précédents, parmi lesquels dominent 'L’Amour, Le Printemps, La Fuite, et finalement, dans les deux derniers accords, La Servitude.

2me Acte.

Prélude. — Ce Prélude est constitué par le plus curieux amalgame de thèmes saccadés ou rendus saccadés pour la circonstance, ce qui, dès le début, fait pressentir la Chevauchée, qui pourtant n’apparaîtra qu’en dernier.

Dans la mesure du début, il faut reconnaître L’Epée, dénaturée comme rythme et comme mode ; viennent ensuite : La Fuite, qui ressemble, ainsi, à L’Appel des Walkyries, La Volupté, et enfin, pour l’explosion finale, La Chevauchée.

LA CHEVAUCHÉE
[partition à transcrire]

Scène i. — Le strident Cri d’appel des Walkyries, avec lequel Brünnhilde fait ici sa première entrée, présente celle particularité, peut-être unique dans l’œuvre wagnérienne, d’une période de 18 mesures formant un sens complet, se terminant par une cadence, et répétée deux fois (presque de suite) sans la moindre modification ni dans la mélodie, ni dans l’harmonie, ni dans l’orchestration.

CRI D’APPEL DES WALKYRIES
[partition à transcrire]

L’entrée de Fricka, qui suit immédiatement, est annoncée par les deux notes de La Servitude ; sa discussion avec Wotan donne lieu à des rappels de Hunding, de L’Amour, du Printemps, de L’Épée, de La Fuite, du Traité, de L’Anneau, de La Convention avec les Géants, sujets qui se représentent souvent soit dans leur dialogue, soit dans leurs esprits.

Lorsque Wotan se sent vaincu par les arguments et la ténacité de la vertueuse mais acariâtre déesse, l’orchestre nous fait connaître une nouvelle forme qui représente Wotan en colère, le Courroux de Wotan ;

LE COURROUX DE WOTAN
[partition à transcrire]


à noter que cette forme bien significative, dont il sera fait un très fréquent usage, est souvent réduite à ses deux notes initiales, semblables à celles de La Servitude, ce qui s’explique naturellement, mais en conservant presque toujours, dans ce cas, le grupetto qui accentue si énergiquement la première, et lui donne le caractère d’une sorte de rugissement.

Le retour de Brünnhilde nous ramène la Chevauchée, accompagnée du Cri des Walkyries ; après quoi Fricka célèbre la victoire qu’elle vient de remporter sur son époux par une phrase de grande allure, que Le Traité vient sceller comme un pacte, suivi de près, aussitôt que Fricka a disparu, par La Malédiction de l’anneau et Le Courroux de Wotan, qui fournit l’enchaînement avec la scène suivante.

Scène ii. — Cette longue scène, dans laquelle Wotan est contraint d’avouer à sa fille ses crimes et ses erreurs aussi bien que les circonstances qui l’ont amené à les commettre, ne peut manquer de nous les remémorer au moyen des Leit-motifs ; on y retrouve L’Amour, Le Traité, Le Regret de l’amour, La Puissance de l’anneau, Le Walhalla, Les Nornes, La Chevauchée, L’Anneau, La Convention avec les Géants... Un seul dessin nouveau s’y fait jour, celui qui caractérise La Détresse des Dieux ;

DÉTRESSE DES DIEUX
[partition à transcrire]


reviennent ensuite La Malédiction de l’anneau, L’Épée, Le Travail de destruction des Nibelungs ; ici se place la transformation si curieuse du Walhalla (signalée à la page 378), qui laisse entrevoir l’édifice miné, ruiné, écroulé, et qui se représente deux fois à une vingtaine de mesures de distance, annonçant l’effondrement et l’anéantissement de la race des Dieux. Toutefois, le motif qui domine, surtout au début, est celui du Courroux de Wotan. — Quand on arrive à surmonter l’impression pénible causée par la situation, cette scène apparaît, malgré sa longueur, comme l’une des plus grandioses de l’ouvrage ; mais elle est aussi une des plus difficiles à saisir à première lecture ou audition.

Au moment où Brünnhilde, restée seule, ramasse ses armes, remarquer le thème de La Chevauchée, alourdi et attristé ; aussitôt après, sa pensée la ramène vers La Race des Wälsungs, puis se reporte sur le Courroux de Wotan et La Détresse des Dieux. Tout cela est merveilleusement exprimé.

Scène m. — Siegmund et Sieglinde arrivent, fuyant devant la poursuite de Hunding ; le motif de La Fuite, présenté de mille façons plus ingénieuses les unes que les autres, fait tous les frais de la scène pendant une dizaine de pages, parfois accompagné de L’Amour, parfois de La Volupté. Après un rappel de L’Héroïsme des Wälsungs et de L’Épée, Hunding s’annonce par le rythme de son motif, confié aux timbales, aussitôt suivi de La Poursuite

LA POURSUITE
[partition à transcrire]


et de l’aboiement rauque de sa meute.

Quand Sieglinde s’évanouit entre les bras de Siegmund, L’Amour reparaît avec le souvenir de La Fuite.

Scène iv. — Ici, une des scènes capitales. Brünnhilde vient annoncer au héros qu’il va mourir. L’orchestre nous apprend que Le Sort a décidé La Mort de Siegmund, et qu’il doit aller au Walhalla.

Bien examiner ces deux nouveaux motifs, qui sont intimement liés : d’abord Le Sort,

LE SORT
[partition à transcrire]
dont l’harmonisation est à peu près invariable, et dont

la formule, généralement répétée deux fois, séparées par des silences, se dresse comme un énigmatique et lugubre point d’interrogation ; La Mort en dérive évidemment, puisque en supprimant ses trois notes de début on se trouve en présence de la double formule du Sort.

LA MORT
[partition à transcrire]

Ces nouveaux motifs, entremêlés à ceux du Walhalla, de Freïa, de La Chevauchée, de L’Amour avec La Fuite, du Courroux de Wotan, du Regret de l’amour, suffisent pour commenter l’action tant que Brünnhilde dépeint à Siegmund, qui ne veut pas abandonner Sieglinde, les splendeurs et les séductions de la céleste demeure ; mais à rinstant où le Wälsung désespéré lève son glaive sur sa femme endormie, nous entendons pour la première fois, sous une forme encore vague, le thème de Siegfried gardien de l’épée (voir 3e acte, scène i), qui nous révèle la présence de l’enfant dans le sein de sa mère. C’est alors que Brünnhilde, saisie d’une tendre émotion devant cet acte d’héroïsme, se décide, transgressant l’ordre divin, à prendre le parti de Siegmund, décision qui doit la perdre ; c’est alors aussi que, par un merveilleux trait de génie, Wagner transforme subitement le motif de La Mort de mineur en majeur, en change l’allure, y introduisant le rythme de La Fuite ; ce n’est plus le trépas de Siegmund qui est décrété, c’est celui de Hunding. À partir de ce moment, voici comment est transtiguré le motif de La Mort :

[partition à transcrire]

Brünnhilde disparue, la question du Sort se pose de nouveau, mélangée au Courroux de Wotan et s’enchaînant avec L’Amour.

Scène v. — La scène v ne comporte pas de motifs nouveaux.

Quoique très courte, on peut la considérer comme divisée en quatre parties : 1, les adieux de Siegmund, partant pour le combat, à Sieglinde endormie ; 2, la poursuite des adversaires pendant le Rêve de Sieglinde ; 3, le combat, avec la double intervention de Brünnhilde et de Wotan ; 4, la malédiction lancée par Wotan à la Walkyrie.

Pendant la première partie dominent les motifs tendres de L’Amour et de Freïa, troublés par ceux du Sort et de La Poursuite. — Dans la deuxième, l’appel sauvage de Hunding, L’Épée, et La Poursuite, qui devient de plus en plus pressante (çà et là, des éclairs, pareils à ceux qu’on a vus dans le 1er Prélude). — Dans la troisième, le combat ; en quelques secondes, on perçoit le galop du cheval de Brünnhilde, venant encourager Siegmund à la lutte, La Chevauchée ; puis arrive Wotan, qui, contraint par Le Traité, brise L’Épée ; la mort de Siegmund est accompagnée de quatre douloureux rappels de La Servitude, suivis de L’Héroïsme des Wälsungs, du Sort, et du Courroux de Wotan ; enfin Brünnhilde enlève sur son cheval la malheureuse Sieglinde, d’où un retour de la Chevauchée, puis toujours du Sort. Tout cela se passe avec une rapidité extrême, en moins de temps qu’il n’en faut pour le lire ici. — Dans la quatrième partie de la scène enfin, Wotan, tout en foudroyant Hunding d’un regard, considère qu’il a loyalement accompli son engagement envers Fricka, ce que nous fait connaître le motif du Traité, qui, on s’en souvient, s’applique à tout pacte, à tout contrat, de quelque genre qu’il soit ; d’ailleurs, aussitôt reparaît le Courroux, loin d’être apaisé, et Wotan, éclatant dans une fureur soudaine, maudit la Walkyrie désobéissante et la voue à une vengeance cruelle. Le rideau se ferme rapidement pendant que l’orcliestre nous rappelle La Détresse des dieux, ainsi que divers épisodes de l’acte, les éclairs qui l’ont sillonné, et La Poursuite, dont c’est la dernière apparition.

3me Acte.

Prélude. — Le Prélude du 3e Acte se passe de tout commentaire. C’est La Chevauchée dans son développement complet, avec ses hennissements sonores, ses piaffements, ses cris sauvages et joyeux, son infatigable activité, ses appels et ses rires farouches.

Scène i. — Dans toute la première partie de cette scène, tant que règne le ton de si mineur et le rythme à 9/8, tout est emprunté à La Chevauchée, dont ce n’est, à vrai dire, que la continuation, sauf une courte allusion au Walhalla, lorsque Rossweisse demande s’il est temps de s’y rendre, 23 mesures avant le 3/4 en ut mineur qui annonce l’arrivée de Brünnhilde. Là, bien que le rythme en soit changé, on reconnaît le dessin de basses de La Détresse des dieux ; peu après, en mineur, c’est le chant de La Mort, puis La Fuite. Aucun autre motif ne se manifeste d’une façon importante jusqu’aux paroles de Schwertleite dépeignant Le Dragon veillant sur l’anneau.

Dans le 6/8 de Brünnhilde apparaît avec toute son ampleur le thème grandiose de Siegfried gardien de l’Épée, seulement entrevu dans la scène iv de l’acte précédent,

SIEGFRIED GARDIEN DE L’ÉPÉE
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]


[Exemple musical sans titre]


immédiatememt suivi de L’Épée ; puis, lorsque Sieglinde reprend la parole, apparaît le motif enthousiaste et sublime de La Rédemption par l’amour

LA REDEMPTION PAR L’AMOUR
[partition à transcrire]

[Celui-là ne reparaîtra plus que dans la scène finale du « Crépuscule des Dieux ». où il acquerra une importance prépondérante, et fournira l’émouvant couronnement de l’œuvre tout entière.]

Aussitôt après reparaissent La Tempête avec La Servitude, puis un ensemble très court des huit Walkyries termine la scène.

Scène ii. — La scène ii (les admonestations de Wotan à Brünnhilde devant ses sœurs, qui cherchent d’abord à la cacher, puis à la défendre) est assez expressive dramatiquement pour se passer de motifs conducteurs ; pourtant, au bout d’un certain temps, on y retrouve, fréquemment renouvelé, Le Courroux de Wotan, puis La Mort, superbement développée, Le Traité, et enfin, au moment de la dispersion des Walkyries, La Chevauchée, qui ressemble alors à une déroute, et dont se dégage une large phrase qui s’élève, et n’est pas sans quelque analogie avec le chant de La Mort.

Scène iii. — Le début de la scène ne met en jeu, pendant assez longtemps, que deux motifs typiques, dont l’un est Le Courroux, que nous connaissons. L’autre, qui apparaît, par un dessin de violoncelle, dès la 4e mesure, représente ici la soumission résignée de la pauvre Brünnhilde à la volonté paternelle qui va lui imposer une nouvelle vie, une existence humaine ;

[partition à transcrire]


il se reproduit de la même manière 7 mesures plus loin, puis, modifié, à la 102e mesure, cette fois aux violons.

[partition à transcrire]
Il faut la considérer comme une forme préparatoire, une

sorte d’acheminement vers un motif très important qui paraîtra sous peu, à l’arrivée du ton de mi majeur, L’Annonce d’une nouvelle vie.

L’ANNONCE D’UNE NOUVELLE VIE
[partition à transcrire]


mais n’atteindra son plus complet épanouissement que dans la partie symphonique qui précède les adieux de Wotan, cette fois à 4/4, presque à la fin de l’acte.

[partition à transcrire]
[partition à transcrire]

À partir de ce moment on retrouve plus souvent des Leit-motifs : Le Regret de l’Amour, La Malédiction de l’Anneau, Le Sort, Le Traité, L’Amour, L’Héroïsme des Wälsungs, Siegfried gardien de l’Épée, puis L’Épée ; enfin, lorsque Wotan dicte son inflexible sentence, nous entendons résonner pour la première fois l’harmonie mystérieuse du Sommeil éternel.

LE SOMMEIL ÉTERNEL
[partition à transcrire]
[qui reparaîtra souvent, tant dans la fin de cet ouvrage que dans

les suivants, sans s’appliquer plus à un personnage qu’à un autre, et parfois accompagnée dun dessin emprunté aux Flammes.]

[partition à transcrire]

Ici nous l’entendons deux fois de suite, séparées par un très court rappel du Walhalla.

Presque aussitôt se fait pressentir, à plusieurs reprises, et d’abord en mineur,

[partition à transcrire]


le motif saisissant par son calme imposant qui deviendra bientôt Le Sommeil de la Walkyrie.

LE SOMMEIL DE BRÜNNHILDE
[partition à transcrire]

Celui-ci va prendre de plus en plus d’importance et terminera la deuxième journée de la « Tétralogie », accompagné du scintillement des feux de Loge.

[partition à transcrire]

Mais auparavant se place la scène si émouvante des Adieux de Wotan et de Tlncantation du feu. On peut considérer qu’elle commence précisément à cet endroit, dont nous avons déjà parlé, où le motif de L’Annonce d’une nouvelle vie, en mi majeur et à 4/4, revêt son aspect le plus grandiose et le plus éblouissant, pour venir, par un crescendo splendide, s’épanouir magnifiquement sur un accord de quarte et sixte dans le thème du Sommeil de Brünnhilde.

Alors le Sommeil s’assombrit, la tonalité mineure reparaît, et, au cours d’une belle période (à la 18e mesure du mineur), nous entendons la phrase proprement dite Chant d’adieu de Wotan, pleine de tendresse et d’émotion,

CHANT D’ADIEU DE WOTAN
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]


que ne cessera plus jamais d’accompagner le dessin du Sommeil.

Ensuite Le Sort, Le Renoncement à l’Amour, puis, au moment où cesse la parole, Le Sommeil éternel, pendant lequel la Walkyrie s’endort dans les bras du dieu. Et pendant qu’il l’étend sur la roche, place ses armes à ses côtés et la couvre de son bouclier, l’orchestre nous redit dans tout son développement la phrase si touchante du Chant d’adieu, avec les caressants enlacements du Sommeil.

Vient alors l’Incantation du feu. Aussitôt, les motifs changent. C’est d’abord Le Traité, puis les dessins chromatiques de Loge ; encore Le Traité, suivi cette fois des Flammes. Ces deux motifs (Loge et Les Flammes) ne cessent de se poursuivre pendant l’embrasement de la roche, et servent d’accompagnement aux autres, quels qu’ils soient, jusqu’à la chute du rideau. Alors revient encore une fois Le Sommeil éternel, dans la forme arpégée que nous avons prédécemment notée p. 414, puis, cette fois pour ne plus cesser, Le Sommeil de Brünnhilde de plus en plus placide et enveloppant.

Les dernières notes de Wotan pourraient ne pas porter de paroles ; elles reproduisent dans son entier, majestueusement amplifié, le beau motif de Siegfried gardien de l’Épée, que l’orchestre répète aussitôt, en lui donnant pour conclusion la phrase solennelle des Adieux de Wotan.

Dix mesures avant la fin, au dernier regard de Wotan sur sa fille endormie, sans que pour cela s’interrompent ni Le Sommeil ni le scintillement des Flammes, gronde sourdement la sinistre menace du Sort ; puis un grand calme se fait, et le rideau se ferme lentement.

SIEGFRIED


1er Acte.

Prélude. — Si l’on envisage l’ensemble de la « Tétralogie » comme une sorte d’immense symphonie conçue dans des proportions gigantesques, et dont chaque journée constituerait l’un des morceaux, « Siegfried » en apparaît comme le Scherzo, le pétulant Intermezzo.

Tout y est gai, alerte et dispos, comme la jeunesse même du héros ; l’élément comique lui-même y trouve sa place, et intervient fréquemment dans le rôle de Mime. La plupart des motifs nouveaux présentent des rythmes nerveux, allègres, ou sont empreints d’une ardeur juvénile, communicative. C’est là aussi que les musiciens trouveront les harmonies les plus neuves, les plus téméraires si l’on veut, parfois difficiles à expliquer, et les plus amusantes combinaisons des Leit-motifs entre eux C’est une journée de repos et de fraîcheur, dont l’élément tragique est presque exclu, au bénéfice de l’esprit et de la verve, pour reparaître plus poignant le lendemain.

Le Prélude se meut sur des thèmes déjà connus : d’abord La Réflexion, puis L’Amoncellement du trésor, coupé par une brève allusion au Courroux de Wotan, lequel se transforme bientôt en La Servitude, La Forge, Le Cri de triomphe du Nibelung, L’Anneau, L’Épée, Le Dragon, modifié dans son rythme,… enfin tout ce qu’il faut pour nous faire pressentir que nous sommes dans la forge agreste où le rusé Mime travaille ténébreusement en vue de conquérir à son tour le trésor qui lui assurerait la domination du monde.

Scène i. — Les mêmes motifs, ou d’autres également connus, alimentent la scène i jusqu’à l’arrivée de Siegfried, qui s’annonce allègrement par son Appel du fils des bois, la fanfare de chasse du jeune et intrépide héros, respirant la franchise, la hardiesse et la bonne humeur.

APPEL DU FILS DES BOIS

\relative c'' {
\clef G
\key g \major
\time 6/8
\set Staff.midiInstrument = #"trumpet"
  g8 d'8. b16
  g8 a8 b8
  c8 b8 a8 
  d8 c8 b8
  e8 d8 c8
  fis8 e8 d8
  g4
}


[On la retrouvera, dans ce même rythme à 6/8, mais dans le ton de fa et très développée, à la scène ii, car c’est par elle que Siegfried provoque le Dragon ; et encore au début du 3e acte du « Crépuscule ».]

[Prendre en note que ce même motif, transformé et à 4 temps, se représentera d’autres fois dans le « Crépuscule », où il prendra un caractère spécialement héroïque, en perdant tout son enjouement.]

[partition à transcrire]

[Noter aussi la curieuse combinaison de ce motif avec ceux des Flammes et du Sommeil éternel qui se trouvent dans « Siegfried », au 3e acte, lorsque le héros va franchir le cercle de feu dans lequel dort la Walkyrie.]

[partition à transcrire]

Aussitôt que Siegfried, sur deux rappels successifs du Gardien de l’Épée, a fait voler en éclats l’arme forgée par Mime, apparaît un nouveau motif plein d’entrain : L’Amour de la vie, qui va régner pendant une bonne partie de la scène ; c’est plutôt l’exubérance de la vie, la joie de vivre qu’il y faut voir, une joie presque enfantine.

L’AMOUR DE LA VIE
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]

Il n’est guère interrompu que par la Complainte pleurnicharde de Mime (3/4, fa mineur), recommençant dix fois à raconter à Siegfried, sans le convaincre davantage, les bienfaits de l’éducation qu’il lui a donnée, et tentant de l’attendrir sur sa fausse sollicitude. Siegfried ne se laisse nullement toucher, et préfère parler de l’amour des enfants pour leur mère, qu’il a observé lui-même, d’abord chez les oiseaux, puis chez les fauves, ce qui le porte impérieusement à désirer connaître le nom de sa mère.

Toute cette partie se déroule sur une mélodie douce et caressante qui caractérise le sentiment naïf de L’Amour filial tel qu’il le conçoit,

L’AMOUR FILIAL
[partition à transcrire]


fréquemment coupée par des retours intempestifs de la Complainte de l’éducation, comme aussi par des allusions à divers motifs des Wälsungs, de La Forge, de L’Epée, dont l’à-propos est toujours saisissant : il raconte avoir vu son image se refléter dans l’eau (Siegfried gardien de l’épée) ; quelle était cette eau ? (Le Rhin) ; le récit de sa naissance est accompagné de La Race des Wälsungs, de La Compassion et de L’Amour,… le tout encadré dans L’Amour de la vie.

Lorsque enfin il connaît son origine, un intense désir se développe en lui de quitter à jamais l’antre du gnome antipathique, ce qu’exprime à merveille une alerte phrase indépendante à 3/4, vers la fin de laquelle on rencontre ces deux mesures que les divers commentateurs désignent sous les noms de Siegfried errant. Chanson de voyage, le Désir de voyager.

LE DÉSIR DE VOYAGER
[partition à transcrire]


Nous nous arrêterons à cette dernière dénomination,

[en constatant que ce même motif se retrouvera exprimer le même sentiment dans le Prologue du « Crépuscule des Dieux », lorsque Siegfried se dispose à quitter Brünnhilde pour courir de nouvelles aventures, puis encore au 1er acte, scène ii, en dialogue avec Gunther.]

L’Anneau, La Forge, La Réflexion, Le Dragon et Le Regret de l’amour relient cette scène à la suivante.

Scène ii. — Coïncidant avec l’entrée de Wotan sous la forme du Voyageur, apparaît l’harmonie puissante et mystérieuse de Wotan errant ou le Voyage de Wotan, laquelle se divise en deux parties, l’une chromatique et étrange, l’autre entièrement diatonique et d’une placide solennité, qui par la suite seront exploitées séparément, mais seulement dans « Siegfried »,

WOTAN ERRANT
[partition à transcrire]

La façon dont est conduite musicalement cette scène si curieuse à tous les points de vue mérite un examen attentif.

Tout d’abord, c’est par le thème du Traité que le dieu oblige le gnome à accepter la singulière gageure dont l’enjeu est leur propre tête ; et, après malicieuse Réflexion, c’est sur le même motif que le nain accepte le défi ; on sent qu’il veut en imposer à son tour, faire le brave.

Ensuite, chaque fois que Mime cherche une question à formuler, cette recherche est accompagnée des bruits de La Forge et du motif de La Réflexion, auxquels s’adjoignent, la première fois seulement, Le Traité, qui le lie, et L’Anneau, objet de sa convoitise.

Sa première question porte sur « la race qui vit au sein de la terre ». La réponse de Wotan est soulignée par tous les motifs des Nibelungs, La Forge, L’Anneau. La Puissance d’Alberich, L’Adoration de l’or, Le Cri de triomphe du Nibelung, L’Amoncellement du trésor, enfin Le Traité.

Sa deuxième question vise « cette autre race qui vit sur le dos de la terre ». Aussitôt, avec la réponse, apparaissent les motifs des Géants, de La Puissance de l’Anneau, du Dragon, et toujours Le Traité.

Sa troisième question concerne « la race qui plane sur les sommets, au milieu des nuages ». C’est alors Le Walhalla qui se déroule dans sa splendeur, suivi d’une allusion à Alberich terrassé et à L’Anneau. Pourtant, au cours de cette troisième réponse victorieuse du dieu errant, se fait jour un thème nouveau, de grande allure,

[qui, assez fortement modifié et agrandi, prendra une grande importance dans la 4e journée :]

c’est celui de La Puissance divine.

LA PUISSANCE DIVINE
[partition à transcrire]
dont je ne donne ici que la première moitié, et qui se

termine, comme on peut le voir dans la partition, par une longue gamme descendante qui n’a plus rien de triomphal.

Le voyageur, Wotan errant, a satisfait au Traité conclu ; l’orchestre le constate avec lui. C’est à son tour à interroger, et Mime devra répondre. Aussitôt s’insinue une figure humble et sournoise qui dépeindra, pendant toute cette deuxième moitié de la scène, la contre-partie de la première, l’attitude piteuse du malicieux Nibelung lorsque Wotan à son tour le tient sur la sellette.

[Elle ne reparaîtra ensuite qu’à la scène iii du 2e acte, peu avant la mort de Mime.]

En voici l’un des aspects. Appelons-la Mime rampant.

MIME RAMPANT
[partition à transcrire]


car elle ne s’applique à aucun autre personnage.

Avant que commence son interrogatoire, Mime cherche un prétexte pour s’esquiver ; il allègue qu’il habite depuis longtemps sa Forge et ne sait plus rien du monde : car il a reconnu Wotan dans le Voyageur, ainsi que nous l’apprend un court rappel du Walhalla ; pourtant il doit courber la tête sous La Servitude ; donc, il répondra.

En premier lieu, Wotan lui demande ce qu’il sait de « la race héroïque à laquelle il semble cruel ». La réponse de Mime est accompagnée par tous les motifs des Wälsungs, leur Race, leur Héroïsme, et même Siegfried gardien de l’Épée.

En second lieu, il veut savoir « quel fer doit brandir le jeune homme pour conquérir l’anneau en terrassant le Dragon ». Ici le seul motif qui se mélange à ceux de Mime rampant et de La Forge, c’est L’Epée, l’épée des dieux.

En troisième lieu enfin, il est mis en demeure de désigner « celui qui pourra reforger cette lame brisée ». C’est alors que Mime se perd, car il ne sait pas nommer Siegfried ; mais l’orchestre nous le fait connaître par le retour persistant de l’Amour de la vie, qui ne laisse aucun doute subsister sur la personnalité du héros.

Wotan va se retirer. L’harmonie étrange et solennelle qui la introduit, Wotan errant, reparaît, pour bientôt faire place à L’Épée, au Traité, au Dragon, lorsque le dieu vainqueur voue la tête du vaincu à celui qui n’a jamais connu la peur, à celui qui tuera le Dragon, autrement dit à Siegfried gardien de l’Épée.

Les sifflements railleurs de Loge apparaissent sous les dernières paroles de Wotan, pour continuer pendant une bonne partie de la scène qui vient.

Scène iii. — Quoique très développée et du plus grand intérêt, celle-ci s’analyse assez rapidement.

Mime, resté seul, est d’abord terrorisé par les crépitements de feu de Loge ; revient Siegfried, et avec lui les gais motifs du Désir de voyager et de L’Amour de la vie ; puis, accompagnant de la façon la plus spirituelle chaque phrase, parfois chaque mot du dialogue, on reconnaît successivement : Le Dragon, L’Épée, La Servitude, Wotan errant, Le Gardien de l’Épée, L’Amour de la vie, La Race des Wälsungs, Loge, Le Charme des flammes, Le Sommeil éternel, Le Sommeil de Brünnhilde, L’Appel du fils des bois… Pendant ce temps, Siegfried ne songe qu’à forger lui-même son glaive avec les tronçons que Mime lui a remis. Il se met à l’œuvre et chante gaiement, tout en limant l’acier et activant le feu, un joyeux Chant en trois couplets, le troisième avec d’élégantes variations, dont l’accompagnement imite le sifflement du soufflet de la forge, comme précédemment on a entendu le grincement de la lime : appelons-le Chant du soufflet, pour le distinguer d’un autre qui le suit de près. Mime, dans un coin, lui prépare sournoisement un breuvage empoisonné qui, selon lui, doit le plonger dans Le Sommeil éternel et lui permettra de s’emparer lâchement du glaive si vaillamment reconstitué, après qu’il aura conquis à son profit L’Or et L’Anneau.) Peu après que Siegfried a trempé la forme en la plongeant dans une cuve d eau, ce c{ ! ii donne lieu à un curieux effet de sonorité imitative, apparaît le seul thème nouveau de cette scène, qu’on appelle généralement La Fonte de l’acier.

LA FONTE DE L’ACIER
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]


et qui se mélange avec une sorte de reprise en majeur du Chant du soufflet.

Ici se place un nouveau chant, le Chant de la Forge, rythmé par des coups de marteau sur l’enclume, d’une vérité étonnante ; celui-là n’a que deux couplets, séparés par une réplique de Mime, qui continue ses manipulations malfaisantes.

Le deuxième couplet est à peine achevé lorsque Siegfried plonge de nouveau l’arme encore rouge dans l’eau et s’amuse du bruit qu’elle fait en se refroidissant.

Ensuite, pendant qu’il la termine et l’assujettit dans sa poignée, la martèle une dernière fois, nous reconnaissons les motifs de La Forge, de Mime rampant, de La Fonte de l’acier, de L’Épée, avec de curieux rythmes de deux et trois mesures, et finalement, lorsque Siegfried brise l’enclume pour essayer le tranchant de son arme, jaillit le motif du Fils des bois, qui termine joyeusement l’acte.

2me Acte.

Scène I. — Le Prélude, intimement lié à la scène i, nous fait tout d’abord entendre les rauques rugissements de Fafner, le survivant des deux Géants du prologue, formé en Dragon, et couvant jalousement son trésor et son Anneau (je rappelle que ce motif de Fafner n’est autre qu’une transformation de celui des Géants, dont la note la plus grave est abaissée d’un demi-ton).

FAFNER
[partition à transcrire]


Vers le milieu éclate La Malédiction de l’anneau, que suivent de près le rythme du Travail de destruction et Le Cri de triomphe du Nibelung. Alberich est en scène.

À ces motifs viennent s’adjoindre, peu après le lever du rideau, un dessin de Chevauchée et le thème de La Détresse des dieux, annonçant l’arrivée du dieu-voyageur, que salue un rappel du Walhalla.

L’état d’âme du gnome haineux à l’égard du dieu, dont il n’a pas oublié les procédés peu délicats, se manifeste par un nouveau motif, La Vengeance,

LA VENGEANCE
[partition à transcrire]


qui n’a dans l’ouvrage qu’une importance secondaire.

[Il reparaîtra pourtant dans le « Crépuscule des Dieux » au 2e acte,

scènes Scène iv et Scène v, sous une forme plus saisissante.]
[partition à transcrire]

On retrouve plus loin les thèmes de Wotan errant, du Courroux de Wotan, du Traité, de La Convention avec les géants, de Loge, de La Malédiction de l’anneau, et d’autres faciles à reconnaître. Les quelques mots de Fafner à Wotan sont soulignés par son propre thème, auquel se mélange curieusement, pendant un instant, L’Épée qui semble menacer L’Anneau. Ensuite on reconnaît Les Nornes, Le Désir de voyager ; puis, au moment du départ de Wotan, La Chevauchée reparaît, avec un souvenir du Chant d’adieu de Wotan, immédiatement suivi de La Malédiction de l’anneau, deux fois répétée, avec le rythme de Destruction, et la scène finit comme elle a commencé, par le motif de Fafner, sinistre et menaçant.

Scène ii. — Arrive Siegfried, conduit par Mime ; L’Amour de la vie et le joyeux début de la strophe variée du Chant du Soufflet leur font escorte, avec quelques rythmes de Forge et une sorte de pressentiment du Sommeil de Brünnhilde. Mime, désireux d’enseigner La Peur à son élève, emprunte à Loge quelques traits chromatiques ; on entend rugir Fafner, auquel Siegfried oppose L’Héroïsme des Wälsungs ; L’Amour de la vie aussi est brièvement rappelé.

Mime parti, ou plutôt caché, Siegfried reste seul en scène. Ici commence, à proprement parler, avec les dessins de doubles croches à 6/8, en mi majeur, la ravissante idylle dite « Les Murmures de la forêt », que les pages précédentes avaient déjà annoncée. À travers ces frais et calmes bruissements, nous percevons les idées qui se pressent dans l’âme du jeune héros ; il pense d’abord à La Race des Wälsungs, puis à sa mère, ainsi que nous l’apprend L’Amour filial, ce qui le conduit à entrevoir la beauté et L’Amour, représenté ici par le thème de Freïa. Mais son attention est bientôt attirée par le chant d’un oiseau, qui sautille et gazouille dans les branches au-dessus de lui ; voici quelques fragments de ce délicieux chant de L’Oiseau.

L’OISEAU
[partition à transcrire]

[Il est bon de savoir que chacun des fragments ci-dessus aura par la suite une signification précise. Pour n’en donner qu’un seul exemple, le 3me, par lequel L’Oiseau révélera à Siegfried l’existence de la Walkyrie endormie, est identique au thème du Sommeil de Brünnhilde, lequel n’est lui-même qu’une transposition, avec modifications rythmiques, des Filles du Rhin.]

L’oiseau
[partition à transcrire]
Sommeil
[partition à transcrire]
Filles du Rhin
[partition à transcrire]

[À partir d’ici, il sera fait perpétuellement des allusions et des citations de ce Chant de L’oiseau, les unes très étendues et appelant forcément l’attention, d’autres consistant en quelques notes seulement : témoin celle-ci, qu’on trouvera dans l’interlude instrumental pendant lequel Siegfried traversera les flammes (3e acte, après la fin de la scène ii). Ici, quatre motifs sont en conjonction.]

[partition à transcrire]

Donc, Siegfried, ayant entendu l’Oiseau, essaye d’abord de l’imiter au moyen d’un chalumeau rustique qu’il taille avec son Epée, ce qui motive un incident d’un doux comique ; n’y parvenant pas, il embouche son cor, et sonne sa joyeuse fanfare, L’Appel du fils des bois, dans laquelle il intercale, comme pour se mieux faire connaître, Siegfried gardien de l’Epée.

C’est Le Dragon qui lui répond par d’effroyables bâillements ; c’est Fafner qui sort de son antre pour livrer combat à son provocateur. Le combat a lieu ; L’Épée atteint le cœur ; Fafner va mourir. Mais, avant de mourir, il retrace son histoire, que l’orchestre commente à l’aide de plusieurs Leit-motifs appropriés : Le Travail de destruction, La Malédiction de l’anneau, Le Gardien de l’Épée, son vainqueur, Les Géants, L’Anneau, Le Dragon, Le Fils des bois, et enfin Fafner meurt, sur un coup de timbale, au second temps de la mesure.

Une éclatante fanfare du Fils des bois célèbre cette première victoire, puis aussitôt reprennent les « Murmures de la forêt ». Mais cette fois le langage de L’Oiseau est devenu intelligible pour le jeune guerrier, parce qu’il a sucé le sang du dragon (?) ; pour nous aussi, mais par une autre raison : c’est qu’il est confié à un soprano.

Scène iii. — La scène Scène iii, malgré son grand développement et sa complication, ne fait connaître aucun motif nouveau ; il n’y a donc qu’à y rechercher ceux déjà présentés. Pour plus de clarté, considérons-la comme divisée en quatre parties.

Dans la première (dialogue entre Mime et Alberich), les seuls motifs légèrement esquissés sont : Le Pouvoir du Casque, La Forge, et Le Cri de triomphe du Nibelung.

Dans la deuxième (quand Siegfried sort de la caverne), apparaissent : L’Anneau, L’Adoration de l’Or, L’Or, puis de nouveau les « Murmures de la forêt », bientôt associés à la Race des Wälsungs.

Dans la troisième (lorsque Mime s’approche obséquieusement de Siegfried), c’est d’abord L’Oiseau et La Fonte de l’acier ; plus loin, la Complainte de l’Éducation, dont le ton doucereux est démenti par les paroles ; au moment de la mort de Mime, remarquer la singulière suite de 3ces descendantes et discordantes, empruntées à La Réflexion, qui, jointes au ricanement d’Alberich (La Forge), lui font une assez piteuse mais digne oraison funèbre.

Dans la quatrième partie (qui va de là jusqu’à la fin de la scène, paraissent ou reparaissent La Malédiction de l’anneau, La Forge, quand Siegfried jette dans l’antre le cadavre de Mime ; Fafner, quand il y roule celui du Dragon ; puis L’Anneau, et, suivi du rappel de L’Oiseau, le chant de L’Amour filial, qui, avec quelques souvenirs de la Forge, nous conduit à un dernier retour des « Murmures de la forêt ». Cette fois, L’Oiseau propose à Siegfried de le conduire auprès de la Walkyrie endormie au milieu d’un cercle de feu (voir p. 430) ; aussi les derniers motifs de l’acte sont-ils : Le Charme des flammes, Siegfried gardien de l’Épée, Le Sommeil de Brünnhilde… et, brochant sur le tout, le ramage de L’Oiseau, qui ne se tait qu’à l’accord final.

3me Acte.

Prélude. — Un rythme persistant de Chevauchée nous fait pressentir la venue de Wotan. En même temps reparaît un imposant dessin ascendant de basse, dans lequel on peut reconnaître soit Les Nornes, soit La Détresse des dieux, soit encore, lorsqu’il passe en majeur, Le Rhin, tous motifs proches parents, par leur contexture et leur sens symbolique, et dont la présence ici s’explique aussi naturellement pour l’un que pour l’autre. Le Courroux de Wotan, Le Traité, Le Déclin des dieux, La Puissance d’Alberich, apparaissent çà et là, et le Prélude se soude à la

Scène i par l’harmonie mystérieuse et solennelle du Sommeil éternel, à laquelle succèdent, sans interruption, Le Sort, Le Traité, et, juste avant le premier mot du Voyageur, L’Annonce d’une nouvelle vie.

Les mêmes motifs accompagnent le monologue de Wotan, révocation d’Erda, avec un rappel de Wotan errant ; ils dominent aussi dans la réponse d’Erda et son dialogue avec Wotan, pendant lesquels reparaissent en plus : L’Anneau, Le Regret de l’amour, Le Walhalla, Le Travail de destruction des Nibelungs, Le Chant d’adieu de Wotan, et quelques autres motifs seulement esquissés.

C’est seulement à la fin de cette scène, qui compte parmi les plus admirables de la « Tétralogie » tout entière, qu’apparaît un thème nouveau, L’Héritage du monde.

L’HÉRITAGE DU MONDE
[partition à transcrire]


de ce monde sur lequel Wotan, prévoyant et désirant la fin des dieux, n’entend plus régner, et qu’il lègue à son fils, au Wälsung triomphant. Aussi ce motif, qui est exposé à plusieurs reprises avant la disparition d’Erda, est-il escorté de ceux qui touchent de près le jeune héros : Siegfried gardien del’Épée, L’Épée, Le Walhalla, La Puissance de l’anneau, La Fuite, L’Amour ; quand Erda s’enfonce sous terre, quatre beaux accords nous annoncent qu’elle se plonge de nouveau dans son Sommeil éternel.

Scène ii. — Guidé par L’Oiseau, Siegfried approche, portant son Épée. Wotan lui barre le chemin, et l’oblige à lui raconter le but de son voyage, aussi bien que les raisons qui l’ont porté à l’entreprendre.

De là les fréquentes allusions orchestrales à L’Oiseau qui l’a conduit, à Fafner dont le sang lui a donné le pouvoir de comprendre le chant des oiseaux, à La Forge où il a été élevé ; à La Race des Wälsungs dont il est issu ; à L’Amour de la vie qui l’anime ; les paroles du Voyageur, au contraire, sont soulignées par Wotan errant, par Le Walhalla, par Le Courroux de Wotan, plus tard par Le Traité, par les dessins chromatiques de Loge, par Le Charme des flammes, par La Chevauchée et Le Sommeil éternel, lorsqu’il déclare être le gardien de la roche où dort la Walkyrie ; à ces motifs, Siegfried, toujours inspiré par le souvenir de L’Oiseau, oppose les siens, Le Gardien de l’Épée, La Race des Wälsungs, puis enfin, d’un seul coup, L’Épée brise la lance du dieu. Alors reparaissent, assombris, Le Traité, Le Déclin des dieux, Le Regret de l’amour, toujours entremêlés des joyeux gazouillements de L’Oiseau, et Siegfried s’élance à travers les flammes, accompagné par la merveilleuse combinaison de thèmes typiques que nous avons déjà signalée par avance (p. 431) et où se retrouvent simultanément L’Appel du fils des bois, Le Charme des flammes, Siegfried gardien de l’Épée, L’Adoration de l’or, L’Oiseau, Loge, puis, quelques mesures plus loin, Le Sommeil éternel et Le Sommeil de Brünnhilde. Tout ce dernier déploiement de Leit-motifs a lieu pendant qu’un rideau de feu et de vapeurs embrasées nous masque le changement de décor.

Scène iii. — Les vapeurs se dissipent tandis que transparaissent les motifs du Sommeil de Brünnhilde et du Sort, suivis d’un chatoyant dessin des violons seuls, dans lequel on reconnaît en plus le profil de Freïa, la déesse de l’amour. Puis Le Sort, L’Adoration de l’or, L’Oiseau.

Pendant que Siegfried contemple la Walkyrie immobile, se fait entendre très discrètement d’abord le motif de La Fascination de l’amour, que nous n’avons pas eu à signaler depuis la 2e scène de « l’Or du Rhin », et dont l’emploi devient par là particulièrement expressif. Nous retrouvons Brünnhilde comme entourée encore des motifs au milieu desquels nous l’avons laissée, La Chevauchée, Le Chant d’adieu de Wotan qui se déploie en entier ; en quelques délicats coups d’Épée, Siegfried coupe les liens de la cuirasse ; La Fascination de l’amour prend plus d’importance. Le souvenir de La Race des Wälsungs est évoqué, et nécessairement Le Sommeil de Brünnhilde reparaît souvent, accompagné du séduisant contour de Freïa, qu’entrecoupe sinistrement la question du Sort, mais dont les élégants enlacements annoncent gracieusement le réveil de la déesse déchue.

Ce réveil a lieu sur les accords clairs et lumineux du Salut au monde, d’un merveilleux étincellement,

SALUT AU MONDE
[partition à transcrire]
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deux fois répétés, et chaque fois suivis d’arpèges sonores, puis de grésillements scintillants des harpes, se développant en une phrase large à laquelle une longue série de tierces et un trille prolongé donnent une physionomie tout à fait italienne. C’est sur ce Salut que Brünnhilde prononce ses premiers mots ; mais lorsqu’elle en vient à demander le nom du héros qui Ta réveillée, elle trahit sa pensée intime et son désir, car sa déclamation emprunte les notes mêmes sur lesquelles Wotan l’a quittée, après l’avoir endormie sur son rocher, au dernier acte de « La Walkyrie », lesquelles ne sont autres que celles de Siegfried gardien de l’épée.

À son tour, Siegfried radieux entonne son Salut à l’amour, plein d’ardeur juvénile et d’enthousiasme,

SALUT À L’AMOUR
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se terminant, comme le Salut au monde de Brünnhilde, par la phrase en tierces ci-dessus mentionnée, qui apparaît encore plus italienne à présent qu’elle est chantée en duo par les deux voix.

Aussitôt après les deux poirnts d’orgue et le trille qui terminent cette période, les basses attaquent vigoureusement le thème de La Race des Wälsungs, auquel répond joyeusement le nouveau motif de L’Enthousiasme de l’amour.

ENTHOUSIASME DE L’AMOUR
[partition à transcrire]


lui encore constitué par une suite de tierces et de sixtes, fait assez rare chez Wagner pour mériter d’être signaié.

L’Héritage du monde fait ensuite plusieurs réapparitions dans des tons différents, mais maintenant à 3/4, ce qui enlève un peu de sa solennité.

Se mélangeant avec lui, selon les péripéties du dialogue, on reconnaîtra principalement L’Enthousiasme de l’amour, Le Salut à l’amour, L’Annonce d’une nouvelle vie, un souvenir du Courroux de Wotan et de La Chevauchée, plus loin La Malédiction de l’anneau, La Servitude ; lorsque arrive le ton de mi majeur, nous faisons connaissance avec deux thèmes qui n’en forment presque qu’un seul, le deuxième étant la suite du premier. C’est d’abord La Paix,

LA PAIX
[partition à transcrire]


motif d’une douce et placide sérénité, qui n’a aucun emploi en dehors de cette scène, dans laquelle il introduit un élément de calme et de fraîcheur ; puis, 20 mesures plus loin, aussi tendre, mais plus passionné, Siegfried trésor du monde.

SIEGFRIED TRÉSOR DU MONDE
[partition à transcrire]


que nous retrouverons deux fois dans a le Crépuscule ».

Ces motifs paisibles s’associent ensuite, pendant le reste du duo d’amour que constitue cette scène, à la plupart des motifs déjà cités, auxquels il faut joindre Le Sort, Le Sommeil de Brünnhilde, Le Dragon, La Chevauchée, qui ne font que de courtes apparitions, puis Siegfried gardien de l’épée, mis cette fois dans la bouche même du héros, au paroxysme de la passion ; L’Oiseau, Le Cri des Walkyries, après quoi une dernière reprise de L’Enthousiasme de l’amour nous conduit à une sorte de sirette à deux voix qui a reçu le nom de Résolution de l’amour, ou La Décision d’aimer [7].

LA DÉCISION D’AIMER
[partition à transcrire]

Dans ce finale entraînant se trouve encore intercalé le Salut à l’amour de Siegfried ; ici encore, les deux voix se marient en rapports fréquents de tierces et de sixtes, et ia cadence terminale présente un brio inaccoutumé. Les derniers accords de l’orchestre reproduisent les motifs du Gardien de l’épée et de L’Enthousiasme de l’amour.

LE CRÉPUSCULE DES DIEUX

Le Crépuscule des Dieux diffère des deux pièces précédentes, en ce qui concerne la coupe générale, par l’adjonction d’un Prologue très développé et remplaçant un Prélude pour le 1er acte, auquel il est relié sans interruption. Ce Prologue peut lui-même être considéré comme divisé en deux parties ; la première est la belle et sombre scène des Nornes filant le câble de la destinée des dieux comme de celle des humains ; la deuxième nous montre les adieux de Briinnhilde à Siegfried partant pour de nouveaux combats.

Prologue. — Dans les deux premiers accords, on reconnaît Le Salut au monde de Brünnhilde, auquel succède immédiatement le mouvement ondulatoire de l’élément primordial, Le Rhin, qui se transforme (au moment où la 1re Norne va parler) en La Détresse des dieux ; quatre mesures après, Le Charme des flammes. Comme les trois sœurs, dans leur dialogue, passent en revue tous les événements que nous avons vus se dérouler dans les journées précédentes, il est naturel que l’orchestre, de son côté, fasse défiler les motifs correspondant aux diverses phases du drame ; aussi retrouve-t-on fréquemment Le Walhalla, Le Salut au Walhalla, La Mort, La Puissance des dieux, Le Traité, Le Déclin des dieux, Le Sort, Loge, Le Charme des flammes, Le Sommeil éternel, L’Anneau, Le Regret de l’amour, L’Adoration de l’or, Le Cri de triomphe du Nibelung, L’Épée, L’Appel du fils des bois, La Malédiction de l’anneau, qui se produisent une première fois dans l’ordre ci-dessus, ce qui permettra de les retrouver aisément sur une partition ; la scène des Nornes se termine par le motif du Sort, deux fois répété.

Pendant l’intermède qui accompagne le lever du soleil, L’Appel du fils des bois, héroïquement transformé à 4/4, comme nous l’avons indiqué à la page 418, se combine heureusement avec un nouveau thème, qui personnifie Brünnhilde dans son amour humain, dans son amour de

BRÜNNHILDE
[partition à transcrire]


femme, et dont l’élégance est relevée par un grupetto expressif. Quatre mesures avant que Brünnhilde prenne la parole, signalons un court rappel de La Chevauchée, encadrant Le Fils des bois ; car c’est lui, et non plus elle, qui chevauchera Grane désormais. Quatorze mesures plus loin, apparaît encore un autre motif appartenant spécialement à Brünnhilde et caractérisant son Amour héroïque.

L’AMOUR HÉROÏQUE
[partition à transcrire]

[De ce dernier, il sera fait peu d’emploi en dehors des deux dernières scènes du 2e acte.]

Ces derniers motifs sont ceux qui dominent dans le tissu harmonique de cette deuxième moitié du Prologue, associés à quelques autres que je présente, comme toujours, dans l’ordre de leur production : Salut à l’amour, Loge, Siegfried gardien de l’épée, Le Sort, L’Héritage du monde, L’Anneau, La Chevauchée, le cri de joie des Filles du Rhin, L’Or, La Chevauchée, L’Amour, Le Désir de voyager, L’Épée ; c’est encore le motif de Brünnhilde qui suit le héros du regard pendant qu’il s’éloigne, au début des pages symphoniques qui séparent le Prologue du 1er acte, puis, lorsqu’on ne le voit plus, résonne dans le lointain sa joyeuse fanfare de chasse, L’Appel du fils des bois, revenu à sa forme primitive ; dans ce même entr’acte on reconnaît La Décision d’aimer, Le Regret de l’amour, L’Adoration de l’or, L’Or et Le Rhin, La Puissance de l’anneau, et enfin Le Cri de triomphe du Nibelung, précédant de quelques mesures seulement le lever du rideau.

Comme on le voit, la plupart des précédents Leit-motifs sont suggestivement remémorés à l’auditeur dans ce vaste Prologue, sorte de récapitulation et de résumé des journées précédentes, qui prédispose merveilleusement l’esprit aux émotions violentes qui vont l’assaillir en ce dernier drame.

1er Acte.

Scène i. — Je laisse volontairement de côté, ici, quelques motifs d’importance relativement secondaire, se rapportant à la tribu des Gibichs et au personnage peu sympathique de Hagen, qui sont exposés dès les premières notes de l’acte ; bien que nettement caractérisés (ce qui permettra à tout lecteur sagace de les découvrir lui-même), ils n’ont qu’un emploi épisodique ; c’est ce qui me porte à n’en pas parler, dans cette étude forcément brève, pour m’attacher aux grands motifs typiques qui dominent l’œuvre entière et sont nécessaires pour sa complète intelligence. Faisons pourtant remarquer que le motif des Gibichs (6e mesure de cette scène) ne laisse pas ignorer que nous sommes sur les bords du Rhin.

C’est Hagen qui conduit cette scène ; pour servir ses ténébreuses ambitions, il veut que Gunther épouse Brünnhilde, et que Gutrune devienne la femme de Siegfried. Il cherche à faire naître Tamour dans leurs cœurs (Freïa), à Gunther il dépeint Brünnhilde sur son rocher (La Chevauchée, Le Charme des flammes, même L’Oiseau) ; à Gutrune il fait le portrait de Siegfried (Héroïsme des Wälsungs, Appel du fils des bois, L’Anneau, la victoire sur Fafner) ; il leur explique la cause de sa puissance (Puissance de l’anneau, Regret de l’amour, L’Or, Le Cri de triomphe d’Alberich) ; et enfin il leur révèle par quels moyens magiques il entend arriver à réaliser ce double mariage, sans toutefois leur laisser comprendre qu’au fond de sa pensée le but unique est d’arriver par eux à conquérir l’Anneau avec le pouvoir qui y est attaché. Cette situation motive l’emploi de deux motifs nouveaux : l’un exprime L’Amitié perfide de Hagen pour Siegfried, dont au fond il ne désire que la mort,

AMITIÉ PERFIDE DE HAGEN
[partition à transcrire]


et l’autre La Trahison par la Magie,

LA TRAHISON PAR LA MAGIE
[partition à transcrire]


souvent précédé de quelques notes du Pouvoir du casque, qui nous font savoir que le heaume enchanté, le Tarnhelm, est l’un des moyens dont Ilagen entend se servir.

Ces deux nouveaux motifs apparaissent à peu de distance l’un de l’autre, plus loin que le milieu de la scène, à l’indication mena mosso ; d’abord La Trahison, après deux mesures de La Puissance du casque, et, 17 mesures plus tard, L’Amitié perfide ; ils sont accompagnés de quelques rares rappels de L’Épée, de Freïa, de La Malédiction de l’anneau, après quoi Siegfried s’annonce par son air favori, L’Appel du fils des bois, qui résonne d’abord dans le lointain, puis plus près ; aussitôt se réveille L’Adoration de l’or, qui ramène à son tour le bruissement des vagues du Rhin, L’Anneau, et, au moment même où Siegfried quittant sa nacelle, met pied à terre.


Scène ii, La Malédiction de l’anneau fait retentir de nouveau son terrible anathème.

Les premières paroles de courtoisie sont échangées pendant que l’orchestre salue Siegfried gardien de l’épée ; aussitôt le héros recommande qu’on prenne le plus grand soin de Grane, ce qui motive le rappel de La Chevauchée, auquel se rattache immédiatement un tendre souvenir de Brünnhilde. Dans la conversation qui suit, des allusions sont faites à L’Amitié perfide de Hagen, à L’Héroïsme des Wälsungs, à L’Épée que Siegfried raconte avoir forgée, à La Forge' par conséquent, au Dragon qu’il a tué, à La Servitude, au Pouvoir du casque, que Hagen fait connaître à Siegfried, à L’Anneau, etc.

Ici a lieu l’acte de trahison. À l’instigation de Hagen, sa sœur s’avance gracieusement et offre à Siegfried, avec d’aimables paroles, que souligne le théme de La Bienvenue de Gutrune,

BIENVENUE DE GUTRUNE
[partition à transcrire]


la coupe enchantée dans laquelle il doit boire l’oubli ; avant d’absorber le breuvage magique, Siegfried, encore fidèle à son amour, envoie un souvenir à Brünnhilde ; c’est à elle qu’il boit, ainsi que l’attestent les thèmes du Salut à l’amour, de L’Héritage du monde, et la terminaison en tierces que nous avons signalée dans le duo du 3e acte de « Siegfried ». [Cette forme typique si caractéristique fera sa dernière apparition à la scène ii du 3e acte, lorsque Siegfried se retrouve en pleine possession de sa mémoire.]

Au moment même où il absorbe le fatal breuvage (au ton de sol majeur, après un trille prolongé), résonne sourdement le sombre thème de La Trahison par la magie, suivi de La Bienvenue de Gutrune ; tout aussitôt le philtre opère, le pur héros perd la mémoire, oublie le passé, et ne brûle d’un ardent amour que pour Gutrune. Quelques très fugitives réminiscences de L’Enthousiasme de l’amour, du Charme des flammes, de L’Oiseau, font deviner les efforts impuissants qu’il fait pour ressaisir ses souvenirs envolés ; dorénavant il est sous le charme du traître Hagen, dont il va accomplir passivement les ténébreuses volontés. Aussi les motifs de La Trahison (qu’on appelle aussi l’Imposture magique) et celui de Gutrune vont-ils prendre, dans le reste de la scène, une importance considérable.

Le pacte infâme qu’on lui impose est contracté sur les thèmes de La Trahison, de Loge dont il devra de nouveau traverser les flammes, de La Chevauchée, de L’Épée, de La Malédiction de l’anneau, et fréquemment scellé par de signiûcatifs retours du Traité.

Le serment solennel échangé, les voix des deux frères d’armes s’unissent en un ensemble de courte durée dans lequel se fait jour Le Désir de voyager, sous une forme dialoguée, ainsi qu’un nouveau motif, que chacun d’eux chante à son tour, et qui a reçu le nom de Justice de l’expiation (selon d’autres Le droit à l’expiation).

JUSTICE DE L’EXPIATION
[partition à transcrire]


C’est comme la sanction du serment : celui qui le trahirait devrait payer cette trahison de sa mort.

Après quelques courts épisodes, pendant lesquels se font entendre de nouveau Le Traité, La Bienvenue, L’Anneau, Les Pommes d’or curieusement associées à La Forge (l’origine divine du héros et son éducation par le nain), Le Regret de l’amour, La Chevauchée combinée avec Loge (Grane traversant les flammes), les deux chevaliers se mettent en route sans plus tarder.

Gutrune les suit par la pensée, avec son motif de Bienvenue, et, peu après, les espérances ambitieuses de Hagen sont formulées nettement par une série de motifs typiques qui dénotent une association d’idées sur la signification de laquelle il n’y a pas à se méprendre : Le Travail de destruction des Nibelungs, Le Cri de triomphe du Nibelung, Siegfried gardien de l’épée, La Chevauchée, Le Regret de l’amour, L’Or, L’Anneau, objet de ses convoitises, L’Appel du fils des bois, La Servitude… ; lui aussi suit les deux guerriers par la pensée. Nous, portés sur les ailes de la symphonie, nous les devançons ; au cours du même interlude orchestral, nous sommes déjà ramenés près de Brünnhilde d’abord par son propre motif, puis par son Salut au monde, entremêlés des menaces de La Malédiction, du Travail de destruction et de L’Anneau, qu’elle possède encore.


Scène iii. — En effet, quand le rideau se rouvre, aux accents de La Trahison par la magie, c’est en contemplation de l’anneau que nous la retrouvons ; son état d’âme nous est de suite révélé par le souvenir de Siegfried trésor du monde, auquel succèdent bientôt de vagues bruits de Chevauchée. C’est Waltraute qui vient visiter sa sœur exilée, lui révéler la détresse des dieux, et la supplier, pour les sauver, de rendre l’anneau fatal au Rhin. De là une éloquente succession de motifs : Le Cri d’appel des Walkyries, avec les hennissements et les piaffements, L’Annonce d’une nouvelle vie, Le Salut au monde, Le Salut à l’amour, témoins de l’inébranlable fidélité de Brünnhilde à Siegfried gardien de l’épée ; ensuite le souvenir du terrible Courroux de Wotan, de La Détresse des dieux, des splendeurs du Walhalla, du Traité, de La Puissance divine, si fortement ébranlée, du Sort, des Pommes d’or, auxquelles Wotan ne touche plus ; ici encore, le Walhalla est représenté à l’état de ruine ; puis viennent La Servitude, L’Adoration de l’or, cause de tout le mal, un touchant rappel du Chant d’adieu de Wotan, L’Anneau, La Malédiction, Le Regret de l’amour, Le Cri de triomphe du Nibelung prêt à ressaisir sa proie, les deux cruelles notes de La Servitude… enfin tous ceux des motifs qui s’adaptent aux sujets de l’entretien des deux sœurs ; mais Brünnhilde ne cède pas, elle conservera son anneau de fiancée, tous ses thèmes d’amour se pressent de nouveau pour mieux affirmer sa constance, et Waltraute part précipitamment sur une tumultueuse reprise de La Chevauchée.

Restée seule, Briinnhilde voit Le Charme des flammes se renouveler, la roche s’embraser ; elle pressent le retour de Siegfried, dont résonne déjà la fanfare du Fils des bois ; elle court à sa rencontre !… Soudain Le Pouvoir du casque se fait entendre froid comme un glas : Siegfried, coiffé du Tarnhelm, a pris la forme de Gunther ; elle ne peut le reconnaître.

Cette deuxième partie de la scène est une des plus pénibles que je connaisse au théâtre, et le mieux est de se raccrocher à l’intérêt purement musical pour supporter l’odieux spectacle du pur et héroïque Siegfried devenu traître à l’honneur et à l’amour, fût-ce par un subterfuge magique, comme aussi des violences auxquelles il se livre, dans cet état inconscient, envers la malheureuse et toujours aimante Walkyrie. Heureusement cela ne dure pas longtemps.

Dès l’arrivée de Siegfried-Gunther, Le Pouvoir du casque s’impose, aussitôt suivi de La Trahison par la magie ; Le Sort inexorable lui succède, mais c’est le motif des Gibichs qui accompagne la voix de Siegfried !… Le rythme souterrain du Travail de destruction des Nibelungs se fait entendre sourdement ; Brünnhilde tente en vain de résister par L’Anneau au brutal envahisseur : celui-ci y oppose La Malédiction de l’anneau, lutte avec elle, lui arrache la bague, la terrasse, et la contraint de tomber, épuisée, dans ses bras, sur un navrant rappel de Siegfried trésor du monde, celui qu’elle aime tant et qui ne la reconnaît plus, effroyable situation que souligne un rappel simultané du Pouvoir du casque et de l’amour humain de Brünnhilde, et que rend encore plus explicite, s’il est possible, un retour de La Trahison infâme.

C’est fini, elle est vaincue, brisée : les thèmes qui reviendront (Le Travail de destruction, Brünnhilde, Le Sort même) ne nous diront rien de plus ; mais il faut remarquer, bien qu’ils n’aient pas absolument caractère de Leit-motif, les énergiques accents d’orchestre sur lesquels Siegfried, convaincu d’avoir agi en loyal et vaillant chevalier, tire son glaive du fourreau, pour protéger sa malheureuse victime.

[partition à transcrire]

[On les retrouvera au 2e acte, puis au 3e, dans l’émouvante scène finale, où leur signification ne pourra être bien saisie qu’en se remémorant cette poignante situation.]

À la suite reparaissent L’Épée, soi-disant protectrice, avec Le Traité, puis La Bienvenue de Gutrune, qui seule hante maintenant l’esprit du héros, Le Casque et La Trahison par la magie, dont il est le jouet, et l’amour de Brünnhilde, qu’il méconnaît. Le dernier motif énoncé par l’orchestre est celui du Pouvoir du casque, qui, de fait, a joué dans l’acte le rôle le plus terrifiant.

2me Acte.

Prélude et scène i. — Le rythme persistant du Travail de destruction, Le Cri de triomphe du Nibelung, et en dernier lieu L’Anneau, font seuls les frais de ce Prélude, qui s’enchaîne directement à la scène i.

Cette scène se passe dans des ténèbres profondes, à la clarté blafarde de la lune, très voilée, entre le Nibelung Alberich, émergeant des profondeurs du Rhin, et son fils Hagen, engourdi dans un demi-sommeil ; les motifs de haine et d’ambition y dominent nécessairement ; d’abord ceux signalés dans le Prélude, et qui forment le fond, puis La Puissance de l’anneau, Le Regret de l’amour, puis un nouveau thème effroyablement expressif, Le Meurtre, l’excitation au meurtre,

LE MEURTRE
[partition à transcrire]


[qui retrouvera son emploi dans les scènes iv et v du même acte ;]
et, comme pour mieux préciser celui à qui s’adresse cette menace, voici venir L’Épée avec laquelle Siegfried a tué Fafner, L’Anneau qu’il a en sa Puissance, et L’Appel du fils des bois, sa fanfare caractéristique.

Plus loin, dans la même scène, des allusions sont faites à Brünnhilde, représentée par L’Annonce d’une nouvelle vie, et aux Filles du Rhin, aussi au Walhalla défiguré, dont la ruine est le but final ; mais ces motifs passent rapidement, laissant la prépondérance à ceux de couleur sombre, qui définissent les caractères vindicatifs et sournois du père et du fils, Le Meurtre, La Malédiction de l’anneau, La Servitude.

Scène ii. — Le lever du soleil est ici représenté par une souple figure traitée en canon sur une assez longue Pédale de tonique (si ♭), qui n’est pas sans quelque rapport éloigné avec le motif du Rhin ; c’est un lever de soleil sur les bords du Rhin.

L’arrivée de Siegfried est annoncée par Le Pouvoir du Casque, qu’il a encore sur la tête, et la fanfare alerte du Fils des bois. II raconte à Hagen, puis à Gutrune qui survient, le succès de son voyage, sa traversée des flammes, d’où des retours du thème scintillant de Loge, de La Bienvenue de Gutrune, de La Trahison par la magie, comme aussi des trois grands coups d’orchestre, en octaves sans aucune harmonie, que nous avons signalés page 452, suivis de L’Epée, combinaison qui indique la façon loyale et chaste dont il a accompli sa mission.

Scène iii. — Le cri de Hagen appelant les vassaux de Gunther reproduit les notes de La Servitude ; tandis que le dessin de basse, procédant par grands sauts d’une allure lourdement joviale, semble caractériser la gaieté de Hagen, à la 2me mesure, nous trouvons un thème nouveau, L’Appel au mariage,

APPEL AU MARIAGE
[partition à transcrire]


qui ressemble considérablement à la Bienvenue de Gutrune, dont il n’est qu’une transformation.

Aussitôt les vassaux arrivent, ce qui donne lieu à un chœur d’hommes très développé, pendant lequel la sonnerie d’appel retentit fréquemment, alternant avec la voix de Hagen qui ordonne des sacrifices aux dieux.

Scène iv. — Ce chœur ne prend fin qu’après le début de la scène iv, à l’arrivée de Gunther conduisant Brünnhilde.

L’entrée de cette dernière est soulignée par quelques tristes rappels de La Chevauchée suivis de L’Appel au mariage ; quand elle reconnaît Siegfried et pendant le moment de stupeur qui suit, se succèdent éloquemment à l’orchestre, presque sans interruption : L’Appel du fils des bois, La Vengeance, Le Sort, Le Pouvoir du casque, La Trahison par la magie, L’Appel au mariage, Brünnhilde, L’Anneau, La Malédiction de l’anneau, Le Travail de destruction, L’Or, Le Dragon, L’Adoration de l’or, Fafner, Siegfried gardien de l’épée, La Servitude, qui nous font passer avec oppression par toutes les phases rapides de la pensée de la malheureuse Walkyrie déchue. Au moment où elle invoque les dieux, c’est Le Walhalla qui résonne, suivi de La Vengeance et de La Destruction.

Le reste de la scène se déroule à l’aide des motifs précédents ; on y retrouve encore, moins fréquemment, Le Regret de l’amour, L’Amour héroïque, La Justice de l’expiation, et les trois coups d’épée symboliques de la loyauté avec iifpielle Siegfried a conscience d’avoir accompli son pacte ; le serment prêté par Siegfried, et que Brünnhilde redit à son tour, recèle vers le milieu le motif du Meurtre, auquel il se condamne lui-même sans le savoir. Ensuite nous retrouvons encore La Servitude, Loge, Le Pouvoir du casque, L’Anneau, L’Appel au mariage, sur lequel Brünnhilde semble méditer profondément pendant la page d’orchestre qui sépare cette scène de la suivante, après le départ de Siegfried avec Gutrune

Scène v. — Restée seule avec Gunther et Hagen, ses tristes pensées suivent leur cours, le motif du Travail de destruction l’obsède, La Justice de l’expiation et La Servitude l’accablent, et elle semble pressentir Le Meurtre ; Le Sort, pourtant, dont elle a été un des agents, la hante particulièrement, L’Héritage du monde et L’Amour héroïque lui reviennent en cuisants souvenirs ; deux de ces motifs spécialement, Le Meurtre et La Servitude, se combinent simultanément comme pour faire pressentir l’issue fatale ; de tendres souvenirs ramènent encore Siegfried gardien de l’épée, L’Enthousiasme de l’amour avec ses suites de tierces et de sixtes ; mais toujours dominent les thèmes sombres… C’est sur le rythme persistant de l’opiniâtre Travail de destruction des Nibelungs que Brünnhilde révèle à Hagen que Siegfried reste vulnérable par le dos, et qu’ainsi peut l’atteindre un assassin, ce qui décide de sa perte. Le Regret de l’amour apparaît plusieurs fois, avec La Vengeance, La Servitude ; l’idée du Meurtre prend de l’intensité.

Hagen, s’appuyant sur les motifs de La Vengeance, de La Destruction,… propose la mort de Siegfried.

Gunther, un instant ému par la pensée du chagrin qu’en éprouvera sa sœur, hésite, d’où les retours de La Bienvenue de Gutrune, de Freïa… « Il aura été tué par un sanglier, » propose Hagen ; et Gunther cède, par faiblesse.

Quant à Brünnhilde, s’aidant du motif du Meurtre, et considérant Siegfried comme un lâche qui l’a trahie, elle est la première à vouloir sa mort.

Les trois personnages en scène étant mus par cette unique pensée, ici se place un ensemble en Trio, dans lequel la mort de Siegfried est décidée.

Le double cortège nuptial se reforme, aux sons de L’Appel au mariage, de La Bienvenue de Gutrune ; mais au moment où le rideau se referme, l’idée de La Vengeance et surtout celle de La Servitude dominent les bruits de fête.

3me Acte.

Prélude et scène i. — Après les émotions violentes des deux actes précédents, on éprouve un indicible besoin de calme et de fraîcheur.

La ravissante scène de « Siegfried et les Filles du Rhin » arrive merveilleusement, comme une soulageante diversion, pour détendre les nerfs surexcités, et les rendre par cela même plus sensibles aux tragiques événements qui termineront le drame.

Dès les premières notes du Prélude se fait entendre encore une fois, alerte et joyeuse, la fanfare d’Appel du fils des bois, à laquelle répondent dans l’éloignement le ror de Gunther et la trompe de Hagen. (Le motif de chasse de Gunther n’est autre que l’Appel au mariage, dérivé lui-même, on s’en souvient, de la Bienvenue de Gutrune.) Le gémissement de La Servitude, qui est rappelé par deux fois, est la seule note sombre de cette scène toute de jeunesse et d’enchantement.

Nous retrouvons d’abord Le Rhin, que (sauf une allusion presque inaperçue dans « Siegfried ») nous n’avons pas entendu depuis la première journée ; L’Adoration de l’or lui fait escorte, avec L’Or, sur lequel les appels de chasse se renouvellent. Ensuite l’orchestre nous présente la gracieuse mélodie qui va devenir un nouveau Trio des séduisantes ondines, qui s’ébattent cette fois à fleur d’eau, accompagnées de l’incessant murmure des flots du Rhin, avec des souvenirs de L’Or perdu.

Le Trio devient Quatuor par l’arrivée de Siegfried, qui s’est égaré à la chasse en poursuivant un ours. Les nymphes l’attirent et le captivent par leur grâce et leur joyeux chant ; elles lui demandent de leur donner sa bague (Adoration de l’or, L’Anneau), qu’il a conquise en tuant le Dragon furieux ; il s’y refuse, elles le narguent sur son avarice, l’excitent par leurs rires moqueurs, puis, au moment où il va céder, elles prennent une physionomie sérieuse et lui révèlent l’anathème attaché à L’Anneau (cette phrase se termine par Le Regret de l’amour) ; elles lui annoncent sa mort prochaine s’il ne leur rend l’anneau maudit (Puissance de l’anneau, Malédiction de l’anneau, La Servitude, L’Adoration de l’or, etc.). Il aurait cédé à leurs charmes, mais il ne cédera pas en face d’une menace ; du moment où l’anneau constitue un danger pour son possesseur (Le Traité, L’Anneau, Fafner), il le gardera (Cri de triomphe du Nibelung). Grande agitation des Nixes, qui voient encore une fois leur or leur échapper ; elles essayent de persuader le téméraire de sa démence, mais, voyant qu’il leur faut renoncer à ressaisir L’Anneau, elles reprennent paisiblement leurs ébats et disparaissent sur une reprise du chatoyant ensemble qui a ouvert l’acte.

Resté seul, Siegfried entend les fanfares de Gunther et de Hagen se rapprocher, accompagnées par les motifs de La Malédiction de l’anneau et La Servitude, et leur répond par L’Appel du fils des bois.

Scène ii. — Pendant que Gunther et Hagen s’approchent, suivis des hommes qui portent le produit de leur chasse et l’entassent au pied des arbres, l’orchestre se joue avec les motifs de chasse, laissant transparaître parfois quelques dessins empruntés au Trio des Filles du Rhin, encore dans l’esprit de Siegfried, auxquels se joignent, dès que le dialogue s’engage, L’Amitié perfide de Hagen, La Servitude, La Vengeance, quelques notes de L’Oiseau, un peu plus loin L’Amour héroïque et La Justice de l’expiation, combinés ensemble, Loge (la ruse), La Trahison par la magie, qui poursuit son cours, puis, lorsque Siegfried, à l’incitation de Hagen, propose de raconter son enfance et sa jeunesse, La Forge, puis encore L’Oiseau.

Le récit qui suit, et qui nous conduit directement à la scène de l’assassinat, est si merveilleusement commenté par l’orchestre qu’on pourrait en suivre toutes les péripéties sans le secours des paroles.

C’est d’abord La Forge où il a été élevé dans un état de Servitude, dans l’espoir qu’un jour il tuerait Le Dragon ; c’est la doucereuse complainte de Mime ; c’est la fonte de L’Épée et la victoire sur Le Dragon ; ensuite reparaissent les « murmures de la Forêt », dans lesquels Siegfried à présent chante la partie de L’Oiseau ; la mort de Mime motive un dernier retour de La Forge. À ce moment, Hagen, poursuivant ses maléfices, prépare un nouveau philtre qui, celui-là, rend la mémoire, et le lui présente sous les contours trompeurs de L’Amitié perfide ; Siegfried vide la coupe d’un trait, pendant que mystérieusement glisse dans l’orchestre le thème de La Trahison par la magie, sournoisement préparé par La Puissance du Casque, et instantanément suivi de L’Amour héroïque et de l’amour humain de Brünnhilde. La mémoire est revenue, le récit reprend ; avec lui, de nouveau, les « murmures de la forêt », L’Oiseau, Le Charme des flammes, Freïa, la beauté, Le Sommeil de Brünnhilde, L’Héritage du monde, Le Salut au monde, avec la terminaison en tierces du Duo d’amour, le souvenir des premières extases… C’est alors que le traître Hagen, montrant à Siegfried les deux corbeaux de Wotan qui passent en croassant, le contraint à tourner le dos, et enfonce son épieu entre les deux épaules du héros. La Malédiction de l’anneau retentit violemment, puis, comme un douloureux glas de deuil, Siegfried gardien de l’épée, que suivent à peu de distance Le Sort et La Justice de l’expiation, au milieu de la stupeur générale. Siegfried est blessé à mort, mais il n’est pas mort. Agonisant et dans un état extatique, il poursuit son récit, que le coup fatal a seulement interrompu. Le Salut au monde reprend, dans son développement complet, Le Sort, Le Gardien de l’épée, Le Salut à l’amour, L’Enthousiasme de l’amour,… puis, sur un dernier rappel du Sort, il tombe mort.

Ici commence (au ton d’ut mineur) l’admirable page symphonique qu’on a coutume d’appeler la « Marche funèbre de Siegfried », mais dans laquelle il faut voir, plutôt qu’une Marche, la plus émouvante et la plus éloquente des oraisons funèbres : oraison funèbre muette, sans un mot, et par cela même encore plus poignante et plus grandiose, car nous sommes arrivés à ce degré de tension où, la parole devenue impuissante, la musique seule peut encore fournir des éléments à une émotion presque surnaturelle.

Toute la vie du héros va nous être retracée. Tous les motifs héroïques que nous connaissons vont défiler ici, non plus dans leurs allures accoutumées, mais lugubrement voilés de deuil, entrecoupés de sanglots, portant avec eux la terreur, et formant dans l’atmosphère qui entoure le héros mort un cortège invisible et impalpable, le cortège mystique de pensées vivantes. D’abord, grave et solennel, L’Héroïsme des Wälsungs, que nous nous souvenons avoir entendu pour la première fois lorsque Siegmund, au début de « la Walkyrie », fait le triste récit de ses malheurs ; vient ensuite La Compassion, représentant la malheureuse Sieglinde, et L’Amour, l’amour de Siegmund et Sieglinde, d’où devait naître Siegfried : ne semble-t-il pas que les tendres âmes de son père et de sa mère, qu’il aimait tant sans les avoir connus, planent sur lui et sont venues conduire le deuil ? Puis c’est La Race des Wälsungs tout entière qui, dans un superbe mouvement de basses, se joint au funèbre cortège ; comme sur un cercueil on pose les armes du défunt : L’Épée, la fière épée est là, toujours étincelante, flamboyante, devenue héraldique dans la lumineuse clarté d’ut majeur, qui n’apparaît qu’à ce seul instant ; enfin voici le motif par excellence du héros, Siegfried gardien de l’épée, deux fois répété par une marche ascendante, la deuxième fois avec sa franche et loyale conclusion, et suivi du Fils des bois dans sa forme héroïque encore singulièrement élargie, qui fait place à un souvenir embaumé de Brünnhilde,… de son unique amour… Que peut-on rêver de plus attendrissant ? Aux dernières notes de la « Marche funèbre », qui ne se termine qu’à la

Scène iii, se font entendre deux lugubres accords qui participent autant de La Servitude que du Cri de triomphe du Nibelung, de même qu’aux mesures suivantes un autre contour, souligné par La Malédiction de l’anneau, peut être considéré à volonté comme un amer souvenir soit de La Bienvenue de Gutrune, soit de L’Appel au mariage, deux motifs se rapportant également l’un et l’autre à l’idée de trahison.

Plusieurs fois l’auditeur, s’abusant comme Gutrune, croit entendre L’Appel accoutumé du Fils des bois ; mais la fanfare ne s’en développe point ; elle est toujours brisée et comme chancelante ; on entend Grane hennir farouchement, avec quelques notes de La Chevauchée ; inquiète, Gutrune cherche Brünnhilde : elle est obsédée par l’idée du Sort, auquel s’adjoint Le Cri de triomphe du Nibelung. Soudain reparaît le motif de La Vengeance accompagnant le rauque appel de Hagen, emprunté à La Servitude ; d’ici à la mort de Gunlher, l’orchestre se meut sur un petit nombre de motifs : L’Appel du fils des bois, transformé en mineur, Le Regret de l’amour ; à l’arrivée du corps, Siegfried gardien de l’épée, qui n’est plus représenté que par ses premières notes, Le Meurtre, La Justice de l’expiation, L’Anneau, La Malédiction, Le Sort. C’est sur ce dernier que Gunther est frappé.

Aussitôt Hagen veut s’emparer de la bague magique ; aussitôt aussi le bras du cadavre de Siegfried se redresse menaçant, serrant l’anneau dans son poing fermé, avec un terrifiant éclat de L’Épée, qui, même mort, le protège.

Alors, sur un large dessin formé du Déclin des dieux, des Nornes, du Rhin, et se terminant tragiquement par Le Sort, apparaît Brünnhilde. À la fin de sa première phrase, le développement du Sort nous donne le chant de La Mort. Elle congédie Gutrune, lui rappelant sa perfide Bienvenue, et, par le thème de L’Héritage du monde, se proclame la seule véritable épouse du héros mort ; sur un dernier rappel de La Trahison par la magie, Gutrune maudit Hagen auquel elle a obéi, et se retire honteuse et désolée.

À partir d’ici, le personnage de Brünnhilde remplira seul cette inoubliable scène de terreur grandiose et resplendissante, tellement splendide et émotionnante qu’elle ne saurait être décrite.

Pendant que Brünnhilde ordonne qu’on élève un bûcher, qu’on aille chercher son cheval, les motifs dominants sont : La Puissance divine, Le Charme des flammes, Siegfried gardien de l’épée, La Chevauchée ; ensuite reparaissent de tendres souvenirs, avec Le Salut à l’amour et un rappel de L’Épée (que nous entendons ici pour la dernière fois) ; ces touchants accents sont brusquement coupés par les trois significatifs coups d’orchestre que nous avons trouvés pour la première fois dans le terrible Duo du 1er acte (scène iii) ; dans l’action du héros alors sous le pouvoir dun charme, ils avaient pour signification ce qui était pour lui la loyauté chevaleresque ; ici, ils représentent pour Brünnhilde la froide et incompréhensible trahison. Après un rappel du Sort, elle s’adresse aux dieux ; alors, c’est Le Walhalla, L’Annonce d’une nouvelle vie, qui reparaissent plus émouvants que jamais ; à La Servitude, à La Malédiction de l’anneau, et à La Détresse des dieux, succède comme un adieu, triste et pourtant radieux, un dernier Salut au Walhalla.

La Puissance divine reparaît un instant, suivie du Déclin des dieux et du Rhin, trois motifs prochement apparentés ; c’est aux Filles du Rhin qu’elle parle, maintenant, de L’Or qu’elle va leur rendre, sous la forme de L’Anneau que le feu du bûcher va enfin délivrer de La Malédiction qui pèse sur lui.

Aux accents d’une énergie brutale du Traité succèdent les dessins crépitants du Charme des flammes, de Loge, du Déclin des dieux, des Nornes ; Brünnhilde a saisi une torche, et, après avoir embrasé le bûcher, elle a lancé un brandon d’incendie jusqu’au Walhalla.

La Chevauchée reparaît, impétueuse et farouche ; c’est à son fidèle Grane qu’elle s’adresse à présent, c’est lui qui la portera vivante sur le bûcher, et y mourra héroïquement comme elle. Alors apparaît dans sa prodigieuse splendeur le magnifique motif de La Rédemption par l’amour, que l’auteur génial, après nous l’avoir seulement laissé entrevoir au 3e acte de « la Walkyrie » (scène i, dans le rôle de Sieglinde), a tenu en réserve pour en faire ici l’auréole vibrante de la pure et intrépide héroïne. Ce jnotif vasans cesse montant et grandissant, s’entrelaçant amoureusement avec celui de Siegfried gardien de l’épée, pendant que l’exaltation, encore excitée par le pétillement incessant des Flammes, atteint au paroxysme de l’intensité ; soudain, avec un entraînant éclat de son ancien Cri de Walkyrie, elle enlève son noble cheval au galop, et tous deux vont s’effondrer dans le brasier ardent !

Les flammes s’élèvent, le feu siffle, les motifs de Loge et des Flammes font rage, Le Sommeil éternel s’étend largement, Le Rhin monte et envahit la scène ; La Malédiction de l’anneau se fait entendre encore une fois, mais brisée, inachevée ; le tenace Hagen se précipite dans les flots pour saisir l’anneau, que, joyeuses, ont enfin reconquis Les Filles du Rhin.

Le drame est accompli,… mais il reste à entendre un prodigieux Épilogue purement instrumental, pendant lequel l’émotion, qui semble à son comble, va pourtant s’accroître encore, et cela par la seule puissance de la musique et des combinaisons harmoniques des Leit-motifs. Pendant que le Rhin, s’apaisant graduellement, entraîne en son cours Les Filles du Rhin jubilantes, folâtrant avec leur anneau d’or, pendant que Le Walhalla, perdu à tout jamais, définitivement condamné, mais toujours superbe et solennel, s’éclaire des lueurs de l’incendie naissant qui va le dévorer et l’anéantir, vient planer au-dessus de tout, comme l’enivrant et suave parfum qui s’exhale de l’âme pure de Brünnhilde, comme l’épanouissement de son immense tendresse, le chant radieux de la Rédemption par l’amour, devenant de plus en plus éthéré… Tous ces motifs s’échelonnent comme dans un rêve prophétique et lumineux, sans se confondre, chacun conservant immuable son caractère, soit grandiose, soit enjoué, soit extatique, et il en résulte une impression complexe, indéfinissable, profondément troublante, qui plonge l’âme attendrie, après toutes ces scènes d’essence mythologique, dans un état de contemplation surnaturelle et d’idéalisme presque chrétiens.

Je donne ici, dans les quatre pages suivantes, une sorte de maquette montrant de quelle curieuse manière une si prodigieuse combinaison a pu être résolue, et en indiquant, à peu près, l’orchestration merveilleuse.

Ce qui attire d’abord l’attention, c’est le majestueux thème du Walhalla, confié à la famille des Tubas et à la Trompette-basse (les cuivres wagnériens), s’épandant avec solennité dans la mesure à 3/2 ; lorsque ce motif se tait momentanément, les Tubas sont remplacés par les Trombones, avec lesquels ils ne se confondent pas. — Pendant ce temps, aux Violoncelles, aux Altos et aux Harpes se dessine le mouvement ondulatoire des flots du Rhin, avec son rythme habituel à 6/8. — Les Hautbois et Clarinettes, auxquels s’adjoignent plus tard le Cor anglais et la 3me flûte, rappellent les souples évolutions des nageuses Filles du Rhin. — Ce n’est qu’en dernier qu’apparaît aux Violons, 1er et 2ds renforcés par deux flûtes, le thème resplendissant comme une merveilleuse apothéose, La Rédemption par l’amour, celui-ci dans une large mesure à 2/2, et tellement grand, tellement sublime en cette suprême transformation, que l’on se sent transporté dans les sphères de l’inconnu.

On retrouve ensuite La Puissance divine, qui s’effondre en traits de basses précipités ; on assiste à l’embrasement et l’écroulement du Palais des dieux, une dernière fois retentit la vaillante sonnerie du Gardien de l’épée, tandis que plane encore plus haut, dans les espaces célestes, comme une dernière et suprême bénédiction, la phrase consolatrice si douce et si noblement empreinte de sérénité, en laquelle se résume tout le drame :

La Rédemption par l’amour !
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C’est d’une ampleur inouïe, et tout cela se meut avec une telle aisance que l’auditeur n’éprouve pas un seul instant l’impression de la complication réelle en présence de laquelle il se trouve. Tous les motifs se détachent nettement, et les dissonances qu’ils forment parfois entre eux disparaissent grâce à la diversité nettement tranchée des timbres. Nulle confusion, nulle dureté ; on nage avec béatitude dans un océan embrasé de flots d’harmonie, on voudrait pouvoir prolonger indéfiniment cette sensation délicieuse, et, quelque lentement que le rideau se referme, on est toujours trop tôt arraché de ce beau rêve pour rentrer dans la réalité de la vie.

Et l’enseignement qui s’en dégage est celui-ci : « Elle a passé comme un souffle, la race des dieux ;… le trésor de ma science sacrée, je le livre au monde : ce ne sont plus les biens, l’or ou les pompes divines, les maisons, les cours, le faste seigneurial, ni les liens trompeurs des sombres traités, ni la dure loi des mœurs hypocrites, mais une seule chose qui dans les bons et les mauvais jours nous rend heureux : l’Amour ! » (R. Wagner.)



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  1. Le vrai nom est : Trilogie avec prologue, mais l’appellation de Tétralogie est consacrée par l’usage.
  2. Les Alfes (ou Albes) sont des génies tantôt supérieurs et beaux : les Alfes lumineux ; tantôt inférieurs : les Alfes ténébreux, « plus noirs que la poix ». Alberich était un Alfe noir.
  3. Loge seul conserve sa vigneur, car, en sa qualité de dieu secondaire, il ne participait point à la nourriture régénératrice. C’est à cause de son infériorité que nous le verrons, dans la suite du drame, séparer sa cause de celle des autres dieux.
  4. Hella personnifie la mort vulgaire. À elle appartiennent ceux qui périssent loin des combats.
  5. Vala est le nom que donnaient les Scandinaves aux prophétesses.
  6. Le terme classique adopté est : Le Crépuscule des dieux ; j’emploie ici le mot déclin uniquement pour éviter, dans la suite de cette analyse, la confusion entre le Leit-motif et la 4e journée de la Tétralogie.
  7. Les trois derniers motifs cités ici, La Paix, Siegfried trésor du monde et La Décision d’aimer, sont avec Le Sommeil ceux sur lesquels Wagner a composé la ravissante pièce symphonique « Siegfried-Idyll ». (Voir p. 71.)