André Lemoyne (Verlaine)

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Œuvres complètes - Tome VVanier (Messein) (p. 431-438).


ANDRÉ LEMOYNE


André Lemoyne, poète français, né à Saint-Jean-d’Angely, en 1822.

Aussi loin que remontent mes tout premiers souvenirs littéraires, le nom d’André Lemoyne y sonne, bien distinct, même parmi le retentissement d’autres poètes que j’appellerai magistrats : Hugo, de qui les Contemplations, son plus récent volume d’alors, étourdissaient mes quatorze et mes quinze ans ; Baudelaire, avec ses Fleurs du Mal, qui les scandalisaient et les charmaient ; Banville, qui leur faisait positivement l’effet d’un dieu, et Leconte de Lisle, absolument celui d’un très dur et non moins authentique prophète. De merveilleux débutants, Glatigny, Mendès, me plaisaient par-dessus tous : j’étais si jeune, il y a tant et tant de talent si raffiné (surtout dans Philoméla), mais très jeune dans les Vignes Folles et dans Philoméla ! Et ces derniers livres, avec de l’originalité déjà, procédaient tant des livres immédiatement antérieurs, qu’ils ne doivent guère faire qu’un avec eux. Mais quant à ce qui est d’autres recueils, je n’en vois qu’un qui m’ait bien frappé vers l’époque quasi enfantine dont je parle là et c’est celui d’André Lemoyne, tout discret, si discret qu’il n’a pas de titre et ne s’énonce que par les en-têtes de quatre pièces, plus que probablement les préférées de l’auteur, qui les a disposées sans même observer l’ordre de la pagination, en sous-titre, après son nom sur la couverture du mignon volume.


Chemin perdu.
Ecce Homo. — Renoncement.
Une larme de Dante


s’appelle donc tout simplement, si je puis ainsi m’exprimer dans l’espèce, le recueil en question. Une lettre approbative de Sainte-Beuve, du 20 novembre 1859 — ô « mes jeunes années ! » — décore le faux titre, et l’ouverture est faite par une pièce. Où sont-ils ? que, je ne mens pas, je sais par cœur, ainsi que bien d’autres encore, depuis le jour où je la lus pour la première fois. Aussi, qu’elle est, comme toutes les autres, pénétrante non moins qu’alerte, mélancolique et forte pourtant, d’une philosophie saine et bonne, du premier vers à la dernière strophe ! Cette dernière strophe ! Il s’agit d’une maison déserte :


Tous les petits grillons frileusement blottis
Qui, le jour de Noël avaient le cœur en joie,
Ne voyant plus l’hiver de sarment qui flamboie
Pour un autre foyer tristement sont partis.


Laissez-moi encore détacher ces vers entre les trente-deux, tous exquis, de ce petit quadro :


On voit encore des nids mais d’une autre saison.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


L’herbe haute envahit les jardins et les cours
Et, voilant le soleil, elle étouffe les roses.


Renoncement, auquel morceau l’auteur attache, une importance particulière, puisqu’il en a placé l’en-tête au seuil de son livre, dans le groupe d’entêtés qui, nous l’avons vu, y sert de titre modeste et fier, est comme un drame domestique, celui de la femme de trente ans qui s’ennuie, rêve d’adultère et n’est sauvée que par son enfant,


                                         une petite fille
Qui descend du berceau voyant qu’on l’oubliait,
Elle entr’ouvre la porte et d’un air inquiet,
Pieds nus sur le tapis, demande qu’on l’habille ;


Dès lors, et réveillée par les baisers qu’elle donne frénétiquement à l’angélique petite créature et où

elle-même.

Elle a senti passer quelque chose de Dieu,
Dès lors chez elle ………
……… la mère triomphe, elle a vaincu la femme !


Il y a peut-être bien de l’illusion en même temps que du scepticisme dans cette conclusion. Je ne crois guère pour ma part à de tels saluts et la moindre confession suivie d’absolution feraient à mon sens bien mieux l’affaire de toutes ces pécheresses par action et par omission. L’auteur lui-même en a comme un pressentiment quand il ajoute en façon de commentaire :


Vous ne descendez plus comme au temps d’Israël.
Beaux anges pèlerins des légendes antiques ;
Repliant pour jamais vos deux ailes mystiques.
Vous avez disparu dans les hauteurs du ciel…
Contre l’Esprit du mal qui pourra nous défendre
Dans ces rudes combats de l’austère devoir ?…


À l’église, mesdames ! M. le Curé et MM. les Vicaires vous y attendent au Seul tribunal misécordieux. Car, en vérité, je vous le dis, l’esprit de maternité lui-même, tant sublime qu’il puisse être, ne constitue pas la plus ferme des défenses contre le Péché. J’en ai vu, moi qui parle, des preuves des plus probantes. Et, s’il faut, informez-vous encore d’autre part jusqu’auprès de votre Racine qui l’a si bien fait dire à son épouvantable Phèdre, bien plus tragique parce que chrétienne au fond, que celle d’Euripide : Expertis credite Robertis, et allez vous faire blanchir ailleurs, à la seule Entreprise compétente, je veux dire. Ce qui n’ôte rien au très touchant et très parfait mignon chef-d’œuvre de Lemoyne, au moins !

Et à ce propos, le précieux petit bouquin nous montre un peu plus loin (Fleurs des morts) une autre femme. Celle-là n’a pas été « sauvée ». Nul enfant, nul prêtre, sans doute, sur sa route.


Cœur tout rempli d’oublis.
....................
Elle a ri quarante ans. Elle pleure à son tour.
....................


Allons, mesdames, à confesse, décidément ! —

Ecce homo et Stella maris, en dépit de leurs titres empruntés aux Livres saints et à la liturgie catholique, sont des poèmes purement humains, fort beaux tous deux, surtout le dernier, tout frémissant d’héroïsme attendri. L’Absent, qui les sépare est une façon de dialogue entre une mère et son fils. Il s’agit du père exilé. J’y cueille ces questions divines de l’enfant :


Voit-il sous d’autres cieux de plus beaux paysages,
De plus riches soleils ?
....................
Et n’espère-t-il pas être un jour consolé ?


Et la quasi-veuve de répondre noblement et simplement :


Ah, si Dieu veut qu’un jour le pauvre absent revienne,
Qu’il trouve ici l’enfant sans que la mère y soit,
Tu diras que jamais d’autre main que la mienne
N’a touché l’anneau d’or qu’il a mis à mon doigt.


Dans Une larme de Dante est respectueusement évoqué le grand Florentin, de passage à Paris, dont la silhouette ressort nette et plus pittoresque (l’affreux mot) que beaucoup de prétentieuses descriptions, prose et vers, trop connues, — de vers comme ceux-ci :


Entre des palais et des maisons de bois
Il aperçoit un fleuve au cours mélancolique
Et, dominant au loin la cité catholique,
Une forêt de tours, de clochers et de croix.
Il chercha le soleil !


N’est-ce pas que cet hémistiche est beau de surprise et encadre richement le sobre crayon ?… C’est d’ailleurs tout l’incident. Dante pleure en pensant à sa Florence. Un jeune ami qui l’accompagne commente cette « larme » et la veut consoler. Mais


« Tais-toi, dit le vieux Dante. Ils auraient trop d’orgueil.
Les Noirs, s’ils me savaient pleurant comme une femme. »
Et, rentrant son enfer de douleurs dans son âme,
Il sécha brusquement sa larme dans son œil.


Criez à l’exagération si vous voulez, mais ces vers me sont une occasion pour, profitant de leur tournure dantesque, c’est-à-dire simple et forte et du nom sublime apparu, remarquer en passant combien la manière de Lemoyne procède de Dante très lu, sans imitation aucune, je m’empresse de le dire, sans, par exemple, cette affectation qui parfois irritait Baudelaire dans les choses italiennes de Barbier (si admirablement lui-même dans les Iambes qui dédaigne sans doute exprès ce Maître, qui devait avoir ses justes raisons polémiques, j’oserai dire opportunistes, pour certaines réticences qui offusquent d’abord). Et la belle simplicité, la correction non pédante, l’effet sans effort qui sont la pure caractéristique du talent non point pédestre certes, mais calme et si net de notre auteur, procèdent visiblement d’une pratique longue et assidue du plus grand poète, avec Théroulde et Villon, du moyen âge. Je donne cet avis à coup sûr, bien que sans pouvoir m’appuyer sur un témoignage, car j’ai très peu connu Lemoyne et ses entours et n’ai jamais eu l’occasion d’entendre parler de ces choses, de ces parts.

Je m’aperçois que je suis en train d’analyser tout le petit volume qui fit mes chastes délices à l’âge où l’on est chaste en somme encore et que je viens de lire à nouveau à l’occasion de ce travail, dans une délicieuse sensation de revenez-y. Il faut bien s’arrêter pourtant. Pourtant aussi, quelle tentation de continuer ! Tant encore de citations jusqu’au dernier dernier vers tout frais dans sa structure solide, comme un arbre et comme d’un arbre, n’est-il pas vrai !


Le jour où la forêt s’habillera de vert.


Lemoyne n’a guère fait, n’a même fait que de grossir dans de copieuses proportions, fort heureusement, cette délicieuse plaquette qu’il semble, par parenthèse, que François Coppée ait dû lire bien souvent, avec quel fruit ! Que de vers encore à détacher, que de pièces à donner tout entières !


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Le soleil s’est levé rouge comme une sorbe.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Elle a du sang plus vif que du sang d’hirondelle.


Hélas ! Sat prala biberunt, et l’espace jaloux m’a dévoré.

Lemoyne vit dignement d’un bel emploi dans la maison Didot. C’est l’homme du Livre comme c’est l’homme d’un livre. Quoi de plus noble et de plus logique ?

Mais c’est aussi l’homme de la Nature merveilleusement traduite, du cœur combien finement deviné, de la femme sue et impeccablement appréciée, dite à ravir. Et quoi de mieux ?


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