Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors. Statuts des sodomites au XVIIe siècle./III/22

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Texte établi par Jean HervezBibliothèque des curieux (éditions Briffaut) (p. 113-116).

Bandeau de début de chapitre
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CHAPITRE XXII

LE GÉNÉRAL KULISBER FAIT UNE FAUSSE
ATTAQUE


Separateur-7-Vaguelettes orienté haut
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La tranchée était ouverte du côté que le fleuve Nerui faisait couler ses eaux, et c’était par là qu’on battait la place. Kulisber crut qu’en l’attaquant par l’endroit opposé on en viendrait plus facilement à bout. Ce fut en vain que son conseil lui représenta qu’il aurait à essuyer certains vents orageux qui retarderaient beaucoup ses opérations. Il persista dans son sentiment et se mit en marche avec l’élite de ses Ebugors. À voir la joie qui brillait sur leurs visages, on eût dit qu’ils volaient à la victoire. Quatre Chadabers, en qualité d’aides de camp, marchaient aux côtés du général ; après cela venaient quelques officiers des Caginiens qui avaient voulu le suivre à cette expédition.

Le fier Kulisber portait un casque orné d’une magnifique aigrette ; il tenait une lance énorme dont la vue seule inspirait de l’horreur ; le cheval qu’il montait rongeait fièrement son frein et semblait ne respirer que les combats. Mais ce qui méritait le plus d’attention, c’était son bouclier. Le travail en était merveilleux. On y voyait Jupiter qui, sous la forme d’un aigle, enlevait le jeune Ganymède. Apollon y paraissait inconsolable de la mort de son cher Hyacinthe. Le beau Narcisse cherchait inutilement à contenter sur lui-même la passion dont il était l’objet. Le tendre Nisus venait offrir sa vie aux Rutules pour sauver celle de son cher Euryale. Alexandre déposait l’orgueil du diadème aux pieds d’Ephestion, et le fougueux Alcibiade écoutait avec docilité les leçons du vertueux Socrate. Mais le graveur s’était voulu surpasser en représentant l’apothéose du célèbre Fouruchuda[1], qui reçut de son vivant des honneurs qu’on n’accordait aux empereurs romains qu’après leur mort.

Kulisber contemplait avec plaisir les images de ces héros. Il paraissait animé du désir de marcher sur leurs traces. Plein de ces nobles sentiments, il avance vers l’endroit qu’il voulait attaquer. Tous s’empressent à le suivre ; déjà il se croit sûr de la victoire et se flatte que tout va céder à ses puissants efforts. Mais il éprouva une résistance à laquelle il ne s’attendait pas. On fit sur lui et sur sa troupe une si furieuse décharge de mousqueterie que tous ses soldats épouvantés prirent la fuite et se retirèrent en désordre. Kulisber, furieux, s’écria dans l’excès de sa rage :

    Eh quoi ! lâches, vous fuyez tous !
    Des femmes triomphent de vous.
    Que devient cette audace altière ?
Soldats, ranimez votre ardeur guerrière.
        Mais non, je puis sans vous
            Mettre tout Cythère
            Sens dessus dessous.

Toute réflexion faite, se voyant ainsi abandonné des siens, il ne jugea pas à propos de s’exposer tout seul au péril qui le menaçait. Il revint joindre les alliés pour délibérer avec les autres généraux sur les mesures qu’il fallait prendre pour se rendre maîtres de la place.


Vignette de fin de chapitre
Vignette de fin de chapitre

  1. Fouruchuda, célèbre habitant de Spira, qui par zèle pour la défense d’une très nombreuse armée d’Ebugore, ayant été pris dans le combat, fut condamné et ensuite jeté au feu par l’ordre et le jugement des principaux partisans des Cythéréennes.(N. de l’A.)

    Les Mémoires du duc de Richelieu content que Louis XIV faillit être gâté de bonne heure par de mauvaises fréquentations : de la Trémoille, d’Epernon, dont les mœurs étaient très décriées. Ces intimités étant suspectes au cardinal de Fleury, celui-ci fit poursuivre avec la dernière rigueur les impudents sodomites. Un peintre fameux se donna la mort pour éviter le supplice que la police lui avait destiné et qui, selon nos anciennes coutumes, en est la peine légale. Du Chauffour le subit, et la police, qui le jugea par commission, fit proclamer le crime et la peine comme un grand événement. (Mémoires du maréchal duc de Richelieu, Paris, 1792, t.  V, p. 50.)