Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors (éd. 1733)/03
CHAPITRE. III.
Celui des Ebugors.
’est avec la plus grande ſurpriſe
que la Reine de Cythére a vu le
manifeſte impoſant, mais peu vrai des
Ebugors ſes ennemis. Obligés de tems
immémorial à payer des tributs, que
le Monde entier ſe fait un plaiſir d’acquiter,
Eux ſeuls prétendent refuſer
aux Cythéréennes l’hommage qu’ils leur
doivent. Esclaves nés de notre puiſſance
Nous nous ſommes fait un plaiſir d’adoucir
de tout notre pouvoir ce que leur
ſervitude avoit de facheux. Combien de
fois n’avons nous pas prêté une main
ſecourable à ceux d’entre eux que
quelques unes de nous pouvoient avoir
fatigués trop cruellement par le poids
d’un esclavage peu ménagè. Notre
Reine même notre aimable Reine oubliant
ce qu’elle devoit à ſon rang &
à ſa dignité, s’eſt mille fois abaiſſée au
deſſous de ſes eſclâves. Elle s’eſt mille
fois ſoumiſe à leurs foibleſſes pour partager
avec eux les peines de leurs redevances.
Helas ! tout eſt perdu devant
les ingrats, les bienfaits dont
on les comble ne font qu’ajouter à leur
mauvaiſe volonté. Ils ont lancé contre
nous des millions de reproches ſur
ce qui devoit leur prouver combien
nous avions d’attention pour eux.
Nos vaſtes bontés leur ont déplû.
Nous élargiſſions notre être pour donner
plus de champ à l’abisme des biens
ou nous les recevions & plus de matiére
à leur reconnoiſſance. Ils nous
ont fait des crimes de ce qui ne meritoit
que des louanges. Tout ce qui a
un air de grandeur les choque & leur
déplait : Voila ce qu’ils nous objectent
& ſur quoi ils fondent leur révolte &
le déni des tributs qui nous ſont dûs &
dont nous devons compte à la Nature.
Ces malheureux que leur ſacrilége fureur aveugle, renverſent l’ordre ètabli de tous tems. Ils conſomment entre eux & à pure perte des fruits dont nous devions diſpoſer & que nous ſavions faire valoir & pour leur utilité & pour la notre. Ils ſe devorent l’un l’autre par une feinte amitiè qui ne tend à rien moins qu’à la deſtruction entière du Genre humain. Chaque nouvelle Recruë dont ils augmentent leur nombre eſt un nouveau vol qu’ils font à la Socièté & un attentat contre les plus anciennes coutumes.
„ Nous ſommes les plus intéreſſées à nous oppoſer à de ſi dangereuſes innovations : Malheureuſes d’être contraintes de faire tomber de la main de ces criminels des armes que nous leur permettions quelque fois de tourner contre nous mêmes & ſans en prévenir les conſequençes fatales. La Trahiſon préſide maintenant à leurs exploits : ils n’oſent ſe préſenter en façe devant nous & attendent le moment de pouvoir nous attaquer comme des lâches qu’ils ſont ; mais qu’ils ne ſe flattent pas que nous leur tournions jamais le dos. C’eſt pardevant qu’ils doivent nous combattre pour triompher de notre valeur, & nous ſommes prêtes à nous ſacrifier & à répandre la derniere goute de notre ſang. Nous combattons pour les plaiſirs du monde, quel motif plus important peut nous engager à ſoutenir une querelle plus importante ?
Après cela on ne tarda pas à en venir aux actes d’hoſtilité : Avant d’entrer dans le détail de tout ce qui ſe paſſa pendant ce ſiége mémorable il eſt bon de faire connoitre le pays & les mœurs des differentes Nations qui compoſoient les deux armées.