Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors (éd. 1733)/07

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Chapitre VII


CHAPITRE. VII.


En quoy conſiſtoit la Garniſon
de Cythére
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Il y avoit dans la place une forte garniſon compoſée d’Emécodines, de Durpes, de Quetokes, de Carges & de Meauraquex.

Les Emécodines étoient les meilleures troupes de la place : Inſtruites de bonne heure dans le métier de la guerre ; Elles en connôiſſent les plus fines pratiques. Auſſi tout l’Univers retentit du bruit de leurs exploits. Ce corps a une ſi grande réputation qu’il ſuffit d’y être enrollé, pour qu’on n’oſe révoquer en doute votre courage, n’en euſſiez vous jamais donnée aucunne preuve. Dans le combat les Emecodines, n’en veulent qu’aux principaux officiers de l’armée ennemie, comme elles ſont plus avides de butin que de carnage, ſi quelqu’un tombe entre leurs mains, Elles ne le renvoyent qu’après l’avoir entierrement dépouillé. Quand elles ont vieilli dans le ſervice, on les fait paſſer au miniſtére, & ſi pendant leur jeuneſſe, Elles ont fait voir beaucoup de valeur, elles ne montrent pas moins de prudence dans un âge avançé.

Les Durpes n’ont point cet air grenadier qui ſied ſi bien à des guerrieres. On diroit en les voyant qu’il n’y a rien á craindre de leur part, mais perſonne n’entend mieux toutes les ruſes de l’art militaire : Quand l’ennemi paroit, Elles font ſemblant de prendre la fuite, & par ce ſtratagême attirent dans des lieux commodes ceux qui les pourſuivent. Il faut alors en venir aux coups, elles ſe défendent avec opiniatreté & n’ont coutume de ſe rendre qu’aprés avoir fait achepter bien cher la victoire.

Rien n’eſt plus difficile á dompter que les Quetokes. Ce ſont des troupes légeres qui vous échappent dans le tems même que vous croyez les tenir. Elles ſe trouvent au milieu du feu le plus vif ſans en craindre les effets. Leur cuiraſſe eſt impénétrable à tous les traits ; Elles ſavent á merveille garantir leur cœur des coups qu’on voudroit lui porter. Le ſeul deſir d’acquérir de la gloire leur met les armes à la main. Quand l’ennemi eſt vaincu, Elles ſe contentent de l’emmener en Triomphe, & ne pouſſent pas ordinairement plus loin les avantages que leur donne la victoire.

La Troupe la moins eſtimée étoit celle des Carges. C’étoit une milice qu’on avoit levé dans les campagnes ou parmi les plus vils artiſans de la ville. Leur occupation eſt de faire la patrouille pendant la nuit. On les met auſſi en faction dans toutes les ruës étroites, les carrefours, les places publiques ; Si quelqu’un vient à paſſer, elles examinent s’il ne porte point d’armes à feu, & ſi elles trouvent un fuſil ou un piſtolet prêt à tirer, elles s’en ſaiſiſſent, & ne vous le rendent qu’après en avoir fait la dêcharge.

Il y avoit outre cela quelques brigades de Meauraquex. Ce ſont les gardes du corps de la Générale. Ils vont ordinairement à la découverte de l’ennemi, & tachent de l’attirer dans les lieux où les Cythéréennes ſe tiennent en ambuſcade. Quand ils ont engagé le combat, ils ſe retirent tranquilement Jusqu’a ce que l’affaire ſoit décidée. Comme ils connôiſſent parfaitement les véritables intérets de leur pays, ce ſont eux qu’on députe chez les Nations voiſines pour y ménager quelque’accommodement. Tantôt ils font les fonctions de guerriers, tantôt celles d’ambaſſadeurs ; Ils ſont également propres à ces deux emplois.

La place étoit abondament fournie de toute ſorte de proviſions & en état de faire une longue réſiſtance. Auſſi les Cythéréennes étoient bien réſoluës de combattre jusqu’à la dernière extrèmitè. L’envie de ſoutenir leur réputation & la haine qu’elles portoient à leurs ennemis, les ſoutenoient dans ces généreux ſentimens. Les Ebugors de leur côtè ne viſoient á rien moins qu’à la deſtruction totale de Cythére, Ils avoient une puiſſante armée, á la quelle ils ne croyoient pas qu’on pût reſiſter longtems. La ſuite nous fera voir s’ils ne ſe trompoient pas dans leurs conjectures.


Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors, 1733-Vignette
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