Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors (éd. 1733)/09
CHAPITRE IX.
es Omines parurent auſſi ſur les
rangs pour attaquer Cythère ; Mais
on ne faiſoit qu’un trés médiocre fond
ſur eux. Ils étoient presque tous
partiſans des Cythéréennes & ſe ſeroient
trés volontiers declarés pour elles, ſi
certaines raiſons de politique ne les en
avoient empéché. Les Omines s’exercent
de bonne heure dans la diſcipline
militaire, Leur nouriture eſt frugale,
leur habillement groſſier ; Ils couchent
ſur la dure, & éxécutent ſur le champ
les ordres d’un commendant impérieux :
La plus part de leurs Officiers font le
métier de Racoleur. Quand ils voyent
un jeune homme propre á devenir un
bon ſoldat, Ils l’acoſtent avec un air
doux & affable ; Ils le queſtionnent ſur
le parti qu’il a deſſein de prendre ; Ils
parlent avec mépris de toutes les profeſſions
même les plus honnorables, á fin d’avoir
occaſion d’exalter celle des Omines ;
Ils font ſonner bien haut les avantages
de leur état & pour donner plus de
poids á leurs raiſons, Ils font couler à
grand flots les vins les plus délicieux.
Comme ordinairement la jeuneſſe a beaucoup
de penchant pour les Cythéréennes,
& que les Omines ſe lient par ſerment à leur
déclarer la guerre, on fait entendre aux
jeunes gens qui tombent dans leurs filets,
qu’il y a plus de liaiſon entre ces aimables
héroines, & eux que l’on ne s’imagine,
mais qu’il faut dans ce commerce uſer de
ménagemens & de précautions pour ſauver
l’honneur du corps. Cet article eſt
en effet un de ceux qu’on leur accuſe
avec plus de ſincérité. Perſonne n’ignore
que dans quelque contrée que ſoient
établis les Omines ils y entretiennent les
plus étroites correſpondances avec les
Cythéréennes, & que malgrè les plus ſecrétes
précautions qu’ils apportent á dérober
aux yeux du public leurs intrigues
avec elles, Il arrive néanmoins fort ſouvent
que leur jeu venant á ſe découvrir
donne matière á la critique des médiſans
qui ne manquent pas d’habiller en ridicule
un ſerment que les Omines font de la
maniére la plus ſolemnelle, & qu’ils ne
font pas ſcrupule de violer à chaque instant
avec la plus grande facilité du monde.
Quoi qu’il en ſoit, c’eſt avec de pareils
artifices qu’ils font leurs recruës.
Ceux qui ſe laiſſent ſéduire par leurs diſcours,
prennent parti ſous leurs drapeaux, &
s’engagent avec eux, c’eſt pour toute
leur vie. Ils ne ſont pas longtems à
s’appercevoir qu’on les a trompès, le repentir
ſuit de prés l’engagement ; Mais
à quoi bon ? Ils ſont obligés de prendre patience
dut-ce être en enrageant. Ils ne
doivent plus ſonger à ſortir de l’eſclavage
& recouvrer leur libertè, Toutes les voyës
leur ſont interdites & fermées pour
toujours. Les peines les plus terribles
ſont le chatiment de la déſertion.
Les Omines compoſoient la meilleure partie de l’Armée des aſſiegeans. Chacun de leurs Régimens étoit diſtingué par un uniforme aſſez biſare.
Les Pacincus avoient d’épaiſſes mouſtaches & portoient un casque qui repreſentoit la figure d’un clocher : Ils entendoient aſſez bien la petite guerre, & on ſe ſervoit d’eux pour piller le payſan.
Les Lidercores étoient les plus beaux hommes de l’armée, avant de combattre on leur ordonnoit de crier de toutes leurs forçes pour effraier l’ennemi.
Les Macres portoient par devant & par derriére une petite cuiraſſe large de deux ou trois doigts, qui les préſervoit, diſoient ils, de tout accident ; Mais qui ne les pouvoit pas ſeurement garantir des traits que leur lancent les Cythéréennes.
Les Nicomidains marchoient enſuite, chargés de pluſieurs longues chaines dont chacune étoit compoſée de quinze gros anneaux & de Cent cinquante petits. Cette troupe doit ſon Inſtitution á un certain Niquomide qui fut leur premier chef. Ils rendent un espeçe de culte & d’hommage à une Divinité fabuleuſe appellée Remia, mortelle ennemie des Cythéréennes, Et cela, diſent’ils, par ce que par la faveur du Grand Génie Vedi, Elle êut l’addreſſe de conſerver dans ſon entier ſa fleur virginale, & d’ètre en même tems, mere d’un fils qui ſous le nom de Sives, prit naiſſance Contre toutes les regles de la Nature : C’eſt á dire, ſans connôitre de pere, ni legitime ni naturel. C’eſt de cette prétendue pucelle & mere tout á la fois, qu’ils ſe vantent d’avoir reçu les chaines qu’ils portent à leur ceinture. C’eſt en mémoire de ce don qu’ils ſont obligés d’en compter tous les jours un certain nombre de fois tous les chainons, l’un aprés l’autre, en marmottant entre leurs dents quelques parolles miſtigues á l’honneur de Remia. Le principal avantage qu’ils tirent de ces chaines, eſt d’en lier étroitement ceux dont ils veulent vuider la bourſe.
Les Caginiens formoient un corps des plus conſidérables & des plus redoutés d’entre les Ebugors, Ils n’avoient point de casque en tête comme les autres. mais ils portoient de grands chapeaux á larges âiles rabatuës, á l’ombre des quelles ils enviſageoient obliquement l’ennemi qu’ils avoient á combattre ; Ils avoient tous le col tors & la tête inclinée, figure ſimbolique de leur cœur faux & pétri pour ainſi dire de fourbes & de ruſes ; Jamais ils n’attaquoient leurs adverſaires en façe, mais il ne faiſoit pas bon leur tourner le dos car alors ils pourſuivoient les fuyards avec acharnement & ne leur faiſoient point de quartier, tout leur courage & leur habileté ſe réduiſant á épier & ſaiſir l’inſtant de prendre l’ennemi par derriére, Ces Omines ainſi que les précédens ont auſſi une ſinguliére vénération pour la Déeſſe Remia du moins en apparence.