Angéline Guillou/18

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Maison Aubanel père, éditeur (p. 50-52).

XVIII


La courte saison d’été prit bientôt fin. Les pêcheurs partis au printemps pour la Gaspésie commencèrent à rentrer un à un, ayant fait pour la plupart une saison assez fructueuse. Ceux qui s’étaient rendus aux bancs de Miscou et à Terre-Neuve revinrent un peu plus tard, tandis que d’autres, qui avaient traversé à l’île d’Anticosti pour y travailler à la coupe du bois, profitèrent du dernier bateau pour réintégrer leurs foyers.

Les plus forts d’entre eux repartirent immédiatement pour la chasse, de sorte que la population restée au village se résumait aux femmes, aux vieillards et aux enfants. Les jours sombres et moroses du mois d’octobre s’écoulèrent tristes et monotones. Puis vint la Toussaint qui apporta avec elle la traditionnelle bordée de neige, couvrant de son blanc linceul tout le littoral et jusqu’aux profondeurs de la forêt sans fin.

En ce jour de la commémoration des morts et malgré le froid, toute la famille Guillou visita l’humble cimetière. Devant la petite croix de bois portant cette simple inscription :

Ci-Gît
Marguerite Belliveau
Épouse
de Pierre Guillou.


toute la famille s’agenouilla sur la neige qui recouvrait le sol. Angéline, tenant le plus jeune de ses petits frères par la main, tremblait sous la froide bise de novembre, déshabituée qu’elle était du climat rigoureux de la Côte. Elle n’en récita pas moins à haute voix un De Profundis pour le repos de l’âme de sa mère.

Les tristes événements des mois écoulés passèrent tous dans sa mémoire de jeune fille si tôt éprouvée, comme pour lui rappeler les amertumes de la vie d’ici-bas.

Ce n’était pourtant pas ce qu’avait rêvé cette pauvre enfant, quand, toute joyeuse, elle s’embarquait le 24 juin pour retourner dans son cher pays. Toutes les horreurs de cette nuit terrible repassèrent dans sa mémoire. Elle se voyait encore ballottée par les flots courroucés ; son désappointement de ne pas voir son père au bateau, puis enfin sa mère mourant dans ses bras sans pouvoir lui rendre ses baisers, lui firent pour un instant douter de la justice divine ; mais se ressaisissant, d’une voix forte quoique empreinte de désespoir, elle s’adressa à celle qui l’avait sauvée des flots :

— Notre-Dame de la Garde, pardonnez à ma douleur et donnez-moi du courage !

Elle souffrit cependant les affres de l’agonie devant cette tombe à jamais fermée et que le nouveau linceul de neige dérobait davantage à ses yeux.

Le bon curé, qui suivait de loin ce pieux pèlerinage, manœuvra de manière à se trouver sur leur chemin au sortir du cimetière. Il trouva dans l’évangile et dans son cœur des mots de consolation appropriés aux circonstances, qui les laissèrent moins tristes et plus courageux.