Anna Rose-Tree/Lettre 34

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Veuve Duchesne (p. 182-184).


XXXIVme LETTRE.

À Mylord Stanhope ;
à Pretty-Lilly.

Mylord,

Il eſt temps de mettre un frein à la conduite déſordonnée d’Edward votre Fils. Sa fortune & ſon honneur ſont dans le plus grand danger. Craignez déſormais de l’abandonner à lui-même. Après avoir donné à Londres dans tous les excès, il a formé le projet de s’unir avec une Fille ſans mœurs, ſans principes, & dont la naiſſance eſt de la plus baſſe obſcurité. Il l’a ſuivie à ***, petite Ville à trente milles de Londres, & c’eſt en ce lieu que doit ſe célébrer leur union. J’ai été à portée, par le plus grand des haſards, de ſuivre les démarches d’Edward. S’il n’eut été queſtion que d’une intrigue ſans conſéquence, j’aurois évité de vous en inſtruire ; mais les choſes ſont pouſſées à un point que l’honneur me preſcrit de rompre le ſilence. Je vous ai fait connoître le danger ; il faut vous indiquer des remèdes. Votre Fils loge dans la rue de *** ; il n’a avec lui qu’un Valet-de-Chambre nommé Liquorice, un Laquais nommé Granade, & la Mère de ſon Valet, qu’il fait paſſer pour Mylady Stanhope. Le mariage eſt remis à quinzaine. Vous avez donc le temps d’envoyer un ordre à Edward de vous rejoindre au plutôt. Je doute qu’il héſite à obéir, mais dans ce cas, il faudra uſer de violence. Un jour viendra où il en ſera reconnoiſſant. Quels regrets n’auroit-il pas, & vous, Mylord ?…… Je frémis des ſuites qu’entraîneroit cette imprudente démarche : une fois l’ivreſſe de l’Amour diſſipée, de quels remords il ſeroit pourſuivi. Fui des honnêtes gens, abandonné des ſiens, il traîneroit dans la honte & l’infamie ſa malheureuſe exiſtence. Sa Femme elle-même, dont le cœur eſt abſolument corrompu, ſeroit ſans ceſſe un nouveau ſujet de douleur pour ſon époux infortuné… ; mais je m’abandonne trop à mon zèle. J’ai rempli mon devoir en vous avertiſſant ; je ſatisfais mon cœur en vous aſſurant de l’eſtime avec laquelle je ſuis votre très-humble Serviteur.

Avant peu, je me ferai connoître.

De … ce … 17