Anna Rose-Tree/Lettre 80

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Veuve Duchesne (p. 93-95).


LXXXme LETTRE.

Sir Charles Clarck,
à Sir William Fisher ;
à Londres.

Enfin, me voilà à Paris, mon cher William, & mon malheur me ſuit par-tout. Le changement de climat n’en a cauſé aucun ſur Mylady Clarck. La ſociété de ſon aimable Frère adoucit un peu la rigueur de mon ſort ; mais ma Femme, quelle étrange créature ! ne ſe laſſe pas de me tourmenter. Elle ſe tourne le ſang par les inquiétudes où elle eſt toujours ſur ma fidélité. Elle me croit amoureux exactement de toutes les Femmes ; il faut pour lui plaire que je ne m’abſente pas d’avec elle, & lorſque nous ſommes enſemble, elle m’accable de reproches ſans rime ni raiſon. Conçois-tu, mon Ami, un ſupplice comparable au mien. Depuis huit jours que nous ſommes arrivés, elle n’a pas voulu que je ſorte parce qu’elle étoit fatiguée de la route, & qu’il lui falloit du repos. Lorſque le Chevalier Barrito m’a ſollicité de l’accompagner au Spectacle, elle lui a répondu que ſous peu de jours nous irions enſemble, qu’il n’étoit pas décent que nous paroiſſions l’un ſans l’autre ; je ſuis comme un enfant qui ne peut avoir d’autres volontés que celle de ſon Mentor. S’il m’arrive de contrarier celui que le ſort m’a donné, toute la maiſon en eſt la victime. Mylady devient un diable ; j’aime encore mieux ſouffrir tout ſeul que de faire connoître ſon odieux caractère à une troupe de nouveaux Valets que nous avons pris ici. Tu ne m’as point écrit à ***, comme je t’en avois prié, & tu ne m’as pas marqué, dans ta dernière Lettre à Naples, ſi le mariage que tu avois projetté, étoit enfin conclu ; les objections que je t’avois faites au ſeul mot d’Hymen, ont ceſſé au nom de Miſs Simple, c’eſt une jeune perſonne charmante ; ſa liaiſon avec Lady Harris m’a mis à portée de la voir ſouvent, ſes qualités m’auroient ſéduit ſi, dans ce temps, je n’avois pas eu le cœur préoccupé par mon amour pour Fanny Ridge. Je te félicite ſur le bonheur dont tu jouiras avec cette Fille eſtimable ; te ſavoir heureux, c’eſt au moins une diminution à mes peines perſonnelles. Je me flatte que tu n’es pas aſſez injuſte pour douter de l’attachement de

Charles Clarck.

De Paris, … ce … 17