Anna Rose-Tree/Lettre 90

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Veuve Duchesne (p. 122-124).


XCme LETTRE.

Miſtreſs Mountain,
à Mylady Clemency ;
à Paris.

J’étois heureuſe, ma chère Émilie, mais vos peines troublent abſolument ma félicité, Intéreſſante Amie, il eſt donc certain que vous n’êtes née que pour ſouffrir ? Quels monſtres abominables que ceux qui veulent vous brouiller avec votre Époux ! je les maudis de toute mon ame ; mais je crois, comme Mylady Clemency, que l’innocence triomphera, & que les calomniateurs ſeront punis ; peut-être en ce moment tout eſt-il éclairci. Hâtez-vous de m’en inſtruire ; tout ce qui vous concerne eſt ſi important pour moi.

Le ſéjour de mylord Clarck à Paris m’a fait frémir, ſans pourtant le croire capable d’aucun mauvais procédé ; car vous ſeriez injuſte, Émilie, de le ſoupçonner de tremper dans de pareilles horreurs. Toutes ces aſſertions n’auront qu’un temps, mais quels ſeront vos dédommagemens ? votre tendreſſe vous en procurera dans les regrets de votre Époux. J’attends votre première Lettre avec une impatience proportionnée à mon amitié.

Mon mariage s’eſt célébré le ſurlendemain du jour où je vous ai écrit : tous mes Amis en ont témoigné la plus grande joie ; mais la mienne ſeule peut être comparée à celle d’Andrew, notre ivreſſe étoit à ſon comble. Comme ma Grand-maman n’a pas voulu ſe ſéparer de moi (ce qui étoit conforme à mes déſirs), & que Mylord a exigé qu’Andrew ne le quitteroit pas, il a été décidé que toute la maiſon Stanhope viendroit paſſer un mois à Break-of-Day, & qu’enſuite Mylady Green, Lady Wambrance, &c. demeureroient à Pretty-Lilly ; par ce moyen nous ſerons toujours enſemble. Cet arrangement s’eſt trouvé être du goût de tout le monde.

L’élévation d’Andrew n’a cauſé nulle jalouſie ; depuis long-temps il étoit autant révéré des Domeſtiques qu’aimé des Maîtres. Les fêtes ſont continuelles ; mais votre Lettre que je n’ai communiquée qu’à mon Époux, jette une teinture de triſteſſe ſur nous qui cauſe de l’inquiétude à nos Amies ; votre première les diſſipera ſans doute, je le déſire trop pour ne pas l’eſpérer. Adieu, ma chère Émilie, croyez à mon amitié comme je crois à la vôtre.

Anna Mountain.

De Break-of-Day, ce … 17