Annales de l’Empire/Édition Garnier/Conrad III

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CONRAD III,
vingt-unième empereur.

1138. Henri, duc de Bavière, surnommé le Superbe, qui possédait la Saxe, la Misnie, la Thuringe, en Italie Vérone et Spolette, et presque tous les biens de la comtesse Mathilde, se saisit des ornements impériaux, et crut que sa grande puissance le ferait reconnaître empereur ; mais ce fut précisément ce qui lui ôta la couronne.

Tous les seigneurs se réunissent en faveur de Conrad, le même qui avait disputé l’empire à Lothaire II. Henri de Bavière, qui paraissait si puissant, est le troisième de ce nom[1] qui est mis au ban de l’empire. Il faut qu’il ait été plus imprudent encore que superbe, puisque, étant si puissant, il put à peine se défendre.

Comme le nom de la maison de ce prince était Guelfe, ceux qui tinrent son parti furent appelés les Guelfes[2], et on s’accoutuma à nommer ainsi les ennemis des empereurs.

1139. On donne à Albert d’Anhalt, surnommé l’Ours, marquis de Brandebourg, la Saxe, qui appartenait aux Guelfes ; on donne la Bavière au marquis d’Autriche, Mais enfin, Albert l’Ours ne pouvant se mettre en possession de la Saxe, on s’accommode. La Saxe reste à la maison des Guelfes, la Bavière à celle d’Autriche : tout a changé depuis.

1140. Henri le Superbe meurt, et laisse au berceau Henri le Lion. Son frère Guelfe soutient la guerre. Roger, roi de Sicile, lui donnait mille marcs d’argent pour la faire. On voit qu’à peine les princes normands sont puissants en Italie qu’ils songent à fermer le chemin de Rome aux empereurs par toutes sortes de moyens. Frédéric Barberousse, neveu de Conrad, et si célèbre depuis, se signale déjà dans cette guerre.

Depuis 1140 jusqu’à 1146. Jamais temps ne parut plus favorable aux empereurs pour venir établir dans Rome cette puissance qu’ils ambitionnèrent toujours, et qui fut toujours contestée.

Arnaud de Brescia, disciple d’Abélard, homme d’enthousiasme, prêchait dans toute l’Italie contre la puissance temporelle des papes et du clergé. Il persuadait tous ceux qui avaient intérêt d’être persuadés, et surtout les Romains.

En 1144, sous le court pontificat de Lucius II, les Romains veulent encore rétablir l’ancienne république : ils augmentent le sénat ; ils élisent patrice un fils de l’anti-pape Pierre de Léon, nommé Jourdain, et donnent au patrice le pouvoir tribunitial. Le pape Lucius marche contre eux, et est tué au pied du Capitole.

Cependant Conrad III ne va point en Italie, soit qu’une guerre des Hongrois contre le marquis d’Autriche le retienne, soit que la passion épidémique des croisades ait déjà passé jusqu’à lui.

1146. Saint Bernard, abbé de Clervaux, ayant prêché la croisade en France, la prêche en Allemagne. Mais en quelle langue prêchait-il donc ? il n’entendait point le tudesque, il ne pouvait parler latin au peuple. Il y fit beaucoup de miracles : cela peut être ; mais il ne joignit pas à ces miracles le don de prophétie, car il annonça de la part de Dieu les plus grands succès.

L’empereur se croise à Spire avec beaucoup de seigneurs.

1147. Conrad III fait les préparatifs de sa croisade dans la diète de Francfort. Il fait, avant son départ, couronner son fils Henri roi des Romains. On établit le conseil impérial de Rotvell pour juger les causes en dernier ressort. Ce conseil était composé de douze barons. La présidence fut donnée comme un fief à la maison de Schults, c’est-à-dire à condition de foi et hommage, et d’une redevance. Ces espèces de fiefs commençaient à s’introduire.

L’empereur s’embarque sur le Danube avec le célèbre évêque de Freisingen[3], qui a écrit l’histoire de ce temps, avec ceux de Ratisbonne, de Passau, de Bâle, de Metz, de Toul. Frédéric Barberousse, le marquis d’Autriche, Henri duc de Bavière, le marquis de Montferrat, sont les principaux princes qui l’accompagnent.

Les Allemands étaient les derniers qui venaient à ces expéditions d’abord si brillantes, et bientôt après si malheureuses. Déjà était érigé le petit royaume de Jérusalem ; les États d’Antioche, d’Édesse, de Tripoli, de Syrie, s’étaient formés. Il s’était élevé des comtes de Joppé, des marquis de Galilée et de Sidon ; mais la plupart de ces conquêtes étaient perdues.

1148. L’intempérance fait périr une partie de l’armée allemande. De là tous ces bruits que l’empereur grec a empoisonné les fontaines pour faire périr les croisés.

Conrad, et Louis le Jeune, roi de France, joignent leurs armées affaiblies vers Laodicée. Après quelques combats contre les musulmans, il va en pèlerinage à Jérusalem, au lieu de se rendre maître de Damas, qu’il assiége ensuite inutilement. Il s’en retourne presque sans armée sur les vaisseaux de son beau-frère Manuel Comnène : il aborde dans le golfe de Venise, n’osant aller en Italie, encore moins se présenter à Rome pour y être couronné.

1148-1149. La perte de toutes ces prodigieuses armées de croisés, dans les pays où Alexandre avait subjugué, avec quarante mille hommes, un empire beaucoup plus puissant que celui des Arabes et des Turcs, démontre que dans ces entreprises des chrétiens il y avait un vice radical qui devait nécessairement les détruire : c’était le gouvernement féodal, l’indépendance des chefs, et par conséquent la désunion, le désordre, et l’imprudence.

La seule croisade raisonnable qu’on fit alors fut celle de quelques seigneurs flamands et anglais, mais principalement de plusieurs Allemands des bords du Rhin, du Mein, et du Véser, qui s’embarquèrent pour aller secourir l’Espagne, toujours envahie par les Maures. C’était là un danger véritable qui demandait des secours ; et il valait mieux assister l’Espagne contre les usurpateurs que d’aller à Jérusalem, sur laquelle on n’avait aucun droit à prétendre, et où il n’y avait rien à gagner. Les croisés prirent Lisbonne, et la donnèrent au roi Alfonse.

On en faisait une autre contre les païens du Nord : car l’esprit du temps, chez les chrétiens, était d’aller combattre ceux qui n’étaient pas de leur religion. Les évêques de Magdebourg, de Halberstad, de Munster, de Mersebourg, de Brandebourg, plusieurs abbés, animent cette croisade. On marche avec une armée de soixante mille hommes pour aller convertir les Slaves, les habitants de la Poméranie, de la Prusse, et des bords de la mer Baltique. Cette croisade se fait sans consulter l’empereur, et elle tourne même contre lui.

Henri le Lion, duc de Saxe, à qui Conrad avait ôté la Bavière, était à la tête de la croisade contre les païens : il les laissa bientôt en repos pour attaquer les chrétiens, et pour reprendre la Bavière.

1150-1151. L’empereur, pour tout fruit de son voyage en Palestine, ne retrouve donc en Allemagne qu’une guerre civile sous le nom de guerre sainte. Il a bien de la peine, avec le secours des Bavarois et du reste de l’Allemagne, à contenir Henri le Lion et les Guelfes.

1152. Conrad III meurt à Bamberg le 15 février, sans avoir pu être couronné en Italie, ni laisser le royaume d’Allemagne à son fils.


  1. Voyez 1054 et 1070 ; et aussi 1275.
  2. Voyez 1089.
  3. Il s’appelait Othon. Parmi ses ouvrages est une Chronique depuis le commencement du monde jusqu’en 1150, imprimée à Bâle, 1569, in-folio.