Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 02/Statique, article 3

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STATIQUE.


Recherche directe et rigoureuse des centres de gravité
du triangle et du tétraèdre ;
Par M. Gergonne.
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Dans la Correspondance sur l’école polytechnique[1], M. Berthot, professeur au lycée de Dijon, a présenté la recherche des centres de gravité du triangle et du tétraèdre, dégagée de toute considération d’infiniment petits et de limites. Sa méthode ne laisse rien à désirer du côté de la rigueur ; mais c’est une réduction à l’absurde qui, comme toutes les démonstrations de ce genre, a l’inconvénient de supposer que l’on sache déjà à l’avance à quel résultat on doit parvenir. Le but que je me propose ici est de traiter les mêmes questions par des méthodes directes qui me semblent plus simples et non moins rigoureuses que celles de M. Berthot.

AXIOME. Les centres de gravité des triangles et des tétraèdres semblables sont des points homologues de ces triangles et de ces tétraèdres.[2]

PROBLÈME. Déterminer le centre de gravité de l’aire d’un triangle quelconque ?

Solution. Soit (fig. 1) un triangle dont on cherche le centre de gravité ; soient les milieux de ses côtés. En joignant ces points par des droites, on divisera le triangle donné en quatre autres qui lui seront semblables, et dont les dimensions seront moitié des siennes.

Soit pris pour base du triangle donné, et soient pris ses homologues pour bases des triangles résultant de sa décomposition. Soient l’aire du triangle donné, sa hauteur et la distance de son centre de gravité à sa base ; soient les quantités analogues, pour l’un des petits triangles ; on aura (Axiome)

Remarquons présentement que les distances des centres de gravité des deux triangles et à la droite sont également  ; que celle du centre de gravité de à cette droite est  ; et qu’enfin celle du centre de gravité de à la même droite est

Si donc on prend pour axe des momens, on devra avoir

d’où

donc

Ainsi, La distance du centre de gravité de l’aire d’un triangle à la base de ce triangle est le tiers de sa hauteur ; d’où il est aisé de conclure que ce centre se trouve à l’intersection des droites qui joignent les sommets du triangle aux milieux des côtés opposés.

LEMME. Le centre de gravité du volume d’un octaèdre, régulier ou non régulier, mais dont les faces opposées sont des triangles égaux ayant leurs plans parallèles, est à son centre de figure ; c’est-à-dire, au milieu de la droite qui joint deux sommets opposés quelconques ; ou encore à l’intersection des trois plans qui divisent l’octaèdre en deux pyramides quadrangulaires égales ; d’où il suit que la distance de ce centre à l’une des faces de l’octaèdre est moitié de l’intervalle qui sépare cette face de celle qui lui est opposée.

Démonstration. Il est aisé de se convaincre, en effet, que l’octaèdre dont il s’agit ici est symétrique par rapport à trois plans passant par le point que nous assignons comme son centre de gravité.[3]

PROBLÈME. Déterminer le centre de gravité du volume d’un tétraèdre ?

Soit (fig.2) un tétraèdre dont il s’agit de déterminer le centre de gravité. À la moitié de la distance entre ses sommets et les faces opposées soient conduits des plans parallèles à ceux de ces faces ; ces plans en détacheront quatre tétraèdres qui lui seront semblables, et qui, ayant leurs arêtes moitié des siennes, auront chacun le de son volume. Ces tétraèdres enlevés, il restera un octaèdre ayant ses faces opposées égales et parallèles, et un volume moitié moindre que celui du tétraèdre proposé.

Soit prise pour base du tétraèdre , et soient prises pour bases des quatre petits tétraèdres les faces homologues à celles-là. Soient désignés par le volume du tétraèdre proposé, par sa hauteur, et par la distance de son centre de gravité au plan de sa base. Soient désignées par les quantités analogues, pour chacun des petits tétraèdres ; et soit enfin désigné par le volume de l’octaèdre ; nous aurons (Axiome)

Remarquons présentement que la distance du centre de gravité de chacun des petits tétraèdres au plan est  ; que celle du centre de gravité de à ce plan est  ; et qu’enfin celle du centre de gravité de l’octaèdre au même plan est (Lemme) égale à

En prenant donc pour le plan des momens, on devra avoir

donc

ou

d’où

Ainsi, la distance du centre de gravité du volume d’un tétraèdre au plan de sa base est le quart de sa hauteur ; d’où il est facile de conclure que ce centre est situé à l’intersection des droites qui joignent les sommets du tétraèdre aux centres de gravité des aires des faces opposées ; et, par suite, qu’il est situé au milieu de la droite qui joint les milieux de deux arêtes opposées quelconques.[4]

  1. Tom. 1, n.o 7, pag. 229.
  2. À l’exemple d’Archimède, j’ai cru pouvoir admettre cette proposition au nombre des Axiomes ; mais, si l’on en jugeait autrement, on pourrait la remplacer par la suivante qui se démontre facilement.

    LEMME. Les distances des centres de gravité de deux triangles ou de deux tétraèdres semblables, aux bases de ces triangles ou tétraèdres, sont proportionnelles à leurs hauteurs.

    Voici de quelle manière peut se démontrer cette proposition.

    I. Soient et les hauteurs de deux triangles semblables ; soient , les angles des bases de ces triangles ; soient enfin et les hauteurs respectives de leurs centres de gravité au-dessus de ces bases.

    étant donnés, le premier de ces deux triangles est absolument déterminé ; son centre de gravité l’est donc aussi ; il en doit donc être de même de la distance de ce point à la base du triangle ; le rapport de cette distance à sa hauteur doit donc être également déterminé ; et conséquemment on doit avoir, au plus,

    désignant, une fonction encore inconnue, mais absolument déterminée.

    Or, il est impossible que , qui est une ligne, entre dans le second membre de celle équation, puisqu’alors cette ligne se trouverait être seulement fonction des deux angles , et du nombre abstrait On doit donc avoir simplement

    on aura donc pareillement, pour l’autre triangle,

    d’où on conclura

    II. Si et sont les hauteurs de deux tétraèdres semblable» dont et soient les hauteurs respectives des centres de gravité au-dessus des plans de leurs bases ; en désignant par , deux des angles de ces bases, et par les angles dièdres que les trois autres faces forment avec elles ; par un raisonnement semblable au précédent on prouvera que, bien que la détermination complète des deux tétraèdres exige que l’on connaisse, outre les cinq angles leurs hauteurs et , on doit néanmoins avoir

    et conséquemment

  3. Voyez le tome I.er des Annales, page 355 et suivantes.
  4. Voyez la Correspondance sur l’école polytechnique, tome ii, n.o 2, page 96.