Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 03/Analise élémentaire, article 1

La bibliothèque libre.

ANALISE.

Théorie de l’élimination, entre deux équations de degrés
quelconques, fondée sur la méthode du plus grand
commun diviseur ;
Par M. Bret, professeur à la faculté des sciences de
l’académie de Grenoble.
≈≈≈≈≈≈≈≈≈

J’ai donné, dans le XV.e cahier du Journal de l’école impériale polytechnique, une théorie de l’élimination, par le plus grand commun diviseur, que j’applique à la résolution de équations algébriques, de degrés quelconques, entre inconnues. Cette théorie, pour deux équations seulement, était déjà connue, et même répandue dans la plupart des élémens d’algèbre ; mais personne, que je sache, n’avait encore fait connaître le moyen de dégager l’équation finale des racines étrangères qui s’y introduisent nécessairement, par la nature des opérations, et, par suite d’estimer le degré de cette équation, réduite aux seules racines qu’elle doit contenir. J’ai fait réflexion depuis que ce point d’analise pouvait être présenté sous un point de vue beaucoup plus simple, et qui permet d’abréger considérablement les calculs. C’est là ce qui va faire le sujet de ce mémoire.

Soient deux équations complettes en et ordonnées par rapport à , la première du degré et la seconde du degré Supposons  ; en cherchant le plus grand commun diviseur des premiers membres de ces équations, avec les attentions prescrites dans le mémoire cité[1], on produira une d’équations dont les trois premières seront

Dans ces équations, sont des quotiens fonctions entières en et et sont respectivement les quarrés des coefficiens en des premiers termes des polynômes et

En vertu de la première équation, toutes les solutions ou couples de valeurs données par les équations sont aussi données par les équations plus simples

La seconde prouve que les solutions de et se composent des solutions de et , moins les solutions de et

Enfin on voit, par la troisième, que pareillement les solutions de et se composent des solutions de et moins celles de et

Dénotant donc en général par le symbole la totalité des solutions que fourniraient les équations et nous aurons

d’où nous conclurons

Avant de considérer un plus grand nombre d’équations, j’observe que doit renfermer comme facteur. En effet, étant respectivement des polynômes en des degrés à chaque valeur tirée de l’équation il correspondra dans l’équation dont le premier terme disparaîtra, valeurs de qui devront également satisfaire aux équations donc , qui est un polynôme du degré par rapport à , devra être nul de lui-même lorsqu’on y fera puisque, dans le cas contraire, une équation aurait plus de racines que d’unités dans son exposant[2]. Le calcul prouve, en effet, que est divisible par [3]. Quant à comme pour , il reste généralement du degré il s’ensuit qu’à chacune de ces valeurs de les équations et font connaître les mêmes racines pour , c’est-à-dire, qu’on a, suivant notre notation,

Soit donc on aura

ou, par ce qui précède,

puis donc on a

on aura, en substituant,

d’où l’on volt que la division de par a fait évanouir les solutions étrangères qu’avait introduit la multiplication par  ; la division du reste suivant par ferait de même évanouir les solutions étrangères que la multiplication par ce même facteur a introduite ; et l’on voit qu’en général en ayant l’attention de diviser chaque reste, à mesure qu’on opère, par le quarré du coefficient du premier terme de celui des restes précédens dont l’ordre numéral est moins élevé de deux unités ; outre que les calculs deviendront plus simples, l’équation finale en se trouvera absolument délivrée de toute solution étrangère. Voyons présentement quel sera le degré de cette équation finale. Représentons simplement les deux équations proposées comme il suit :

et supposons qu’on opère exactement comme il vient d’être prescrit. Voici le tableau des dividendes successifs égalés aux produits des diviseurs par les quotiens, augmentés des restes dans lesquels on a mis en évidence le facteur à supprimer :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

On voit par là que la forme générale des restes successifs est

on en déduira la forme du dernier reste en remarquant que, ce dernier reste ne devant plus renfermer , la valeur de qui lui est relative, doit être déterminée par la condition d’où et  ; l’équation finale en qui n’est autre chose que ce dernier reste égal à zéro, doit donc être de la forme

c’est-à-dire, que le plus haut degré auquel puisse s’élever l’équation finale résultant de l’élimination d’une inconnue, entre deux équations qui en renferment deux, est le produit des nombres qui expriment les degrés respectifs de ces équations.[4].

Si les équations ne sont pas complètes ; si, par exemple, elles sont de la forme

il faudra, avant d’exécuter la première division, multiplier le dividende par

en opérant ensuite comme dans le premier cas, ce multiplicateur se trouvera facteur du second reste, et les restes successifs seront de la forme

on aura donc pour le dernier reste, qui ne doit pas contenir , ou  ; d’où  ; l’équation finale sera donc de la forme

et, puisque et sont les degrés respectifs des équations proposées, il en faut conclure que le degré de l’équation finale sera le produit des degrés des équations proposées diminué du produit des degrés des coefficiens de leurs premiers termes.[5]

  1. Ces attentions consistent principalement à multiplier tout le dividende, chaque fois qu’on change de diviseur, et avant d’exécuter la division, par le quarré du coefficient da premier terme du diviseur. Par ce procédé, les deux termes du quotient se déterminent de suite, sans aucune difficulté. À la vérité cette préparation peut être superflue dans quelques cas particuliers ; mais, comme on a ensuite égard aux racines étrangères qu’elle introduit, elle est absolument sans inconvéniens.
    J. D. G.
  2. Ceux qui ne sont pas accoutumés à la marche de l’analise pourraient croire que ce raisonnement prouve seulement que est divisible par  ; mais, bien que l’équation ait ces racines égales deux à deux, ces racines ne s’en comportent pas moins comme autant de racines distinctes et inégales.
  3. Si, entre les équations

    on élimine il viendra

    or, comme est divisible par la question se trouve réduite à prouver que est aussi divisible par .

    Pour y parvenir, soient posés

    en sorte qu’on ait

    il faudra prouver que

    ou

    est divisible par .

    Or, d’après les relations qui existent entre et qui doivent avoir lieu indépendamment de toute détermination de on trouva facilement

    si, après avoir éliminé entre ces équations, on en tire les valeurs de et comme d’autant d’inconnues, pour les substituer dans la fonction ci-dessus, on se convaincra qu’elle devient, en effet, après les réductions, exactement divisible par

    J. D. G.

  4. On peut voir, dans le mémoire cité, comment l’auteur étend cette théorie à un nombre quelconque d’équations
  5. Quelque excusable que pourrait être M. Bret de montrer de la prédilection pour des méthodes qu’il a si heureusement perfectionnées ; il est loin néanmoins de se faire illusion sur leur insuffisance, et il convient que l’élimination, de quelque manière d’ailleurs qu’on y procède, est une opération à peu près impraticable, dès que les équations sont nombreuses et élevées, à raison de la longueur et de la complication des calculs qu’elle exige. Il désirerait donc que l’on pût déterminer tous les systèmes de valeurs des inconnues qui satisfont à des équations proposées, sans être obligé d’y avoir recours. C’est là, en effet, un sujet qui serait tout à fait digne de fixer l’attention des géomètres. Toute la difficulté du problème se réduirait évidemment à savoir déterminer sans résoudre aucune équation, 1.o les limites extrêmes des valeurs de chacune des inconnues ; 2.o une limite au-dessous de laquelle ne pût tomber la différence entre deux valeurs de chacune de ces mêmes inconnues.
    J. D. G.