Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 08/Géométrie élémentaire, article 4

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GÉOMÉTRIE

Sur quelques rectifications approchées de la circonférence
du cercle ;

Par M. Gergonne.
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Quoique les procédés de la géométrie permettent souvent de construire graphiquement des grandeurs que le calcul ne peut atteindre, il est cependant, dans la science de l’étendue, une infinité de problèmes qu’on ne saurait résoudre d’une manière rigoureuse, et à l’égard desquels on est contraint de se contenter d’une approximation plus ou moins parfaite.

Ces problèmes, tout comme ceux qui admettent une solution exacte, peuvent être envisagés ou arithmétiquement ou géométriquement. Sous le premier de ces deux points de vue, il s’agit de déterminer, par le calcul, un nombre qui soit sensiblement égal au nombre des parties de la ligne cherchée, rapportée à une certaine échelle ; et on peut, dans ce genre de recherches, recourir à tous les moyens d’approximation que la science des grandeurs a fait découvrir, tels que les séries, les fractions continues, les produits indéfinis, etc.

Sous le second point de vue, il s’agit de déterminer, par un procédé graphique, et sans le secours du calcul, une ligne qui ait une longueur sensiblement égale à celle de la ligne cherchée. Mais ce procédé graphique peut être géométrique ou mécanique. Il est dit géométrique, lorsqu’il ne dépend que de la ligne droite et de cercle, et que conséquemment son exécution ne réclame que l’unique emploi de la règle et du compas. Il est dit au contraire mécanique, lorsqu’il dépend d’une ou de plusieurs courbes différentes du cercle, qui ne peuvent être décrites d’un mouvement continu qu’avec des machines, autres que les deux instrument que nous venons de mentionner.

On peut remarquer au surplus que, le plus souvent, dans ce dernier cas, le procédé théorique est d’une exactitude rigoureuse ; et que le résultat qu’on en obtient n’est fautif qu’en ce qu’au lieu de décrire les courbes desquelles dépend la solution du problème d’un mouvement continu, ainsi qu’on le devrait, on se contente, dans la vue de se passer d’instrumens étrangers à la règle et au compas, de décrire ces courbes par points, ce qui fait qu’on ne parvient à déterminer qu’à peu près leurs intersections, soit entre elles soit avec les droites ou les cercles donnés.

Quoi qu’il en soit, il nous paraît que les procédés approximatifs qui ne supposent aucune courbe étrangère au cercle mériteront toujours la préférence sur les autres, toutes les fois qu’ils seront simples, tant par la facilité de leur exécution que parce qu’eux seuls peuvent conduire au but par un nombre d’opérations déterminé et connu à l’avance. Si même on considère que l’exactitude rigoureuse, dans les problèmes qui en sont susceptibles, n’est jamais et ne peut jamais être que spéculative, on ne saurait se refuser à penser qu’il pourrait souvent être avantageux, dans la pratique, de remplacer une construction rigoureuse, mais compliquée, par une construction purement approximative, mais qui, à raison de sa simplicité et de sa brièveté, exposerait réellement à une moindre erreur.

Parmi les problèmes non susceptibles de solution rigoureuse, celui où il s’agit de construire une ligne droite à peu près égale en longueur à la circonférence d’un cercle dont le rayon est donné, est sans doute un des plus piquants, et dont la solution est d’une application plus journalière. C’est d’ailleurs à ce problème que revient, en dernière analise, celui de la Quadrature du cercle, déjà tant de fois résolu, et néanmoins toujours à résoudre.

Il existe un très-grand nombre de procédés graphiques, pour la rectification approchée de la circonférence du cercle ; mais, comme ils ne sont, pour la plupart, le résultat d’aucune méthode systématique, et qu’ils paraissent ne devoir leur naissance qu’à un heureux hasard, ils ne laissent aucune trace dans la mémoire. On nous pardonnera donc si nous n’en mentionnons ici que trois seulement ; nous ne savons pas même si nous n’aurons pas, au contraire, besoin d’indulgence, pour nous être arrêtés si long-temps sur un sujet qui ne se rattache vraiment à aucune théorie.

I. Mascheroni, dans sa Géométrie du compas ; pag. 248, (Traduct. franc. Duprat, Paris, 1798), donne la méthode suivante, pour déterminer une droite d’une longueur égale au quart d’une circonférence donnée.

Soient le diamètre et le centre du cercle dont il s’agit (fig. 7) ; soit décrite une demi-circonférence sur ce diamètre ; soit porté le rayon sur cette demi-circonférence de en et de en les points et pris successivement pour centres, et avec leurs distances respectives aux points et pour rayons, soient décrits deux arcs se coupant hors du cercle en ensuite du point comme centre, et avec sa distance au point pour rayon, soit décrit vers un arc de cercle, coupant la circonférence en alors la corde sera sensiblement égale au quart de la circonférence.

Pour vérifier cette construction, il faut obtenir la longueur de Or, on a d’abord

d’où

donc

donc

si donc est l’intersection de et comme on aura

Le triangle donnera ensuite

c’est-à-dire,

On aura d’après cela

d’où

On aura donc enfin

c’est-à-dire, en substituant,

cela revient donc à faire

vérifions cette supposition.

On a d’abord, à moins d’une demi-unité près du quatorzième ordre

d’où

donc

on aura d’après cela, à moins d’une demi-unité près du huitième ordre

cela donnerait

mais on, a, à moins d’une demi-unité du 8.me ordre,

ce résultat est donc fautif de plus d’une demi-unité décimale du troisième ordre ; mais il présente cet avantage qu’on l’obtient par le seul usage du compas.

II. La Bibliothèque ci-devant britannique, et aujourd’hui universelle, qui accueille d’une manière toute particulière les spéculations de ce genre, ou qui, pour mieux dire, n’offre guère que des recherches de cette nature au lecteur géomètre, a donné, comme extrait d’un ouvrage allemand ; et sans nom d’auteur (tom. III, novembre 1816, pag. 221), le procédé que voici, pour construire une ligne droite sensiblement égaie à la demi-circonférence d’un cercle d’un rayon donné.

Soient le diamètre du cercle (fig. 8) et son centre. Soient menés en une tangente indéfinie et un rayon parallèle à cette tangente. Soit porté ce rayon de en vers sur la circonférence ; soit mené et prolongé le rayon jusqu’à sa rencontre avec la tangente en soit prise sur cette tangente, vers à partir de une partie triple du rayon ; alors la droite sera sensiblement égale à la moitié de la circonférence donnée.

Pour justifier cette assertion, cherchons l’expression de On a, par construction,

donc

donc enfin

c’est-à-dire,

ainsi cela revient à faire

Or, on a d’abord, à moins d’une demi-unité décimale du 14.me ordre,

d’où

ce qui donne, à moins d’une demi-unité décimale du 8.me ordre ;

et conséquemment

mais la véritable valeur est

ce résultat n’est donc en erreur que d’un peu plus d’une demi-unité décimale du 5.me ordre[1].

III. Mais de tous les procédés graphiques approximatifs, le plus exact est sans doute le suivant qui est dû à M. Pioche, statuaire distingué, résidant à Metz, et qui m’a été communiqué par mon ami M. Servois. Voici en quoi il consiste.

En un quelconque des points d’une droite indéfinie (fig. 9) soit élevée à cette droite une perpendiculaire égale au rayon donné ; soit porté trois fois ce rayon sur la même droite de en soit menée et, à la première division de soit élevée à cette droite une perpendiculaire rencontrant en Soit portée sur le prolongement de de en soit prolongée au-delà de ses extrémités et des quantités et égales entre elles et au rayon soit pris égal à plus un demi-quart ou à de soit encore pris égal au de alors sera sensiblement la longueur de la circonférence dont le rayon est

Pour justifier cette assertion, observons qu’on a

ce qui suppose

Or, on a, à moins d’une demi-unité décimale du 10.me ordre

d’où

ce qui donne successivement

La véritable valeur étant

il s’ensuit que l’autre n’est guère fautive de plus d’une unité décimale du 7.me ordre ; elle est donc plus approchée que le rapport même de Métius, qui pourtant l’est déjà beaucoup.

Si l’on pensait que ces sortes de recherches valussent la peine d’être suivies méthodiquement, voici, je crois, de quelle manière on pourrait procéder ; on pourrait d’abord soumettre à la discussion toutes les valeurs rationnelles approchées du nombre en prenant, par exemple, la valeur on en conclurait que la demi-circonférence est sensiblement égale à trois fois le rayon plus le 8.me du rayon plus le 8.me de ce 8.me 

On pourrait passer ensuite aux expressions irrationnelles, dans lesquelles on introduirait successivement on pourrait poser, par exemple,

prenant alors pour et deux fractions à peu près d’un même degré d’approximation, appelant la première et la seconde ; il viendrait

ou

On chercherait à résoudre cette équation avec des valeurs entières de les plus simples possibles ; et, lorsqu’on les aurait trouvées, on chercherait, à construire de la manière la plus facile l’expression qui donnerait ainsi la valeur approchée de on en ferait ensuite de même pour les expressions

on pourrait aussi, sans sortir du second degré, mettre à l’épreuve des expressions composées de plusieurs radicaux.

On peut aussi employer dans la même vue la géométrie expérimentale. Le rayon donné peut servir de base à une suite d’opérations graphiques, lesquelles donneront naissance à une multitude de droites de toutes longueurs que l’on pourra ou comparer immédiatement à la longueur déterminée à l’avance avec beaucoup de précision, ou dont on pourra, à mesure, comparer les valeurs numériques à celle de cette longueur Mais ce ne pourrait guère être là qu’un travail de cénobite ; et c’est une excellente raison à ajouter à tant d’autres de même force, en faveur du rétablissement des ordres monastiques. Jusque-là nous ne pourrons guère attendre que du hasard des résultats de la nature de ceux que nous venons de faire connaître.

  1. Le rédacteur de l’article de la Bibliothèque universelle paraît ignorer que le rapport de la circonférence au diamètre, donné par Lagny avec 128 chiffres décimaux, et qu’il cite, est fautif à la 113.me décimale, qui doit être un et non un et que Véga, qui a découvert cette erreur, a poussé le calcul de ce rapport à 140 chiffres décimaux.