Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 10/Analise indéterminée, article 3

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ANALISE INDÉTERMINÉE.

Sur une nouvelle classe de problèmes indéterminés
avec application à la décomposition des fractions ;

Par M. Gergonne.
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Les seuls problèmes indéterminés qu’on se soit proposés et qu’on ait cherché à résoudre jusqu’ici, sont ceux où, étant données des équations numériques, en moindre nombre que les inconnues qu’elles renferment, il s’agit de satisfaire à ces équations, par des valeurs des inconnues qui soient entières, si les équations ne passent pas le premier degré, ou tout au moins rationnelles ; si elles sont de degrés plus élevés.

Mais l’analise indéterminée peut être envisagée d’une manière beaucoup plus générale. Au lieu de supposer, en effet, que les données qui entrent dans les équations qu’il s’agit de résoudre sont de simples quantités numériques, on peut supposer que ce sont des fonctions d’une ou de plusieurs variables et au lieu de demander de satisfaire à ces équations par des valeurs numériques entières ou rationnelles de on peut se proposer de les résoudre par des valeurs de ces inconnues fonctions entières ou tout au moins rationnelles des mêmes variables

Qu’on ait, par exemple, entre les trois inconnues les deux équations

si l’on demande quelles sont les valeurs les plus générales de fonctions entières de qui y satisfassent, on trouvera

désigne une fonction entière de tout-à-fait arbitraire. On doit remarquer, au surplus, qu’ici les coefficiens numériques peuvent être fractionnaires, sans que les fonctions cessent pour cela d’être réputées entières. Une fonction entière des variables est simplement, en effet, une fonction où ces variables n’entrent point au dénominateur.

Soit encore, entre les deux inconnues l’équation

et supposons qu’on demande d’y satisfaire de la manière la plus générale par des valeurs de fonctions rationnelles de on trouvera pour ces valeurs


représente encore une fonction rationnelle de tout-à-fait arbitraire. Ici les coefficiens numériques pourraient être radicaux, sans que pour cela les fonctions cessassent d’être réputées rationnelles ; une fonction rationnelle des variables étant simplement une fonction qui ne renferme pas ces variables sous des radicaux.

Nous ne nous occuperons uniquement, dans ce qui va suivre, que de la résolution des équations du premier degré à deux inconnues, et même dans le seul cas où les données et les inconnues sont et doivent être simplement fonctions d’une seule variable Nous ferons voir ensuite que le problème de la décomposition des fractions n’est qu’un cas particulier de celui qui nous aura occupés.

Soit proposée l’équation

dans laquelle sont supposés des nombres entiers, et à laquelle on se propose de satisfaire par des valeurs entières de il est connu, 1.o que le problème n’est possible qu’autant que le plus grand commun diviseur de et se trouve être diviseur de 2.o que le problème se résout immédiatement lorsque le plus petit des coefficiens est l’unité ; 3.o enfin, que par des transformations plus ou moins nombreuses, on ramène facilement à ce cas celui où ce plus petit coefficient est différent de l’unité.

Ainsi, si l’équation proposée est

on aura, de suite,

et en prenant pour un nombre entier quelconque, on aura aussi un nombre entier pour la valeur correspondante de y.

Si, au contraire, l’équation à résoudre est

on l’écrira d’abord ainsi

posant

elle deviendra

qu’on pourra écrire ainsi

posant encore

elle deviendra

ou

posant enfin

nous aurons

d’où, en remontant,

Voilà donc des valeurs entières de fonctions d’un nombre entier tout-à-fait arbitraire.

Les équations indéterminées dans lesquelles les données et les inconnues sont et doivent être des fonctions entières d’une variable se traitent à peu près de la même manière. Soit en effet, en général, entre et une équation de la forme

dans laquelle sont supposés des nombres donnés quelconques, et à laquelle il faille satisfaire par des valeurs de et fonctions entières de il est facile de voir, 1.o que le problème ne sera possible qu’autant que le plus grand commun diviseur des coefficiens de et sera en même temps diviseur de la fonction de qui forme le second membre ; 2.o que l’équation sera immédiatement résoluble, si l’un des coefficiens est une quantité purement numérique ; 3.o enfin que, par des transformations plus ou moins nombreuses, on pourra toujours ramener à ce cas celui où les deux coefficiens seront l’un et l’autre des fonctions de

Soit, en premier lieu, l’équation

elle donnera immédiatement

formule où, en prenant pour une fonction entière tout-à-fait arbitraire de on aura aussi pour une fonction entière de

Soit, en second lieu, l’équation

en la multipliant par quarré du coefficient de la plus haute puissance des dans le coefficient le moins élevé ; on pourra la mettre sous cette forme

en posant

elle deviendra

Multipliant celle-ci par quarré du coefficient de la plus haute puissance de dans le coefficient le moins élevé, on pourra ensuite la mettre sous cette forme

posant ensuite

elle deviendra

et de là, en remontant,



voilà donc des valeurs de qui, en prenant pour l’une fonction entière quelconque de seront aussi des fonctions entières de cette variable ; en y changeant en ce qui est permis ; elles deviennent


est toujours une fonction entière quelconque de

Venons présentement aux applications que nous avons annoncées. Soit d’abord la fraction numérique qu’il faille décomposer en deux autres dont les dénominateurs soient respectivement et En désignant les numérateurs par et on aura

ou

d’où

où l’on peut donner à une valeur entière quelconque.

Si l’on veut que soit plus petit que racine du dénominateur, il faudra prendre et l’on aura ainsi

Par une semblable méthode, on décomposerait ultérieurement en deux autres fractions dont les numérateurs seraient l’un et l’autre moindres que On trouverait ainsi

Ainsi, en général, toute fraction numérique peut être considérée comme la somme algébrique d’une suite d’autres

dans lesquelles les numérateurs sont tous moindres que a.

Soit, en second lieu, la fraction à décomposer en deux autres dont les dénominateurs soient les deux facteurs premiers entre eux et de son dénominateur ? En désignant par les numérateurs respectifs de ces deux fractions, on aura

d’où

cela donne

Si l’on veut que les numérateurs soient plus petits que les dénominateurs, on pourra prendre cela donnera

On pourrait, par le même procédé, décomposer ultérieurement en deux fractions ayant et pour dénominateurs ; et des numérateurs plus petits que ces nombres. On trouverait ainsi

et nous venons de voir tout-à-l’heure comment se décomposaient les fractions de la dernière sorte.

Si, en général, on a la fraction numérique dans laquelle les nombres soient premiers entre eux, on pourra la décomposer en

dans laquelle les numérateurs seront moindres que les dénominateurs.

Cette application de l’analise indéterminée ordinaire a déjà été indiquée par M. Legendre (Théorie des nombres, dernière édition, pag. 26). La décomposition des fractions littérales, fonctions d’une variable, est une application toute semblable de la nouvelle analise indéterminée dont il vient d’être question ci-dessus.

Soit, en premier lieu, la fraction

qu’il faille décomposer en deux autres dont les dénominateurs soient et en désignant les numérateurs par on aura

ou

en résolvant cette équation comme ci-dessus, on trouve

Si l’on veut que soit d’un degré inférieur au second, et d’un degré inférieur au quatrième, il ne s’agira que de faire ce qui donnera

On décomposerait, par un semblable procédé, la dernière fraction en deux autres, ayant pour dénominateurs et et des numérateurs du premier degré au plus.

Soit, en second lieu, la fraction

qu’il faille décomposer en deux autres, ayant pour dénominateurs et en appelant et leurs numérateurs, nous aurons


ou bien


cela donne

Si l’on veut que les numérateurs soient d’un moindre degré que les dénominateurs, il suffira de poser et l’on aura


Nous sommes loin de prétendre, au surplus, que cette méthode soit préférable aux autres méthodes connues, et notamment à celle qui se trouve indiquée dans le précédent mémoire ; et nous avons eu simplement l’intention de faire voir comment le problème de la décomposition des fractions littérales se rattache à la nouvelle branche d’analise indéterminée que nous avons signalée.