Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 10/Géométrie analitique, article 2

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GÉOMÉTRIE ANALITIQUE.

Solution et construction géométrique du XXIV.e problème
de l’
arithmétique universelle de Newton ;

Par M. Gergonne.
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Le premier des trois problèmes de mathématiques proposés cette année au concours général des collèges royaux de la Capitale, m’a rappelé que j’avais résolu et construit depuis long-temps, d’une manière qui me paraît assez simple le XXIV.e problème de l’Arithmétique universelle de Newton, sur lequel les auteurs d’élémens sont si souvent revenus, et qui a quelque analogie avec celui-là. Je vais exposer ici la solution que j’ai obtenue de ce problème, telle que je la donne chaque année dans mes cours ; après en avoir, toutefois, un peu généralisé l’énoncé.

PROBLÈME. Deux droites indéfinies, se coupant sous un angle quelconque, étant données de position sur un plan, et un point du même plan étant donné de position par rapport à ces droites ; on propose de mener, par le point donné, une droite indéfinie de telle sorte que sa partie interceptée entre les deux droites données soit égale à une longueur donnée ?

Thèse. (fig. 3), se coupant sous un angle quelconque en sont les deux droites indéfinies données de position ; est le point donné de position par rapport à ces droites, dans l’angle et par lequel il s’agit de mener une droite de telle manière que sa partie comprise entre les deux droites données, soit égale à une longueur donnée

Discussion. Avant d’entreprendre de résoudre un problème de géométrie, il est souvent utile d’en examiner attentivement les diverses circonstances, de manière à s’assurer à l’avance du résultat qu’on doit s’en promettre. Livrons-nous donc à cette discussion pour le présent problème.

On voit d’abord qu’il est impossible de mener par le point une droite qui ait une partie finie interceptée entre les côtés de l’angle ainsi le problème ne saurait avoir de solution dans l’opposé au sommet de l’angle qui contient le point donné.

Si, par le point on mène deux droites, l’une passant par et l’autre parallèle à leurs parties interceptées entre les côtés de l’angle seront nulle pour la première et infinie pour l’autre. Si donc on conçoit que la première tourne autour du point en se rapprochant sans cesse de la seconde, sa partie interceptée entre les côtés de l’angle croîtra par degrés insensibles depuis zéro jusqu’à l’infini ; d’où il suit que, quelle que puisse être la longueur donnée il y aura toujours une position intermédiaire de cette droite mobile pour laquelle la partie interceptée sera égale à cette longueur ; et, comme on pourrait évidemment dire les mêmes choses de l’angle il en faut conclure que le problème a toujours nécessairement une solution effective dans chacun des deux supplémens de l’angle qui contient le point reste donc à savoir ce qui se passera dans cet angle même.

Remarquons d’abord qu’on ne saurait, par le poini mener une droite dont la partie interceptée entre les côtés de l’angle fût nulle, ni même d’une petitesse donnée ; c’est-à-dire, que cette partie interceptée est ici susceptible d’un minimum. Supposons donc, pour un moment, que ce minimum réponde à la position dans quelque sens que l’on fasse tourner cette droite autour du point sa partie interceptée dans l’angle croitra, dans l’un et l’autre cas, par degrés insensibles, jusqu’à pouvoir devenir infinie ; d’où il suit que, dans l’angle il y aura deux solutions, tant que la longueur donnée surpassera celle qui convient au minimum ; une seule, lorsqu’elle lui sera précisément égale ; et aucune lorsqu’elle lui sera inférieure ; c’est-à-dire, qu’en général il peut indistinctement y avoir deux solutions effectives, une seule ou aucune, dans l’angle même qui contient le point donné, suivant la grandeur de cet angle, la situation du point donné par rapport à ses côtés et la longueur donnée.

Ainsi, en résumé, le problème ne saurait jamais avoir ni plus de quatre ni moins de deux solutions effectives ; c’est-à-dire, qu’il doit conduire à une équation du quatrième degré, ayant nécessairement deux de ses racines réelles, tandis que les deux autres pourront être indistinctement réelles et inégales, égales ou imaginaires, suivant le rapport de grandeur des données.

Les quatre solutions sont représentées dans la figure 4, où sont les parties interceptées.

Solution. Soit pris l’angle qui contient le point donné pour angle des coordonnées positives, désignons-le par et soient les coordonnées du point donné. Une droite quelconque passant par ce point aura une équation de la forme

et la question se trouvera réduite à assigner la valeur de qui rend égale à la partie interceptée entre les axes des coordonnées.

Si, faisant successivement et égaux à zéro, dans cette équation, on la résout ensuite par rapport à et respectivement, on en tirera

ce sont donc là les segmens interceptés par notre droite sur les deux axes, à partir de l’origine ; ou, en d’autres termes, ce sont deux des côtés d’un triangle dont le troisième doit être et dont l’angle opposé doit être ce qui donne

c’est-à-dire, en simplifiant,

ou, en développant et ordonnant,

(1)

Telle est donc l’équation qui résout le problème.

Lorsqu’on a ainsi obtenu une équation renfermant une inconnue quelconque, rien n’est plus aisé que d’assigner l’équation qui résulterait du choix de toute autre inconnue ; il suffit pour cela de chercher une relation entre l’inconnue primitive et celle qu’on a dessein de lui substituer, et de se servir de cette relation pour éliminer la première des deux inconnues de l’équation déjà obtenue.

Supposons, par exemple, qu’à l’inconnue on veuille substituer le segment intercepté par la droite cherchée, à partir de l’origine, soit sur l’axe des soit sur celui des en représentant respectivement ces deux segmens par et par nous aurons, comme ci-dessus,

substituant successivement ces valeurs dans l’équation (1), elle deviendra, toutes réductions faites,

(2)

ou encore

(3)

On se comporterait de la même manière à l’égard de toute autre inconnue qu’on voudrait choisir.

L’équation (1) n’est point, en général, susceptible d’abaissement, et ne peut conséquemment fournir une construction graphique rigoureuse, exécutée avec la règle et le compas seulement ; mais si la relation entre les données était telle que le problème n’eût que trois solutions, ou, ce qui revient au même, que cette équation eût deux racines égales, le problème pourrait fort bien se résoudre alors géométriquement. En effet, la dérivée de cette équation qui est

devrait avoir lieu en même temps qu’elle. Éliminant donc entre l’une et l’autre, l’équation résultante en exprimerait la relation, entre les données, qui convient à ce cas. De plus, on obtiendrait, chemin faisant, une équation en du premier degré, ou tout au plus du second, dont la résolution conduirait à celle du problème proposé.

Si l’on suppose que les droites données sont perpendiculaires entre elles, on aura et l’équation (1) deviendra

les équations (2) deviendront, dans le même cas,

ou bien

et il n’en résultera aucune simplification notable dans la solution du problème.

Il n’en sera pas de même, si l’on suppose que le point donné est situé sur la droite qui divise en deux parties égales l’angle dans lequel il se trouve situé ; on aura alors, en effet, et l’équation (1) deviendra

équation réciproque qui conséquemment ne présente que la difficulté du second degré.

Rien n’est plus aisé que de se rendre compte de cette circonstance, et elle pouvait même être facilement prévue à l’avance. est, en général, le rapport des sinus des angles que fait la droite cherchée avec les axes des et des or, dans le cas particulier dont il s’agit ici, tout doit être symétrique par rapport à une droite indéfinie passant par l’origine et par le point donné ; d’où il suit que, si l’on plie la figure suivant cette droite, deux des droites qui résolvent le problème viendront se confondre avec les deux autres, tandis que les axes des et des coïncideront. Les angles formés par l’une de ces droites avec les axes des et des sont donc respectivement égaux avec ceux que forme sa correspondante avec les axes des et des d’où il suit qu’en changeant en l’équation ne doit pas changer, et qu’ainsi elle doit être réciproque.

Les mêmes considérations prouvent que, dans ce cas, la plus courte ligne qu’on puisse mener par le point dans l’angle qui le contient est la perpendiculaire à celle qui joint ce point à l’origine ; car en pliant la figure comme il vient d’être dit, cette perpendiculaire se confondra avec elle-même. On voit par là que, dans le même cas, le problème aura quatre, trois ou deux solutions, suivant que la longueur donnée sera plus grande que cette perpendiculaire, égale à cette perpendiculaire ou moindre qu’elle.

Notre équation réciproque en peut être écrite ainsi qu’il suit :

divisant tous ses termes par et rassemblant deux à deux ceux

qui se trouvent à égale distance des extrêmes, il viendra

ou encore

posant donc

d’où

cette équation deviendra

et donnera

d’où

et

substituant donc dans la valeur de elle deviendra

valeur que nous ne nous arrêterons pas à construire, attendu que nous pouvons parvenir à quelque chose de beaucoup plus simple.

Parmi les divers préceptes qui ont été donnés sur le choix de l’inconnue, dans les problèmes de géométrie, il en est de très-vagues et d’un succès fort incertain ; mais il en est un aussi qui mérite une attention particulière, parce que son utilité est de toute évidence : c’est ce qui prescrit de choisir de préférence pour inconnue, dans les problèmes susceptibles de plusieurs solutions, parmi toutes les quantités dont la détermination peut conduire à la résolution du problème, celle qui, dans les diverses solutions dont il est susceptible, subit le moindre nombre de variations.

Ce principe offre ici une application toute naturelle. Que l’on conçoive, en effet, des perpendiculaires abaissées de l’origine sur les quatre droites qui résolvent le problème, il est clair que lorsque, comme nous le supposons ici, la droite menée de cette origine au point donné divisera en deux parties égales l’angle dans lequel ce point se trouve situé, ces perpendiculaires seront égales, deux à deux ; de telle sorte qu’en prenant l’une d’elles pour inconnue, le problème ne sera plus que du second degré[1]. D’un autre côté, cette perpendiculaire une fois connue, rien ne sera plus facile que d’achever la construction du problème ; puisqu’il ne s’agira plus, pour cela, que de mener, par le point donné, des tangentes au cercle qui aurait l’origine pour centre et cette même perpendiculaire pour rayon.

Mais cherchons d’abord l’équation d’où dépend cette perpendiculaire, dans le cas le plus général, c’est-à-dire, dans le cas où elle est susceptible de quatre valeurs différentes.

Dans le cas des coordonnées obliques, en représentant par la perpendiculaire abaissée de l’origine sur la droite dont l’équation est

on aura

ou

il ne s’agira donc plus, pour avoir l’équation en que d’éliminer entre cette équation et l’équation précédemment obtenue

En prenant successivement les racines quarrées de leur produit et du quotient de leur division, on parvient aux équations plus simples

entre lesquelles l’élimination de conduirait, en général, à une équation en du quatrième degré.

Mais lorsque, comme nous le supposons ici, la dernière équation devient simplement

d’où

ou

d’où

substituant cette valeur dans l’autre équation, et divisant par il viendra enfin, en chassant le dénominateur, transposant, réduisant et ordonnant,

équation qui n’est plus que du second degré seulement.

Si, sortant de ces généralités, nous prenons le problème tel que Newton se l’est proposé ; c’est-à-dire, si nous supposons que les droites données se coupent perpendiculairement, nous aurons et cette équation deviendra simplement

d’où on tire

Rien n’est plus facile à construire que ces valeurs. Soient menées les deux coordonnées du point (fig.5), de manière à former un quarré soit portée la longueur donnée sur de en soit menée et par le point la parallèle à cette droite, se terminant en à soit portée sur de en et de en décrivant alors du centre commun et des rayons deux cercles concentriques, ces cercles seront ceux dont les tangentes, par le point résoudront le problème, qui, conséquemment, dans le cas de la figure, n’aura que deux solutions, puisque le point est intérieur à l’un des cercles.

On a en effet,

c’est-à-dire, en substituant,

valeurs qui ne diffèrent de celles de que par le signe de la dernière, qui n’est ici d’aucune considération.

On se convaincra facilement que le point ne saurait, dans aucun cas, être intérieur au plus petit des deux cercles ni même au quarré circonscrit dont les côtés seraient parallèles aux deux droites données. Si ce point se trouvait sur la circonférence du grand, le problème n’admettrait que trois solutions.

On conviendra qu’il serait difficile de découvrir une construction géométrique du problème plus simple que celle que nous venons d’indiquer. Ce problème peut, au surplus, dans le cas même le plus général, être très-aisément construit par un procédé mécanique ; il ne s’agit, en effet, pour cela, que de marquer sur l’arête d’une règle deux points dont la distance soit égale à la longueur donnée ; de promener cette règle sur le plan des droites données, de manière que les deux points marqués sur son arête soient invariablement sur ces deux droites. En l’arrêtant dans les deux, trois ou quatre positions où elle passe par le point, et menant des droites ; ces droites seront les solutions du problème[2].

Ceci peut fournir, au surplus, une manière assez commode de construire les racines d’une équation du quatrième degré qui n’en a que deux imaginaires au plus. Reprenons en effet l’équation dont les racines sont les quatre segmens que les droites cherchées déterminent sur l’axe des pour le cas où l’angle est droit et le point donné quelconque ; cette équation est

Si l’on fait disparaître son second terme, en posant elle deviendra

Supposons donc qu’on ait à construire l’équation, sans second terme,

on supposera qu’elle est la même que celle ci-dessus, ce qui donnera

d’où on tirera facilement

Traçant donc deux droites indéfinies, perpendiculaires l’une à l’autre, considérées comme axes des coordonnées ; prenant dans l’angle des coordonnées positives un point dont les coordonnées soient les valeurs de prises sur une échelle de parties égales ; résolvant mécaniquement notre problème pour ces droites et ce point et pour la longueur prise sur la même échelle ; les segmens déterminés sur l’axe des à partir de l’origine, pris avec leurs signes, réduits en nombres, au moyen de l’échelle, et diminués de seront les valeurs de

  1. Newton a bien aussi ramené le problème au second degré ; mais c’est d’une manière si détournée et si peu naturelle qu’aucun auteur d’élémens n’a cru devoir en faire mention.
  2. En d’autres termes, le problème revient à mener, par un point extérieur, une tangente à la courbe dont il a été question à la page 113 du précédent volume.