Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 12/Analise transcendante, article 2

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ANALISE TRANSCENDANTE.

Éclaircissemens sur la théorie de l’intégrale
prise depuis

Par M. Plana, professeur d’astronomie à l’université,
et membre de l’académie royale des sciences de Turin.
≈≈≈≈≈≈≈≈≈

I. On doit à M. Bessel une théorie fort remarquable de l’intégrale dans laquelle sont exposées des séries propres à en fournir la valeur numérique, pour une valeur quelconque de [1]. Suivant cette théorie, on obtient toujours une valeur réelle pour cette intégrale ; ce qui semblerait n’être pas d’accord avec la doctrine récemment exposée par M. Poisson, sur les intégrales dont les élémens passent par l’infini, comme cela a lieu relativement au cas dont il est ici question, toutes les fois que l’on prend pour une valeur plus grande que l’unité. Mais, tout en admettant la théorie de M. Poisson, il est facile de faire disparaître la contradiction qui se présente ici, à l’aide d’une distinction entre l’intégrale arithmétique et l’intégrale analitique.

Imaginons, pour un instant, l’existence d’une fonction finie de qui, étant différentiée, donne et soit cette fonction ; alors, l’intégrale que j’appelle analitique sera donnée par l’équation

celle-ci sera toujours imaginaire, lorsqu’on donnera à une valeur plus grande que l’unité, ainsi que nous le ferons voir.

Maintenant, si l’on construit sur le même axe et avec la même origine, 1.o la courbe ayant pour ordonnée

depuis jusqu’à

2.o la courbe ayant pour ordonnée

depuis jusqu’à

j’entends par intégrale arithmétique de une fonction de propre à donner la mesure de l’aire terminée par l’une ou l’autre de ces courbes ; ou bien la mesure de la différence des aires formées par une portion quelconque de la seconde courbe et la totalité de la première. Ainsi, en désignant par la fonction de l’abscisse qui donne l’aire négative terminée par la première courbe, on aura

pour l’intégrale arithmétique de depuis jusqu’à et, en désignant par l’aire positive terminée par la seconde courbe, on aura

pour l’intégrale arithmétique de depuis jusqu’à [2].

L’aire totale de la première courbe étant exprimée négativement par il est évident que

sera la mesure de la différence entre l’aire partielle de la seconde courbe, et l’aire totale de la première ; de sorte que nous ayons

pour l’intégrale arithmétique de correspondant à une valeur quelconque de plus grande que l’unité. Les formules données par M. Bessel fournissent la valeur de cette dernière fonction avec toute la précision désirable. Mais on conçoit bien que, en considérant ainsi l’intégrale en question, rien n’établit l’identité entre l’intégrale arithmétique représentée par et l’intégrale analitique représentée par

Il est vrai que cette identité a lieu, généralement parlant ; mais elle ne saurait, avoir lieu dans les cas particuliers où il n’y a pas une continuité physique entre les différentes parties de la courbe qui a pour ordonnée le coefficient de Alors l’analise pure met, pour ainsi dire, en évidence l’impossibilité d’une continuité physique dans la surface terminée par la courbe et l’axe des abscisses, en présentant, par l’intégration directe, un résultat en partie réel et en partie imaginaire. Plusieurs exemples démontrent que, en pareil cas, il suffit de supprimer la partie imaginaire du résultat ainsi trouvé, pour obtenir l’intégrale arithmétique ; mais je n’ose croire qu’un tel moyen puisse, dans tous les cas, être employé avec sûreté. Toutefois, je vais faire voir que du moins il est légitime, relativement à l’intégrale

II. En intégrant depuis jusqu’à il est clair que l’on a

donc, en changeant successivement en et nous aurons.


de là on conclura, en développant le binôme


ainsi, en posant, pour plus de simplicité,

on aura

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

et il est clair que les mêmes coefficiens donnent

(2)

Cela posé, si l’on écrit au lieu de on obtiendra, à l’aide de la formule (1),

ou bien, en exécutant l’intégration

En déterminant la constante arbitraire de manière que l’intégrale soit nulle lorsque il viendra

donc, en désignant par la valeur numérique de la série infinie et convergente

on aura

(3).

La valeur de la constante pourrait être trouvée avec toute la précision que l’on désirerait, en sommant un nombre suffisant de termes du second membre de l’équation mais ce moyen n’est pas le plus expéditif. Il y en a d’autres plus rapides, à l’aide desquels on a calculé ce nombre avec chiffres décimaux, dont les premiers donnent

Le second membre de l’équation (3), formé d’après les principes directs du calcul intégral, doit être regardé comme un véritable développement de l’intégrale analitique représentée plus haut par

Ce développement est évidemment réel et négatif pour toute valeur de positive et moindre que l’unité ; il augmente toujours dans le même sens, à mesure que approche de l’unité, et finit par devenir infiniment grand et négatif, lorsque À ce point, l’équation (3) donne

Lorsque surpasse l’unité, le terme est absolument imaginaire, il est même indéterminé, eu égard à la multiplicité des valeurs de  ; mais avant de tirer de là la conséquence que le second membre de l’équation (3) est effectivement imaginaire, il faut démontrer que la série affectée des coefficiens ne peut pas être elle-même le développement d’une fonction qui devienne imaginaire lorsqu’on a  ; car autrement on pourrait objecter qu’il y aura destruction entre les parties imaginaires.

À cet effet, remarquons que, si dans l’équation (3), on remplace par on obtient

(4)

Or, il est facile de voir que la valeur de cette série infinie est toujours assignable par une quantité réelle, en appliquant convenablement la méthode des quadratures à l’intégrale qui forme le premier membre de l’équation (4), et dont les élémens ne deviennent jamais infinis ; car, en suivant la marche de la courbe dont l’équation est

il est visible que ces ordonnées vont en décroissant, depuis et que l’on doit prendre lorsque puisque la loi de continuité exige que l’on prenne à ce point Au reste, cette courbe est tangente à l’axe lorsque car alors et l’équation (4) démontre que l’on a

pour l’expression de sa surface depuis jusqu’à ce qui est connu depuis long-temps.

Il me paraît donc incontestablement prouvé par là que le développement de l’intégrale analitique acquiert toujours une valeur imaginaire, lorsque est plus grand que l’unité ; et, par la nature même du développement des fonctions, on doit en conclure que cette propriété est inhérente à la fonction même supposée exprimée explicitement sous forme finie.

Il suit de là que la série (3) n’est propre à fournir l’intégrale arithmétique de que depuis jusqu’à de sorte que, conformément aux notations adoptées ci-dessus (I), on a


III. Pour avoir l’intégrale arithmétique de depuis remarquons que, d’après la formule (2), l’on a

ou bien

cette expression devant être nulle lorsque il faut prendre

ce qui donne un résultat que l’on peut mettre sous cette forme


donc, en écrivant à la place de et convenant que doit être plus grand que l’unité, cette équation donnera

pour l’intégrale arithmétique de prise depuis Cette valeur est, comme l’on voit, toujours infinie, à cause que  ; mais si, au lieu de cette aire, toujours positive, on convient de prendre la somme qu’elle constitue en lui ajoutant l’aire négative représentée par \psi(1), on aura

(6)

pour expression de la mesure de la différence absolue de ces deux aires. Pour peu que l’on examine la configuration des deux aires qui constituent cette différence, on sentira que cette série doit fournir des valeurs négatives pour des valeurs de fort rapprochées de l’unité ; mais, avant on voir succéder le signe positif au signe négatif ; de sorte qu’il y a certainement une abscisse, comprise entre et qui donne une valeur nulle pour l’intégrale arithmétique de Marcheroni et M. Bessel ont trouvé que ce point remarquable répond à

Maintenant, si l’on compare les deux séries fournies par les seconds membres des équations (5), (6), on voit que l’on peut réunir ces deux équations dans l’équation unique

(7)

en convenant que la quantité soumise au signe logarithmique doit être prise

Avec le signe lorsqu’on a
Avec le signe lorsqu’on a

C’est dans cette ambiguïté que consiste la différence essentielle entre l’intégrale arithmétique et l’intégrale analitique, laquelle doit toujours être unique, d’après la manière même dont on conçoit son existence ; mais il est remarquable qu’ici, comme dans d’autres cas particuliers, il suffise de changer, dans l’intégrale analitique (3), le terme en et de supprimer ensuite la partie imaginaire pour avoir l’intégrale arithmétique qui répond au cas où on a

IV. Jusqu’ici nous avons évité à dessein l’emploi de la série la plus communément connue pour donner la valeur de cette intégrale. On l’obtient en substituant pour la différentielle du second membre de l’équation

(8)

alors, en intégrant, on a

En partant de cette dernière série, tout ce qui était auparavant fort clair devient tout-à-fait obscur. Afin donc d’établir ici la clarté convenable, il faut d’abord remarquer que, au lieu de prendre

rien n’empêche d’écrire

Ensuite, il faut considérer la série (8) comme un véritable développement de l’une ou de l’autre des deux séries désignées précédemment par (5) et (6), et conclure de là la valeur de la constante arbitraire. Or, en substituant au lieu de

on conçoit la possibilité de transformer le second membre de l’équation (8) de manière que l’on ait

mais on a


donc, en imaginant développée, suivant les puissances de la seconde partie de ces expressions, on formera enfin, ou

ou bien

Ces deux séries devant être identiques avec l’une ou l’autre des séries (5) et (6), il faut en conclure que la constante est la même dans ces deux équations, et que sa valeur est précisément égale à celle du nombre désigné plus haut par Et, comme l’équation (8) fournit ces dernières par un calcul qui ne peut, en aucune sorte, modifier la constante arbitraire primitivement introduite, il faut en conclure, en outre que, dans cette même équation, on a lorsque l’intégrale doit être nulle avec D’après cela, il est hors de doute que, en posant

(9)

on a une véritable transformation de l’équation désignée par (7), où le signe ambigu doit être pris de manière que soit toujours une quantité réelle. Il serait sans doute plus satisfaisant de parvenir à ce même résultat en transformant directement la série qui constitue le second membre de l’équation (7) ; mais cela présente des difficultés assez graves dans l’exécution du calcul. Cependant, ce que nous venons d’exposer suffit pour écarter toute obscurité, et donner une signification précise des valeurs numériques et réelles de cette transcendante. Celles-ci sont en effet les seules qu’on doive employer, en général, dans les applications physiquement possibles. Les valeurs imaginaires, ou contraire, devront être prises en considération, lorsque cette intégrale se trouvera combinée avec d’autres expressions imaginaires, afin d’éviter toute méprise dans les résultats tirés d’une telle combinaison.

  1. Voyez le recueil périodique intitulé : Konigsberger Archiv Naturwissenchaft und Mathematik (janvier 1811) ; ou bien le Traité des différences et des séries de M. Lacroix, deuxième édition, chap. VI, pag. 525, n.o 1231.
    J. D. G.
  2. Pour bien suivre tout ceci, il faut avoir bien présente à l’esprit la nature de la courbe exprimée par l’équation laquelle est composée de deux parties distinctes, la première, entièrement située au-dessous de l’axe des et comprise entre l’axe des et une parallèle menée à cet axe à la distance a cette parallèle pour asymptote et va se terminer brusquement à l’origine ; la seconde, entièremeat située au-dessus de l’axe des et à droite de la parallèle dont il vient d’être question, est inscrite dans l’angle de ces deux droites qui en sont les asymptotes ; de sorte qu’elle a deux branches infinies, à la manière des hyperboles, et que la parallèle à l’axe des est asymptote commune des deux courbes.
    J. D. G.