Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 16/Géométrie élémentaire, article 9

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GÉOMÉTRIE PURE.

Usages de la projection stéréographique en géométrie ;

Par M. G. Dandelin, officier du génie, Professeur à Liège,
membre de l’Académie royale des sciences de Bruxelles.
(Extrait ; par M. Gergonne.)
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Si, ayant tracé, sur une hémisphère, une figure quelconque, on fait de cette figure une perspective telle que le plan du tableau soit le plan du grand cercle qui termine l’hémisphère et que l’œil soit situé à celui des deux pôles de ce grand cercle qui se trouve situé dans l’hémisphère opposée ; cette perspective sera ce que l’on appelle la projection stéréographique de la figure originale.

Il paraît que, des le temps de Ptolémée, on connaissait déjà les deux principales propriétés de cette sorte de projection, lesquelles consistent 1.o en ce que les projections des cercles sont elles-mêmes des cercles ; 2.o en ce que les projections de deux cercles qui se coupent se coupent précisément sous le même angle que ces cercles eux-mêmes.

On trouve dans le XI.e volume du présent recueil (pag. 153), une démonstration analitique de ces deux propositions ; mais cette démonstration est un peu longue ; et en conséquence nous croyons faire une chose agréable à nos lecteurs en lui substituant ici l’élégante démonstration de M. Dandelin, qui n’exige absolument ni construction ni calcul.

I. Soient d’abord menées, par un même point de l’hémisphère destinée au tracé des figures originales, deux tangentes quelconques à la sphère ; et examinons par quelles droites ces deux tangentes seront représentées sur le tableau. Pour y parvenir, concevons des plans par l’œil et par les deux tangentes ; ces plans couperont la sphère suivant deux cercles qui auront pour corde commune la droite menée de l’œil au point d’intersection des deux tangentes ; laquelle droite percera le tableau au sommet de l’angle formé par leurs projections ; et les intersections des plans de ces deux cercles avec celui du tableau seront évidemment les perspectives de ces mêmes tangentes.

Par l’œil soient menées des tangentes à ces deux cercles ; lesquelles sont aussi tangentes à la sphère ; elles seront, comme telles, parallèles au plan du tableau, et par suite parallèles aux perspectives des deux premières ; elles feront donc entre elles un angle égal à celui de ces perspectives ; mais elles feront aussi évidemment entre elles un angle égal à celui des premières tangentes ; puisque les unes et les autres sont menées aux deux extrémités de la corde commune aux deux cercles ; donc aussi les perspectives des deux premières tangentes font entre elles un angle égal à celui de ces tangentes elles-mêmes. Ainsi, les projections stéréographiques de deux tangentes en un même point de la sphère se coupent sous le même angle que ces deux tangentes ; elles sont donc rectangulaires si ces tangentes le sont elles-mêmes.

De là il est facile de conclure 1.o  que les projections stéréographiques de deux courbes quelconques tracées sur la sphère se coupent sous le même angle que ces courbes elles-mêmes, et sont conséquemment tangentes l’une à l’autre, si les courbes originales le sont elles-mêmes ; 2.o  que, par suite, la projection stéréographique d’une figure de petites dimensions tracée sur la sphère approche d’autant plus de lui être semblable que cette figure a moins d’étendue.

II. Concevons présentement que, sur l’hémisphère destinée au tracé des figures, on ait tracé un cercle quelconque ; et examinons par quelle courbe il sera représenté sur le tableau. Pour y parvenir, concevons qu’on ait circonscrit à la sphère un cône qui la touche suivant le cercle dont il s’agit ; soient le sommet de ce cône, un quelconque des points de la ligne de contact et la tangente au cercle en ce point, laquelle sera aussi une tangente à la sphère. L’élément du cône est également une tangente à la sphère au point et ces deux droites sont perpendiculaires l’une à l’autre. Donc (I) leurs perspectives sur le tableau doivent aussi être perpendiculaires l’une à l’autre.

Soient respectivement les perspectives des deux points et de la tangente la droite devra donc être perpendiculaire à la droite quel que soit d’ailleurs le points sur la circonférence du cercle dont il s’agit. Mais la droite est évidemment une tangente en à la perspective de la circonférence de ce cercle ; donc est une normale à cette même perspective au point La propriété caractéristique de la perspective de la circonférence du cercle dont il s’agit est donc de couper orthogonalement toutes les droites tracées par le point sur le plan du tableau ; propriété qui ne saurait appartenir qu’à un cercle qui a son centre en

Ainsi, la projection stéréographique de l’un quelconque des cercles de la sphère est un autre cercle dont le centre est la projection du sommet du cône qui touche la sphère suivant le cercle dont il s’agit.

III. Après avoir ainsi démontré les propriétés les plus saillantes de la projection stéréographique, M. Dandelin applique ce mode de projection à la démonstration d’un grand nombre de théorèmes de géométrie plane, à peu près comme on y avait employé jusqu’ici la perspective ordinaire. Sa méthode consiste, en général, à disposer la figure à laquelle se rapporte le théorème qu’il s’agit de démontrer, sur le plan du tableau, de telle sorte qu’elle devienne la projection stéréographique d’une figure sphérique dans laquelle le théorème analogue soit manifeste. Ne pouvant ici le suivre dans ses développemens, nous nous bornerons à citer, comme modèle, la manière dont il démontre les importantes propriétés des hexagones inscrits et circonscrits au cercle.

1.o Soit un hexagone quelconque circonscrit au cercle, et concevons une sphère dont ce cercle soit une section plane quelconque ; soit circonscrit à cette sphère un cône qui la touche suivant ce cercle ; par le sommet du cône et par le point où se coupent deux diagonales joignant des sommets opposés de l’hexagone, soit conduit une droite qui percera la sphère en deux points. Plaçons l’œil à celui de ces deux points qui est le plus distant du sommet du cône ; le tableau étant d’ailleurs disposé comme l’exige la projection stéréographique. La projection de la figure sera évidemment (II) un hexagone circonscrit à un cercle qui aura son centre à l’intersection des diagonales joignant deux couples de sommets opposés ; or, on démontre très-facilement qu’alors la diagonale joignant les deux sommets opposés restans passe aussi par le centre. Les diagonales joignant les sommets opposés de la projection passent donc toutes trois par le même point ; il doit donc en être de même dans la figure dont celle-là est la projection.

Le théorème de M. Brianchon ainsi démontré, on en déduit aisément celui de Pascal, à l’aide de la théorie des pôles ; mais M. Dandelin a préféré le démontrer directement comme il suit :

Soit un hexagone quelconque inscrit à un cercle, et concevons une sphère dont ce cercle soit une section plane. Soient les trois points de concours des directions des côtés opposés de l’hexagone ; par la droite menons du côté opposé à l’hexagone un plan tangent à la sphère, et plaçons l’œil au point de contact ; le plan du tableau sera alors parallèle au plan tangent.

Or, il est connu et d’ailleurs très-visible que, lorsque deux droites originales vont concourir en un des points d’un plan parallèle au tableau conduit par l’œil, leurs perspectives sont deux droites parallèles et réciproquement : donc les perspectives des côtés de l’hexagone qui concourent en ainsi que les perspectives de ceux qui concourent en seront des droites parallèles ; donc la perspective de la figure sera un hexagone inscrit à un cercle, dans lequel deux côtés seront respectivement parallèles à leurs opposés.

Or, il est très-aisé de démontrer que, dans un tel hexagone, les deux côtés opposés restans doivent aussi être parallèles ; donc la perspective de la figure sera un hexagone inscrit à un cercle, dans lequel les côtés seront tous parallèles à leurs opposés ; d’où il suit que les points de la figure originale doivent être tous trois sur le plan tangent à la sphère conduit par l’œil ; et, comme ils sont d’ailleurs tous trois aussi dans le plan de l’hexagone, il s’ensuit qu’ils appartiennent tous trois à une même ligne droite[1].

M. Dandelin parvient encore, par la même voie, à la construction que nous avons donnée pour la détermination du cercle qui en touche trois autres sur un plan[2]. Il est seulement à regretter qu’il s’y appuie sur une formule de la théorie des transversales ; attendu que la prééminence des méthodes du genre des sinus devrait tenir essentiellement à l’absence de tout calcul. Mais ce qu’il a fait jusqu’ici nous garantit suffisamment qu’il ne lui sera pas difficile de remplacer l’emploi de cette formule par quelques-unes de ces considérations purement géométriques qui lui sont si familières.

Quant à nous, quelque plaisir que nous ayons à faire connaître à nos lecteurs les élégantes recherches de M. Dandelin, nous désirons sincèrement que le recueil périodique dans lequel il en consigne les résultats soit assez répandu en France pour que nous puissions nous dispenser à l’avenir de les entretenir des choses intéressantes qui s’y trouvent contenues, et nous borner à en faire à nous-même notre profit.

  1. On peut consulter sur le même sujet la page 381 du IV.e volume du présent recueil.
  2. Voy. tom. VII, pag. 289, et tom. XIII, pag. 193.