Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 16/Optique, article 2

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OPTIQUE.

Solution de divers problèmes d’optique ;

Par M. Gergonne.
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Après avoir étudié, dans deux précédens articles[1], les lois générales qui régissent les rayons de la lumière, soit dans leur réflexion soit dans leur réfraction ; nous allons, suivant l’engagement que nous en avons pris, faire l’application de ces lois à quelques exemples choisis ; en nous bornant, pour le présent, au cas où tout se passe dans un plan, lequel embrasse aussi plusieurs cas de réflexion et de réfraction à la rencontre des surfaces de révolution ; et en renvoyant, pour un prochain article, les problèmes dont la résolution exige inévitablement la considération des trois dimensions de l’espace.

I. Rappelons d’abord sommairement le théorème fondamental, et établissons les équations générales qui s’en déduisent, et qui doivent servir à la résolution des problèmes que nous avons dessein de nous proposer. Ce théorème consiste simplement en ce que : à chaque trajectoire orthogonale des rayons incidens, il répond toujours une trajectoire orthogonale des rayons réfractés telle que, de quelque point de la courbe séparatrice que l’on mène des normales à ces deux trajectoires, les longueurs de ces normales seront respectivement entre elles dans le rapport constant du sinus d’incidence au sinus de réfraction.

Soient donc un quelconque des points de la courbe séparatrice, et les pieds des normales abaissées de ce point sur les deux trajectoires ; et supposons que le rapport du sinus d’incidence au sinus de réfraction soit celui de à on aura d’abord

(1)

De plus, parce que les droites menées du point aux deux autres sont respectivement normales aux courbes auxquelles elles se terminent, on aura aussi

(2)(2′)

différentiant ensuite la première de ces trois équations, et ayant égard aux deux autres, on trouvera en outre

(3)

équation évidemment comportée par les trois autres ; mais qu’on pourra substituer avec avantage à l’une ou à l’autre des équations (2) et (2′) y lorsque la courbe séparatrice sera donnée. On voit que, dans ce système d’équations, et figurent de la même manière que et et l’on n’aura pas lieu d’en être surpris, si l’on considère que, le rayon réfracté étant pris pour rayon incident, celui-ci devient rayon réfracté, et vice versâ. Il en résulte que, la courbe séparatrice étant donnée, le problème où l’on cherche la trajectoire orthogonale des rayons incidens, à l’aide de celle des rayons réfractés n’est pas différent de celui où il s’agit de déterminer cette dernière quand l’autre est donnée.

Enfin les coordonnées de nos trois points doivent être liées par un égal nombre d’équations en et et et lesquelles ne sont autres que les équations même de nos trois courbes, équations que nous représenterons respectivement par

(4)

(5)(5′)

la première appartenant à la courbe séparatrice, et les deux autres aux deux trajectoires.

Lorsque, cette courbe séparatrice étant donnée, on demandera de déterminer l’une des trajectoires par l’autre, il ne s’agira, pour cela, que d’éliminer ou les quatre quantités entre les cinq équations (1), (2′), (3), (4), (5′), ou bien les quatre quantités entre les cinq équations (1), (2), (3), (4), (5) ; et l’équation résultante en et ou en et sera l’équation de la trajectoire cherchée.

Si, au contraire, il s’agit de déterminer la séparatrice, au moyen des deux trajectoires, on y parviendra en éliminant entre les cinq équations (1), (2), (2′), (5), (5′) ; ce qui conduira à une équation en et qui sera celle de la courbe demandée.

Quant aux problèmes relatifs à la réflexion, on les résoudra à l’aide des mêmes formules, en y posant préalablement

II. Dans les applications qui vont suivre, nous supposerons constamment que les rayons incidens émanent d’un même point, que nous prendrons constamment pour origine des coordonnées, rectangulaires. Nous aurons ainsi les deux équations,

qui remplaceront l’équation (5′), ainsi que l’équation (2′), qui sera alors satisfaite d’elle-même. Nous n’aurons donc plus à nous occuper que des autres, lesquelles deviendront alors


Si l’on donne la courbe séparatrice, on trouvera la trajectoire orthogonale des rayons réfractés, en éliminant et entre les trois équations Bien convaincus d’ailleurs, par une longue expérience que, dans les calculs, les avantages de la symétrie remportent encore sur ceux de la simplicité, nous supposerons constamment que les données du problème sont disposées, par rapport aux axes, de la manière la plus générale.

III. Supposons, pour premier exemple, que la séparatrice est une droite donnée par l’équation

dans laquelle, comme l’on sait est le pied de la perpendiculaire abaissée de l’origine sur cette droite et la longueur de cette perpendiculaire. Nous aurons

au moyen de quoi l’équation deviendra

ou bien

Éliminant tour à tour et entre cette équation et l’équation

il viendra, en ayant égard à la relation

et de là encore

En prenant tour à tour la somme des quarrés de ces deux dernières équations et la somme des quarrés des deux qui les précèdent, on trouvera successivement, en ayant toujours égard à la relation entre et


tirant de ces deux équations les valeurs de et de pour les substituer dans l’équation on obtiendra, pour l’équation de la trajectoire orthogonale des rayons réfractés, en divisant par

de sorte que cette courbe est une ligne du second ordre.

En développant et ordonnant cette équation par rapport aux puissances et produits de puissances de et elle prend cette forme

Ajoutant et retranchant tour à tour à chaque membre

le second membre deviendra un quarré, dans les deux cas ; de sorte qu’en extrayant les racines, on trouvera


Dans ces équations, qui ne sont que deux formes particulières de l’équation de la trajectoire cherchée, et dont toute combinaison appartiendra conséquemment à cette trajectoire, les signes supérieurs et inférieurs ne se correspondent pas nécessairement et doivent être choisis suivant les rapports entre les données. En prenant leur somme, il vient, en divisant par

Or, le premier radical exprime la distance de l’un quelconque des points de la trajectoire à l’origine, et l’autre exprime la distance du même point au point c’est-à-dire, un point symétriquement situé avec l’origine ou le point rayonnant, par rapport à la droite séparatrice ; donc cette équation exprime que la somme ou la différence des distances des différens points de la courbe à ces deux points est une quantité constante ; d’où il suit que ces deux points en sont les foyers, qu’elle a conséquemment son centre au point que son excentricité est et son demi-axe cette courbe est donc une ellipse ou une hyperbole, suivant que est plus grand ou plus petit que

De tout cela résulte le théorème suivant :

THÉORÈME I. Deux milieux homogènes, de nature différente, étant séparés l’un de l’autre par un plan indéfini, et des rayons incidens émanés de l’un des points de l’un d’eux se réfractant à la rencontre de l’autre ; ces rayons ainsi réfractés seront tous normaux à une même surface de révolution du second ordre, engendrée par une section conique, tournant autour de la droite qui contient ses foyers. Le centre de cette surface sera le pied de la perpendiculaire abaissée du point rayonnant sur le plan séparateur ; ce point en sera un des foyers ; et son excentricité sera à son demi-axe dans le rapport du sinus d’incidence au sinus de réfraction ; de sorte que la surface trajectoire sera une ellipsoïde allongée ou une hyperboloïde à deux nappes, suivant que le premier milieu sera plus ou moins réfringent que le second.

On trouvera, dans un article inséré à la page 229 du XI.me volume du présent recueil, où nous avons déjà démontré cette proposition, les principales conséquences qui en résultent.

IV. Examinons présentement quelle direction prennent des rayons de lumière émanés d’un même point, situé dans un milieu homogène quelconque, après avoir traversé une lame transparente à faces planes parallèles, d’un pouvoir réfringent différent de celui du milieu dans lequel elle se trouve située.

Supposons toujours le point rayonnant à l’origine, soit la distance de ce point à la face de la lame qui en est la plus voisine et l’épaisseur de cette lame. Par un rayon quelconque, imaginons un plan perpendiculaire aux faces de cette lame ; le rayon, dans tout son trajet, ne sortira pas de ce plan, que nous pourrons prendre pour les plans des coordonnées rectangulaires, et qui coupera la lame suivant deux droites parallèles. En prenant toujours pour origine le point rayonnant et en rendant l’axe des parallèle à ces deux droites, leurs équations seront

Soit l’équation du rayon incident

le sinus dlncidence sera le sinus de réfraction sera donc

d’où on conclura pour sa cotangente

D’un autre côté les équations du point d’immergence seront

d’où il suit que l’équation du rayon réfracté sera

en combinant cette équation avec l’équation on trouvera pour les coordonnées du point d’émergence

et, comme le rayon émergent doit sortir parallèle au rayon immergent, son équation sera

ou simplement, en réduisant,

Or qui exprimait la distance de la lame au point rayonnant, n’entre plus dans cette équation ; donc la situation du rayon émergent est indépendante de cette distance ; de sorte que, si l’on fait avancer ou reculer cette lame parallèlement à elle-même, la situation de ce rayon n’en éprouvera aucun changement.

Tout se passera donc ici de la même manière que si la lame était en contact avec le point rayonnant ; ou, ce qui revient au même, tout se passera comme si le point rayonnant était enfoncé dans la substance de la lame au-dessous de sa surface d’une quantité égale à son épaisseur ; nous retombons donc de nouveau dans le cas de deux milieux séparés par un plan indéfini, et nous obtenons le théorème suivant :

THÉORÈME II. Lorsque des rayons de lumière, émanés d’un même point, sont contraints de traverser une lame transparente à faces planes parallèles, d’un pouvoir réfringent différent de celui du milieu où elle se trouve située ; ces rayons, à leur sortie de cette lame, sont tous normaux à une même surface de révolution du second ordre, engendré par une section conique, tournant autour de la droite qui contient ses foyers. L’axe de cette surface est la perpendiculaire menée aux deux faces de la lame, par le point rayonnant ; ce point en est un des foyers ; son centre est situé du même côté que la lame par rapport à ce même point ; l’excentricité de la trajectoire est égale à l’épaisseur de la lame ; enfin, cette excentricité est au demi-axe dans le rapport du sinus de réfraction dans la lame au sinus d’incidence dans le milieu ; de sorte que la surface trajectoire est une ellipsoïde allongée ou une hyperboloïde à deux nappes, suivant que le pouvoir réfringent de la lame est supérieur ou inférieur à celui du milieu où elle se trouve située.

On trouvera, dans un article inséré à la page 283 du V.e volume du présent recueil, où nous avons démontré cette proposition pour la première fois, et dans un autre article, qui commence le XIV.e volume, les principales conséquences qui en résultent.

V. Pour donner un exemple simple du cas où la courbe séparatrice est l’inconnue du problème, supposons toujours que les rayons incidens émanent de l’origine des coordonnées, et cherchons quelle doit être la ligne séparatrice pour Les rayons réfractés concourant en un même point

Nous aurons donc ici

l’équation sera satisfaite d’elle-même ; et, en mettant ces valeurs dans l’équation on aura, pour l’équation demandée,

ou bien

ou encore

équation d’un cercle, que l’on peut écrire ainsi

de sorte que les coordonnées du centre de ce cercle sont

et son rayon

On trouvera, d’après cela, pour la distance de son centre au point rayonnant

et pour la distance de ce même centre au point

Le produit de ces deux distances étant égal au quarré du rayon, et les trois points étant d’ailleurs en ligne droite, il s’ensuit que le point de départ des rayons incidens et le point de concours des rayons réfractés sont deux points conjugués par rapport au cercle. Leurs distances respectives à son centre sont dans le rapport de à de sorte que le point rayonnant sera intérieur au cercle et le point de concours des rayons réfractés extérieur, si l’on a Ce sera le contraire si l’on a

De tout cela résulte le théorème suivant :

THÉORÈME III. Une sphère transparente étant située dans un milieu homogène dont le pouvoir réfringent est différent du sien ; il existe toujours, sur la direction de chacun de ses diamètres, un point tellement situé que les rayons qui en émanent, après s’être réfractés à la rencontre de sa surface, vont concourir de nouveau en un autre point de ce diamètre. Ces deux points, situés d’un même côté du centre, sont conjugués l’un à l’autre par rapport à la sphère, c’est-à-dire, que le rectangle de leurs distances à son centre est équivalent au quarré de son rayon ; d’où il résulte qu’ils sont l’un intérieur et l’autre extérieur à la sphère. Enfin, leurs distances à son centre sont dans le rapport du quarré du sinus d’incidence dans le milieu où la sphère se trouve située au quarré du sinus de réfraction dans cette sphère ; ce qui les détermine complètement l’un et l’autre, et prouve en outre que le point rayonnant est intérieur ou extérieur à la sphère suivant que le pouvoir réfringent de cette sphère est supérieur ou inférieur à celui du milieu[2].

Ce curieux théorème est dû à M. le professeur Auguste de la Rive, de Genève, qui l’a démontré à la page 55 de sa Dissertation sur les caustiques ; (in-4.o, Genève 1823).

VI. Examinons présentement, d’une manière générale, la direction que prennent des rayons de lumière émanés d’un même point, après s’être réfractés à la rencontre de la circonférence d’un cercle transparent, situé d’une manière quelconque par rapport au point rayonnant. Ici, pour plus de simplicité, nous supposerons le centre du cercle à l’origine ; et le point rayonnant sera En conséquence, les équations (2′) et (5′), seront remplacées par ces deux-ci

l’équation (4) sera

d’où

au moyen de quoi les équations (1) et (3) deviendront

En réduisant dans la dernière, et en remplaçant dans l’autre par on obtiendra en et ces deux équations du premier degré


En ajoutant au quarré de la première le quadruple du quarré de la seconde, le terme en disparaîtra, et en remplaçant par sa valeur on obtiendra, pour l’équation de la trajectoire orthogonale des rayons réfractés,

En développant et rassemblant les termes affectés des même s puissances et produits des puissances de et cette équation prendra la forme


Ajoutant et retranchant tour à tour à chacun des deux membres de cette dernière la quantité

son second membre deviendra un quarré dans les deux cas, et il viendra, par l’extraction des racines quarrées de deux membres

Équations dans lesquelles les signes supérieurs et les signes inférieurs ne se correspondent pas nécessairement ; et où les uns et les autres doivent être pris, suivant les grandeurs et les signes des données et

En retranchant la seconde de la première, on trouve

ou encore

or, si l’on prend pour foyers le point rayonnant et son conjugué, par rapport au cercle, les deux radicaux du premier membre de cette équation exprimeront les rayons vecteurs d’un même point quelconque de la courbe, de sorte qu’on a le théorème suivant :

THÉORÈME IV. Lorsque des rayons de lumière, émanés d’un même point de l’espace, extérieur ou intérieur à une sphère transparente homogène, sont réfractés ou réfléchis à l’entrée ou à la sortie de cette sphère ; ils deviennent alors normaux à une surface de révolution du quatrième ordre, ayant pour axe la droite qui contient le point rayonnant et le centre de la sphère. La propriété caractéristique de cette surface est que la somme ou la différence des produits respectifs des distances de ses différens points au point rayonnant et à son conjugué par rapport à la sphère, par des multiplicateurs constans, est elle-même une quantité constante.

Cet élégant théorème est dû à M. Sturm, qui l’a démontré dans un article inséré à la page 205 du précédent volume du présent recueil.

Nous nous proposions de nous livrer à beaucoup d’autres recherches encore ; mais l’abondance des matériaux que nous avons à publier nous oblige à leur céder la place, et à renvoyer ces recherches pour un autre temps. Ce qui précède suffira du moins pour montrer comment tous les théorèmes déjà connus sur le sujet qui nous occupe peuvent se déduire uniformément de nos méthodes et de nos formules.

  1. Voy. la page 345 du précédent volume et la page 1.re de celui-ci.
  2. Lorsque le pouvoir réfringent de la sphère est supérieur à celui du milieu, il y a réellement, dans son intérieur, un point tel que les rayons qui en émanent divergent, à leur sortie, comme s’ils partaient d’un point extérieur. Dans le cas contraire, ce sont des rayons arrivant à la sphère, dans des directions convergentes vers le premier de ces points, qui, après s’être rompus à sa surface, convergent vers le dernier.