Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 16/Optique, article 5

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OPTIQUE.

Démonstration purement géométrique du principe
fondamental de la théorie des caustiques ;

Par M. Gergonne.
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À la page 14 du présent volume, nous exprimions le vœu de pouvoir offrir à nos lecteurs une démonstration du principe fondamental de la théorie des surfaces caustiques par réfraction aussi simple que celle qui a été donnée par M. Dupin, pour les surfaces caustiques par réflexion. Un article de M. Timmermans, professeur de Mathématiques au collège royal de Gand, inséré dans la Correspondance mathématique et physique du royaume des Pays-Bas (tom. I, n.o 6, pag. 336), recueil encore trop peu répandu en France, nous met en situation de remplir ce vœu au-delà de nos espérances. L’auteur tourne un peu court, il est vrai, et sa démonstration n’est relative qu’aux courbes planes ; mais il y a très-peu à faire pour l’étendra aux surfaces courbes, et pour lui donner en même temps tous les développemens qui semblent lui manquer encore ; et tel est le but que nous nous proposons ici.

Soient deux surfaces courbes quelconques, situées comme on voudra, l’une par rapport à l’autre, mais absolument fixes dans l’espace. Concevons deux sphères concentriques, mobiles et variables de rayon, mais de manière pourtant que leurs rayons conservent toujours entre eux un rapport constant ; et supposons que ces sphères se meuvent et varient de grandeur dans l’espace, de manière à être constamment et respectivement tangentes aux deux surfaces dont il s’agit ; leur centre commun engendrera une troisième surface, dont il s’agit d’assigner les relations avec les deux autres.

Supposons, en premier lieu, que les deux surfaces données soient des surfaces planes, que nous représenterons respectivement par et il est aisé de voir qu’alors la troisième sera aussi une surface plane, passant par l’intersection des deux premières. Soient, en effet, pour une situation et une grandeur quelconque des deux sphères, leur centre commun, et leurs points de contact respectifs avec les deux plans et de telle sorte que et soient des rayons de ces deux sphères ; rayons dont le rapport est supposé constant. Par ce centre et par la commune section des deux plans et soit conduit un troisième plan sur lequel soit pris arbitrairement un point De ce point soient abaissées des perpendiculaires et sur les plans et ces perpendiculaires seront respectivement parallèles à et En désignant donc par le point où la droite rencontre la commune section des trois plans on aura

et, par suite,

ou encore

donc, si du point pris pour centre commun, et avec les rayons et on décrit deux sphères concentriques ; ces sphères seront respectivement tangentes aux deux plans et et auront leurs rayons dans le rapport constant donné : elles seront donc une des situations de nos deux sphères variables de situation et de grandeur dans l’espace ; d’où l’on voit que tous les points du plan, seront des centres de tels systèmes de sphères : et il est de plus aisé de voir qu’ils le seront exclusivement à tous les autres points de l’espace.

Supposons présentement que les deux surfaces fixes données soient quelconques ; désignons-les par et et soit la surface inconnue lieu des centres des systèmes de sphères. Soit sur cette surface une des situations du centre commun ; soient, pour cette situation, et respectivement, les points de contact de ces deux sphères avec les surfaces et Pour un changement infiniment petit dans la situation de ce centre commun, et par suite dans la grandeur des sphères, on pourra substituer aux deux surfaces et leurs plans tangens et en et et alors, par ce qui a été prouvé ci-dessus, le centre commun pourra être réputé se mouvoir sur un plan, passant par l’intersection des deux autres. Ce plan est donc le plan tangent en à la surface décrite pas ce centre commun. Ainsi, dans toutes les situations du centre commun des deux sphères, les plans tangens auxsurfaces aux points se coupent suivant une même droite, variable de situation comme le point

Concevons, par le point un plan perpendiculaire à cette droite, cette droite lui sera réciproquement perpendiculaire ; les plans où elle se trouve également contenue, seront donc aussi perpendiculaires au plan d’où il résulte que les rayons et perpendiculaires respectivement aux plans et et conséquemment normaux aux surfaces et seront dans ce plan, et qu’il en sera de même de la perpendiculaire menée, par le point au plan normale à la surface en ce point. Soit le point où l’intersection des trois plans est coupée par le plan et considérons ce qui se passe dans ce dernier plan. On a

donc

puis donc que le second membre de cette dernière équation est supposé constant, pour toutes les grandeurs et situations du système des deux sphères, le premier doit l’être également. La propriété caractéristique de la surface, lieu des centres du système des deux sphères, peut donc être énoncée comme il suit :

Si deux sphères concentriques, mobiles dans l’espace, de rayon variable, mais dont les rayons sont d’ailleurs dans un rapport constant, se meuvent de manière à être respectivement et constamment tangentes à deux surfaces fixes données quelconques ; le lieu de leur centre commun sera une troisième surface telle que si, de l’un quelconque de ses points, on mène des normales aux deux autres surfaces, ces normales seront dans un même plan avec la normale menée par le même point à la surface lieu des centres : en outre, les sinus des angles formés par les deux premières normales avec celle-là, seront respectivement dans le rapport constant des rayons des deux sphères[1].

Si donc on suppose que la surface soit la surface séparatrice de deux milieux, pour lesquels les sinus d’incidence et de réfraction soient dans le rapport constant des rayons des deux sphères, et que les rayons incidens soient tous normaux à la surface les rayons réfractés seront tous normaux à la surface . On a donc ce théorème :

Deux milieux homogènes, d’un pouvoir réfringent inégal, étant séparés l’un de l’autre par une surface de nature quelconque, et des rayons de lumière pénétrant de l’un de ces milieux dans l’autre ; si les rayons incidens sont dirigés dans l’espace de manière à pouvoir être traversés orthogonalement par une même surface, les rayons réfractés seront aussi dirigés dans l’espace de manière à pouvoir être traversés orthogonalement par une même surface, et réciproquement : en outre, à chaque surface trajectoire orthogonale des rayons incidens, il répond toujours une surface trajectoire orthogonale des rayons réfractés telle que, de quelque point de la surface séparatrice des deux milieux que l’on mène des normales à ces deux autres surfaces, les longueurs de ces normales seront respectivement entre elles dans le rapport constant du sinus d’incidence au sinus de réfraction.

Il a déjà été observé plusieurs fois, et notamment à la page 14 du présent volume, que la réflexion n’était qu’un cas particulier de la réfraction, savoir : celui où les sinus d’incidence et de réfraction ne différent que par le signe ; donc, ce qui précède renferme implicitement toute la théorie des surfaces caustiques par réflexion.

Il a aussi été observé, page 15, que la théorie des caustiques planes, soit par réfraction soit par réflexion, n’était qu’un cas particulier de celles des surfaces caustiques : donc le peu qu’on vient de lire renferme implicitement toute la théorie des caustiques planes et surfaces caustiques, soit par réfraction soit par réflexion.

Jetons présentement un regard en arrière ; reportons-nous par la pensée au point de départ des géomètres, dans la théorie qui nous occupe ; et mesurons rapidement l’espace qu’ils ont parcouru. Tschirnausen remarque le premier, en 1682, la caustique plane formée par des rayons parallèles réfléchis dans le cercle, et se propose d’en rechercher l’équation. Ce problème, qui n’est plus aujourd’hui qu’un jeu, était alors fort difficile ; il en donne une solution reconnue fausse par Cassini, Mariotte et de la Hire, commissaires de l’Académie royale des sciences de Paris. Cet essai infructueux éveille l’attention des géomètres sur ces sortes de courbes, que l’on aperçoit bientôt devoir donner la véritable clé de tous les mystères de l’optique. Les Bernouilli, l’Hôpital, Carré et quelques autres en font tour-à-tour l’objet spécial de leurs recherches, et donnent des méthodes générales pour obtenir l’équation d’une caustique plane quelconque, soit par réflexion soit par réfraction.

Malus, en 1810, s’occupe le premier de la théorie générale des surfaces caustiques, et trouve quelques beaux théorèmes ; mais des erreurs de calcul, résultat presque inévitable d’une analise trop compliquée, l’entraînent à dénier à ces théorèmes la généralité qu’ils comportaient réellement. M. Dupin, en 1822, reprend la théorie de Malus, pour lui donner le complément qui lui manquait, et en 1823, d’une analise, également fort compliquée, (Annales, tom. XIV, pag. 129), nous déduisons la possibilité de remplacer, pour des rayons originairement normaux à une même surface quelconque, l’effet d’un nombre quelconque de réfractions et de réflexions, soit par une réfraction soit par une réflexion unique. Des recherches relatives à quelques cas spéciaux de réflexion et de réfraction (Annales, tom. V, pag. 283, tom. XI, pag. 229, et tom. XIV, pag. 1), nous avaient conduits, dès 1815, à soupçonner que, le plus souvent, des caustiques fort compliquées pourraient très-bien n’être que les développées d’autres courbes beaucoup plus simples : en 1825, M. Sturm, en caractérisant la courbe dont la caustique relative au cercle est la développée (Annales, tom. XV, pag. 205), donne un nouveau poids à cette conjecture. Presque en même temps, M. Quetelet publie, sur les caustiques planes, en général (Mémoires de l’Académie royale des Sciences de Bruxelles, tom. III, pag. 89), d’élégans théorèmes, dont ceux de M. Sturm ne deviennent plus dès lors que des cas particuliers. Après avoir démontré ces théorèmes par l’analise (tom. XV, pag. 345), nous les étendons, et M. Sarrus, presque en même temps que nous, aux surfaces caustiques, à la page 1.re du présent volume ; ou plutôt, nous donnons un théorème simple et général qui renferme à lui seul toute la théorie des caustiques et surfaces caustiques, tant par réfraction que par réflexion. Il restait seulement à désirer une démonstration simple de ce théorème ; et voilà que M. Timmermans en produit une qui l’est à tel point qu’elle peut être introduite dans l’enseignement même le plus élémentaire, et qu’on a seulement lieu d’être surpris que, dans l’intervalle de près d’un siècle et demi, tant de géomètres aient réuni tant d’efforts et fait tant de dépense de calcul, pour parvenir finalement à un résultat qu’ils avaient, pour ainsi dire, sous la main. Sauf les applications, qui offriront toujours des difficultés pratiques, cette théorie peut être présentement regardée comme tout-à-fait close ; mais il fallait passer par ces divers détours pour l’amener à ce point ; car, en toutes choses, ce qu’il y a de plus général et de plus simple, à la fois, est d’ordinaire ce qui se présente en dernier lieu à la pensée. Bien d’autres théories encore attendent un semblable perfectionnement des efforts réunis des géomètres ; et ils ne sauraient servir plus utilement la science qu’en dirigeant leurs méditations vers un objet aussi important. Au point où nous sommes parvenus aujourd’hui, nous avons, en effet, beaucoup moins besoin de créer de nouvelles théories que de réduire à leurs moindres termes, s’il est permis de s’exprimer ainsi, les théories déjà connues.


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  1. MM. les Rédacteurs de la Correspondance avertissent dans une note, que M. Timmermans était en possession de ce théorème, avant d’avoir eu connaissance de l’article de la page 345 de notre XV.e volume.