Annales de pomologie belge et étrangère/Raisins de Bourgogne
1o PINEAU NOIR. 2o PINEAU ROSE. 3o PINEAU BLANC.
Grande culture, vignobles.
Le climat de la Belgique est-il propre à la culture des vignobles ? Cette question a souvent été discutée et résolue en divers sens : les uns prétendent que la persistance des vents d’ouest et de nord-ouest, l’inconstance de la température, les pluies fréquentes amenées par le voisinage de l’Océan, ne permettent pas de compter sur la maturité régulière du raisin, maturité si nécessaire au point de vue de la vinification.
Mais, répondent les partisans de cette culture, au moyen âge il existait des vignobles dans toutes nos provinces : la tradition, les noms de localités et les archives sont unanimes sur ce fait. Nos ancêtres avaient sans doute de bonnes raisons pour se livrer à ce genre d’industrie ; ses produits leur convenaient ; et, à moins de prétendre qu’il soit survenu depuis un refroidissement notable dans la température de la Belgique, ce qui est très-problématique, il faut bien admettre qu’il peut y avoir certains avantages, fondés sur l’expérience, à imiter les anciens habitants de notre pays.
L’existence de nombreux vignobles en Belgique, il y a quelques siècles, s’explique assez naturellement ; le pays était couvert d’abbayes, de prieurés et de corporations religieuses ; un nombreux clergé comptait au premier rang de ses besoins, le vin nécessaire aux cérémonies du culte ; la difficulté d’en faire venir de l’étranger était grande, à cause du défaut de bonnes voies de communications, du peu de sécurité des routes, et des guerres continuelles entre les petits souverains et les chefs féodaux. Le mérite du vin récolté importait peu pour l’usage de l’église, l’essentiel était de s’en procurer et de l’avoir pur.
C’est probablement en raison de ces besoins que des vignobles avaient été plantés dans un grand nombre de localités, et surtout dans le voisinage des monastères. De nos jours, les seuls vignobles de quelque importance qui existent en Belgique, occupent sur la rive gauche de la Meuse une partie des collines qui bordent ce fleuve, entre Liége, Huy, Namur et Dinant. Dans certaines années exceptionnelles, lorsque la température de l’été et de l’automne a été favorable, les vins n’y manquent pas de qualité, ils ont alors une valeur commerciale très-réelle ; malheureusement ces années sont rares, et les vins de la Meuse sont habituellement fort médiocres.
Avant l’invasion de l’oïdium de la vigne dans le midi de l’Europe, l’abondance et le bas prix des vins étrangers amenèrent une telle dépréciation dans la valeur de nos vins indigènes, que déjà les cultivateurs commençaient à arracher leurs ceps, lorsqu’il y a cinq ou six ans un fait nouveau se produisit, qui paraît devoir exercer une influence décisive sur l’avenir des vignobles de la Meuse.
Quelques hommes entreprenants et judicieux crurent avec raison que l’art peut parfois venir au secours de la nature, et que des vins médiocres, travaillés en mousseux, deviendraient acceptables dans une certaine mesure. Le succès de leur entreprise a dépassé toute attente, leurs produits, déjà très-recherchés, tant pour l’intérieur que pour l’exportation, s’améliorent d’année en année ; les vignerons ont vu doubler le prix moyen de leurs récoltes, et cette branche de l’agriculture belge a maintenant un bel avenir.
Ces considérations nous ont engagé à décrire dans ces Annales les raisins cultivés dans les vignobles de notre pays. D’après la tradition, leurs variétés ont été importées autrefois de la Bourgogne : ce sont les mêmes Pineaux qui produisent les vins célèbres de la Côte-d’Or ; s’il avait pu nous rester quelques doutes à ce sujet, ils eussent été levés dans une occasion récente.
Au mois d’octobre 1856, une exposition provinciale des produits de l’horticulture eut lieu à Namur. M. Gillard, l’un des principaux viticulteurs de Huy, exposa non-seulement ses vins mousseux, mais aussi des spécimens des raisins qui servent à leur fabrication : par une heureuse coïncidence, M. le comte Liger-Belair, propriétaire à Vosne, département de la Côte-d’Or, nous envoyait en même temps une caisse de raisins récoltés dans ses domaines de la Romanée et Tache, consistant en Pineau noir, blanc et rose. Un examen attentif de ces fruits et de ceux récoltés à Huy nous fit reconnaître leur parfaite identité.
Il serait difficile de déterminer l’origine de ces variétés précieuses du Vitis vinifera, et l’époque de leur introduction en Bourgogne ou en Belgique. Avant la conquête des Gaules par les Romains, la vigne était déjà cultivée dans les régions du centre de la France, notamment en Bresse et en Franche-Comté ; ces pays possédaient des variétés spéciales de cépages, qui paraissent être analogues à celles qui y existent encore aujourd’hui, et ne peuvent être venues des pays plus méridionaux, où ces cépages n’ont jamais bien réussi.
Columelle, qui écrivait son Traité d’agriculture vers l’an 40 de l’ère chrétienne, décrit la culture de la vigne d’une manière qui diffère peu des méthodes de nos jours ; au nombre des divers cépages qu’il cite, il en est un dont la description semble se rapporter au Pineau. Pline constate comme lui l’existence de diverses variétés de vignes, particulières à chaque province de l’empire romain, suivant la nature du sol et la différence du climat.
Il est à remarquer que la vigne croissait à l’état sauvage dans plusieurs parties tempérées de l’Europe, et que si l’on considère la difficulté des transports et des relations dans les temps anciens, on peut supposer que les variétés dont il s’agit ici ont pris naissance en France : c’est l’hypothèse la plus probable, malgré l’opinion qui leur assigne une origine italienne.
L’établissement d’un grand nombre de monastères en Bourgogne date du ve siècle ; c’est alors et par les soins des religieux que la culture de la vigne y prit une grande extension. Dès le xiiie siècle, la haute renommée des vins de cette province, due non-seulement i la nature de son sol, mais à la valeur spéciale des cépages qui les produisent, amenèrent un tel développement dans cette culture, que tous les côteaux susceptibles de donner ces produits furent utilisés.
Les vins de la Côte-d’Or, quelles que soient leurs nuances de finesse, de durée et de bouquet, sont tous obtenus par la culture d’une seule variété de vigne, le Pineau, dont les modifications principales sont représentées dans le tableau ci-contre. Cette variété semble avoir été de tout temps la seule qui ait produit des vins à bouquet, et mérite le surnom de Plant noble, donné par les anciens vignerons.
Les trois variétés de ce plant, à grains noirs, roses ou blancs, présentent les mêmes caractères principaux, et ont toujours été considérées par les vignerons comme une même famille : elles paraissent être, en effet, le résultat de modifications ou d’accidents de culture arrivés au Pineau noir. Le gris ou Burot se produit si fréquemment sur le cep de la variété noire, qu’on doit arracher chaque année un certain nombre de pieds de Burots pour éviter une multiplication excessive. On a remarqué aussi, mais plus rarement, des branches portant des raisins blancs sur des pieds de Pineau noir.
En dehors de ces trois modifications principales, on en remarque un grand nombre de moindre importance ; elles sont considérées comme des dégénérescences, qui exigent de la part des vignerons un œil attentif et des soins continuels ; mais par suite de l’habitude ils sont parvenus à les reconnaître avec certitude, même en hiver, à la seule inspection du bois[1].
Les raisins Pineaux sont si impressionnables à toutes les conditions du sol dans lequel ils sont plantés, qu’il en résulte des nuances à l’infini dans la qualité des vins ; cette excessive délicatesse ne se borne pas à ressentir l’influence des sucs nourriciers absorbés par les racines ; un exemple des plus curieux, dont nous fûmes témoin en 1842, nous a fait connaître l’action énergique des agents extérieurs sur les fruits qui les produisent.
Au moment de la récolte, un orage éclata en Bourgogne, et atteignit une partie de la commune de Pomard ; l’un des meilleurs crus de ce finage, la côte des Arvellez, traversée par des courants d’eau chargés de terre, eut une grande partie des grappes couvertes de boue. Peu de jours après, aux vendanges, le propriétaire eut grand soin de faire laver toutes les grappes avant qu’elles fussent jetées dans les cuves ; malgré cette précaution, le vin des Arvellez avait un goût terreux aussi prononcé que si l’on y eût mélangé de l’argile.
Les caractères généraux des Pineaux sont les suivants :
Grappes petites, de formes variées et irrégulières, très-serrées, lorsque la coulure n’a pas éclairé les grains ; ceux-ci sont ronds, petits ou moyens ; la peau est assez épaisse ; les pepins sont petits, au nombre d’un ou deux dans chaque grain ; le jus est abondant, sucré, relevé, vineux ; les sarments sont grêles, allongés, bruns ou gris-bruns, d’une grosseur égale dans tout leur développement.
Les feuilles sont grandes, un peu rugueuses en dessus, lisses en dessous ; elles sont lobées, mais ces lobes ne sont pas accusés par de profondes découpures ; la végétation de ces plants est médiocre, ils perdent leurs feuilles de bonne heure.
En Bourgogne, la maturité des Pineaux varie, selon les années, dans la période du 15 septembre au 10 octobre, ce qui permet de vendanger au plus souvent dans une saison favorable à la vinification ; il n’en est pas de même en Belgique, où il arrive rarement que la maturité soit suffisante avant le 15 octobre ; parfois il faut attendre la fin du mois pour récolter, au milieu des brumes et des pluies, circonstances obstatives à tout bon résultat. Il importe donc d’obtenir, au moyen de semis faits avec persévérance, des variétés plus hâtives que le Pineau, et possédant les qualités précieuses de ce cépage pour la fabrication du vin.
La culture est la même dans la vallée de la Meuse qu’en Bourgogne : les sarments sont conduits sur échalas, et rabattus très-bas chaque année. Les questions de taille ayant été traitées dans le premier volume de cet ouvrage, page 29, il est inutile de nous y arrêter ici ; nous nous bornerons à mentionner les améliorations qui s’introduisent à Huy depuis quelques années.
Au lieu de renouveler la vigne tous les cinq ou six ans par des provins ou marcottes, ce qui interrompait la production, les propriétaires intelligents font des provins chaque année.
Le goût de terroir, particulier aux vins de la Meuse, était attribué à la coutume d’amender ou de recharger le sol des vignobles avec du schiste houiller, lequel, se décomposant par l’action du soleil et des pluies, pénétrait jusqu’aux racines et communiquait au vin un goût analogue au charbon de terre. On commence à abandonner cet amendement, et à y substituer des composts. Il faut beaucoup de prudence et d’observation dans cette voie, comme on peut s’en convaincre par les faits cités plus haut.
- ↑ Nous devons ces renseignements à M. le docteur Lavalle, directeur du Jardin botanique de Dijon.