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Annibal/Acte III

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Annibal
Œuvres complètes, Texte établi par Pierre DuviquetHaut Cœur et Gayet jeune1 (p. 101-117).
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ACTE III

Scène première

LAODICE, ÉGINE


LAODICE

Oui, ce Flaminius dont je crus être aimée,
Et dont je me repens d’avoir été charmée,
Égine, il doit me voir pour me faire accepter
Je ne sais quel époux qu’il vient me présenter.
L’ingrat ! je le craignais ; à présent, quand j’y pense,
Je ne sais point encor si c’est indifférence ;
Mais enfin, le penchant qui me surprit pour lui

Me semble, grâce au ciel, expirer aujourd’hui.

ÉGINE

Quand il vous aimerait, eh ! quel espoir, Madame,
Oserait en ce jour se permettre votre âme ?
Il faudrait l’oublier.

LAODICE

Hélas ! depuis le jour
Que pour Flaminius je sentis de l’amour,
Mon cœur tâcha du moins de se rendre le maître
De cet amour qu’il plut au sort d’y faire naître.
Mais d’un tel ennemi penses-tu que le cœur
Puisse avec fermeté vouloir être vainqueur ?
Il croit qu’autant qu’il peut il combat, il s’efforce :
Mais il a peur de vaincre, et veut manquer de force ;
Et souvent sa défaite a pour lui tant d’appas,
Que, pour aimer sans trouble, il feint de n’aimer pas.
Ce cœur, à la faveur de sa propre imposture,
Se délivre du soin de guérir sa blessure.
C’est ainsi que le mien nourrissait un amour
Qui s’accrut sur la foi d’un apparent retour.
Oh ! d’un retour trompeur apparence flatteuse !

Ce fut toi qui nourris une flamme honteuse.
Mais que dis-je ? ah ! plutôt ne la rappelons plus :
Sans crainte et sans espoir voyons Flaminius.

ÉGINE

Contraignez-vous : il vient.


Scène II

LAODICE, FLAMINIUS, ÉGINE


FLAMINIUS
, à part.

Quelle grâce nouvelle
À mes regards surpris la rend encor plus belle !
Madame, le Sénat, en m’envoyant au roi,
N’a point à lui parler limité mon emploi.
Rome, à qui la vertu fut toujours respectable,
Envers vous aujourd’hui croit la sienne comptable
D’un témoignage ardent dont l’éclat mette au jour
Ce qu’elle a pour la vôtre et d’estime et d’amour.
Je n’ose ici mêler mes respects ni mon zèle
Avec les sentiments que j’explique pour elle.
Non, c’est Rome qui parle, et malgré la grandeur
Que me prête le nom de son ambassadeur,
Quoique enfin le Sénat n’ait consacré ce titre
Qu’à s’annoncer des rois et le juge et l’arbitre,
Il a cru que le soin d’honorer la vertu
Ornait la dignité dont il m’a revêtu.
Madame, en sa faveur, que votre âme indulgente
Fasse grâce à l’époux que sa main vous présente.
Celui qu’il a choisi…

LAODICE

Non, n’allez pas plus loin ;
Ne dites pas son nom : il n’en est pas besoin.
Je dois beaucoup aux soins où le Sénat s’engage ;
Mais je n’ai pas, Seigneur, dessein d’en faire usage.
Cependant vous dirai-je ici mon sentiment
Sur l’estime de Rome et son empressement ?
Par où, s’il ne s’y mêle un peu de politique,
Ai-je l’honneur de plaire à votre république ?
Mes paisibles vertus ne valent pas, Seigneur,
Que le Sénat s’emporte à cet excès d’honneur.
Je n’aurais jamais cru qu’il vît comme un prodige
Des vertus où mon rang, où mon sexe m’oblige.
Quoi ! le ciel, de ses dons prodigue aux seuls Romains,
En prive-t-il le cœur du reste des humains ?
Et nous a-t-il fait naître avec tant d’infortune,
Qu’il faille nous louer d’une vertu commune ?
Si tel est notre sort, du moins épargnez-nous
L’honneur humiliant d’être admirés de vous.
Quoi qu’il en soit enfin, dans la peur d’être ingrate,
Je rends grâce au Sénat, et son zèle me flatte !
Bien plus, Seigneur, je vois d’un œil reconnaissant
Le choix de cet époux dont il me fait présent.
C’est en dire beaucoup : une telle entreprise
De trop de liberté pourrait être reprise ;

Mais je me rends justice, et ne puis soupçonner
Qu’il ait de mon destin cru pouvoir ordonner.
Non, son zèle a tout fait, et ce zèle l’excuse ;
Mais, Seigneur, il en prend un espoir qui l’abuse ;
Et c’est trop, entre nous, présumer des effets
Que produiront sur moi ses soins et ses bienfaits,
S’il pense que mon cœur, par un excès de joie,
Va se sacrifier aux honneurs qu’il m’envoie.
Non, aux droits de mon rang ce cœur accoutumé
Est trop fait aux honneurs pour en être charmé.
D’ailleurs, je deviendrais le partage d’un homme
Qui va, pour m’obtenir, me demander à Rome ;
Ou qui, choisi par elle, a le cœur assez bas
Pour n’oser déclarer qu’il ne me choisit pas ;
Qui n’a ni mon aveu ni celui de mon père !
Non : il est, quel qu’il soit, indigne de me plaire.

FLAMINIUS

Qui n’a point votre aveu, Madame ! Ah ! cet époux
Vous aime, et ne veut être agréé que de vous.
Quand les dieux, le Sénat, et le roi votre père,
Hâteraient en ce jour une union si chère,
Si vous ne confirmiez leurs favorables vœux,
Il vous aimerait trop pour vouloir être heureux.
Un feu moins généreux serait-il votre ouvrage ?
Pensez-vous qu’un amant que Laodice engage
Pût à tant de révolte encourager son cœur,
Qu’il voulût malgré vous usurper son bonheur ?
Ah ! dans celui que Rome aujourd’hui vous présente,
Ne voyez qu’une ardeur timide, obéissante,
Fidèle, et qui, bravant l’injure des refus,

Durera, mais, s’il faut, ne se produira plus.
Perdez donc les soupçons qui vous avaient aigrie.
Arbitre de l’amant dont vous êtes chérie,
Que le courroux du moins n’ait, dans ce même instant,
Nulle part dangereuse à l’arrêt qu’il attend.
Je vous ai tu son nom ; mais mon récit peut-être,
Et le vif intérêt que j’ai laissé paraître,
Sans en expliquer plus, vous instruisent assez.

LAODICE

Quoi ! Seigneur, vous seriez… Mais que dis-je ? cessez,
Et n’éclaircissez point ce que j’ignore encore.
J’entends qu’on me recherche, et que Rome m’honore.
Le reste est un secret où je ne dois rien voir.

FLAMINIUS

Vous m’entendez assez pour m’ôter tout espoir ;
Il faut vous l’avouer : je vous ai trop aimée,
Et pour dire encore plus, toujours trop estimée,
Pour me laisser surprendre à la crédule erreur
De supposer quelqu’un digne de votre cœur.
Il est vrai qu’à nos vœux le ciel souvent propice
Pouvait en ma faveur disposer Laodice :
Mais après vos refus, qui ne m’ont point surpris,
Je ne m’attendais pas encor à des mépris,
Ni que vous feignissiez de ne point reconnaître
L’infortuné penchant que vous avez vu naître.

LAODICE

Un pareil entretien a duré trop longtemps,
Seigneur ; je plains des feux si tendres, si constants ;
Je voudrais que pour eux le sort plus favorable
Eût destiné mon cœur à leur être équitable.

Mais je ne puis, Seigneur ; et des liens si doux,
Quand je les aimerais, ne sont point faits pour nous.
Oubliez-vous quel rang nous tenons l’un et l’autre ?
Vous rougiriez du mien, je rougirais du vôtre.

FLAMINIUS

Qu’entends-je ! moi, Madame, oser m’estimer plus !
N’êtes-vous pas romaine avec tant de vertus ?
Ah ! pourvu que ce cœur partageât ma tendresse…

LAODICE

Non, Seigneur ; c’est en vain que le vôtre m’en presse ;
Et quand même l’amour nous unirait tous deux…

FLAMINIUS

Achevez ; qui pourrait m’empêcher d’être heureux ?
Vous aurait-on promise ? et le roi votre père
Aurait-il ?…

LAODICE

N’accusez nulle cause étrangère.
Je ne puis vous aimer, Seigneur, et vos soupçons
Ne doivent point ailleurs en chercher des raisons.


Scène III

FLAMINIUS, seul.

Enfin, elle me fuit, et Rome méprisée

À permettre mes feux s’est en vain abaissée.
Et moi, je l’aime encor, après tant de refus,
Ou plutôt je sens bien que je l’aime encor plus.
Mais cependant, pourquoi s’est-elle interrompue ?
Quel secret allait-elle exposer à ma vue ?
Et quand un même amour nous unirait tous deux…
Où tendait ce discours qu’elle a laissé douteux ?
Aurait-on fait à Rome un rapport trop fidèle ?
Serait-ce qu’Annibal est destiné pour elle,
Et que, sans cet hymen, je pourrais espérer… ?
Mais à quel piège ici vais-je encor me livrer ?
N’importe, instruisons-nous ; le cœur plein de tendresse,
M’appartient-il d’oser combattre une faiblesse ?
Le roi vient ; et je vois Annibal avec lui.
Sachons ce que je puis en attendre aujourd’hui.


Scène IV

PRUSIAS, ANNIBAL, FLAMINIUS


PRUSIAS

J’ignorais qu’en ces lieux…

FLAMINIUS

Non : avant que j’écoute,
Répondez-moi, de grâce, et tirez-moi d’un doute.
L’hymen de votre fille est aujourd’hui certain.
À quel heureux époux destinez-vous sa main ?

PRUSIAS

Que dites-vous, Seigneur ?

FLAMINIUS

Est-ce donc un mystère ?

PRUSIAS

Ce que vous exigez ne regarde qu’un père.

FLAMINIUS

Rome y prend intérêt, je vous l’ai déjà dit ;
Et je crois qu’avec vous cet intérêt suffit.

PRUSIAS

Quelque intérêt, Seigneur, que votre Rome y prenne,
Est-il juste, après tout, que sa bonté me gêne ?

FLAMINIUS

Abrégeons ces discours. Répondez, Prusias :
Quel est donc cet époux que vous ne nommez pas ?

PRUSIAS

Plus d’un prince, Seigneur, demande Laodice ;
Mais qu’importe au Sénat que je l’en avertisse,
Puisque avec aucun d’eux je ne suis engagé ?

ANNIBAL

De qui dépendez-vous, pour être interrogé ?

FLAMINIUS

Et vous qui répondez, instruisez-moi, de grâce :
Est-ce à vous qu’on m’envoie ? Est-ce ici votre place ?
Qu’y faites-vous enfin ?

ANNIBAL

J’y viens défendre un roi

Dont le cœur généreux s’est signalé pour moi ;
D’un roi dont Annibal embrasse la fortune,
Et qu’avec trop d’excès votre orgueil importune.
Je blesse ici vos yeux, dites-vous : je le croi ;
Mais j’y suis à bon titre, et comme ami du roi.
Si ce n’est pas assez pour y pouvoir paraître,
Je suis donc son ministre, et je le fais mon maître.

FLAMINIUS

Dût-il de votre fille être bientôt l’époux,
Pourrait-il de son sort se montrer plus jaloux ?
Qu’en dites-vous, Seigneur ?

PRUSIAS

Il me marque son zèle,
Et vous dit ce qu’inspire une amitié fidèle.

ANNIBAL

Instruisez le Sénat, rendez-lui la frayeur
Que son agent voudrait jeter dans votre cœur
Déclarez avec qui votre foi vous engage :
J’en réponds, cet aveu vaudra bien un outrage.

FLAMINIUS

Qui doit donc épouser Laodice ?

ANNIBAL

C’est moi.

FLAMINIUS

Annibal ?

ANNIBAL

Oui, c’est lui qui défendra le roi ;
Et puisque sa bonté m’accorde Laodice,
Puisque de sa révolte Annibal est complice,
Le parti le meilleur pour Rome est désormais

De laisser ce rebelle et son complice en paix.
À Prusias.

Seigneur, vous avez vu qu’il était nécessaire
De finir par l’aveu que je viens de lui faire,
Et vous devez juger, par son empressement,
Que Rome a des soupçons de notre engagement.
J’ose dire encor plus : l’intérêt d’Artamène
Ne sert que de prétexte au motif qui l’amène ;
Et sans m’estimer trop, j’assurerai, Seigneur,
Que vous n’eussiez point vu sans moi d’ambassadeur ;
Que Rome craint de voir conclure un hyménée
Qui m’attache à jamais à votre destinée,
Qui me remet encor les armes à la main,
Qui de Rome peut-être expose le destin,
Qui contre elle du moins fait revivre un courage
Dont jamais son orgueil n’oubliera le ravage.
Cette Rome, il est vrai, ne parle point de moi ;
Mais ses précautions trahissent son effroi.
Oui, les soins qu’elle prend du sort de Laodice
D’un orgueil alarmé vous montrent l’artifice.
Son Sénat en bienfaits serait moins libéral,
S’il ne s’agissait pas d’écarter Annibal.
En vous développant sa timide prudence,
Ce n’est pas que, saisi de quelque défiance,
Je veuille encourager votre honneur étonné
À confirmer l’espoir que vous m’avez donné.

Non, je mériterais une amitié parjure,
Si j’osais un moment vous faire cette injure.
Et que pourriez-vous craindre en gardant votre foi ?
Est-ce d’être vaincu, de cesser d’être roi ?
Si vous n’exercez pas les droits du rang suprême,
Si vous portez des fers avec un diadème,
Et si de vos enfants vous ne disposez pas,
Vous ne pouvez rien perdre en perdant vos États.
Mais vous les défendrez : et j’ose encor vous dire
Qu’un prince à qui le ciel a commis un empire,
Pour qui cent mille bras peuvent se réunir,
Doit braver les Romains, les vaincre et les punir.

FLAMINIUS

Annibal est vaincu ; je laisse à sa colère
Le faible amusement d’une vaine chimère.
Épuisez votre adresse à tromper Prusias ;
Pressez ; Rome commande et ne dispute pas ;
Et ce n’est qu’en faisant éclater sa vengeance,
Qu’il lui sied de donner des preuves de puissance.
Le refus d’obéir à ses augustes lois
N’intéresse point Rome, et n’est fatal qu’aux rois.
C’est donc à Prusias à qui seul il importe
De se rendre docile aux ordres que j’apporte.
Poursuivez vos discours, je n’y répondrai rien ;
Mais laissez-nous après un moment d’entretien.
Je vous cède l’honneur d’une vaine querelle,
Et je dois de mon temps un compte plus fidèle.

ANNIBAL

Oui, je vais m’éloigner : mais prouvez-lui, Seigneur,
Qu’il ne rend pas ici justice à votre cœur.

Scène V

FLAMINIUS, PRUSIAS


FLAMINIUS

Gardez-vous d’écouter une audace frivole,
Par qui son désespoir follement se console.
Ne vous y trompez pas, Seigneur ; Rome aujourd’hui
Vous demande Annibal, sans en vouloir à lui.
Elle avait défendu qu’on lui donnât retraite ;
Non qu’elle eût, comme il dit, une frayeur secrète :
Mais il ne convient pas qu’aucun roi parmi vous
Fasse grâce aux vaincus que proscrit son courroux.
Apaisez-la, Seigneur : une nombreuse armée
Pour venir vous surprendre a dû s’être formée ;
Elle attend vos refus pour fondre en vos États ;
L’orgueilleux Annibal ne les sauvera pas.
Vous, de son désespoir instrument et ministre,
Qui n’en pénétrez pas le mystère sinistre,
Vous, qu’il abuse enfin, vous par qui son orgueil
Se cherche, en vous perdant, un éclatant écueil,
Vous périrez, Seigneur ; et bientôt Artamène,
Aidé de son côté des troupes qu’on lui mène,
Dépouillera ce front de ce bandeau royal,
Confié sans prudence aux fureurs d’Annibal.
Annonçant du Sénat la volonté suprême,
J’ai parlé jusqu’ici comme il parle lui-même ;
J’ai dû de son langage observer la rigueur :
Je l’ai fait ; mais jugez s’il en coûte à mon cœur.
Connaissez-le, Seigneur : Laodice m’est chère ;

Il doit m’être bien dur de menacer son père.
Oui, vous voyez l’époux proposé dans ce jour,
Et dont Rome n’a pas désapprouvé l’amour.
Je ne vous dirai point ce que pourrait attendre
Un roi qui choisirait Flaminius pour gendre.
Pensez-y, mon amour ne vous fait point de loi,
Et vous ne risquez rien ne refusant que moi.
Mon âme à vous servir n’en sera pas moins prête ;
Mais, par reconnaissance, épargnez votre tête.
Oui, malgré vos refus et malgré ma douleur,
Je vous promets des soins d’une éternelle ardeur.
À présent trop frappé des malheurs que j’annonce,
Peut-être auriez-vous peine à me faire réponse ;
Songez-y ; mais sachez qu’après cet entretien,
Je pars, si dans ce jour vous ne résolvez rien.


Scène VI

PRUSIAS, seul.


Il aime Laodice ! Imprudente promesse,
Ah ! sans toi, quel appui m’assurait sa tendresse !
Dois-je vous immoler le sang de mes sujets,
Serments qui l’exposez, et que l’orgueil a faits ?
Toi, dont j’admirai trop la fortune passée,


Sauras-tu vaincre mieux ceux qui l’ont renversée ?
Abattu sous le faix de l’âge et du malheur,
Quel fruit espères-tu d’une infirme valeur ?
Tristes réflexions, qu’il n’est plus temps de faire !
Quand je me suis perdu, la sagesse m’éclaire :
Sa lumière importune, en ce fatal moment,
N’est plus une ressource, et n’est qu’un châtiment.
En vain s’ouvre à mes yeux un affreux précipice ;
Si je ne suis un traître, il faut que j’y périsse.
Oui, deux partis encore à mon choix sont offerts :
Je puis vivre en infâme, ou mourir dans les fers.
Choisis, mon cœur. Mais quoi ! tu crains la servitude ?
Tu n’es déjà qu’un lâche à ton incertitude !
Mais ne puis-je, après tout, balancer sur le choix ?
Impitoyable honneur, examinons tes droits.
Annibal a ma foi ; faut-il que je la tienne,
Assuré de ma perte, et certain de la sienne ?
Quel projet insensé ! La raison et les dieux
Me font-ils un devoir d’un transport furieux ?
Ô ciel ! j’aurais peut-être, au gré d’une chimère
Sacrifié mon peuple et conclu sa misère.
Non, ridicule honneur, tu m’as en vain pressé :
Non, ce peuple t’échappe, et ton charme a cessé.
Le parti que je prends, dût-il même être infâme,

Sujets, pour vous sauver j’en accepte le blâme.
Il faudra donc, grands dieux ! que mes serments soient vains,
Et je vais donc livrer Annibal aux Romains,
L’exposer aux affronts que Rome lui destine !
Ah ! ne vaut-il pas mieux résoudre ma ruine ?
Que dis-je ? mon malheur est-il donc sans retour ?
Non, de Flaminius sollicitons l’amour.
Mais Annibal revient, et son âme inquiète
Peut-être a pressenti ce que Rome projette.
Dissimulons.


Scène VII

PRUSIAS, ANNIBAL


ANNIBAL

J’ai vu sortir l’ambassadeur.
De quels ordres encor s’agissait-il, Seigneur ?
Sans doute il aura fait des menaces nouvelles ?
Son Sénat…

PRUSIAS

Il voulait terminer vos querelles :
Mais il ne m’a tenu que les mêmes discours,
Dont vos longs différends interrompaient le cours.
Il demande la paix, et m’a parlé sans cesse
De l’intérêt que Rome a pris à la princesse.
Il la verra peut-être, et je vais, de ce pas,
D’un pareil entretien prévenir l’embarras.

Scène VIII

ANNIBAL, seul.


Il fuit ; je l’ai surpris dans une inquiétude
Dont il ne me dit rien, qu’il cache avec étude.
Observons tout : la mort n’est pas ce que je crains ;
Mais j’avais espéré de punir les Romains.
Le succès était sûr, si ce prince timide
Prend mon expérience ou ma haine pour guide.
Rome, quoi qu’il en soit, j’attendrai que les dieux
Sur ton sort et le mien s’expliquent encor mieux.