Anthélia Mélincourt/La Conclusion

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Traduction par Mlle Al. de S**, traducteur des Frères hongrois.
Béchet (2p. 189-199).


LA CONCLUSION.


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Lord Anophel, un matin lui rendit sa visite ordinaire : Soyez assuré madame, lui dit-il, que si vos amis avaient dû vous découvrir, ils l’auraient déjà fait. Ils ont parcouru le pays dans tous les sens, et sont retournés chez eux, désespérant de vous retrouver jamais.

— C’est, mylord, ce que vous me permettrez de ne pas croire : il en est un qui ne cessera pas ses recherches, qui, j’en suis sûre, ne m’oubliera jamais, et dont je ne dois pas trahir la confiance.

— Si par ces mots vous entendez le lunatique de Redrose et son ami le baronnet muet ; ils sont allé attendre, à Londres, l’ouverture de la chambre. Si vous ne me croyez pas, vous pouvez vous en rapporter au Morning-Post qui annonce leur arrivée à l’hôtel de l’homme sauvage ?

— Votre parole est aussi bonne, milord, que l’autorité que vous citez.

— Bien ! Alors je pense, miss Mélincourt, que vous êtes convaincue, que vous êtes entièrement en ma puissance, et que j’ai été trop loin pour reculer. Si en vérité, j’avais supposé que je vous fusse aussi désagréable, ce qui, il faut le dire, (en se regardant dans la glace) n’est pas concevable, peut-être aurais-je laissé de côté mon projet. Qu’une anglaise regarde comme un grand malheur d’être lady Achthar et l’héritière du marquisat d’Algaric ; qu’elle éprouve du ressentiment des tentatives qui ont eu pour but de lui donner ce titre, c’est ce qui n’est jamais entré dans ma tête. Néanmoins comme je vous l’ai déjà observé, puisque vous êtes entièrement en mon pouvoir, et que le caractère de l’un et de l’autre se trouvent également compromis ; il n’y a qu’une seule manière de sortir d’ici, c’est d’appeler Grovelgrub et de me donner le titre de votre époux.

— Pour votre caractère, vous savez, sans doute, si vous en avez un. Quant au mien, c’est à moi à le faire respecter. La conduite que j’ai eue pendant toute ma vie, me donne le droit de croire : que pour tous ceux qui me connaissent, et particulièrement pour tous ceux qui m’aiment ; je suis au-dessus du soupçon. Quant aux autres, je me mets au-dessus de leur malice et de leur envie.

— Il y a des choses qui font perdre patience à un homme, miss Mélincourt, et sur mon honneur, si vous ne me cédez pas de bonne grâce, je saurai vous y contraindre par la force.

— Milord !

— Je parle sérieusement. Croyez-moi, ne me forcez pas à vous obliger de me demander comme une grâce, de vous donner mon nom.

— Je ne sais ce que vous entendez par ces mots milord ; mais soyez assuré que rien ne me forcera d’être votre femme, et que, quoiqu’il m’arrive, dans aucun temps je ne serai à votre discrétion. Je connais assez le monde pour n’être pas épouvantée de vos menaces. Lors même que votre scélératesse ferait mon malheur ; une fausse honte ne pourra jamais m’engager à cacher ce que la justice et la vérité m’ordonneront de faire connaître.

Lord Anophel resta étonné pendant quelques minutes, de cette déclaration. Il se remit à la fin, en disant : la théorie est une chose, et la pratique une autre. Il lui prit la main avec violence, et passa ses bras autour de la taille d’Anthélia qui, sans espoir d’être secourue, jeta cependant les hauts cris. Au même instant on entendit les pas précipités de plusieurs personnes qui s’avançaient : la porte fut brusquement enfoncée, et sir Oran parut dans l’appartement, traînant le révérend Grovelgrub par l’oreille ; il était suivi de sir Forester et Fax. Forester courut à Anthélia qui se précipita dans ses bras, en cachant son visage dans son sein, pour dérober la vue de ses larmes. Quand sir Oran vit ses pleurs, sa colère n’eut plus de bornes, et lâchant le révérend, (qui se précipita dans l’escalier et quitta le château aussi vite qu’il lui fut possible ;) il saisit lord Anophel, et se préparait à le jeter par la fenêtre ; mais sir Fax l’en empêcha, et avec le secours de Forester, dont l’attention ne se portait que sur Anthélia, ils parvinrent à dégager le lord des bras de son terrible adversaire. Sa seigneurie ne fut pas plutôt libre, que laissant l’ennemi en possession de son château, elle se précipita dans l’escalier, et suivit son tuteur par une issue dérobée ; il l’aperçut qui s’enfuyait. Lord Anophel se mit à sa poursuite, lui criant inutilement de ralentir sa course, le révérend croyait entendre le bruit des pas du baronnet muet, et craignait qu’il n’eut recouvré la voix, ce qui lui donnait encore des ailes ; il s’arrêta, seulement au bord d’une rivière qui lui barra le chemin, et ce fut sur ces bords, que sa seigneurie retrouva son vertueux mentor. Nous allons les y laisser, pour expliquer l’heureux hasard qui avait conduit Forester et Oran, si à propos, près d’Anthélia.

Les voyageurs suivaient, sans projet, le bord de la mer ; ils arrivèrent ainsi sous les murs du château d’Alga. Le révérend, conduit par son mauvais génie, était alors à réfléchir sur ses projets qu’il ne pouvait plus différer sans danger, et il se promenait sur une petite esplanade. La vue de l’homme sauvage s’étend bien plus loin que celle de l’homme civilisé ; sir Oran aperçut le révérend, le reconnut pour l’un des premiers auteurs de l’enlèvement d’Anthélia, et courut sur lui avec la même vitesse qu’Achille après Hector autour de Troie ; il le joignit bientôt, quoique le révérend se fut enfui à son approche. Sir Oran le saisit par les oreilles, et Grovelgrub, à genoux, lui criait merci, et protestait qu’il allait tout avouer. Quand sir Forester et Fax, en s’approchant, le prirent au mot, se firent tout expliquer, et sans perdre de temps, volèrent à la porte de l’appartement d’Anthélia. Sir Oran continuait à tenir le révérend par les oreilles, il ne le lâcha, comme nous l’avons vu, que pour tomber sur son élève.

Ah Forester ! disait Anthélia, vous réalisez toutes mes espérances ; je trouve en vous l’ami du pauvre, le possesseur de toutes les vertus, jointes à la plus grande activité pour le bien de l’humanité ; vous secourez même, ajouta-t-elle en souriant, les demoiselles en détresse. Il est vrai que c’est pour changer en une éternelle captivité une captivité passagère.

On repartit pour Mélincourt ; les services du vicaire Portepipe furent mis en réquisition pour unir, dans la vieille chapelle du château, Anthélia et Forester. Cette journée fut célébrée par de grandes réjouissances dans leur terre. Le vicaire annonça qu’il avait pris la résolution, au baptême d’Anthélia, de boire une bouteille de plus chaque jour, s’il bénissait son mariage ; en mémoire de cet heureux événement, il boirait, disait-il, double dose ; il tînt fidèlement sa parole pendant tout le reste de sa vie.

Sir Oran continua à habiter avec Forester et Anthélia, pour laquelle il avait conçu une vive passion, comme on le découvrit dans la suite. Son plus grand bonheur était de l’entendre s’accompagner sur la harpe, et il adoucissait les chagrins que lui causait son absence, en répétant sur la flûte les morceaux qu’elle préférait ; il devint très-habile dans son art, depuis qu’il y attacha plus d’intérêt ; mais fit-il des progrès dans celui de la parole, c’est ce que nous n’avons pas su, non plus que la manière dont il se conduisit au parlement.

Sir Fax fit de fréquentes visites au château, où il y avait toujours un couvert mis pour le vicaire. Sir Hippy avait quelque inclination à faire des propositions de mariage à miss Evergrun ; mais ayant appris de sir Forester, que depuis la mort de son premier amant qu’elle avait perdu très-jeune, elle s’était décidée à ne pas se marier ; il s’en consola en passant la moitié de son temps à Mélincourt, où il faisait danser le petit Forester sur ses genoux ; il lui avait appris, à sa grande satisfaction, à l’appeler grand papa Hippy.

Sir Forester céda Redrose à sir Télégraph, qui, après avoir été inconsolable pendant un an, se ravisa, comme l’avait prédit sa tante, épousa une jolie miss ; cessa de boire, et devint un très-respectable gentilhomme de campagne.

Nous ne finirons pas sans apprendre à nos lecteurs, que miss Danaretta, après avoir long-temps craint de ne pas faire un bon mariage, finit, au moyen des sages ménagemens de madame sa mère, par rendre lord Anophel le plus heureux des hommes. Le révérend Grovelgrub attend encore son évêché, sa tutelle étant achevée ; mais toutes les promesses qui lui avaient été faites, sont encore à réaliser.


fin.