Anthélia Mélincourt/Le Bal

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Traduction par Mlle Al. de S**, traducteur des Frères hongrois.
Béchet (2p. 62-68).


LE BAL.


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Le dîner fut suivi d’un bal dont sir Télégraph, nommé maître des cérémonies, dirigea les préparatifs ; tandis que le reste de la société se décida, bon gré, mal gré, à prendre le thé sans sucre, proscrit surtout, dans une circonstance aussi solennelle.

La salle du bal était vaste ; sir Télégraph eut l’idée de le faire précéder par un ballet d’un genre nouveau. Il fit tracer au milieu de la salle un assez grand espace qu’il divisa en soixante-quatre carrés alternativement, blancs et rouges ; ils étaient disposés sur huit de front. Il choisit ensuite ses personnages, et après avoir demandé a miss Evergrun de l’aider, il lui communiqua son plan et la pria de décider les dames qu’il avait choisies, à se charger de leur rôle. La société devait être partagée en deux bandes, sous la conduite de deux rois, l’un blanc, et l’autre noir ; les évolutions devaient s’exécuter au son de la musique. Nous croyons devoir avertir nos lecteurs, que la danse figurait une partie d’échecs, et nous allons mettre sous leurs yeux les noms des acteurs du ballet et des rôles dont ils étaient chargés.

Le parti blanc était composé comme il suit :

acteurs. Rôles.
Sir Hippy. Roi.
Miss Danaret la Reine.
M. Portepipe Confesseur du roi.

M. Grégory Grummould Confesseur de la reine.
M. O’scarum Chevalier du roi.
M. Télégraph Chevalier de la reine
M. Feathernest Tour du roi,
M. Paperstamps Tour de la reine.
Huit jeunes dames remplissaient le rôle de dames d’honneur.

Le parti noir était composé : du Major O’doskin ; Roi,
Miss Celaudina Paperstamps.. Reine,
M. Hermitage Confesseur du roi,
M. Hultap Confesseur de la reine.

M. Sarcastic Chevalier du Roi
M. Derrydown Chevalier de la reine.
M. Killthedead Tour du roi.
M. Vamps Tour de la reine.

Huit autres jeunes miss figuraient les dames d’honneur.

Les deux, partis se placèrent vis-à-vis l’un de l’autre ; le roi blanc sur un carreau rouge ; son adversaire vis-à-vis de lui, ayant chacun leur reine à leur droite, ils étaient suivis de leurs confesseurs, de leurs chevalier et de leurs tours. Les dames se placèrent en avant sur la seconde ligne, un espace de huit carreaux de chaque côté, restait centre les deux partis.

La musique donna le signal des combats et le droit d’attaque étant échu au parti blanc, son aimable reine hasarda la première attaque. Son armée docile témoigna par ses mouvemens, son attachement à son chef. Les dames donnèrent les premières ; les succès furent long-temps balancés entre les deux partis. Les prisonsonniers étaient envoyés autour d’une table couverte de rafraîchissemens. Le vicaire Portepipe fit de longs et infructueux efforts pour être pris ; parvenu, enfin, à son but, il s’établit dans un bon fauteuil ou il attendit le souper en dormant. Sir Feathernest avait froncé le sourcil, lorsqu’on lui avait proposé d’être la tour du roi. Il ne se décida que quand on lui eut assuré qu’on n’entendait point faire de mauvaise plaisanterie. Sir Paperstamps, autre poète, vendu depuis peu à la voix doucereuse, se résigna, sans observation, à faire son pendant. Le parti de sir Hippy fut vainqueur, ses adversaires ayant été réduits à l’inaction, des fanfares bruyantes annoncèrent son triomphe.

Des valses, des quadrilles et des contre-danses, succédèrent à ce ballet, et durèrent jusqu’au jour. Un élégant souper fut servi ; on y avait également déployé toutes les recherches du luxe, le sucre toujours, excepté.

Anthélia ne voulut point danser de walses ; elle exprima à sir Forester son étonnement de voir leur usage établi à l’abbaye de Redrose.

— Je ne me suis point occupé de cela, lui répondit Forester ; j’ai laissé à sir Télégraph les soins de l’arrangement du bal ; je suppose qu’il a suivi la mode et le goût des dames. Jeune, comme je le suis, je me souviens d’avoir vu les temps où l’aimable danseuse d’un bal, en Angleterre, n’avait aucun rapport avec la figurante des ballets des théâtres parisiens. Les walses et les manières de se draper ont été introduites depuis, dans nos salons. Chaque année voit l’antique simplicité de nos mœurs remplacée par la folie et les vices du continent. L’anglais serré dans un corset, et la jeune femme avec plusieurs volans au bas de sa robe, sont des monstruosités que n’auraient jamais soupçonné les spéculateurs des progrès de la dégénération ; nul de nos moralistes fameux n’eût pu poser en fait, que le plus grand mérite d’une anglaise serait un jour d’imiter, dans ses manières et dans ses actions, l’actrice parisienne.

La fête fut terminée par de la musique ; l’air que chanta Anthélia, rappella à sir Forester, leur conversation au bord de la mer, lorsqu’il avait comparé le matin du jour au printemps de la vie, au premier amour.