Anthélia Mélincourt/Le Voyage en Écosse

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Traduction par Mlle Al. de S**, traducteur des Frères hongrois.
Béchet (2p. 149-155).


LE VOYAGE EN ÉCOSSE.


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Après un long et pénible chemin, ils commençaient à craindre d’être obligés de passer la nuit en plein air ; quand, heureusement, ils trouvèrent une grande route qu’ils suivirent quelque temps, et qui les conduisit à une petite ville. Ils se rendirent à une auberge pour y passer la nuit. On les conduisit dans une chambre séparée de la voisine, par une légère cloison de bois ; les deux appartemens n’en ayant fait qu’un autrefois.

Ils étaient assis devant la table, pour dîner, quand ils entendirent le bruit de nouveaux venus qui prenaient possession de cette pièce. Ils distinguèrent la voix d’une femme qui témoignait ses craintes, et son anxiété, et celle d’un homme qui ne paraissait pas plus rassuré ; mais qui, alternativement raffermissait le courage de sa compagne, et priait ses hôtes de dire qu’ils étaient partis, s’ils étaient demandés. Sir Fax ne fut pas long-temps à conjecturer, que c’étaient deux amans qui craignaient d’être arrêtés dans leur fuite : sa conjecture fut confirmée, quand, après beaucoup de fracas dans la maison, la porte de cette chambre fut enfoncée, et que la jeune dame jeta un cri perçant. — Enfin je vous rejoins miss ! Vous alliez à Gretus ? Votre voyage est manqué pour ce coup ; vous n’aviez pas pris mon consentement ? Ils n’entendirent pas la réponse qui fut étouffée par des sanglots ; mais ils purent saisir quelques mots, tels que ceux-ci : l’amour en vérité, me dites-vous ; n’êtes-vous pas ma fille ? qu’avez-vous à répondre à cela ? n’ai-je pas tout droit sur vous jusqu’à vingt-un ans ? Vous pourrez vous marier alors, mais non une minute plutôt. Vous n’aurez rien de moi, tant que je vivrai. Ne vous ai-je pas choisi un mari : un jeune et riche compagnon de quarante-cinq ans, (de soixante, répondit la fille,) roulant dans l’or, membre du parlement ; ayant deux places, trois pensions, une sinécure, et assez de crédit pour faire vos enfans généraux ou archevêques. Vous préférez un misérable vagabond, qui a seulement cinq cents livres sterlings de revenu territorial. L’amour en vérité, les rapports d’âge, d’esprit ; phrases que tout cela. L’argent ! l’argent ! l’argent ! encore une fois de l’argent. L’argent est la première de toutes les choses, il en est la seconde, il en est la troisième, il est la seule chose à désirer. Vagabond, dit une troisième voix, je suis gentilhomme, j’ai assez de fortune pour assurer une existence convenable à votre fille. Convenable, reprit le père ; convenable avec cinq cents livres sterlings. Ah ! contenez sir Bonus, que c’est très-drôle. On entendit une quatrième voix cassée et tremblante : C’est très-bien ; mais je ne vous céderai pas si facilement ma maîtresse, mon trésor. Rébellion, reprit la voix du père, rébellion contre l’autorité paternelle. Je ne suis pas assez jeune pour vous la disputer, reprit le vieil amant, mais j’ai mes valets.

Un violent trépignement de pieds se fit entendre, et comme le vieux gentilhomme et ses gens tombèrent à main armée sur les amans ; le combat ne fut pas long : Un cri douloureux, de la jeune personne, annonça qu’ils avaient réussi à les séparer. Sir Forester se leva pour aller au secours de la jeune dame, et sir Oran qui, comme le lecteur l’a déjà vu, avait des seutimens très-chevaleresques, et secourait volontiers les dames affligées, se précipita dans l’appartement d’où venaient les cris. À sa vue inattendue, chacun resta immobile, et la jeune dame profita du trouble, pour se jeter, de nouveau, dans les bras de son amant.

Le vieux gentilhomme et sir Bonus, qu’il avait choisi pour son gendre, dirigèrent, de nouveau, les efforts de leurs valets, pour séparer les jeunes gens. La dame embrassait son amant, comme la vigne embrasse l’ormeau, et le jeune homme, dont le bras droit était libre, la défendait, contre les assaillans, avec une pelle à feu qu’il avait saisie à la première irruption ; les valets pouvaient montrer sur leur dos et sur leurs épaules les traces de sa défense.

Comme sir Oran n’était pas accoutumé aux longs débats, et qu’il n’etait pas venu avec le projet de balancer les droits des parties ; mais bien de secourir celles qui l’intéressait, il prit une chaise, tomba sur les assaillans, et les força bientôt à évacuer la place. Sir Bonus et le père firent leur retraite dans l’appartement de sir Forester qui, cédant à leurs demandes, se leva pour aller au secours de leurs gens ; mais il en fut empêché par le retour de sir Oran, qui rentra dans la chambre, chassant devant lui les laquais. Il les poussa dans un coin où il les garda à vue, pendant que les jeunes amans se hâtaient de descendre dans la cour de l’auberge, où leur chaise était préparée, le bruit des fouets et le retentissement des roues, annoncèrent bientôt qu’ils étaient en sûreté, et toutes les espérances que cette rencontre avait fait concevoir au père et à sir Bonus, furent ainsi évanouies ; car sir Oran les garda dans le même coin plus de deux heures, et les réduisit au silence, toutes les fois qu’ils voulaient prendre la parole, en élevant en l’air sa redoutable chaise.