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Anthélia Mélincourt/Les Noces rustiques

La bibliothèque libre.
Traduction par Mlle Al. de S**, traducteur des Frères hongrois.
Béchet (2p. 123-133).


LES NOCES RUSTIQUES.


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Sir Fax et Forester furent interrompus dans leur conversation, par l’arrivée des époux qui s’approchaient de l’église, suivis d’une foule de leurs amis. La mariée était une paysanne fraîche et vermeille ; elle s’appuyait sur le bras de son amant, non, comme une de nos belles sur celui d’un élégant d’une manière imperceptible, mais, avec un tel abandon, que toute la force d’un merveilleux n’eût pu y suffire. Les joues de l’époux disputaient en couleur avec sa veste d’écarlate, et sa bouche qui souriait, laissait voir les dents les plus blanches. Il avançait tantôt par bonds, tantôt avec recueillement, comme si le souvenir de la solennité du mariage eut arrêté tout-à-coup, l’impulsion de gaieté qu’il éprouvait.

Sir Fax regarda avec commisération le couple, et il se détermina à s’assurer s’il avait connaissance des maux, suite nécessaire des mariages des pauvres gens. Il s’avança vers les mariés, et les accosta, en leur disant que le vicaire était occupé, et ne viendrait que dans quelques minutes. Pendant ce temps, leur dit-il, je serai pour vous le représentant de la raison générale, et je vous demanderai, si vous avez réfléchi aux conséquences de votre mariage ?

— Raison générale ! répondit l’époux, je ne connais pas cet homme ; est-ce l’aide-de-camp de quelque général ? nous ne sommes pas sous la loi martiale. Quel mauvais temps en vérité, si la raison générale avait le droit de s’interposer entre un pauvre homme et son cœur.

— C’est précisément le cas où vous êtes qui réclame le plus promptement cette interposition.

— Si la raison générale, attend jusqu’assez que Zukey ou moi, nous l’entendions, qu’elle appelle plus haut, ou qu’elle attende ; n’est-ce pas Zukey ?

— Oui, sur mon âme, Robin.

— La raison générale, je vous assure mon ami, n’a rien à faire avec la loi martiale, ni avec aucun autre mode arbitraire de pouvoir ; mais elle est l’autorité qui a la vérité, pour source, la bienfaisance pour fin et le monde entier pour théâtre.

— Je ne comprends pas ces mots, dit le marié en secouant la tête ; mais si comme je le suppose, d’après ce que vous dites, la raison générale est un prêcheur méthodiste, elle n’est point de la véritable église, et Zukey et moi nous en faisons partie.

— Assurément, Robin.

— Je n’ai rien à faire avec le représentant de la raison générale, et toi Zukey, as-tu quelque chose à démêler avec lui ?

— Ah ! mon Dieu non, Robin.

— Bien, mes amis, quoiqu’il en soit vous allez vous marier, vous y êtes bien décidés ?

— Pourquoi cette question ? Je pense que la chose n’importe pas au représentant de la raison, et que nous nous marierons sans lui, n’est-ce pas Zukey ?

— Certainement, Robin.

— Savez-vous, mon bon ami, ce que c’est que le mariage ?

— Oui certes, Zukey et moi l’avons appris par cœur dans le livre de prières ; n’est-ce pas Zukey ? (Zukey ne jugea pas convenable de répondre.) Voici le texte : Il est ordonné aux personnes qui se sont données l’une à l’autre (ici Zukey lui pinça si fort le bras, qu’il fut obligé de s’arrêter,) ah méchante ! est-ce ainsi que vous me traitez ? C’est une fameuse pince, vous pouvez vous en vanter ; mais je me vengerai. (Il appuya avec force sa bouche sur les lèvres de la jeune fille, au grand scandale de sir Fax.)

— Savez-vous, leur demanda-t-il, combien vous pouvez avoir d’enfans dans six ans ?

— Le plus sera le mieux, assurément. N’est-ce pas Zukey ? (Celle-ci fut encore muette.)

— Je voudrais pouvoir l’espérer, mon ami ; mais, je crois que le plus sera le pire. Quelles sont vos occupations ?

— Je suis agriculteur.

— Et que faites-vous, pour gagner votre vie ?

— Tous les travaux de mon état. Je laboure, je seme, je fauche, je plante, je charroye, et je gagne quarante schellings en travaillant de mon mieux. Demandez à Zukey.

— C’est bien vrai, Robin.

— Je n’en doute pas, mon ami ; pas plus que quarante schellings ne fassent quatre livres sterlings, et quelques schellings ; en y ajoutant l’ouvrage de votre femme. Mais qu’est-ce que cela, pour nourrir une famille comme celle que vous voulez avoir ?

— Pourquoi rendre mes intentions suspectes à Zukey, représentant de la raison générale ; sachez que je ne le souffrirai de personne, et que je ne suis pas soumis aux prêcheurs méthodistes.

— Il est clair que si vous ne pouvez suffire à l’existence de vos enfans, ils seront à la charge de la paroisse.

— Que voulez-vous dire, mauvaise langue, je n’ai jamais eu rien à faire avec la paroisse, ni elle avec moi.

— Si vous n’avez pas eu besoin de ses secours, le temps n’en viendra que trop tôt, mon bon ami ; quand vous aurez une nombreuse famille, vous perdrez votre indépendance, et si vous vous trouvez une semaine sans ouvrage, comme cela n’arrive que trop souvent à d’honnêtes gens ; que ferez-vous ?

— Je ferai de mon mieux, maître, comme je l’ai toujours fait ; et on ne peut exiger d’un homme l’impossible.

— En vous mariant, avec un tel avenir, comment ferez-vous pour élever vos enfans ?

— Je m’en remets à la Providence.

— Comment pourrez-vous leur apprendre à gagner leur vie.

— Au diable les questions ! je vois maintenant que la raison générale est un de ces fabricans de taxes, de ces donneurs de papiers-monnaie, qui ne sont pars contens d’ôter aux pauvres tout ce qu’ils ont, qui en veulent encore à leurs enfans, pour les faire marins ou soldats ; il ne leur manquait plus, que de leur prendre, leur femme.

— La, la, mon ami, vous vous trompez, je veux seulement vous montrer que les pauvres ayant plus d’enfans qu’ils n’en peuvent nourrir, ces enfans sont obligés de suivre la carrière militaire ; les prétendus hommes d’état, trouvent en eux des instrumens pour servir à leurs desseins, contre l’humanité, et un anglais ne devrait pas se marier, sans être sûr de pouvoir nourrir ses enfans.

— Que le Seigneur vous bénisse, avec votre verbiage ; la fin de tout ceci est, que je ne puis vivre sans Zukey, ni elle sans moi. N’est-ce pas Zukey que vous ne le pouvez pas ?

— Non, assurément, Robin.

— Zukey est la plus honnête fille d’Angleterre ; elle sera ma femme, malgré la raison générale ; vous pouvez dire à votre raison, qu’elle nous prenne meubles, tables, habits et papier-monnaie ; qu’elle ne nous laisse ni poules ni pigeons, elle ne pourra jamais me prendre, à moi ma Zukey, ni à elle son Robin.

Quels cris profanes, dit le vicaire en arrivant à la porte de l’église, qui peut faire un tel train sur le seuil de la maison de Dieu ? Voyant le futur hors de lui, il le réprimanda sévèrement, et lui déclara, qu’il ne le marierait pas ce jour-là ; l’idée d’un tel désappointement, fut terrible pour le pauvre Robin ; ne pouvant se justifier, il tomba aux genoux du révérend, que cette soumission ne put désarmer, et qui lui aurait fait subir la pénitence entière, sans l’intercession de sir Forester. Le visage de Robin redevint radieux en un instant ; les pleurs qui baignaient ses joues, ressemblèrent à des gouttes de rosée que le soleil a bientôt séchées.

Vous êtes un honnête garçon, lui dit sir Forester, en lui mettant un billet de banque dans la main, ne me refusez pas le plaisir de joindre cette petite adition aux économies futures de votre femme.

— Que le ciel vous conserve, s’écria le mari avec reconnaissance et surprise ; je vois que vous êtes le meilleur des hommes ; mais pour celui-là, avec sa raison générale, c’est un vaurien.

La noce rustique suivit le vicaire à l’église. Robin se retourna quand il fut sur la porte, regarda sir Fax en haussant les épaules, et lui dit, avec un regard moqueur : mes dévoués services à la raison générale, et à son représentant ; il continua son chemin, et se retournant une seconde fois avant que d’entrer, il ajouta : et ceux de Zukey aussi.