Anthologie (Pierre de Coubertin)/II/XVI

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Anthologie (Pierre de Coubertin)/II
AnthologieÉditions Paul Roubaud (p. 59-60).


La Gaule.

Divisée avant César en peuplades distinctes au nombre d’environ quatre-vingts, la Gaule conserva en somme sa physionomie première sous la division nouvelle que Rome superposa à l’ancienne sans la détruire. Cette dernière n’a point survécu pas plus que celle qu’instaurèrent les Francs par la suite. Les « Narbonnaise » et les « Lyonnaise » se sont dissipées comme l’Austrasie et la Neustrie. Presque partout les anciennes dénominations ont prévalu. Les Bituriges, les Arvernes, les Pictons, les Venètes, les Carnutes, les Rêmes, les Turons, les Lingons, les Tricasses, les Bellovaks, les Ambiani ont donné leur nom au Berri, à l’Auvergne, au Poitou, aux pays de Vannes, de Chartres, de Reims, de Tours, de Langres, de Troyes, de Beauvais, d’Amiens ; et les « Augusta » des Ausks, des Suessiones et des Lemoviks sont redevenues Auch, Soissons, Limoges. Tout cela est de capitale importance. Rien ne montre mieux la survivance celte dans le sol de la Gaule et ne fait mieux comprendre comment les portraits que les auteurs anciens nous ont laissés des Celtes ressemblent si fort au français d’aujourd’hui. Mais rien, en même temps, n’explique mieux à quel point l’adhésion de ces hommes à la civilisation romaine fut spontanée, enthousiaste et totale.

C’est que cette civilisation leur apportait non pas seulement ce qui leur manquait mais ce dont ils avaient l’instinct et le désir : la beauté ordonnée des édifices et du discours, la logique et le calme d’institutions sûres d’elles-mêmes, la coexistence d’un régionalisme puissant et d’une unité supérieure. Leurs pauvres cités, combien ils les avaient aimées et s’en étaient sentis fiers. Que fut-ce lorsqu’ils les virent se revêtir de marbre et d’or, se peupler de statues, s’embellir de ces portiques et de ces colonnades qui symbolisaient alors, d’un bout à l’autre du monde antique la victoire de l’esprit sur la matière. Leurs paroles, avec quelle application, ils s’étaient toujours ingéniés à les bien choisir, à s’en servir pour produire la conviction ou l’émoi, pour entraîner ou subjuguer l’auditoire. Et voilà que leur était offerte avec l’usage d’une langue incomparable, la connaissance de la rhétorique, c’est-à-dire de la culture la plus délicate dont l’art du langage put alors être l’objet. Ils n’étaient pas moins préparés à apprécier l’organisation municipale romaine ou celle de l’État. La première devait leur apparaître comme le développement logique et perfectionné des rouages dont l’embryon existait dans leurs propres groupements, et la seconde, comme la consolidation définitive des liens fédéraux que, depuis plusieurs siècles, ils s’efforçaient de maintenir entre ces groupements.