Anthologie contemporaine des écrivains français et belges (Série I)/Les grandes dames artistes

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Anthologie contemporaine des écrivains français et belges, Texte établi par Albert de NocéeMessageries de la Presse ; Librairie Universelle (Anthologie Contemporaine)Première série (p. 14-16).
LES GRANDES DAMES ARTISTES

MADAME G. de MONTGOMERY, poète

Grande, forte, le visage éclatant de fraîcheur, les cheveux blonds simplement noués sur le sommet de la tête, et relevés droits sur un jeune front plein de pensées, les yeux et le sourire candides d’une enfant, la voix douce, la simplicité de haut goût d’une femme de bonne compagnie, voilà la première impression qu’on reçoit d’elle ; à peine a-t-elle parlé, on a la subite sensation qu’on se trouve en face d’une nature très droite et très élevée ; l’estime vous vient aussitôt ; elle s’impose d’emblée, au lieu d’être gagnée lentement ; on la sent chevaleresque jusqu’au bout de ses ongles fins, et hardiment dégagée des mesquineries féminines. C’est une combattante qu’on a sous les yeux, une combattante pour l’honneur, la gloire, la patrie, et toute la vaillance de sa race et de celle du grand nom qu’elle porte se devine sous la grâce de la femme du monde, comme elle se décèle dans le volume qui vient de la révéler poète plein de sève et d’énergique talent.

Par son arrière grand-mère qui était une Fergusson, Madame de Montgomery est d’origine écossaise : par son grand-père, qui fut le célèbre miniaturiste Hall, elle est Suédoise. — elle est alliée aux familles d’Étampes, de Caglus, de Bizemont, de Lagrange, de Lambel, de Plinval. Son père et sa mère, Monsieur et Madame Ditte, passaient tous les étés dans leur château de Saint-Paul en Seine-et-Oise ; c’est là qu’est née la future Madame de Montgomery, le 2 septembre 1861. Ses parents désiraient très vivement un garçon. Madame Ditte sûre du sexe de son enfant, lui ayant déjà choisi un prénom masculin, le rêvait noble, fier, courageux — cherchant par sa pensée constante à créer héroïque l’âme de son fils. Madame de Montgomery le lui reproche doucement :

À quoi pensiez-vous, ô ma mère,
En me portant ?
À quelque terrible chimère ?
Je souffre tant !
Vous rêviez toujours de bataille
Disant : « Je veux
» Qu’il soit un franc de haute taille
» Aux blonds cheveux ! »

Le vœu ne fut qu’à demi-exaucé ; la haute taille est venue, les cheveux blonds aussi ; aussi l’âme fière, courageuse, avide de gloire ; mais cette âme de jeune preux, cette âme de guerrier se débat dans un corps de femme, et n’ayant pu avoir l’épée dont sa mère lui enfantait la noble folie, Mme  de Montgomery prend la plume :

Forgé sur une dure enclume,
Mon jeune cœur
Voulait l’épée : or j’ai la plume
Glaive vainqueur,
Glaive tranchant comme l’épée
D’un officier.
Ma plume écrivant l’épopée
Est en acier.



Tout concourt pour la rendre sérieuse : son enfance passée près d’une mère maladive et déçue la prive des jeux de son âge ; à l’heure où les bébés font des pâtés de sable, Lucy Ditte, concentrée, rêveuse, parlant bas pour ne pas troubler sa chère malade, rimait déjà. Passionnée pour la Grèce et les mythes, elle tressait des fleurs dont elle se couronnait, et petite prêtresse gauloise, elle récitait ses vers aux oiseaux du ciel… Ses hivers passés dans le Midi, pour la santé chancelante de madame Ditte, lui mettent dans l’âme le robuste amour du plain air, du grand soleil, des vastes horizons. La solitude de son enfance sert à solidifier la vigueur native de son esprit créé mâle par sa mère. Elle est hantée par des rêves de gloire et de dévouement. Elle voudrait sauver son pays, se battre pour lui, mourir en le défendant… et plus tard devenue jeune femme elle s’écriera :

Je veux être quelqu’un, je veux être un poète,
Et s’il faut de mon sang que je marque les pas,
Je m’ouvrirai moi-même et le cœur et la tête :
Mourir sans laisser d’œuvre est un double trépas.

Les premiers vers que Madame de Montgomery a publiés furent ceux que lui inspira la mort prématurée d’une artiste de talent. Ils parurent dans Figaro, sous un pseudonyme. Sully Prudhomme les ayant remarqués, elle fut mise en relation avec lui, et c’est sans doute a ses leçons religieusement écoutées et comprises qu’elle a dû, sans tâtonnements, et dès ses premières poésies, d’acquérir cette virilité dans le rhytme qu’aucune femme — madame Ackerman exceptée, ne possède autant qu’elle. Elle rime avec des substantifs ! s’écriait en la lisant, un poète étonné. En thèse générale, en effet, les esprits plus brillants que profonds, plus élégants que solides, aiment à se parer d’adjectifs délicatement ciselés, tandis que la simplicité du substantif, et la musculature du verbe conviennent aux penseurs.

Mariée suivant son cœur au parfait gentilhomme dont elle est, à juste titre, si fière de porter le nom — ce nom qui sonne comme un cliquetis d’épées — Madame de Montgomery s’est trouvée lancée dans la haute vie, mais excepté le vif plaisir qu’elle a aux heures matinales à conduire elle-même ses magnifiques chevaux, la jeune femme préfère l’étude aux fêtes brillantes.

Je ne saurais vraiment partager vos plaisirs,
Non, car il me faudrait votre cervelle creuse.

Cette vie à part, retirée, lui a créé, je gage, quelques inimitiés, et je vois clairement la blessure qu’elle en a reçue dans le morceau qui commence ainsi :

Le monde me dégoûte et j’ai la boue au cœur…

Oui il y a eu certainement dans son existence des heures où Madame de Montgomery a senti s’éveiller en elle l’âme du jeune preux dont la dota le désir passionné de sa mère. Elle trouve qu’en face de certaines lâchetés, ce n’est pas assez faire que de se renfermer dans le mépris. La vaillance est la caractéristique de son tempérament. Foi de gentilhomme ! dit-elle quelquefois, et cette exclamation va bien à la sincérité de ses lèvres et de ses yeux.

Sans sortir de la grande situation où la placent son nom et sa fortune, Madame de Montgomery est entrée carrément dans le monde de l’Art ; elle en a ouvert la porte d’une main ferme. — Dès aujourd’hui elle y a conquis une place… et vous verrez qu’elle n’en restera pas là.

Manoël de Grandfort.