Anthologie des humoristes français contemporains/V… le Baigneur

La bibliothèque libre.

V… LE BAIGNEUR

V…, tout plein d’insolence,
Se balance.
Aussi ventru qu’un tonneau,
Au-dessus d’un bain de siège,
Ô Barège,
Plein jusqu’au bord de ton eau !


Et comme Io, pâle et nue
Sous la nue,
Fuyait un époux vanté,
Le flot réfléchit sa face,
Puis l’efface.
Et recule, épouvanté.

Chaque fois que la courroie,
Qui foudroie,
Passe à fleur d’eau dans son vol,
On voit de l’eau qui l’évite
Sortir vite
Son pied bot et son faux col.

Reste ici caché, demeure !
Dans une heure,
Comme le chasseur cornu
En écartant la liane
Vit Diane,
Tu verras V… tout nu !

On voit tout ce que calfate
La cravate,
Et son regard libertin
Appelle comme remède
À son aide
Héloïse Florentin !

Mais un songe le visite !
Il hésite
À finir ses doux ébats ;
Toujours V… se balance
En silence.
Et va murmurant tout bas :

« Ah ! si j’étais en décembre
À la chambre,

Je grandirais d’un bon tiers,
Et je pourrais de mon ombre
Faire nombre
À côté de monsieur Thiers !

« Je pourrais sur mon pupitre
Faire, en pitre,
Le bruit traditionnel,
Et, commençant une autre ère,
Ne plus traire
Le Constitutionnel !

« À mes festins que le Scythe
Même cite,
On boirait de l’hypocras !
J’obtiendrais des croix valaques
Et des plaques ;
Je les ferais faire en strass ! »

Plus brillant qu’une cymbale,
Tel s’emballe
Et se voit légiférant
Ce matassin crucifère
Qui sut faire
Éclore le Juif errant !

Et cependant des coulisses
Ses complices
Vont tous prenant le chemin.
Voici leur troupe frivole,
Qui s’envole,
Cigare aux dents, stick en main !

En passant chacun s’étonne
Et chantonne,
Et lui dit sur l’air du Tra :

 « Oh ! la vilaine chenille
Qui s’habille
Si tard un soir d’Opéra ! »


(Odes funambulesques, Autres Guitares ;
Fasquelle édit.)