Anthologie des poètes bretons du XVIIe siècle/R. de Bruc de Montplaisir

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Anthologie des poètes bretons du XVIIe siècleSociété des bibliophiles bretons et de l’histoire de la Bretagne (p. 176-184).

RENÉ DE BRUC
DE MONTPLAISIR

Né en 1610, mort le 12 juin 1682


Flos florum, eques equitum
 : telle est la devise que les de Bruc inscrivaient au pied de la rose de leur écu ; le marquis de Montplaisir la mit en pratique : homme de guerre, il cultiva les fleurs poétiques. Les premières sont des fleurettes galantes, ce sont les plus nombreuses ; elles ont plus d’éclat que de parfum. Plus tard il prend une seconde manière ; la recherche y prédomine ; mais l’idée morale, absente de ses œuvres de jeunesse, y apparaît déjà. À la fin de sa vie, il compose force poésies dévotes, et dont les pensées et le style n’ont plus rien du galant cavalier d’autrefois.

Ses premières œuvres l’avaient mis en haut renom ; Beauchasteau lui écrivait :

Par tes exploits, on peut connaître ta vaillance ;
Par tes aïeux, on doit connoître ta naissance ;
Mais de ton grand esprit connoître l’excellence,
Brave de Montplaisir, crois-moi, certainement,
C’est l’ouvrage d’un siècle et non pas d’un moment.

Ménage, écrivant à Chapelain, vante les élégies de Montplaisir :

Mêlons les tons brillants de ta haute trompète
Avec les doux accords de mon humble musète,
Avec les tons plaintifs du fameux Montplaisir,
D’Apollon et de Mars la gloire et le désir.

Les vers de Montplaisir valent mieux que ceux de ces élogieux critiques. Toutefois ce n’est point dans l’élégie qu’il triomphe tout d’abord, mais bien plutôt dans le genre badin. Il ne fit guère d’élégies, sinon quand il mit la main à celles de Mme de la Suze, alors qu’il la conduisait dans les sentiers du Permesse, comme il le disait lui-même. La ressemblance des styles porte à croire que Montplaisir guidait souvent la main et la plume de son élève. Mais, quand il est lui-même, le genre cavalier domine. Est-ce à elle-qu’il s’adresse dans cette déclaration d’amour ?

Aimable et divine personne,
Dont un Dieu seroit enchanté,
Vous porteriés une couronne,
Si l’on couronoit la Beauté.

Quoique d’amour je sois malade,
Qu’une autre règne dans mon cœur,
Vous pouvés, d’une seule œillade,
Me rendre votre adorateur.


Je crois que, sans être infidèle,
Je puis adorer vos apas,
Puisque Philis ne paroit belle,
Que quand vous ne paroisse pas.

C’en est fait, ma belle maîtresse,
Je vous suis un esclave acquis.
Si vous êtes ma vicomtesse,
Je veux être votre marquis.

Plus lestes et plus enlevées sont les stances « à la coquette avare. » Je n’en veux citer que les premières :

Beauté pour qui je meurs d’amour,
Songés à soulager mes peines,
Ou du moins à me rendre, un jour,
Pour mille écus de points de Gênes.

Je sais ce que vous mérités ;
Mais, quoique je ne sois pas chiche,
Pour acheter des cruautés,
Je ne me sens pas assés riche.

Vous savés que votre laquais,
Et votre petite suivante
Ont fait près de moi tant d’acquêts,
Qu’ils mètent de l’argent à rente.

Ceci est l’adagio de la pièce ; j’omets le scherzo.

Les trois quarts de l’œuvre du marquis sont en ce style. Ce ne sont qu’épigrammes, quatrains, bouts-rimés, chansons sur l’air de la courante à la mode. Tout y est aimable, sans façons ; l’homme de cour écrit en riant, en combattant, et plaît souvent sans chercher à plaire. Il est lui-même.

La seconde manière de de Bruc doit commencer lorsqu’il tourne autour de sa trentième année. Il se mêle aux affaires politiques et en parle quelque peu ; il célèbre en sonnets Richelieu ; plus tard, en sonnets aussi, maudit Cromwell. Il commet même un poème : le Temple de la Gloire. Qui le lit en entier est forcé d“avouer que la cithare convenait à de Bruc mieux que la lyre. Dans le ton de ses années mûrissantes, je choisis un sonnet irrégulier et fantaisiste « sur les cendres de Damon mises dans un sablier qui fait mouvoir une horloge » :

Cette poussière que tu vois,
Qui tes heures compasse,
Et va recourant tant de fois
Par un petit espace ;

Jadis Damon je m’appelois,
Que la divine grâce
De Philis, pour qui je bruslois,
A mis en cette place.

Le feu secret, qui me rongea,
En cette poudre me changea,
Qui jamais ne repose.

Apprens, amant, que par le sort
l’espérance t’est close
De reposer même en ta mort.

L’âge s’accentue plus encore dans un sonnet « escript

sur une isle à l’embouchure de la Loire » :

Que ces divers objets qui s’offrent à ma vue,
Ces vaisseaux étrangers, ces barques des passants,
Que j’aperçois du haut de cette roche nue,
Remplissent mon esprit de plaisirs innocents !
٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ 
(Mais l’âge est venu, Sylvie est ingrate.)
٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ ٠ 
Si bien que, dans l’ennui qui sans cesse me ronge,
Je goûte des plaisirs en furieux, qui songe,
Et trouve à son réveil qu’il est près de mourir.

Nous ne sommes plus au temps où de Bruc, dans une, ballade lestement troussée, félicitait le duc de Saint-Aignan de s’être débarrassé de trois voleurs, avec un seul pistolet qui tirait trois coups (les revolvers sont plus anciens qu’on ne croit), ni aux jours où le poète, dans ses fines stances à Mlle de Lenclos, prouvait que

L’Amour peut entrer par l’oreille,
Comme il se glisse par les yeux.

L’âge est venu ; l’heure des graves pensers a sonné. Les poésies religieuses ont succédé aux vers libres. Un mémoire manuscrit de l’abbé de Loménie de Brienne accuse le style de Montplaisir de diffusion. J’avoue que ses odes de la fin n’ont pas la tournure claire et native de ses jeunes élégances. Mais une dernière citation me donnera le droit d’en appeler justement de l’arrêt de l’abbé de Brienne.

Sonnet du Converti

N’agités plus mon cœur, désirs impétueux,
Qui règnés sur une âme au vice abandonnée.

De ses crimes, passés la miène est étonée,
Et sent des mouvements nobles et vertueux.

Depuis que je languis oisif, voluptueux,
On a vu douze fois recommencer l’année.
Je veux changer d’objet, changer de destinée ;
Et désormais au Ciel j’adresse mes seuls vœux.

C’est marcher trop longtems parmi des précipices,
C’est voguer trop longtems dans la mer des délices ;
Il est tems à la fin de s’assurer du port.

Déjà les saints pensers, que mon Sauveur m’envoie,
Me détachent du monde avec si peu d’effort,
Que je fais ma douleur d’en avoir fait ma joie.

Voilà un repentir bien établi et qui permettra aux curieux de lire in extenso les gaietés poétiques du jeune marquis, puisque tout est bien qui finit bien.


Bibliographie

Poésies de M. de Bruc de Montplaisir. Amsterdam, 1759.

Stéphane Halgan

Nous donnons ici tout entière la ballade ide Montplaisir au duc de Saint-Aignan, telle que Lefebvre de Saint-Marc l’a prise dans le Recueil de Sercy ; c’est un joli échantillon de cet ancien petit poème, si essentiellement français, la Ballade, dont un Trissotin seul pouvait dire :

Ce n’en est plus la mode, elle sent son vieux temps.

Les armuriers du temps de Montplaisir auraient rendu des points aux Lefaucheux ou aux Gastine-Reinette, car le poète envoie à son illustre ami « un mousqueton qui tiroit sept fois. »

Ballade

Parmi les bois et la gaie verdure,
Où va cherchant souvent maint avanture,
Ainsi que vous, tant gentil chevalier,
Lorsque seulet vous alliés vous ébattre,
Quatre assassins venant vous épier,
Vous avés fait, dit-on, le diable à quatre.

En coucher deux, roides morts, sur la dure,
Arrêter l’un d’une grande blessure,
Et mètre encore en fuite le dernier ;
Quoique blessé, comme un démon se batre ;
Damp chevalier, on ne le peut nier,
C’est assés bien faire le diable à quatre.

Les demi-dieux, si fiers de leur nature,
N’eussent pas fait telle déconfiture,
S’il eût falu tel péril essuier.
Celui qui sut tant de monstres abatre
N’eût pas osé contre deux s’essaïer ;
Et vous, seigneur, faites le diable à quatre.

Envoi

Un mousqueton j’ose vous envoïer,
Avec lequel, s’il vous plait de combattre,
Vous en pourrés, seigneur, sept défier,
Après avoir tant fait le diable à quatre.

Ceux qui sont curieux de détails sur Montplaisir liront, avec autant de profit que d’agrément, s’ils réussissent à se la procurer, la notice que M. le baron de Wismes a insérée dans la Revue des Provinces de l’Ouest, et fait tirer à part à 50 exemplaires. (Nantes, Guéraud, 1853.) Ils y puiseront les renseignements biographiques, généalogiques et littéraires les plus concluants, ceux-ci, entre autres : La terre de Montplaisir, acquise par la famille de Bruc, en 1621, n’ayant jamais été érigée en marquisat, notre poète put être de son temps seigneur, mais non marquis de Montplaisir, il ne fut que marquis de la Guerche, peu de temps avant sa mort : il y a donc lieu d’attribuer au marquis de Montausier probablement les pièces qui, dans le Recueil de Sercy sont signées le M. de M. Par contre, en dehors de l’attribution qui semble devoir lui être faite des élégies de Madame de la Suze, René de Bruc peut revendiquer plusieurs pièces des recueils de poésies de Champhoudry (1655), d’Étienne Loyson (1661), de Jean Ribou (1666), qui ne figurent pas dans l’édition très imparfaite de Saint-Marc ; le dernier de ces recueils renferme notamment le Panégyrique de la poule de Silvie, en suite du grand nombre de bouts-rimez qui furent faits sur la mort du perroquet de Madame du Plessis-Bellière, panégyrique signé tout au long du nom de Montplaisir.

La lettre autographe que nous reproduisons (lettre d’affaires datée du 3 mars 1657) est la seule que l’on connaisse du poète : elle fait partie de la riche collection de M. le baron de Wismes, qui nous l’a obligeamment communiquée ; on y remarquera que de Bruc accole à son nom celui de la Guerche, et qu’il semble avoir réservé pour ses poésies ce joli nom de Montplaisir.

M. le baron de Wismes possède les portraits-miniature de Marie Veniéro, dame de la Guerche, mère du poète et d’un frère de celui-ci, Henri de Bruc, abbé de la Bellefontaine, mais il n’a pu, au cours de ses savantes et si souvent heureuses recherches, découvrir le portrait de René de Bruc.

O. de G.