Anthologie des poètes de Montmartre/Eugène Héros

La bibliothèque libre.
Société d’éditions littéraires et artistiques (p. 193-199).

EUGÈNE HÉROS


Eugène Héros, né à Paris, le 14 août 1860, chansonnier, auteur dramatique. A fait ses études au lycée Henri IV ; licencié en droit, a été quelque temps avocat à la cour, mais plaida peu. A collaboré à la France, au Figaro et à beaucoup de revues littéraires. Comme chansonnier, est l’auteur de nombre de chansons populaires parmi lesquelles nous citerons : Si les femmes savaient ; Lingaling ; P’tit cochon ; Valse bleue, etc. Comme auteur dramatique, a donné nombre de pièces, qui ont obtenu de très vifs succès et plus de cinquante revues depuis la Gaîté-Rochechouart jusqu’aux Variétés.

Après avoir été secrétaire général de plusieurs théâtres, est devenu directeur du Palais-Royal.

BIBLIOGRAPHIE

Les Lyriques (études sur les gens de concert). — La Grosse Marie. — Noce à Génie.

théâtre

Pâquerette. — La Veuve (Grand-Guignol). — Ah ! Moumoute ! (Cigale). — Don Juan moderne. — Leur Bonheur !Il est ignoble avec Bouchard. — Family-Hôtel (Palais-Royal).

revues

La Revue de Li-ongchamps.Penses-tu !À l’Alcazar de la fourchette. — Parlons d’autre chose. — Paris-Boycocotte. — Enfin seuls !Cyrano à Paris. Ça pousse l’amour.Que tu dis ! — Salue… ! — La Revue du Centenaire. — Hue ! Cocotte !

LES PAUV' P'TITS FIEUX

Ils n’ont pas d’dab et pas d’dabesse,
Jamais ils ne r’çoiv’nt un’ caresse,
Jamais un baiser sur les yeux,
        Les pauv’ p’tits fieux.

On les voit errer dans les rues,
Le grimpant troué, les fess’ nues,
Couverts de haillons, tout pouilleux,
        Les pauv’ p’tits fieux.

La nuit, ils quitt’nt les plac’s publiques,
Pour n’ pas s’ fair’ coffrer par les fliques ;
Ils n’ roupill’nt jamais dans des pieux,
        Les pauv’ p’tits fieux.

Chaqu’ jour, dans l’ruisseau, sur leur route,
S’ils peuv’nt trouver un’ mauvais’ croûte,
Ils sont triomphants comm’ des dieux,
        Les pauv’ p’tits fieux.

Lorsque leur faim est moins vivace,
Ils vont alors à la Wallace ;
Un bon coup d’ lanc’ les rend joyeux,
        Les pauv’ p’tits fieux.

Mais l’ plus souvent la faim les crève,
C’ n’est pas long, l’agonie est brève ;
Ils doiv’nt aller tout droit aux cieux,
          Les pauv’ p’tits fieux

Quand ils s’ront grands, ils d’viendront rosses,
Ils commettront des crim’s atroces,
Ils surin’ront les beaux messieurs,
          Les pauv’ p’tits fieux.

Bourgeois, patron, toi, qu’as des sommes,
Pens’ que plus tard ils s’ront des hommes,
Et tâche d’êtr’ miséricordieux
          Aux pauv’ p’tits fieux !

DANSONS LA CAPUCINE

Dansons la capucine !
Y a pus d’ parents chez nous :
Maman est à l’usine,
Papa est chez les fous,
                You !
Dansons la capucine,
Ou bien jouons à coucou
La faim nous assassine,
Le froid nous tord le cou.

La sal’ fièvr’ nous lancine
Et nous met sens d’ssus d’ssous ;
Pour ach’ter d’ la méd’cine,
Nous n’avons pas d’ gros sous,
                You !
On s’arrach’ la poitrine,
Déchiré’ par la toux ;
Nous n’avons pas d’ farine,
Afin d’ fair’ du pain roux.

Y en a chez la voisine,
Y a mêm’ de beaux joujoux ;
On s’amuse, on cuisine,
Mais ce n’est pas pour nous,
                You !

Y en a qu’une mèr’ câline
Et berc’ sur ses genoux,
Qu’ont des rob’s de mouss’line ;
Sûr’ment, ça n’est pas nous.

Voir toujours la famine,
Ça vous rend très jaloux ;
On enrage, on rumine
Des carnag’s comm’ les loups,
                You !
La vie est un’ gredine
Et les homm’s des voyous :
Nous voudrions qu’on dîne
D’autr’ chos’ que des cailloux.

Dansons la capucine !
La mort aux yeux si doux
Est là qui nous fascine,
Nous irons dans des trous ;
                You !
Dansons la capucine ;
Car nous mang’rons les choux
Bientôt par la racine ;
C’est assez bon pour nous !

LES MÔMES

Ils sont les maîtres du pavé ;
Il est leur domaine privé
Et les faubourgs sont leurs royaumes
                       Aux mômes.
Il en est de toutes grandeurs.
Ils sont tous plus ou moins frondeurs ;
Ils négligent les axiomes,
                       Les mômes.

Les petits sont les momignards
Avec la liquette aux fignards ;
Ils ne dégagent pas d'arômes,
                       Les mômes.
Entre eux on n’est guère savant ;
À l’école on va peu souvent,
Il n’ont pas gagné de diplômes,
                       Les mômes.

Pourtant, en prose ou bien en vers,
Ils ont des langages divers ;
Même ils inventent des idiômes,
                       Les mômes.
Pour sûr, ils ne sont pas capons ;
Parfois, ils couchent sous les ponts.
Ils ne craignent pas les fantômes,
                       Les mômes.

Ce sont eux qui font les titis,
Qui rigolent aux paradis
Des théâtres, des hyppodrômes,
                       Les mômes.
Ils sont malins, ils sont adroits ;
Ils savent user de leurs doigts
Et faire manœuvrer leurs paumes,
                       Les mômes.

Ils n’aiment pas les vieux pantins,
Les tartufes, les puritains ;
Ils ne chantent jamais de psaumes.
                       Les mômes.
Pour embêter les dirigeants
Ainsi que messieurs les agents,
Ils organisent des monômes,
                       Les mômes.

De nos cœurs et de nos esprits,
Du cerveau de notre Paris,
Ils sont les multiples atômes,
                       Les mômes.
Pour les chagrins et les douleurs,
Pour calmer l’âpreté des pleurs,
Ils sont encor les meilleurs baumes
                       Les mômes !