Anthologie des poètes français contemporains/Frémine Charles

La bibliothèque libre.
Anthologie des poètes français contemporains, Texte établi par Gérard WalchCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome premier (p. 433-435).








Bibliographie. — Prose : Armand Lebailly, en collaboration avec Aristide Frémine (Fischbacher, Paris) ; — Les Français dans les îles de la Manche, en collaboration avec Aristide Frémine ; — La Chanson du Pays, avec dessins de l’auteur (Jouvet, Paris) ; — Poèmes et Récits ; — Au pays de Millet, avec dessins de l’auteur (Lemerre, Paris) ; — Le Roi des Ecrehou (Dentu, Paris). — Vers : Floréal (Lemerre, Paris, 1869) ; — Vieux Airs et Jeunes Chansons (Lemerre, Paris, 1884) ; — Bouquet d’automne (1890) ; — Poésies [choix] (Ollendorff, Paris, 1900).

M. Charles Frémine a collaboré à l’Illustration, au Journal Officiel, aux Annales Politiques et Littéraires, à la Revue Hebdomadaire, etc. Il était rédacteur au Rappel depuis 1882.

Né à Villedieu, dans la presqu’île du Cotentin, le 3 mai 1841, M. Charles Frémine a eu pour illustres compatriotes J.-F. Millet et J. Barbey d’Aurevilly. Ayant, comme eux, l’amour du terroir, et convaincu, avec Michelet, que « la pierre du foyer est la base de tout », il s’est toujours montré partisan de la décentralisation en littérature.

C’est un poète et un vrai. Il chante surtout la Normandie. « Ses vers, dit Auguste Vacquorie, sont pris sur le vif de la vie et de la nature, vécus et vus. Ils ont la chaleur pénétrante de la sincérité. Par moments, avec lui, il semble qu’on se promène sous des pommiers en fleur et qu’une brise tiède fait pleuvoir sur nous ce que Victor Hugo a si admirablement appelé la « neige odorante du printemps [1]. »



LES POMMIERS


Quand les récoltes sont rentrées
Et que l’hiver est revenu,
Des arbres, en files serrées,
Se déroulent sur le sol nu ;
Ils n’ont pas le port droit des ormes,
Ni des chênes les hauts cimiers,
Ils sont trapus, noirs et difformes :
Pourtant, qu’ils sont beaux, mes pommiers !

Leurs rangs épais couvrent la plaine,
Et la vallée, et les plateaux ;
En droite ligne et d’une haleine
Ils escaladent les coteaux ;
Tout leur est bon, le pré, la lande ;
Mais s’il faut du sable aux palmiers,
Il faut de la terre normande
A la racine des pommiers !

Quand mai sur leur tête arrondie
Pose une couronne de fleurs,
Les filles de la Normandie
N’ont pas de plus fraîches couleurs ;
Leurs floraisons roses et blanches
Sont la gloire de nos fermiers
Heureux qui peut voir sous leurs branches
Crouler la neige des pommiers !

Les matinales tourterelles
Chantent dans leurs rameaux touffus,
Et les geais y font des querelles
Aux piverts logés dans leurs fûts ;
Les grives s’y montrent très dignes
Et tendres comme des ramiers :
Elles se grisent dans les vignes,
Mais font leurs nids dans les pommiers.

L’automne vient qui les effeuille.
Les pommiers ont besoin d’appuis,
Et leurs longs bras, pour qu’on les cueille,
Jusqu’à terre inclinent leurs fruits ;

Ève fut prise à leur caresse,
Ils la tentèrent les premiers :
Gloire à la grande pécheresse !
L’Amour est né dans les pommiers !

Leurs fleurs, leurs oiseaux, leurs murmures
Ont enchanté mes premiers jours,
Et j’ai, plus tard, sous leurs ramures
Mené mes premières amours ;
Que l’on y porte aussi ma bière,
Et mon corps, sans draps ni sommiers,
Dans un coin du vieux cimetière
Dormira bien sous les pommiers !


(Chansons d’été.)
  1. Au dernier moment, nous apprenons la triste nouvelle de la mort de M. Charles Frémine, qui vient de se suicider dans l’appartement qu’il occupait depuis de longues années à Paris, 106, rue d’Assas. M. Charles Frémine, qui souffrait d’un cancer, devait être conduit dans une maison de santé pour y subir une opération. Les médecins avaient peu d’espoir dans la guérison de leur malade, qui n’aurait pu respirer, désormais, qu’avec une canule à demeure dans le larynx. M. Frémine a préféré la mort à cette triste existence et s’est logé dans la tête une balle de revolver. (Juin 1906.)