Anthologie des poètes français contemporains/Jacques Madeleine

La bibliothèque libre.
Anthologie des poètes français contemporains
Anthologie des poètes français contemporainsCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome deuxième (p. 177-182).


JACQUES MADELEINE




Bibliographie. — La Richesse de la Muse (1882) ; — L’Idylle éternelle (1884) ; — Livret de vers anciens (1884) ; — Pierrot divin (1887) ; — Le Conte de la rose (1891) ; — Brunettes, ou petits airs tendres (1892) ; — À l’Orée (1899) ; — Le Sourire d’Hellas (1899) ; — Un jour tout de rêve (1900) ; — La Petite Porte feuillue (1900).

Les poésies de M. Jacques Madeleine ont été éditées par L. Vanier, P. Ollendorff et A. Quantin.

M. Jacques Madeleine a collaboré à divers journaux et revues.

M. Jacques Madeleine (Jacques Normand), né à Paris le 16 mai 1859, est un poète à l’inspiration jeune et charmante, et qui ne ressemble à aucun autre poète, tant il est soucieux de « cultiver seulement, avec des gestes et des rythmes doux, le joli jardin de son âme isolée ». « Mais ce jardin est au milieu de la forêt qui l’emplit de sa solennité et le prolonge de ses profondeurs… Jacques Madeleine habite, au milieu de l’immensité, une délicate et charmante solitude ; sa petitesse, volontaire, est pénétrée de grandeur ; s’il a chanté de menus Vers Tendres, c’est à l’Orée des bois de mystère et de rêve, de réelle terreur aussi ; et tout dernièrement, en des poèmes qui n’avaient pas eu d’exemple depuis la Psyché et l’Adonis de La Fontaine, il a évoqué, d’une grâce infinie et exquisement moderne, sans aucune grossièreté d’anachronisme, le Sourire d’Hellas ; ce fut comme le conte des fées d’une théogonie où Hésiode aurait collaboré avec Perrault. M. Jacques Madeleine, jeune encore, et minutieusement assidu, élabore, comme avril fait les roses, une œuvre en fleur qui ne se fanera point. » (Catulle Mendès, Rapport sur le mouvement poétique français de 1861 à 1900.)




HIRONDELLES


Une minute avant l’ondée
Les hirondelles sont là-haut ;
Elles descendent aussitôt
De la profondeur insondée.
 
La rivière est déjà ridée
Par un frisson fait d’un sanglot ;
Elles viennent raser le flot
Avec leur aile intimidée.

O chère Muse, c’est ainsi
Que tu viens, délicate aussi.
Nous consoler par tes caresses,
 
Dans l’attente ou le souvenir
Des plus douloureuses tendresses.
Lorsque les larmes vont venir.


L’IDYLLE ETERNELLE


Autrefois je vous ai chantés,
Rêves aux splendeurs décevantes,
Et j’ai mis des sonorités
Dans l’or pur des formes savantes.
 
Mes vers ardents, audacieux,
Ailes blanches et larges rimes,
Se perdaient dans les vastes cieux,
Ne se posaient que sur les cimes.
 
Mais, par un matin de printemps,
Une fleurette à peine éclose
(Ô blonde qui n’as pas vingt ans)
M’a charmé, si fraîche et si rose !

Et, l’âme en fête, j’ai compris
La chanson discrète et naïve,
Les mots doucement attendris
Que voulait son âme pensive.

— Le souvenir triste et charmant
D’une enfant qu’on a trop aimée
Sans avoir été son amant,
Rose de passé parfumée ;

Un reproche dans un baiser,
Une larme dans un sourire,
L’aveu qu’on ne voulut oser
Et le mot qu’on n’a pas su dire ;

Le profond, le subtil frisson
Des amours troublantes et brèves,
Voilà ma vie et ma chanson,
Et je ne veux pas d’autres rêves.

Et je vais, me laissant charmer
Dans l’extase de vivre en Elle
Et dans l’enivrement d’aimer,
En chantant l’Idylle éternelle.

{L’Idylle éternelle.)


PETITE BRUNETTE


Furtive, hésitante, à l’orée
De la forêt, chère adorée,
Dites-le-moi, que cherchez-vous,

Petite brunette aux yeux doux ?

Est-ce le frisson du mystère
Tendre à mourir, et qu’il faut taire ?
Et n’avez-vous pas peur des loups,

Petite brunette aux yeux doux ?

Au bruit de mes pas, votre bouche
Se crispe, d’un grand air farouche,
Et votre œil flambe de courroux,

Petite brunette aux yeux doux !

Ah ! quand tout aime et que tout chante,
Pourquoi faites-vous la méchante
Et pourquoi me repoussez-vous,

Petite brunette aux yeux doux ?

Le dieu charmant qui veut qu’on aime
Est dans les bois ; il a mis même
Des fleurs sur les branches de houx,

Petite brunette aux yeux doux !

Oyez cela ! dans les venelles
De ces idylles éternelles
Les oiseaux piaillent, font les fous,

Petite brunette aux yeux doux !

La forêt est toute en extase,
Une langueur tendre l’embrase,
Elle soupire à tous les coups,

Petite brunette aux yeux doux !

Et si d’autres sous les ramures
Mangent des fraises ou des mûres
Ils ne feront que comme nous,

Petite brunette aux yeux doux


CETTE PETITE

 
Cette petite brunette
Qui n’avait jamais aimé,
Comme elle rêvait seulette,
Dans les bois, un soir de mai,
Entendit une fauvette
Chanter dans Tair parfumé.
 
Elle s’arrêta, surprise,
Et mit ses mains sur son cœur.
D’où vient l’émoi qui la grise
D’une secrète douceur ?
Qui fait passer dans la brise
Cette extatique langueur ?

La chère petite belle
Dont le cœur s’est adouci
Sent palpiter comme une aile
Son sein d’un frisson saisi
En écoutant au fond d’elle
Un oiseau chanter aussi.


SUR LA PLAGE


Blanches ailes des barques frêles,
Vois ces taches d’un ton plus clair
Sur le vert sombre de la mer :
Sont-ce des voiles ou des ailes ?

N’est-ce pas que l’une d’entre elles
Doit cingler — ô le rêve cher ! —
Vers une île adorable où l’air
Est tout peuplé de tourterelles ?

Rêveuse qui les suis des yeux,
Veux-tu regarder tous les deux
La même voile, au loin, qui tremble ?

La seule extase sans rancœurs,
Le plus délicat des bonheurs,
C’est encor de rêver ensemble.


LÀ-BAS


Là-bas, sur la mer,
La lune se lève
Dans le lointain clair
Et va, comme un rêve.

La lune se lève…
La lune s’en va…

Oh ! regardons-la !
Vers une autre grève
Emportant mon rêve,
La lune s’en va,

La lune se lève…
La lune s’en va…

Notre vie est brève,
Tout part, tout s’enfuit.
Dans la mer, la nuit,
S’en va notre rêve…

La lune se lève…
La lune s’en va…