Anthologie des poètes français contemporains/Jeanne Perdriel-Vaissière

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Poètes d’Hier et d’Aujourd’hui, Texte établi par Gérard WalchLibrairie DelagraveSupplément à l’Anthologie des poètes français contemporains, (p. 251-258).


MME J. PERDRIEL-VAISSIÈRE





Bibliographie. — Poésie : Les Rêves qui passent (Alphonse Lemerre, Paris, 1899) ; — Le Sourire de la Joconde (Éditions de La Plume, Paris, 1902) : — Celles qui attendent, ouvrage couronné par l’Académie française (Sansot, Paris, 1907) ; — Et la lumière fut (Sansot, Paris, 1910) ; — Il est, de par le monde, une enfant, poème couronné par la Société des Poètes français [prix Rohan] (1912). — Théâtre : La Couronne de Racine, pièce représentée sur la scène du Théâtre-Français en décembre 1901 ; — La Fleur bleue, pièce représentée sur la scène du Théâtre de Brest en 1901.

Mme Jeanne Perdriel-Vaissière a collaboré au Mercure de France, au Correspondant, à la Revue Bleue, à la Grande Revue, aux Annales, à la Revue, à l’Hermine, à Athéna, à la Revue des Poètes, aux Feuillets Littéraires, au Monde Moderne, aux Entretiens Idéalistes, à la Revue Cosmopolite, à Fémina, à la Vie Heureuse, aux Argonautes, à la Renaissance Contemporaine, etc.

Mme Jeanne Perdriel-Vaissière est née en Corse, au beau soleil d’Ajaccio, tout près de la maison de Napoléon Ier. Ce ne fut toutefois que le hasard d’une garnison qui mit son berceau dans cette île pittoresque. Son père, lieutenant d’infanterie, était Languedocien ; sa mère était originaire des confins de la Vendée et du Poitou. Mme Perdriel-Vaissière a, d’ailleurs, quitté toute jeune son pays natal, et il ne lui en est resté qu’un souvenir lointain. C’est en Bretagne, dans l’Ille-et-Vilaine, en un pays verdoyant et idyllique, à Autrain-sur-Coesnon, que se sont écoulées, pour elle, les années où le cerveau enfantin s’épanouit dans l’adolescence. C’est ce décor enchanteur qui lui a inspiré la plupart de ses poèmes champêtres.

Après la mort de son père, sa mère, dont la santé délicate nécessitait des soins incessants, s’établit à Rennes. C’est là que Mlle Jeanne Vaissière se maria avec M. Perdriel, officier de marine, alors enseigne de vaisseau, revenant des Antilles. De ce mariage, à la suite duquel Mme Perdriel-Vaissière alla habiter successivement différents ports de mer et en dernier lieu Brest, où elle a son home, sont nés trois enfants, trois fils, dont l’aîné et le dernier seuls lui sont restés. La douleur que lui causèrent la mort de son père et de son second enfant a répandu sur son âme comme un voile de tristesse. Ses derniers poèmes ont cet accent profond auquel ne se tromperont point ceux qui, comme elle, connurent la souffrance.

Mme Perdriel-Vaissière a publié : Les Rêves qui passent (1899), Le Sourire de la Joconde (1902), Celles qui attendent (1907), Et la Lumière fut (1910), Il est, de par le monde, une enfant (1912). Son art, très féminin, très pur, très délicat, est constamment mis au service d’un sentiment juste de la nature et d’un idéalisme réconfortant.



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SOLITUDES

LE CHEVALIER AU CYGNE

Vous l’attendrez, vous l’attendrez, le Chevalier au cygne,
Celui que rêva votre adolescence en cheveux blonds,
Patientes ou tourmentées, vous l'attendrez.
Et sans l’avoir trouvé jamais, vous vieillirez !

Maintes fois vous aurez cru voir apparaître
Son front clair à quelque détour de voe années,
Et vous aurez couru, les mains ouvertes.
Et soulevées,
Car votre rêve opiniâtre est tout-puissant.
Sur vos lèvres haletantes,
Dans sa soif éternelle, l’âme tremble en suspens...

Vous l’attendez, vous l’attendez, le Chevalier au cygne,
Par le soleil et la joie vive des printemps,
Par les étés qui font vos désirs plus ardents,
Par la neige advenue un soir à vos fronts blancs,
Toujours, toujours...
Mais il n’est point.

— Si pourtant quelque jour, mes sœurs, si quelque jour,
Beau comme le malin, divin comme l’amour,
Vêtu de tout ce qu’en nous-mêmes
Les hommes n’ont jamais connu,
Rapide, invraisemblable, irradiant,
Il se dressait comme un miraculeux soleil,
Pleurez, mes sœurs, pleurez ! nouez en hâte
Le crêpe de la nuit sur votre cœur percé !...

L’insaisissable, le Chevalier au cygne,
Celui que toutes les femmes de la terre,
En silence et nostalgiquement, ont adoré,
Ne s’est jamais incarné pour une heure
Que dans les yeux de Ceux qui vont mourir.

{Celles qui attendent.)

LES RIDES

Je me suis regardée au miroir, et j’ai vu,
À l’angle de ces yeux dont le dessin te plut,
Quelques frôles sillons rayant mon teint uni :
Est-ce, mon bien-aimé, pour t’avoir trop souri ?

Cependant, depuis la saison où tu partis,
Quel sourire aurait pu, sur mon visage aride,
Creuser sournoisement l’outrage de ces rides ?
Hélas ! mon bien-aimé, ai-je déjà vieilli ?

Est-ce donc toi qui vas sonner, heure implacable,
Qui, prenant l’incisif burin de nos soucis,
Ayant criblé le cœur de traits impitoyables,
Monte jusqu’au visage et le dévaste ainsi ?

Heure aveugle ! un regard sur le front que tu blesses
Eût arrêté ton geste avant qu’il me trahît !
Mon cœur avait caché sa haire de détresse.
Pourquoi, brutalement, en accuser les plis ?

Hélas ! mon bien-aimé, une angoisse m’oppresse :
Pour ce premier sillon que ma douleur creusa,
Auras-tu le baiser pieux de la tendresse
Ou le regard déçu qui me transpercera ?

Sur mon cœur, ainsi que les saintes et les mortes,
J’ai croisé mes deux mains, j’ai voulu t’enfermer,
Mais l’arche se consume aux flammes qu’elle porte,
Et vivre ne m’apprend que la ferveur d’aimer.

Je suis le tournesol inquiet qui se dresse,
Sa vie est suspendue aux feux divins du jour...
Doucement, gravement, attendris ta caresse :
J’attends le baume de tes lèvres, mon amour.

[Celles qui attendent.)