Anthologie des poètes français contemporains/Pailleron Edouard
ÉDOUARD PAILLERON
Bibliographie. — Les Parasites, satires en vers (1860) ; — Le Parasite, comédie en un acte et en vers, représentée sur la scène du théâtre de l’Odéon (1860) ; — Le Mur mitoyen, comédie on deux actes et en vers, représentée sur la scène du théâtre de l’Odéon (1861) ; — Le Dernier Quartier, comédie en deux actes et en vers, représentée sur la scène du Théâtre-Français (1863) ; — Le Second Mouvement, pièce en trois actes et en vers, représentée sur la scène du théâtre de l’Odéon (1865) ; — Le Monde ou l’on s’amuse, comédie en trois actes, en prose, représentée sur la scène du théâtre du Gymnase (1868) ; — Amours et Haines, poésies (1869) ; — Les Faux Ménages, pièce en quatre actes et en vers, représentée sur la scène du Théâtre-Français (1869) ; — Le Départ, poème (1870) ; — Prière pour la France, poème (1871) ; — Hélène, pièce en trois actes et en vers, représentée sur la scène du Théâtre-Français (1872) ; — L’Autre Motif, pièce en un acte, en prose, représentée sur la scène du Théâtre-Français (1872) ; — Petite Pluie, pièce en un acte, en prose, représentée sur la scène du Théâtre-Français (1876) ; — L’Étincelle, pièce en un acte, en prose, représentée sur la scène du Théâtre-Français (1879) ; — L’Age ingrat, pièce en trois actes, en prose, représentée sur la scène du théâtre du Gymnase (1879) ; — Le Chevalier Trumeau, pièce en un acte et en vers (1880) ; — Pendant le Bal, pièce en un acte et en vers (1881) ; — Le Monde où l’on s’ennuie, pièce en trois actes, en prose, représentée sur la scène du Théâtre-Français (1881) ; — Le Narcotique, pièce en un acte et en vers, représentée sur la scène du Théâtre-Français (1882) ; — La Poupée, recueil de vers (1884) ; — Discours académiques (1886) ; — La Souris, pièce en trois actes, en prose (1887) ; — Amours et Haines, nouvelle édition (1888) ; — Émile Augier (1889) ; — Cabotins ! pièce en quatre actes, en prose (1894) ; — Pièces et Morceaux (1897) ; — Le Théâtre chez Madame.
Édouard Pailleron a collaboré à la Revue des Deux-Mondes[1], etc.
Fils de riches commerçants, Edouard Pailleron, né à Paris le 17 septembre 1834, mort à Paris le 19 avril 1899, fit son droit à l’université de cette ville et travailla pendant quelque temps dans une étude de notaire, qu’il abandonna bientôt pour s’engager comme volontaire dans l’armée. Mais au bout de deux années, il fut las de la caserne et se fit remplacer. Il partit pour l’Afrique et visita ensuite l’Italie et la Suisse, le sac au dos.
En 1860, il publiait un volume de vers, Les Parasites, où il « faisait claquer, — un peu trop, peut-être, — le fouet de Juvénal ». Son second volume de vers, Amours et Haines, parut en 1869. Il contenait plusieurs pièces d’un joli accent ému et personnel ; on y trouve de l’ironie et du pathétique, de la mélancolie et de l’allégresse.
La vraie vocation d’Edouard Pailleron paraît cependant avoir été le théâtre. Dès 1860, il faisait jouer à l’Odéon une petite comédie, Le Parasite, qui fut favorablement accueillie. Il réussit davantage avec Le Mur mitoyen (1862, Odéon), puis avec Le Dernier Quartier (1863, Théâtre-Français), où il déployait des qualités de finesse, de gaieté, d’ingéniosité, d’esprit, et une entente technique de la scène que peu d’auteurs ont dépassées. Le Monde ou L’on s’amuse (1868, Gymnase) et Les Faux Ménages {1809, Théâtre-Français) marquèrent un progrès notable dans la manière du dramaturge et commencèrent sa véritable réputation. Viennent ensuite au Théâtre-Français : Hélène (1872), L’Autre Motif (1872), Petite Pluie (1876), et au Gymnase L’Age ingrat (1879), comédie assez forte qui réussit.
En 1881, Pailleron produisait au Théâtre-Français son chef-d’œuvre, Le Monde ou l’on s’ennuie, l’une des satires les plus amusantes et les plus mordantes que l’on ait données sur les salons académiques, que l’auteur connaissait à merveille, car il ne se présentait guère de candidat à l’Académie française qui ne se crût obligé à solliciter son appui. Le succès fut énorme. Le Monde ou l’on s’ennuie fut joué des milliers de fois sur les scènes de la province et de l’étranger. Il valut à son auteur son entrée à l’Académie, où, le 7 décembre 1882, il remplaça Charles Blanc.
Mais Pailleron sembla avoir épuisé sa veine, et il en souffrit. Ses dernières pièces, Le Narcotique (1882), La Souris (1887), Cabotins ! (1894), n’eurent qu’un succès d’estime.
Mon indomptable orgueil est l’arme de ma vie,
La pierre de mon œuvre et l’ancre de ma foi.
Il est plus fort qu’un roc et plus puissant qu’un roi,
Et trop dur pour le temps et trop haut pour l’envie.
Je ne reconnais pas d’autre loi que sa loi.
La douleur peut frapper, c’est moi qui l’en convie !
J’irai, — sans que jamais j’hésite ou je dévie ;
Je veux ce que je veux, et je m’appelle Moi !
C’est en vain que la haine attendrait pour salaire.
Un mot de ma faiblesse, un cri de ma colère ;
Ce qui part de si bas n’a pas un si haut prix.
Des sommets où je suis, c’est un bruit dans l’espace.
J’entends et je souris, je me tais et je passe ;
Mon rire a nom dédain ; mon silence, mépris,
Je passais, — j’entendis de la route poudreuse
Que derrière le mur on riait aux éclats,
Et je poussai la porte. — À travers les lilas,
Voici ce que je vis dans la maison heureuse.
Un tout petit enfant essayait au jardin,
Au doux enchantement de sa mère ravie,
Dans le parterre en fleur et sur le gazon fin,
Ses pas, les premiers pas qu’il eût faits de sa vie.
Cher amour ! il allait tout tremblant, il allait
Avançant au hasard son pied mignon et frêle,
Hésitant et penché, si faible, qu’il semblait
Que le papillon dût le renverser de l’aile.
Impatient pourtant, égratignant le sol
De son pas inquiet, avec l’ardeur étrange
Et les trémoussements d’oiseau qui prend son vol…
Dans les petits enfants il reste encor de l’ange.
Et lui, se pâmant d’aise a ce monde inconnu,
Suivait l’oiseau qui vole ou parlait à la rose,
Et, tout en gazouillant quelque charmante chose,
Ouvrait toujours plus grand son grand œil ingénu.
Et l’on voyait alors les splendeurs de l’espace,
Et les candeurs du ciel et les gaîtés de l’air,
Et luire ce qui luit et passer ce qui passe
Dans le tout petit ciel de cet œil pur et clair.
Parfois il s’arrêtait, tournait un peu la tête
Vers sa mère orgueilleuse et toute à l’admirer,
Et repartait avec de grands rires de fête,
Ces rires si joyeux qu’ils vous en font pleurer.
Oh ! la mère, elle était à ne pouvoir décrire
Avec son geste avide, anxieux, étonné,
Et de tout son amour couvant son nouveau-né,
Et marchant de son pas et riant de son rire.
Elle tenait ses bras étendus vers l’enfant
Ainsi qu’on tend les bras vers le fruit que l’on cueille,
Le défendant de mal comme un rosier défend
Le bouton de sa rose avec ses mains de feuille.
Elle suivait ainsi, courbée et pas à pas,
Regardant par instant, dans un muet délire,
Un homme assis plus loin et qui feignait de lire
Et souriait, — croyant qu’on ne le voyait pas.
Peut-être le mari, mais sans doute le père,
Qui tâchait de porter l’ivresse dignement,
Et dont les doux regards allaient furtivement
De la mère à l’enfant, de l’enfant à la mère.
Et par ce beau soleil flottait sur tout cela
Je ne sais quoi d’ému que le printemps apporte ;
J’entendis le Bonheur murmurer : « Je suis là… »
Et je sortis rêveur — en fermant bien la porte
Il fallait passer la rivière,
Nous étions tous deux aux abois.
J’étais timide, elle était fière.
Les tarins chantaient dans les bois.
Elle me dit : « J’irai derrière,
Mon ami, ne regardez pas. »
Et puis elle défit ses bas…
Il fallait passer la rivière.
Je ne regardai… qu’une fois,
Et je vis l’eau comme une moire
Se plisser sur ses pieds d’ivoire…
Nous étions tous deux aux abois.
Elle sautait de pierre en pierre ;
J’aurais dû lui donner le bras ;
Vous jugez de notre embarras.
J’étais timide, elle était fière.
Elle allait tomber, — je le crois, —
J’entendis son cri d’hirondelle ;
D’un seul bond je fus auprès d’elle…
Les tarins chantaient dans les bois.
- ↑ Il épousa en 1862 la fille de Buloz et devint par la suite un des propriétaires de la Revue.