Anthologie des poètes français contemporains/Silvestre Armand

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Anthologie des poètes français contemporains, Texte établi par Gérard WalchCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome premier (p. 358-365).





Bibliographie. — Rimes neuves et vieilles, avec une préface de George Sand (1866) ; — Les Renaissances (1870) ; — La Gloire du souvenir (1872) ; — Ange Bosani, drame en trois actes, avec Emile Bergerat (1873) ; — Aline, un acte, en vers, avec Hennequin (1875) ; — Poésies : les Amours, la Vie, l’Amour (1866-1874), — La Chanson des heures (1874-1878) ; — Dimitri, opéra en cinq actes, avec de Bornier, musique de Joncières (1876) ; — Les Ailes d’or (1878-1880) ; — Myrrha, saynète romaine (1880) ; — Monsieur, comédie-bouffe en trois actes, avec Burani (1880) ; — Le Pays des roses (1880-1882) ; — Galante Aventure, opéra-comique en trois actes, avec Davyl, musique de E. Guiraud (1882) ; — Le Chemin des étoiles (1882-1885) ; — Les Farces de mon ami Jacques (1882) ; — Mémoires d’un galopin (1882) ; — Pour faire rire (1882) ; — Les Bêtises de mon oncle (1883) ; — Chroniques du temps passé (1883) ; — Aline, un acte, en vers, avec Hennequin (1883) ; — Henri VIII, opéra en quatre actes et six tableaux, avec L. Détroyat, musique de Camille Saint-Saëns (1883) ; — En pleine fantaisie (1884) ; — Contes pantagruéliques (1884) ; — Le Livre des joyeusetés (1884) ; — Histoires belles et honnestes (1884) ; — Pedro de Zamalca, opéra en quatre actes, musique de Benjamin Godard (1884) ; — La Tési, drame en quatre actes (1884) ; — Le Dessus du panier (1885) ; — Les Cas difficiles (1885) ; — Contes à la Comtesse (1885) ; — Contes de derrière les fagots (1886) ; — Le Livre des fantaisies (1887) ; — Au Pays du rire (1888) ; — Jocelyn, opéra en quatre actes (1888) ; — Roses d’octobre (1884-1889) ; — Contes à la brume (1889) ; — Histoires joviales (1890) ; — Sapho, pièce en un acte, en vers, représentée sur la scène du Théâtre-Français (1891) ; — Grisélidis, comédie en trois actes, en vers libres, avec E. Morand, représentée sur la scène du Théâtre-Français (1891) ; — Portraits et Souvenirs (1866-1891) ; — L’Or des couchants (1889-1892) ; — Histoires extravagantes (1892) ; — Les Drames sacrés, tableaux religieux, d’après les peintres italiens des xive et xve siècles, musique de Gounod (1893) ; — Contes désopilants (1893) ; — Histoires abracadabrantes (1893) ; — Sapho, un acte, en vers (1893) ; — La Cosake (1894) ; — Veillées joviales (1894) ; — Chroniques du temps passé (1895) ; — Fariboles amusantes (1895) ; — Histoires gaies (1895) ; — Les Aurores lointaines (1895) ; — Les Cas difficiles (1893) ; — Contes irrévérencieux (1896) ; — Contes tragiques et sentimentaux (1896) ; — La Plante enchantée (1896) ; — Récits de belle humeur (1896) ; — La Sculpture au Salon (1896) ; — Trente Sonnets pour Mme Bartet (1896) ; — Au Fil du rire (1897) ; — Chemin de croix, douze poèmes (1897) ; — La Sculpture au Salon (1897) ; — Tristan de Lionois, pièce en trois actes et sept tableaux, en vers (1897) ; — Les Contes de l’archer (1898) ; — La Sculpture au Salon (1898) ; — Les Tendresses, poésies (1898).

Les œuvres d’Armand Silvestre ont été publiées par Alphonse Lemerre et G. Charpentier.

Armand Silvestre a collaboré au Parnasse, au Gil Blas, à l’Opinion Nationale, à l’Estafette, à la Grande Revue de Paris et de Saint-Pétersbourg, etc.

Fils d’un magistrat parisien, Armand Silvestre, né à Paris le 18 avril 1837, mort le 19 février 1901 à Toulouse, fut d’abord destiné à la magistrature. Mais, absorbé par l’étude des mathématiques, il se fit recevoir à l’École polytechnique et en sortit en 1859, officier du génie, après avoir publié différents mémoires dans les journaux scientifiques. Il quitta presque immédiatement la carrière militaire pour se consacrer aux lettres, et ne reprit du service que pendant la guerre de 1870-71. Il fit la campagne comme capitaine.

Entré en 1869 au ministère des finances, il devint sous-chef de bureau de la bibliothèque et des archives, suivant régulièrement sa carrière administrative. En même temps, il publiait des écrits dans des genres fort divers et obtint une notoriété considérable.

Le 12 octobre 1892, il fut nommé inspecteur des beaux-arts.

George Sand, ayant lu ses premiers vers en épreuves, conçut pour cette poésie si éclatante et si passionnée une telle admiration qu’elle voulut, bien qu’elle ne connût point l’auteur, présenter elle-même l’œuvre au public. Ce premier recueil paru en 1866 et eut pour titre Rimes neuves et vieilles. Puis vinrent Les Renaissances (1870), La Gloire du souvenir (1872), Poésies : les Amours, la Vie, l’Amour (1866-1874). Six nouveaux recueils parurent successivement sous le titre de Poésies nouvelles : la Chanson des Heures (1874-1878), Les Ailes d’or (1880), Le Pays des Roses (1882), Le Chemin des étoiles (1885), Roses d’octobre (1889), L’Or des couchants (1892).

En même temps qu’il publiait ses vers, Armand Silvestre se signalait par une fécondité très grande dans un genre tout différent : les contes rabelaisiens qu’il donnait à divers journaux parisiens, spécialement au Gil Blas, et il s’essayait dans la critique d’art, où il se montra écrivain élégant et châtié. Silvestre a publié des revues illustrées des Salons et des expositions de peinture. Il a fourni en outre le texte de plusieurs belles publications illustrées, telles que Floréal (1891) et La Russie illustrée (1891). Enfin, sous le titre de Portraits et Souvenirs, il a réuni un certain nombre d’articles parus de 1866 à 1891.

Son activité littéraire s’est traduite aussi au théâtre, pour lequel il a composé et fait représenter des pièces diverses allant de l’opérette-bouffe au mystère religieux.

Armand Silvestre a été, dit M. Jules Lernaitre, « l’un des plus lyriques, des plus envolés, des plus mystiques et des mieux sonnants parmi les lévites du Parnasse… Chez ce Panurge bien en chair, il y eut un Hindou, un Grec, un Alexandrin. »

Et dans la Vie littéraire (1892), M. Anatole France caractérise comme suit le monde poétique « impalpable, impondérable », d’Armand Silvestre : « Les personnages qu’il crée dans ses magnifiques sonnets sont affranchis du temps et de l’espace. Et, par un contraste singulier, ce monde diaphane est un monde sensuel ; la passion qui règne dans ces espaces éthérés est la passion de la chair. C’est le miracle de ce poète : il fait subir aux corps une sorte de transsubstantiation et tire de la volupté physique un mysticisme exalté. Je me figure quelques-unes des très belles strophes de M. Silvestre écrites en grec, à Alexandrie, et lues dans la fièvre par quelques disciples de Porphyre ou de Jainblique, et j’imagine que plus d’un aurait saisi dans ces vers des sens symboliques et métaphysiques. Les enthousiastes (il n’en manquait pas alors) eussent salué en l’amante du poète une nouvelle Sophia ; les Renaissances et la Gloire du souvenir, venues à cette heure de l’humanité, eussent donné naissance à une doctrine hermétique… A un certain degré d’exaltation, le mystique et le sensuel sont amenés à échanger leur domaine. Sainte Thérèse donne à l’amour de Dieu les caractères d’un amour physique, et Armand Silvestre prête à la volupté charnelle la noblesse des voluptés idéales. »

IMMORTALITÉ


Où vont les étoiles en chœurs ?
— Elles s’en vont où vont nos cœurs,
Au-devant de l’aube éternelle.
Mêlons notre âme à leurs rayons
Et, sur leurs ailes d’or, fuyons
A travers la nuit solennelle.

L’Ombre n’est, dans l’immensité,
Qu’un seuil au palais de clarté
Qu’ouvre la Mort comme une aurore.
L’Ombre n’est que l’obscur chemin
Qui mène d’hier à demain,
Du soir au matin près d’éclore.

Suivons donc ces astres sacrés
Qui du jour montent les degrés,
Des ombres déroulant la chaîne.
Comme eux, vers la Mort nous glissons
Et, comme eux, quand nous pâlissons.
C’est que la Lumière est prochaine.


LA LYRE


La Lyre est l’amie éternelle !
L’Art montre l’éternel chemin I
Tout bonheur durable est en Elle,
En Lui git tout l’honneur humain !
Aux saintes cordes de la Lyre
Vibre, après l’amoureux délire,
Le réveil de notre fierté.
A notre cœur même arrachées,
Elles chantent, sitôt touchées,
Un hymne d’immortalité !


LA VÉNUS DE MILO


Ce ne fut ni la chair vivante, ni l’argile,
Qui servit de modèle à ce corps radieux :
La femme a moins d’orgueil, — la terre est trop fragile,
Et ce marbre immortel vient du pays des Dieux.

Jamais l’âme cruelle aux amantes cachée
N’eut ce sein ni ce front augustes pour prison,
Et la double colline à ce torse attachée
N’abrite pas un cœur fait pour la trahison.

Comme un rocher marin, cette gorge tendue
Vers l’invisible amour des cieux immaculés
Brise de nos désirs la caresse éperdue,
Et la refoule au fond de nos esprits troublés.

Image de granit sur nos fanges dressée,
Phare debout au seuil des océans amers,
Statue où le reflet de l’antique pensée
Luit encor sur les temps comme un feu sur les mers !

Toi qui demeures seule à la porte du temple
Dont l’idéal lointain habite les sommets
Et que notre regard avec effroi contemple,
— Celui qui mutila la pierre où tu dormais

Fit au cœur du poète une entaille profonde,
Car, ô Fille des Dieux, immortelle Beauté,
Tes bras, en se brisant, laissèrent choir le monde
Dans les gouffres abjects de la réalité !

(Le Paya des roses.)


LE PÈLERINAGE


Après vingt ans d’exil, de cet exil impie
Où l’oubli de nos cœurs enchaîne seul nos pas,
Où la fragilité de nos regrets s’expie,
Après vingt ans d’exil que je ne comptais pas,

J’ai revu la maison lointaine et bien-aimée
Où je rêvais, enfant, de soleils sans déclin,
Où je sentais mon âme à tous les maux fermée,
Et dont, un jour de deuil, je sortis orphelin.

J’ai revu la maison et le doux coin de terre
Où mon souvenir seul fait passer sous mes yeux
Mon père souriant avec un front austère,
Et ma mère pensive avec un front joyeux.

Rien n’y semblait changé des choses bien connues
Dont le charme autrefois bornait mon horizon :
Les arbres familiers, le long des avenues,
Semaient leurs feuilles d’or sur le même gazon ;

Le berceau de bois mort qu’un chèvrefeuille enlace,
Le banc de pierre aux coins par la mousse mordus,
Ainsi qu’aux anciens jours tout était à sa place,
Et les hôtes anciens y semblaient attendus.

Ma mère allait venir, entre ses mains lassées
Balançant une fleur sur l’or pâle du soir ;
Au pied du vieux tilleul, gardien de ses pensées.
Son Horace à la main, mon père allait s’asseoir.

Tous deux me chercheraient des yeux dans les allées
Où de mes premiers jeux la gaîté s’envola ;
Tous deux m’appelleraient avec des voix troublées
Et seraient malheureux ne me voyant pas là.


J’allais franchir le seuil : « C’est moi, c’est moi, mon père ! »
Mais ces rires, ces voix, je ne les connais pas.
Pour tout ce qu’enfermait ce pauvre enclos de pierre,
J’étais un étranger !… Je détournai mes pas…

Mais, par-dessus le mur, une aubépine blanche
Tendait jusqu’à mes mains son feuillage odorant.
Je compris sa pitié ! J’en cueillis une branche,
Et j’emportai la fleur solitaire en pleurant !


(Les Ailes d’or.)


QUAND TON SOURIRE ME SURPRIT…


Quand ton sourire me surprit,
Je sentis frémir tout mon être ;
Mais ce qui domptait mon esprit,
Je ne pus d’abord le connaître.

Quand ton regard tomba sur moi,
Je sentis mon âme se fondre ;
Mais ce que serait cet émoi,
Je ne pus d’abord en répondra.

Ce qui me vainquit à jamais,
Ce fut un plus douloureux charme,
Et je n’ai su que je t’aimais
Qu’en voyant ta première larme !


(Poésies.)


LES ARBRES


Les grands chênes, pareils à de sombres amants,
Tordent dans l’air leurs bras où pend leur chevelure,
Et, debout sous le vent, ont la sinistre allure
Des mornes désespoirs et des accablements.

Comme un prince très vieux dont la tête vacille
Sous le poids des longs jours, le bouleau maigre et blanc,
Haut et d’argent vêtu, se dresse somnolent
Dans une majesté vaguement imbécile.

Les peupliers ardus ont l’air d’âpres chercheurs
Que sèche la pensée et qu’alanguit le rêve,

Qui, vers l’azur tendus, y poursuivent sans trêve
Des nuages volants les mortelles fraîcheurs.

Près des sources où dort l’Ame errante des fleuves
Qu’ont bus les sables d’or et les soleils jaloux,
Pleure, au front incliné des saules à genoux,
L’immortelle douleur des mères et des veuves.

— C’est qu’ils portent en eux, les arbres fraternels,
Tous les débris épars de l’humanité morte
Qui flotte dans leur sève et, de la terre, apporte
A leur vivants rameaux ses aspects éternels.

Et, tandis qu’affranchis par les métamorphoses,
Les corps brisent enfin leur moule passager,
L’Esprit demeure et semble à jamais se figer
Dans l’immobilité symbolique des choses.


(Poésies.)


PROMÉTHÉE


Roulant son torse épais sur les rocs amortis,
D’un long gémissement il troubla la nature :
— Sinistre compagnon dont je suis la pâture,
Vole et porte mon cœur saignant à tes petits.

Tu n’as pas fait encor le tour de ma blessure :
J’ai de larges festins pour tes grands appétits !
Ce n’est pas toi qui fais ma suprême torture,
Vautour, tombeau vivant qui, vivant, m’engloutis.

Lugubre oiseau de proie, ami des funérailles,
Sans pitié ni remords laboure mes entrailles :
Tes serres ni ton bec n’égaleront jamais

Le tourment qui me vient de l’azur implacable…
Ironique splendeur, voûte d’or qui m’accable,
Sérénité des cieux profonds et que je hais !


(Poésies.)