Anthologie des poètes français du XIXème siècle/François-René de Chateaubriand

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Anthologie des poètes français du XIXème siècle, Texte établi par (Alphonse Lemerre), Alphonse Lemerre, éditeurtome 1, (1762 à 1817) (p. 24-27).
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CHATEAUBRIAND


1768 – 1848




François-René de Chateaubriand est né à Saint-Malo. Le maître prosateur d’Atala et des Mémoires d’outre-tombe s’était cru d’abord destiné à la poésie. Venu à Paris en 1787, il se lia avec Fontanes, Parny, Écouchard Lebrun, et débuta dans les lettres par une pièce de vers intitulée : L’Amour à la campagne, que publia l’Almanach des Muses. De ses rares poésies lyriques — sans parler d’un Moïse en cinq actes, applaudi chez Madame Récamier, mais sifflé au théâtre, — on n’a retenu que quelques stances gracieuses, celles que nous donnons ici. On les trouve dans Le Dernier des Abencérages, ainsi amenées : « Après ce discours, Lautrec, qui voulait amuser la divinité de cette fête, prit une guitare et chanta cette romance qu’il avait composée sur un air des montagnes de son pays. » — Comme Bossuet, cet autre maître du style périodique, Chateaubriand ne rima que par occasion. Peut-être doit-il à ce goût des vers quelques-unes de ses magnifiques qualités, le rhythme, la mélodie des phrases ; mais il lui doit peut-être aussi maint défaut dont il trouvait l’exemple chez les versificateurs de son temps : le culte de la périphrase, l’abus des comparaisons, une certaine aversion pour le mot propre, trop souvent remplacé par le terme réputé noble. Si la majeure partie de son œuvre est déjà caduque, c’est que, presque à chaque page, règne cette fausse conception de la prose poétique que Victor Hugo, en quelques vers des Quatre vents de l’esprit, adressés À un écrivain, condamne avec tant d’éloquence et de bon sens :


Prends garde à Marchangy, La prose poétique
Est une ornière où geint le vieux Pégase étique.
Tout autant que le vers, certes, la prose a droit
À la juste cadence, au rhythme divin ; soit !
Pourvu que, sans singer le mètre, la cadence
S’y cache et que le rhythme austère s’y condense.
La prose en vain essaie un essor assommant.
Le vers s’envole au ciel tout naturellement ;
Il monte ; il est le vers, je ne sais quoi de frêle
Et d’éternel, qui chante et plane et bat de l’aile ;
Il se mêle, farouche et l’éclair dans les yeux,
À toutes ces lueurs du ciel mystérieux
Que l’aube frissonnante emporte dans ses voiles.
Quand même on la ferait danser jusqu’aux étoiles,
La prose, c’est toujours le Sermo pedestris.
Tu crois être Ariel, et tu n’es que Vestris.


Quoique les Natchez ne soient guère moins illisibles que Tristan le Voyageur, Victor Hugo a bien fait de dire ; Marchangy, et non Chateaubriand. L’auteur de René, en dépit de ses rides, reste un des dominateurs de ce siècle et l’initiateur du Romantisme. Dans la prose, — non poétique, — il s’est montré un grand poète. Enfin, s’il a commis des vers médiocres, on ne lui reprochera pas, du moins, de ne s’être point connu en beaux vers. Dans les notes de son Génie du Christianisme (1802), il révélait à la France les poèmes d’André Chénier. Dix-huit ans plus tard, après avoir lu l’Ode sur la mort du duc de Berry, il saluait de ce nom prophétique, « l’enfant sublime, » celui qui devait un jour écrire La Légende des Siècles et succéder à sa gloire.

Auguste Dorchain


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LE MONTAGNARD EXILÉ




Combien j’ai douce souvenance
Du joli lieu de ma naissance !
Ma sœur, qu’ils étaient beaux les jours
                De France !
Ô mon pays, sois mes amours
                Toujours !

Te souvient-il que notre mère
Au foyer de notre chaumière
Nous pressait sur son cœur joyeux,
                Ma chère,
Et nous baisions ses blancs cheveux
                Tous deux ?

Ma sœur, te souvient-il encore
Du château que baignait la Dore,
Et de cette tant vieille tour
                Du Maure,
Où l’airain sonnait le retour
                Du jour ?

Te souvient-il du lac tranquille
Qu’effleurait l’hirondelle agile,
Du vent qui courbait le roseau
                Mobile,
Et du soleil couchant sur l’eau,
                Si beau ?


Oh ! qui me rendra mon Hélène,
Et ma montagne, et le grand chêne ?
Leur souvenir fait tous les jours
                Ma peine !
Mon pays sera mes amours
                Toujours !


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LA FORÊT




Forêt silencieuse, aimable solitude,
Que j’aime à parcourir votre ombrage ignoré !
Dans vos sombres détours, en rêvant égaré,
J’éprouve un sentiment libre d’inquiétude !
Prestige de mon cœur ! je crois voir s’exhaler
Des arbres, des gazons, une douce tristesse.
Cette onde que j’entends murmure avec mollesse,
Et dans le fonds des bois semble encor m’appeler.
Oh ! que ne puis-je, heureux, passer ma vie entière
Ici, loin des humains !… Au bruit de ces ruisseaux,
Sur un tapis de fleurs, dans ce lieu solitaire,
Qu’ignoré, je sommeille à l’ombre des ormeaux !
Tout parle, tout me plaît sous ces voûtes tranquilles
Ces genêts, ornements d’un sauvage réduit,
Ce chèvrefeuille atteint d’un vent léger qui fuit,
Balancent tour à tour leurs guirlandes mobiles.
Forêts ! agitez-vous doucement dans les airs !
À quel amant jamais serez-vous aussi chères ?
D’autres vous confieront des amours étrangères ;
Moi, de vos charmes seuls j’entretiens les déserts.


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