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Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Francis Pittié

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Anthologie des poètes français du XIXème siècle, Texte établi par (Alphonse Lemerre), Alphonse Lemerre, éditeur** 1818 à 1841 (p. 213-219).


FRANCIS PITTIÉ


1829-1886



Le général Francis Pittié, chef de la maison militaire du Président de la République française, est né dans la Nièvre en 1829.

Après de brillantes études au lycée Charlemagne et à l’école de Saint-Cyr, il a successivement conquis tous ses grades dans l’armée active, depuis Sébastopol et Solférino jusqu’aux batailles d’Amiens, de Bapaume et de Saint-Quentin.

S’il a très dignement accompli son devoir de soldat, à l’heure de nos gloires et aux jours funèbres de nos désastres, la haute position officielle qu’il occupait, comme Secrétaire général de la Présidence, lui a permis plus d’une fois, dans le monde des Lettres et des Beaux-Arts, de jouer le rôle affable du bon Génie pour bien des jeunes débutants qui jamais n’ont en vain fait appel à sa bienveillance.

Le Roman de la vingtième année, dont la troisième édition date de 1882, donne bien au lecteur une vraie sensation de printemps, et, comme une bouffée d’avril, vous parle d’églantiers et d’aubépine en fleurs. En parcourant les pages heureuses de ce petit volume, on reconnaît que l’auteur appartient à la famille littéraire de Brizeux, de Charles Dovalle et d’Hégésippe Moreau, dont les vers discrètement émus chantent longtemps dans la mémoire.

Le dernier recueil publié par Francis Pittié, sous ce titre : À travers la Vie, est une œuvre d’un tout autre caractère, oh domine surtout la note grave. Ici nous feuilletons avec un respect quasi religieux une belle série d’eaux-fortes vigoureusement mordues : Les Martyrs, Le Chemin du Calvaire, Les Tyrans, Brumes de janvier, où la satire fait parfois siffler son fouet à gros nœuds et nous ramène à l’âpreté de Juvénal. Dans ce volume certaines pages ont un accent de fier patriotisme à réveiller les cœurs des plus endormis, à côté de strophes d’une grâce spirituelle et toute charmante, telles que La Fleur de l’Amour, Départ pour la vie, À Mademoiselle Marguerite, Le Pays des Chimères. On reconnait assurément que l’auteur n’est pas un simple dilettante ; on retrouve à chaque instant l’homme dans son œuvre : un vrai militant qui dans les rudes épreuves de la vie, et tout en restant dans le plein cours de nos idées modernes, a su garder la foi, l’espérance et la charité, et dont les plus beaux souvenirs en terre de France sont encore deux noms héroïques et purs : Jeanne d’Arc et Marceau.

Les œuvres de Francis Pittié ont été publiées en partie par Fischbacher et par A. Lemerre.

André Lemoyne.

LE FLEUVE
SONNET

À M. Jules Grévy


Sous les puissants rayons du soleil matinal,
Élégant et fleuri dans sa parure neuve,
Ton toit, connu du pauvre et hanté par la veuve,
A le lointain éclat d’un phare ou d’un fanal.

C’est là que, dominant le tumulte banal
Dont la foule imbécile ou grossière s’abreuve,
Majestueusement s’écoule, comme un fleuve,
Le cours profond et pur de ton âge automnal.


Flagellés par les vents, labourés par l’orage,
Les torrents, tes rivaux, déchaînent avec rage
L’indocile troupeau de leurs flots furieux.

Fleuve, vivant miroir des Sages et des Justes,
Tu baignes largement de tes ondes augustes
Le rivage sacré du berceau des aïeux.

(À travers la Vie)

À VICTOR HUGO



Quand ce siècle, lassé de prodiges sans nombre,
Dans l’éternelle nuit, hélas ! aura sombré ;
Quand la mort, trop rapide ou trop lente à mon gré,
Aura couvert les fronts les plus grands de son ombre ;

Seul, dominant encor l’universel décombre,
Du filial amour des peuples entouré,
Ton souvenir, toujours vivant, toujours sacré,
De toute sa hauteur emplira le ciel sombre.

Ainsi, dans le désert sans bornes, où jadis
Thèbes rivalisait de gloire avec Memphis,
Où le temps s’est joué des airains et des marbres,

La géante Chéops se dresse sur le ciel,
Et le Simoun, terrible aux hommes comme aux arbres,
Passe, sans ébranler son granit immortel.

(À travers la Vie)

LES LAURIERS SONT COUPÉS



Je ne regrette rien des siècles révolus,
Si ce n’est cette fleur d’exquise courtoisie
Qui faisait de la France une terre choisie
Et du peuple français une race d’élus.

Hélas ! le temps des preux et des belles n’est plus !
Où donc les Périclès ? où donc les Aspasie ?
Nous avons renié le Glaive et l’Ambroisie,
Et nous disons : Nana ! comme on disait : Caylus.

Ô langue de Corneille ! ô langue de Racine !
Je ne sais quel jargon de bagne ou de cuisine
Insulte tes héros, dans leur gloire drapés.

Le bourbier fume et pue où s’épandait le fleuve,
Et la Muse sanglote, immortellement veuve :
Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés.

(À travers la Vie)

LE DÉPART POUR LA VIE



Le ciel est bleu ; la mer baise amoureusement
Le sable doux et fin de la grève odorante ;
Le zéphyr, en son rythme ailé, souple et charmant,
Me parle d’Ischia, d’Ostie ou de Sorrente.


Sous l’effort musical du flot harmonieux,
Une barque effilée et svelte se balance ;
Les plaintifs elkovans, blancs sur l’azur des cieux,
Dans l’Éther chaud et pur se bercent en silence.

Des légers tamaris trouant le parasol,
Les obliques rayons du soleil qui décline
Allument, dans le chaud ensablement du sol,
Comme un reflet d’agathe ou de nacre opaline.

Tout est recueillement, oubli, sommeil et paix.
Témoin muet et sourd des luttes de la vie,
Seul, sous l’amas fleuri des lambrusques épais,
Un portail mi-fermé m’attire et me convie.

Qui sait ? et quels périls m’attendent au delà ?
Franchirai-je l’étroite et menaçante porte ?
Des écueils de Charybde aux récifs de Scylla
Mon âme tour à tour flotte, débile ou forte.

J’hésite. Aux bords divins du rivage enchanté,
Une chaîne de fleurs me rattache et me lie ;
L’appel de la bataille et de la liberté
Emplit mon cœur fougueux de son âpre folie.

Mais l’appel belliqueux l’emporte, hélas ! Ô toi,
Mon espoir, mon amour, mon flambeau, mon étoile,
Sois le vivant soleil qui marche devant moi
Et le phare immortel qui sauvera ma voile !

(À travers la Vie)

MA DEVISE



Mon âme vient du peuple et n’en est pas plus vaine.
Sur le tronc vermoulu d’un frêne ou d’un ormeau
Je n’ai jamais greffé d’héraldique rameau ;
Et c’est un sang d’hier qui coule dans ma veine.

Ma mère, le front ceint d’acanthe et de verveine,
A grandi, libre et chaste, au milieu d’un hameau ;
Mon aïeul, dédaigneux des fadeurs du trumeau,
Suça le maigre sein de la pâle déveine.

Mais si l’Armoriai ne connaît pas mon nom,
Si les plis ondoyants de mon obscur pennon
Ne flottent point aux murs de Solyme conquise,

Pour l’éternel honneur du fils qui me naîtra,
En ce vers sobre et franc j’exalte ma devise :
Fais ce que dois toujours, advienne que pourra.


INFLUENCES SECRÈTES



Dans le jardin soucieux,
Nulle fleur n’étale aux yeux
Son odorante corolle ;
Mais avril va revenir :
Faites les roses s’ouvrir,
Tiède zéphyr, brise molle !


Il fait froid ; l’oiseau se tait ;
Où le rossignol chantait,
L’âpre bise se lamente ;
Mais dans les airs, par instants,
Une haleine de printemps
Se révèle, et l’oiseau chante.

Humbles de forme et de ton,
Mes petits vers, ce dit-on,
N’ont pas la grâce qui touche ;
Cependant, dès que tu lis,
Ces vers, soudain embellis,
Se parfument sur ta bouche.

Mon cœur muet et fermé
Est comme l’arbre avant mai,
Plein de notes incertaines
Et de confuses chansons…
Aime-moi : notes et sons
En jailliront par centaines.

(Le Roman de la vingtième année)