Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Louisa Siefert

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Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur*** 1842 à 1851 (p. 154-167).




MADAME LOUISA SIEFERT


1845-1877




Madame Louisa Pène-Siefert, née à Lyon en 1845 et ravie prématurément à l’art en 1877, est l’auteur d’un volume de vers : Rayons perdus, qui fut très remarqué lors de son apparition en 1868. Parlant d’elle, M. Charles Asselineau a dit quelle « est un poète sincère, et nous l’en félicitons, car cette sincérité est la marque d’une âme fière et loyale, de la chaleur du cœur et de l’innocence de l’esprit. » Il a rappelé, en outre, qu’un poète, résumant son jugement sur ce livre, l’avait déclaré « très féminin de sentiment et en même temps très viril d’expression. »

En 1870, Mme Louisa Siefert fit paraître Les Stoïques, recueil de poésies qui donna toute la mesure de son talent à la fois ferme et pathétique.

Outre un opuscule patriotique, Les Saintes Colères, écrit en 1871, elle publia en 1872 des Comédies romanesques, dans lesquelles la profondeur de la pensée s’allie à l’excellence de la forme poétique. Interrompue en plein succès, son œuvre, qui comprenait un roman en prose intitulé : Méline (1876), a été complétée par un livre posthume : Souvenirs recueillis par sa mère et Poésies inédites.

Les ouvrages de Mme Louisa Siefert, parus de son vivant, ont été édités par A. Lemerre.

a. l.


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JALOUSIE



I




Ah ! toi, l’indifférent, tu souffres à ton tour :
L’angoisse t’a mordu, les peines sont venues ;
Tu trembles et tu crains en attendant le jour,
Et la nuit te remplit de terreurs inconnues.

J’ai vu luire en tes yeux, par un brusque retour,
Des larmes jusque-là vainement retenues ;
Et toi, qui ris de tout, toi, qui ris de l’amour,
Pour sonder l’avenir tu regardes les nues.

Tout n’est donc pas mensonge en nos maux ici-bas.
Que tu subis aussi, toi, dont le cœur la nie,
De la loi de douleur la sanglante ironie ?

Et tu peux donc aimer, toi, qui ne m’aimes pas ?
Mais quel déchirement qu’une telle pensée !
Dans ma blessure encor quelle épine enfoncée !



II



Oh ! ce sonnet me pèse à l’égal d’un remord !
Que je m’occupe ou non, que je veille ou je rêve,
Ce souvenir ne peut me laisser paix ni trêve,
Car pour moi chaque vers est un serpent qui mord,


L’épreuve est salutaire alors qu’elle rend fort
Et d’un souffle puissant jusqu’au ciel nous enlève,
Mais tout ressentiment transperce comme un glaive,
Et ces angoisses-là sont angoisses de mort.

Arrière donc, vipère à la langue empestée,
Amertume égoïste et vile, pour jamais
Retourne au gouffre noir qui t’avait enfantée !

Moi, je veux vivre, aimer, et sentir désormais
Tout ce que peut souffrir une âme généreuse,
Qui demande au devoir le secret d’être heureuse.



III



Dans les champs reverdis passe un air pur et doux,
Une blanche vapeur estompe la vallée ;
Toute ligne s’efface aux horizons plus mous,
La nature aujourd’hui de tendresse est voilée.

Adieu, sombre chagrin, tristesse aux pleurs jaloux,
De votre étreinte encor je suis tout ébranlée.
Âpres poisons du cœur, bien loin enfuyez-vous,
Laissez venir la paix à mon âme troublée.

Je n’ai que trop senti vos aiguillons maudits,
Et je veux maintenant que tout ce que je dis
Soit trempé de douceur et de mélancolie,

Comme aujourd’hui l’on voit la lumière affaiblie
Glisser avec langueur jusqu’aux prés odorants
Et changer l’ombre humide en rayons transparents.


(Rayons perdus)


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CRÉPUSCULE




Je ne puis résister à la mélancolie
De la feuille qui tombe et du jour qui s’en va ;
À ce moment, en moi quelque chose se plie,
Quelque chose de fier qui souffrit et rêva.

Cette feuille qui tombe et qu’à jamais oublie
L’arbre, auquel tout à l’heure un souffle l’enleva,
Ce jour déjà mourant qui lutte et s’humilie
Comme un proscrit blessé que le ciel réprouva,

Cette feuille, ce jour, cet oubli, tout m’attriste.
Une seule pensée en mon esprit subsiste,
Qui me dit : « C’est l’hiver ! » qui me dit : « C’est la nuit !

Demain, cieux et forêts rajeuniront encore…
Mais à la feuille morte, à l’heure qui s’enfuit,
Hélas ! qui parlera de printemps ou d’aurore ?…


(Rayons perdus)


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IDYLLE




Sur l’herbe du verger, au pied de la charmille,
Le jeune homme est assis près de la jeune fille.
Chaque étoile à son tour pique le firmament ;
Mille senteurs dans l’air, mille chansons bénies
Unissent leurs parfums, croisent leurs harmonies ;
                  La nuit vient lentement.


Les montagnes au sud, par l’ombre atténuées,
Agrafent sur leur sein le manteau de nuées
Dont la splendeur du soir revêt leur nudité ;
Le vent passe embaumé de thym, de menthe et d’ambre,
Et, couronné de fruits, voici venir septembre
                  Aussi doux que l’été.

Les ménages charmants des pinsons, des mésanges
Emplissent les rameaux de murmures étranges,
Ivres comme au printemps de leur nouvel amour ;
Et le paysan las, sa bêche sur l’épaule,
Aiguillonne ses bœufs avec sa grande gaule
                  Pour hâter le retour.

Au village à présent chaque foyer scintille.
Le jeune homme est assis près de la jeune fille :
En souriant, leurs deux mères les ont laissés ;
Sous le regard de Dieu, seuls, ils restent ensemble.
Lui, le cœur palpitant, la contemple; elle, tremble,
                  Les yeux sur lui fixés.

L’obscurité pourtant aux flancs de la montagne
Descend d’un pied furtif et peu à peu les gagne ;
Quelques moments encore, ils ne se verront plus.
Dans le vallon pourtant une vapeur légère
Flotte et s’étend déjà des champs pleins de fougère
                  Aux sapins chevelus.

Ils se taisent toujours. Mais derrière eux, sur l’herbe,
Est-ce un jeu de la nuit nonchalante et superbe
Qui rapproche sans cesse et bientôt confondra
Leurs deux ombres en une, et de ses mains puissantes
Aura joint tout à fait leurs têtes rougissantes
                  Quand la lune viendra ?


La nature au repos chante avec indolence
Son éternel poème. — Ô nature, silence !
Quel que soit ton génie, il est outrepassé ;
Un plus sublime accord nous émeut les entrailles,
Car, ici, le baiser des saintes fiançailles
                   Vers Dieu s’est élancé !

Les mères à pas lents sont enfin revenues,
Et les deux amoureux aux âmes ingénues
Sont allés les presser dans leurs bras triomphants :
« Nous ne formerons plus qu’une même famille.
« Mères, mères, voici votre fils, votre fille,
                  « Bénissez vos enfants ! »

(Rayons perdus)


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IMMORTALITÉ




Le chêne dans sa chute écrase le roseau,
Le torrent dans sa course entraîne l’herbe folle ;
Le passé prend la vie, et le vent la parole,
La mort prend tout : l’espoir, et le nid et l’oiseau.
L’astre s’éteint, la voix expire sur les lèvres,
Quelqu’un ou quelque chose à tout instant s’en va.
Ce qui brûlait le cœur, ce que lame rêva,
Tout s’efface : les pleurs, les sourires, les fièvres.
Et cependant l’amour triomphe de l’oubli ;
La matière, que rien ne détruit, se transforme ;
Le gland semé d’hier devient le chêne énorme,
Un monde nouveau sort d’un monde enseveli.


Comme l’arbre, renaît le passé feuille à feuille,
Comme l’oiseau, le cœur retrouve sa chanson ;
L’âme a son rêve encore et le champ sa moisson,
Car ce que l’homme perd, c’est Dieu qui le recueille.


(Les Stoïques)


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LUNE D’AVRIL




Déployant ses ailes de cygne
Au vol lent et capricieux,
Le clair de lune me fait signe
Et m’entraîne au loin sous les cieux.

Il franchit les lacs et les fleuves,
Baise les yeux clos des cités,
Et, se riant des grilles neuves,
Il s’en vient aux parcs désertés.

Il écarte l’ombre importune
Avec un geste familier ;
Puis il descend une par une
Les marches du blanc escalier.

Il s’en va retroussant sa robe
Le long de l’humide sentier,
Et, de-ci de-là, se dérobe
Entre le houx et l’églantier.

Je le vois errer d’arbre en arbre
Comme un doux poète étonné,
Et prêter des blancheurs de marbre
Au banc de pierre abandonné.


C’est ici que, las de sa course,
Rêveur il s’assied longuement,
Jetant aux flots clairs de la source
De la poudre de diamant.

Il endort les roses fleuries,
Il verse la rosée aux lis,
Il étend des blés aux prairies
Son manteau d’argent aux longs plis.

Ainsi promeneur pâle et triste,
Hôte des tombeaux délaissés,
Ami du chat et de l’artiste,
Protecteur des nids menacés,

Là-bas échevelant le saule
Qui pleure les morts oubliés
Et chargeant sur sa blanche épaule
Les linceuls qu’il a déliés,

Jusqu’à l’heure où, soudain rougies,
Les ténèbres font place au jour,
Il erre, — ô faiseur d’élégies,
Ô grand enchanteur de l’amour !


(Les Stoïques)


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*       *




À l’honneur du combat qu’importe la victoire ?
Celui qui pour mourir se couche en son drapeau,
Suaire que son sang a fait tout rouge, est beau :
C’est la fatalité, mais c’est aussi la gloire.


Toute âme est le champ clos d’une bataille noire,
Sans pitié ni merci, sans soleil ni flambeau.
Chaque illusion morte y trouve son tombeau
Et dans sa chute entraîne au néant sa mémoire.

Ainsi, fiers seulement du devoir accompli,
Tristes cercueils où dort l’amour enseveli
Près des élans fougueux et des grandes pensées,

Nous traînons le fardeau de nos forces lassées,
Et nous nous survivons dans cet immense oubli,
Sentant s’ouvrir le ciel sur nos têtes baissées.


(Les Stoïques)


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Tous les rires d’enfant ont les mêmes dents blanches ;
Comme les rossignols dans les plus hautes branches,
                Les moineaux dans les trous du mur,
Au rebord des longs toits comme les hirondelles,
Leur céleste gaîté s’envole à tire-d’ailes
                Avec un son serein et pur.

Nul n’est favorisé dans l’immense partage :
Richesse et pauvreté n’y font pas davantage ;
                Le rire, ce grand niveleur,
Sur tous les fronts répand la joie égalitaire,
Et c’est comme un écho qui fait vibrer la terre,
                Et viendrait d’un monde meilleur.

Innocence, clarté ! leur âme est une aurore
Que la vie en passant n’a pas troublée encore
                Dans son épanouissement ;

Et, doux chanteurs des nids plus étroits ou plus frêles,
Les plus humbles, avec leurs petites voix grêles,
                Ont le plus frais gazouillement.

Ainsi plus tard, aux jours que l’épreuve dévore,
On trouve des vieillards dont la lèvre incolore
                Recèle un sourire ingénu.
Leurs tranquilles regards sont remplis de lumière :
On dirait un reflet de leur aube première,
                Un rayon d’avril revenu !

On sent en leur parole une indulgence exquise,
Et la suavité de la paix reconquise
                Ennoblit leur sainte candeur.
Enfant pur, aïeul blanc, devant eux on s’incline ;
Qui les voit, fleur naïve ou tremblante ruine,
                Révère la même splendeur.

Car la vieillesse touche au ciel comme l’enfance :
L’une y retourne, et l’autre en vient. La morne offense
                Des ans et du malheur s’enfuit.
Le coucher du soleil à son lever ressemble,
Et, diamants tous deux, souvent roulent ensemble
                Les pleurs de l’aube et de la nuit.


(Les Stoïques)


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AU LARGE




Aux pays des autres étoiles,
Aux lointains pays fabuleux,
Le vaisseau sous ses blanches voiles
Nage au gré des flots onduleux.


Le ciel et l’océan s’unissent
Au bord de l’horizon enfui ;
Les lourdes vagues s’aplanissent
Avec un long soupir d’ennui.

Dans cette immensité sans terme
Où se perd, tombe et meurt le vent,
Le sillage qui se referme
Marque seul la marche en avant.

Ô tristesse indéfinissable,
Accablement toujours nouveau !
Ne pas voir même un grain de sable,
Ne pas même entendre un écho!

Ici, rien que la mer sans grèves,
Là, rien que l’ombre des agrès ;
Rien à l’avenir que des rêves,
Rien au passé que des regrets !

La semaine suit la semaine,
Le flot que le flot submergea
Au gouffre dans sa chute emmène
Chaque heure qui sonne, et déjà

L’aube a d’éclatantes nuances,
Le soir des couchants orangés,
Flamboîments et phosphorescences
À nos ciels d’Europe étrangers.

Des formes d’astres inconnues,
Vaisseaux par Dieu même conduits,
Îles, perles ou fleurs des nues,
Brodent le bleu manteau des nuits.

>


Mais cette splendeur qui décore
Le vaste infini déroulé
Est d’un aspect plus triste encore
Aux yeux tristes de l’exilé.

Et la petite maison basse,
Frère, où sont ta mère et tes sœurs,
Pour ton cœur avait plus d’espace,
Pour ton regard plus de douceur.


(Les Stoïques)


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TEMPS PERDU




Oh ! tout ce temps perdu pour s’aimer, tous ces jours
Que je vois loin de moi s’envoler dans leur cours
               Régulier, lent et monotone !
Tous ces bonheurs flétris dans leur espoir naissant
Comme ces derniers lis sur qui l’hiver descend
               Avant la floraison d’automne !

Les arbres dépouillés demandent grâce aux cieux
Et semblent supplier de leurs bras anxieux,
               Que fouettent le vent et la pluie ;
Le vallon se remplit d’un brouillard froid et gris,
L’horizon nuageux se cache à l’œil surpris,
               L’âme dans sa prison s’ennuie.

Car voici la saison du foyer, les longs soirs
Dont la lampe, qu’on voit si blanche aux seuils plus noirs
               Devient l’étoile convulsive ;

Les longs mois qu’on dirait faits pour l’intimité,
Tant elle serait bonne à cet âtre enchanté
               Où la flamme ailée est captive.

Mais, ô mon cœur, pourquoi sans cesse revenir
À ce que tu ne peux saisir ni retenir,
               À ce qui reste l’impossible ?
Et pourquoi, dédaignant tout ce qui t’est donné,
Aux flèches d’un regret à peine détourné
               T’offrir toujours comme une cible ?
Qui l’aurait cru ? La paix d’un sort modeste et doux,
Moins que la gloire dont tant d’autres sont jaloux,
               Était à conquérir aisée.
Ô mon cœur ! prie et chante et ramène tes vœux;
Ce bien est le plus cher de tous ceux que tu veux :
               Le parfum de la fleur brisée.

Hélas ! l’heure qui sonne emporte un jour encor,
Et l’attente stoïque a remplacé l’essor
               Dont la puissance m’est ravie ;
Et je demeure seule, et je me dis, pendant
Que dans le vide obscur mes yeux vont regardant :
               « L’amour est l’âme de ma vie ! »


(Les Stoïques)


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JOUR TOMBANT




Sur le ciel gris rosé l’extrémité des branches
Se découpe légère et frissonnante au vent ;
L’heure est chaude ; le soir ouvre aux visions blanches,
Et par les prés fauchés elles s’en vont rêvant.


Elles s’en vont rêvant de leurs sœurs les chimères
Qui portaient dans leur robe un songe à chaque pli,
Espoirs, rayons perdus, décevances amères,
Souvenirs lumineux émergeant de l’oubli.

Et les souffles subtils pleins d’odorante flamme,
Qui font pâmer les fleurs sur le foin renversé,
Savent encore emplir de vertiges mon âme,
Lyre toujours vibrante au contact du passé.

Dans la nuit palpitaient des ailes de pensées,
Comme si mille oiseaux, se croisant sur mon front,
Avaient chanté pour moi leurs hymnes cadencées,
Avant de s’envoler au ciel clair et profond.

— Pourquoi rire ? Les pleurs sont si près de la joie.
Dans l’ombre douloureuse où le sort l’a jeté,
Il n’est espoir si cher que mon cœur ne renvoie,
Il n’est amour si pur dont mon cœur n’ait douté.

— Pourquoi pleurer ? La joie est si proche des larmes.
Toute ombre dans son sein porte l’espoir du jour.
Il n’est malheur si rude où ne soient quelques charmes,
Il n’est bonheur si doux qu’on ne doive à l’amour.

— Pourquoi chercher en vain une paix éphémère ?
Ouvrir trop tôt son cœur ou trop tôt le fermer ?
Voici la vision, l’idéal, la chimère :
Rire, pleurer, chanter et toujours plus aimer !

Sur le ciel assombri l’extrémité des branches
Se découpe plus lourde et frissonnante au vent ;
Le soir n’a point de lune ; adieu, visions blanches !
Et par les prés fauchés je m’en reviens rêvant.


(Les Stoïques)


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