Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Marie de Valandré

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Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur**** 1852 à 1866 (p. 250-256).




MARIE DE VALANDRÉ


1861




Marie de Valandré (Mathilde Claret de la Touche), née à Saint-Germain-en-Laye le 8 septembre 1861, n’a encore publié qu’un volume de ses poésies, Au Bord de la Vie (1885). Une âme charmante, ingénieuse aussi, palpite dans les vers pleins de franchise et de simplicité qui composent ce livre portant un titre donné à l’auteur par Joséphin Soulary, dont le nom est inscrit au premier feuillet comme une invocation tutélaire au fronton d’un petit temple grec. On peut dire qu’un frais atticisme est répandu sur toutes les pièces du recueil, parfois éloquentes de l’accent convaincu d’idéal des œuvres saines de la jeunesse, parfois délicieuses et fraîches comme une première rosée de mai : c’est à ces dernières qu’il faut demander le secret de la personnalité de l’auteur. Telles de ces poésies, Les Doigts et les Bagues, par exemple, sont de petites merveilles d’invention et de sensibilité féminines ; elles suffiraient à prouver qu’il y a dans Marie de Valandré autre chose qu’une enfant tourmentée par le diable bleu de la rime. Toutes ces qualités se retrouvent, à un degré peut-être supérieur, dans un nouveau volume qui paraîtra prochainement .

Les poésies de Marie de Valandré sont éditées par A. Lemerre.

Paul Mariéton.




RAYONNEMENT




Si je ne croyais plus aux promesses divines,
Si le doute m’ouvrait son abîme béant,
Si mon œil abusé devant tant de ruines
Me montrait dans la mort la porte du néant,

Je n’accepterais pas ce suprême désastre
Où sombrerait la foi de mon cœur révolté,
Et, lasse de marcher dans une nuit sans astre,
J’irais dans la raison chercher la Vérité.

Je me dirais : Pourquoi la faucheuse éternelle,
Qui s’en va moissonnant sans pitié parmi nous,
Chez les prédestinés qu’elle effleure de l’aile
Met-elle tant de grâce et des attraits si doux ?

Pourquoi donc, même avant que leur force décline
Ou qu’eux-mêmes déjà se soient sentis souffrir,
Pourquoi subissons-nous un pouvoir qui fascine
Auprès de ces charmeurs qui vont bientôt mourir ?

Pourquoi croyons-nous voir la divine étincelle
Dans le lucide éclair de leur regard béni ?
Pourquoi dans leur baiser où tant d’amour ruisselle
Voulons-nous sur leur lèvre aspirer l’Infini ?

Pourquoi donc aimons-nous les pâleurs diaphanes
De leurs traits lumineux qu’un linceul va couvrir ?
Pourquoi retenons-nous entre nos mains profanes
Leurs mains, leurs blanches mains, que la mort va meurtrir ?


Ah ! s’ils devaient livrer leurs corps à la poussière
Sans qu’il en restât rien pour l’Immortalité,
Pourquoi porteraient-ils sur l’argile grossière,
Comme le sceau de Dieu, pareille majesté ?...

Oui, je les crois touchés par des doigts invisibles :
Je crois que le secret de leur grave beauté
Est que nous les voyons, confiants et paisibles,
Se pencher sans effroi sur une Éternité !





LES DOIGTS ET LES BAGUES




Il est des doigts blancs, potelés,
Où s’enchâssent des ongles roses,
Des doigts faits pour cueillir les roses,
Qui de bagues sont étoiles ;
Sur ces mains fines et soyeuses
Les baisers pleuvent chauds et doux,
Car l’Amour y prend rendez-vous
Avec les pierres précieuses...

Il est des doigts moins effilés,
Des doigts nerveux de jeune fille
Qui tout le jour tirent l’aiguille :
Ceux-là n’ont pas d’anneaux perlés ;
Mais, doux espoir qui moralise,
L’amoureux payé de retour
A juré d’y mettre à son tour
La bague qu’on donne à l’église...


Il est des doigts purs et sacrés,
Des doigts saints de religieuse,
Dont la main vaillante et pieuse
Restera sans bijoux dorés.
Un cercle d’argent les enserre,
Plus fort dans sa fragilité,
Plus beau dans sa simplicité,
Que tous les joyaux de la terre...

Il est des doigts baignés de pleurs,
Des doigts glacés comme la pierre,
Qui dans l’ombre du cimetière
Épellent un nom sous les fleurs ;
À ces doigts amaigris de veuve
Brille encore un chaînon puissant :
C’est le dernier qui dans l’épreuve
Les tienne unis au cher absent.

Il est de frêles doigts d’artiste
Qu’autrefois vous serriez bien fort,
Mais dont la main mignonne et triste
Ne porte pas de bague d’or :
Elle a gardé la douce fièvre
Du seul baiser qu’elle ait permis,
Et l’empreinte de votre lèvre
Lui tient lieu de l’anneau promis.





LE DRAPEAU




Le brouillard de décembre au loin voilait la plaine ;
Les morts dormaient, fauchés comme des épis blonds ;
La mère, grelottant sous son manteau de laine,
Allait, cherchant son fils au revers des sillons.


Quand elle le trouva couché dans la poussière,
Son drapeau l’entourait, doux linceul du vaincu !
Et l’enfant, appuyé sur l’angle d’une pierre,
Reposait calme et fier comme il avaic vécu.

De l’étendard noirci la soie était froissée ;
Il s’était dans ses plis enroulé pour mourir ;
La mère le reprit à cette main glacée,
Et, baisant ces beaux yeux clos pour ne plus s’ouvrir,

Elle partit… Marchant toujours à l’aventure,
Elle allait, sans compter les pas qu’elle avait faits ;
Et, gardant son trésor caché dans sa ceinture,
Elle arriva le soir près du camp des Français :

« Voici, dit-elle au chef, un drapeau que j’apporte ;
Je l’ai pris sur le corps de mon fils expiré… »
Elle colla sa lèvre à ce lambeau sacré,
Pâlit et puis tomba sans plainte… Elle était morte !





LES DEUX PARTS


AUX FEMMES




Ce monde, tourmenté d’ambitions rivales,
Voit deux partis divers tendre à la primauté ;
Pourtant le Créateur fit les deux parts égales :
L’homme a pour lui sa force, et nous notre beauté.

À lui l’œil froid qui juge et la ferme attitude,
À nous l’œil bleu qui rêve et prêt à se baisser ;
À lui la main de fer guidant la multitude,
À nous la main qui donne et qui sait caresser ;


À lui la haine prompte à bondir sous l’outrage,
À nous l’âme oublieuse et vive à pardonner ;
À lui le bras armé, rebelle à l’esclavage,
À nous les souples bras qui savent enchaîner ;

À lui l’acier qui tue et le cuivre qui sonne,
À nous le baume sûr, réparateur du Mal ;
À lui le front stoïque et l’esprit qui raisonne,
À nous la foi qui sauve et croit à l’ Idéal ;

À lui l’honneur rigide aux bases immuables,
Les arrêts sans appel, le glaive punisseur ;
À nous la pitié sainte, indulgente aux coupables,
Et le règne éternel promis à la douceur !...

Mais dès que nous voulons par un caprice étrange,
Des chefs-d’œuvre de Dieu réformateurs hardis,
De ces dons différents faire entre nous l’échange,
Nos plus beaux attributs aussitôt sont maudits :

L’air viril ne sied pas à nos charmants visages ;
S’il nous ressemble trop, l’homme est sans dignité ;
L’impassibilité, cette force des sages,
Dans les cœurs féminins s’appelle dureté ;

Au contact de l’aiguille et des soins du ménage
Nos rudes compagnons verraient leurs doigts salis ;
La science, leur noble et splendide apanage,
Marque de plis amers nos traits trop tôt pâlis ;

Ainsi nos meilleurs biens, si parfaits dans l’ensemble,
Dès qu’ils sont déplacés se tournent contre nous,
Et la Loi s’accomplit lorsque l’Amour assemble
Avec les cœurs vaillants nos cœurs tendres et doux.


LES CHEVEUX DE MA MÈRE




Le soir, quand pour dormir elle a défait ses tresses
Et me laisse à genoux baiser ses cheveux longs,
J’aime, en les renattant, à couvrir de caresses
Les premiers fils d’argent éclos dans ces fils blonds.

J’y lis tout un passé de soucis et de craintes ;
J’y vois mes maux d’enfant qui l’ont tant fait souffrir ;
Et chaque nuit veillée a laissé son empreinte
Sur ce front adoré que le Temps va flétrir.

Des efforts qu’elle a faits pour me rendre meilleure,
Plus vaillante, plus sage et plus digne d’amour,
Pour soulager qui souffre et consoler qui pleure,
Chacun de ces fils blancs me représente un jour.

Aussi tous les joyaux et tout l’éclat d’un trône
La rendraient bien moins belle à mes yeux attendris,
Bien moins chère à mon cœur, que la double couronne
De sa bonté pensive et de ses cheveux gris.

C'est pourquoi, quand, le soir, elle a défait les tresses
Qui baignent son front pur de leur reflet changeant,
J’aime à compter tout bas, par autant de caresses,
Entre ces fils dorés les premiers fils d’argent.