Anthologie féminine/Marie de France

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Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 3-4).

MARIE DE FRANCE

(xiiie siècle)



La première femme poète qui écrivit pour le public, quoique peu de ses ouvrages soient parvenus jusqu’à nous, Marie de France, naquit à Compiègne, d’après ce que raconte d’elle un poète, Jehan Dupein. De son origine, on connaît seulement ce qu’elle dit elle-même par ce vers :

Marie ay nom, si sui de France.


Elle fit partie du groupe de trouvères attirés par les princes anglo-normands à l’époque des troubadours et du Roman du Renart.

Un de ses plus beaux poèmes a pour titre le Purgatoire de Saint-Patrice ; elle a publié, sous le pseudonyme d’Ysopet, une imitation en langue d’oïl de cent trois fables d’Ésope, de Phèdre et d’autres auteurs, que le roi Henri Ier a traduites en anglais. Elle puisa souvent ses inspirations à la source féconde des anciennes légendes de Bretagne et d’Irlande. On connaît d’elle aussi une quinzaine de lais, entre autres celui du Léotic ou Rossignol, dont on trouve une réminiscence dans le conte de Mme d’Aulnoy, l’Oiseau bleu. Les Deux Amants est un autre petit poème de Marie de France plein de gracieux et touchants détails.

la mors et li bosquillon[1]

Tant de loin que de prez n’est laide
La Mors. La clamait à son ayde
Tosjors ung povre bosquillon
Que n’ot chevance ne sillon :
« Que ne viens, disoit, ô ma mie,
Finer ma dolorouse vie ! »
Tant brama qu’advint ; et de voix
Terrible : « Que veux-tu ? — Ce bois
Que m’aydiez à carguer, Madame ! »
Peur et labeur n’ont mesme game.

  1. Fable extraite du recueil cité plus haut, et qui a été rimée également par La Fontaine et Boileau sous le titre de la Mort et le Bûcheron.