Anthologie féminine/Mme Craven

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Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 308-311).


Mme CRAVEN
Née Pauline de La Ferronays

(1805-1890)


Fille du comte de la Ferronays, ambassadeur à Saint-Pétersbourg, Mme Craven est « une belle âme qui a écrit l’histoire de belles âmes ».

« La femme ne se croit pas « cerveau d’homme » après la cinquantaine (Mme Craven a commencé à écrire âgée de plus de cinquante ans), alors que les cheveux grisonnent et que les habitudes sont prises. Elle ne quitte son salon pour s’asseoir à un secrétaire que sous l’impulsion des circonstances et pour obéir à un sentiment irrésistible. Or, c’est le cas de Mme Craven, dont la vocation fut tardive. « J’ai cru, voilà pourquoi j’ai parlé », chantait David. Elle pouvait dire à son tour : « J’ai admiré, et voilà pourquoi j’ai écrit… » Un jour, elle crut surprendre un reproche au fond de sa conscience : « Non, pensa-t-elle, je ne puis capitaliser davantage ; c’est de l’avarice. Il faut que je partage mon trésor avec les pauvres en impressions et en souvenirs. » Alors elle brisa aux pieds du public son vase d’albâtre[1]. »

Le Récit d’une sœur, qui est pour la plus grande partie la correspondance authentique et intime d’une famille bien connue, fit grand bruit. Peu de livres de femme se sont vendus à un aussi grand nombre d’exemplaires. « Ce livre est un calice de douleurs ! »

Elle a été très critiquée par Armand de Pontmartin et Barbey d’Aurevilly. Ce dernier aurait voulu que le Récit d’une sœur fût l’unique livre de Mme Craven. « La plume qui l’a écrit devrait être brisée, a-t-il dit, comme, dans certains pays, le verre avec lequel on a trinqué avec le roi. Le verre funèbre plein de délices et d’angoisses dans lequel Mme Craven a bu à la mémoire des siens ne devait plus servir à personne. Est-ce que le roi de Thulé, après avoir pleuré dans sa coupe, ne la jeta pas à la mer ? »

Mme Craven a écrit d’autres livres qui tous ont eu de nombreuses éditions : Éliane, Anne Séverin, Fleurange, couronné par l’Académie française, comme le Récit d’une sœur ; le Mot de l’énigme, Adélaïde Capei, la Vie de lady Fullerton.

L’œuvre de Mme Craven consistant surtout en lettres de ses parents ou amis, on trouve peu d’elle à citer. Mais dans ce qu’elle écrit comme dans ce qu’elle choisit pour publier, la note tendre, sentimentale, domine.


PRÉFACE DU RÉCIT D’UNE SŒUR

« Rendez-moi la joie avec la douleur, et je veux bien vivre comme j’ai vécu, aimer comme j’ai aimé. » Voilà à peu près en quels termes un des poètes de notre temps, lord Byron, a exprimé un sentiment analogue à celui qui nous fait accepter les plus douloureux souvenirs plutôt que l’oubli, qui anéantirait ensemble l’amertume et la douleur du passé. Cette manière de sentir est la mienne… Oh ! non, je ne désire l’oubli ni des joies, ni des peines que j’ai connues… Je bénis Dieu de la disposition qu’il m’a donnée à revenir sans cesse sur les traces qu’ont laissées après eux ceux avec lesquels il m’a été si doux de vivre. Le souvenir des jours heureux passés ensemble est devenu pour moi une joie et non une douleur, et, bien loin de désirer l’oubli, je demande au Ciel de me conserver toujours la mémoire vive et fidèle des jours évanouis et la faculté de faire comprendre quels furent ceux avec lesquels s’écoulèrent ces jours et quel fut le bonheur qu’y répandit leur présence. Penser à eux et parler d’eux m’a été doux depuis qu’ils ne sont plus, comme il m’était doux de leur parler et de vivre près d’eux quand ils étaient là. Aussi l’occupation favorite de ma vie a-t-elle été de lire et de rassembler les lettres et les papiers de tout genre dans lesquels est demeurée gravée l’empreinte fidèle de leurs âmes ; ce n’est pas sans un tendre orgueil que je les ai parfois fait connaître à d’autres, et que j’ai vu même les indifférents s’attendrir ou s’émerveiller en lisant quelques-unes des pages que j’entreprends aujourd’hui de réunir d’une façon plus complète. Je voudrais, je l’assure, que la mémoire de ceux qui les ont écrites répandît son doux parfum un peu au delà du cercle de ceux qui les ont aimés, et je voudrais les faire aimer de ceux qui les ont vu passer sans les connaître, mais non sans les remarquer peut-être......


PENSÉES

Vivre longtemps, c’est se survivre.

Oh ! chères visions du passé ! c’est encore une douce faculté que celle de vous évoquer ainsi. Alexandrine disait bien que « l’imagination était une belle chose », et elle avait raison de l’appeler « une peinture magique. »


  1. Mme A. Craven, par M. Arthur Mugnier.