Anthologie japonaise ; poésies anciennes et modernes/Man-yo-siou

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ANTHOLOGIE


JAPONAISE




I


萬葉集


MAN-YO-SIOU
collection des dix mille feuilles



L’Anthologie intitulée Man-yô-siû est un des ouvrages les plus célèbres de la littérature japonaise. Fréquemment réimprimée, elle a été l’objet de nombreux travaux de critique, et les savants les plus renommés du pays ont exercé leur sagacité à en expliquer les nombreuses obscurités. C’est qu’en effet ce recueil, qui comprend une foule d’anciennes pièces de poésie composées dans les circonstances les plus diverses et par toute une pléiade d’auteurs différents, renferme une quantité d’allusions historiques et d’expressions métaphoriques pour l’explication desquelles la connaissance de la langue moderne est insuffisante. Les lettrés de l’extrême Orient, à moins d’en avoir fait une étude spéciale, ne peuvent comprendre ces poésies qu’avec l’aide de commentaires discutant la signification de la plupart des mots qu’elles renferment et le sens général qu’il faut attacher à chaque pièce.

Pour nous autres Européens, qui sommes éloignés du centre où furent composées ces vieilles manifestations poétiques de l’esprit oriental, les odes du Man-yô-siû présentent d’autant plus de difficulté qu’une grande partie des locutions qu’elles renferment manque absolument dans nos dictionnaires. En outre, le peu de travaux publiés jusqu’à ce jour sur l’histoire et la littérature des Japonais ne permet point de trouver l’explication des allusions historiques ailleurs que dans les ouvrages indigènes, où les recherches sont d’autant plus longues et pénibles qu’ils sont ordinairement imprimés sans index analytique et dans une disposition peu favorable à l’érudition.

C’est également au peu de connaissance que nous possédons de la civilisation, des mœurs et des coutumes du Japon, qu’il faut sans doute attribuer l’absence complète d’intérêt que présentent à nos yeux une foule de poésies du Man-yô-siû. Il faut, en effet, lire en moyenne une vingtaine de pièces de ce recueil[1] avant d’en rencontrer une seule qui supporte dès aujourd’hui une traduction dans nos langues, et encore ne peut-on l’offrir à un lecteur européen qu’en s’assurant à l’avance de son indulgent accueil. On est cependant en droit de supposer qu’il n’en sera plus de même lorsque nous connaîtrons davantage les œuvres de l’esprit japonais ; car un livre qui a pu traverser les siècles et conserver de nombreux admirateurs chez tout un peuple renferme évidemment quelques-unes de ces qualités cosmopolites qui sont et seront éternellement la condition de durée des productions de l’art ou de la littérature.

La plupart des grandes bibliothèques de l’Europe possèdent aujourd’hui une ou plusieurs éditions du Man-yô-siû. Je n’ai pu toutefois en consulter qu’une seule depuis que j’ai entrepris la traduction de l’Anthologie Si-ka-zen-yô. Cette édition, qui fait partie de ma collection, est intitulée Man-yô-siû ryak-kaï[2] et forme vingt volumes in-4o. Elle a été publiée la troisième année de l’ère impériale An-seï (1856), par Nan-ryô Kyô-sya.

En tête de l’ouvrage se trouve une préface dont il ne m’a point paru sans intérêt de donner la traduction :

  1. Voici, à titre d’exemple, quelques courtes pièces du Man-yô-siû qui ont été reproduites dans les textes lithographiques insérés à la fin de ce volume :
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    Oho-miya-no utsi made kiko yu, abiki sŭto, ago toto no oru ama-no y obi koye.

    Les cris des pêcheurs qui se rassemblent ont pénétré jusqu’à l’intérieur du grand temple.

    Ces vers ont été composés par Naga-kisŭ oki-maru, à l’occasion

    d’une visite que fit l’empereur au temple de Toyo-saki, dans la province de Nani-wa (Ohosaka).

    (Man-yô-siû ryak-kaï, vol. IIIa, fo 2, et dans le Si-ka-zen-yô. textes lithographiques joints à ce volume, p. 8.)

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    Mono-no fu omi-no otoko-wa oho-kimi-no make-no mani-mani kiku-to-wo omono zo.

    Les héros chargés des commandements de l’armée doivent toujours se conformer aux ordres de l’empereur.

    Cette pièce a été composée par Oto-Maru qui l’a envoyée a l’un de ses amis pour l’encourager à déférer aux volontés de son prince.

    L’expression mono-no fu désigne les guerriers porteurs de deux sabres. Les Annales des mikados intitulées Nippon-ô daï-itsi-ran expliquent ainsi qu’il suit l’origine de ce nom, qu’elles font remonter au règne de l’empereur Zin-mu Ten-ô (660 avant notre ère) : Uma-sima-dzi-no mikoto to, Mitsi-no omi-no mikoto to ryô-zin, bu-kô sŭgure-tarou-ni yotté, gun-byô-wo mesi-gu-si, daï-ri-wo keï-go-sŭ. Mitsi-omi-no mikoto-no tsŭkasadoru gun-byô-woba, gumebu to i’u, Uma-sima-dzi-no Mikoto-no tsŭkasadoru tokoro-woba, mono-no be to i’u. Ima-ni itaru made : bu-si-wo mono-no fu to i’u koto-wa, kore-yori hadzimeri. « Les deux personnages, nommés l’un Oumasima-dzino Mikoto, l’autre Mitsino-omino Mikoto, en considération de leurs grands talents militaires, furent nommés chefs des soldats et chargés de la garde du palais impérial. Les troupes commandées par le second reçurent le nom de gumebu, tandis que celles qui furent placées sous les ordres du premier s’appelèrent mono-no be. Ces dénominations sont parvenues jusqu’à nos jours, et celle de mono-no fu, donnée aux militaires, tire de là son origine. » (Man-yô-siû ryak-kaï, vol. IIIb, fo 8 ; Si-ka-zen-yô, p. 3.)

  2. 萬葉集略解