Aperçu des principales théories émises par les iatro-chimistes

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CHAPITRE iii

Aperçu des principales théories émises par les iatrochimistes.


A. L’anarchie intellectuelle du début du xviie siècle. — Grand nombre d’hypothèses émises. — Comment chacune d’elle aspire à remplir le champ de la pensée humaine. — Comment leur éclosion simultanée les empêche de s’imposer et de dominer leurs rivales. — Impossibilité de fournir une classification rationnelle des hypothèses dues à la liberté d’interprétation de la Nature. — Origines diverses de leurs fondations. — Méthode arbitraire de rangement pour faciliter la lecture de leurs exposés.
B. Malgré leurs affirmations, orgueilleuses, les savants de la Renaissance subissent l’influence de la tradition. — Exemple de Paracelse. — Il introduisit la chimie dans la médecine et se moque du déterminisme astrologique. — Il établit cependant une liste de correspondances entre les astres errants et les parties de notre corps, d’où une manière toute nouvelle de se représenter l’homogénéité du monde. — L’on établit ensuite des analogies entre des corps quelconques ayant entre eux n’importe quelle ressemblance. — Évolution historique des doctrines, conforme à leur évolution logique. — Exemples tirés des paracelsistes médecins et chimistes. — Comment dans certains cas l’influence de Paracelse et celle du néoplatonisme peuvent se rejoindre et s’additionner. — Considérations générales sur les doctrines analogiques. — Elles excitent l’esprit humain au travail mais sont incapables de satisfaire entièrement notre raison.
C. Grande renommée passagère de Van Helmont. — Caractères principaux de sa philosophie. — Analyse sommaire de son œuvre. — Point de vue négatif. — Réaction contre les théories d’Aristote et de Galien enseignées dans les écoles. — Réaction contre le déterminisme astrologique. — Comment la philosophie de Van Helmont tend en conséquence à se réduire à une chimie. — Point de vue positif. — Van Helmont prend comme base de ses doctrines, les affirmations de la Genèse, les illuminations de son esprit et les constatations faites au laboratoire. — Comment la science est révélée au savant. — Discussion de la théorie des quatre éléments. — Discussion de la théorie des trois principes. — Les corps créés n’ont qu’un principe matériel et ce principe matériel est l’eau. — Preuve de cette assertion. — Les corps soumis à l’action de la liqueur alcahest sont tous transmués en eau. — Considérations sur l’alcahest. — La spécification des différentes substances est due à l’action de ferments spirituels. — Comment ces ferments peuvent condenser la matière de d’eau et faire varier sa densité. — Conservation de la quantité de matière. — L’air est intransmuable en eau ; c’est un corps simple, lieu des transformations physiques. — Les fluides aériformes ou gaz ne sont pas de l’air mais ils sont dus à une atténuation de la matière universelle ou eau. — Quelques mots sur les gaz. — Remarque sur l’homogénéité de la doctrine.
D. L’influence de Van Helmont. — Il est difficile de la déterminer exactement. — L’alliance préconisée entre la Bible et l’expérience a provoqué jusqu’au milieu du xviiie siècle l’apparition de nombreux ouvrages qui débordent de beaucoup la science chimique. — L’attaque des doctrines de l’École a préparé le terrain où s’est développée la philosophie mécanique. — Comment Borrichius a interprété librement cette théorie que l’eau est la seule matière des corps. — Comment Boyle l’a traduite dans le langage corpusculaire. — Comment la recherche de l’alcahest a-t-elle été considérée par les chimistes ? — Boyle reconnaît que cette liqueur est une promotion de la théorie. — Certains chimistes ont confondu ce corps merveilleux avec la pierre philosophale ou avec la panacée universelle. — La philosophie mécanique a ôté au concept d’alcahest toute sa signification. — Un mot sur l’influence des autres idées de Van Helmont. — Sa théorie du feu et de la combustion fait réfléchir les chimistes. — Développement de la notion de gaz. — Comment sa doctrine instinctive de la conservation de la quantité de matière est devenue une base de la chimie.
E. Les doctrines théosophiques et mystiques de la Renaissance ont donné naissance à une chimie expérimentale et pharmaceutique. — Opposition des médecins aux progrès de la nouvelle science. — Quelques exemples de polémiques entre docteurs et chimistes. — Comment la chimie finit par s’imposer à tous. — Comment elle dut lutter contre les charlatans nombreux qui faisaient d’elle un éloge exagéré. — Comment elle prétendit dominer toute la science humaine.
F. Comment la doctrine chimique prétendit expliquer tous les phénomènes du monde et de l’être humain. — Exposé de quelques idées de Sylvius. — Ressemblances et différences avec le système de Paracelse. — Cette philosophie susceptible de prendre différentes formes. — Exposé du système de Tachénius sur le dualisme acide-alcali. — Un mot sur les progrès de cette doctrine. — Comment se forme le concept d’alcali. — Comment le dualisme une fois posé a tendu à s’assimiler au monde entier. — Les chimistes voulurent voir partout des acides et des alcalis. — Ces corps existent ils dans les métaux. — Opinions de Boyle, de André et de Bertrand. — Comment cette théorie a détruit celle des quatre éléments et comment elle a fait prendre les trois principes pour une première approximation. — Objections formulées par Robert Boyle contre ce nouveau dualisme. — Il est trop simple pour s’adapter à l’expérience et trop vague pour représenter quelque chose à notre esprit. — Objections formulées par Bertrand. — Le fait supposé que l’acide et l’alcali sont indécomposables ne prouve pas que ces corps soient métaphysiquement simples, puis tous les corps ne sont pas formés d’acide et d’alcali. — Enfin l’alcali n’est peut-être pas un corps primitif. — D’après sa doctrine qui est la doctrine cartésienne, il n’y a d’autres êtres simples que la matière et le mouvement. — Opinion sur le dualisme des chimistes de laboratoire. — Opinion des médecins empiriques. — Comment, par une ingénieuse hypothèse, André a voulu relier l’acide et l’alcali à la philosophie corpusculaire.
G. Exemple d’une violente dispute médico-chimique. La querelle de l’antimoine. — Violence de la polémique. — Raisonnement des partisans et des ennemis de ce minéral ! — Exemples pris dans les ouvrages publiés par les médecins. — Dissertation de Lamy qui termina la dispute. — Comment la composition chimique de ce corps démontre qu’il ne contient aucun poison.
H. Les exemples des paragraphes précédents sont choisis au milieu de bien d’autres. — Les doctrines examinées ont été stylisées, réduites à leur terme essentiel. — Considération sur la philosophie chimique qui a été partiellement la destructrice de la philosophie d’autrefois.


A. — En commençant l’exposé des doctrines chimiques émises au xviie siècle, nous avons tenté de montrer qu’aucune théorie dominante et incontestée n’imposait son autorité au groupe laborieux des chercheurs. Nous avons signalé qu’alors, — cause ou conséquence de cette anarchie intellectuelle remarquable, — chaque hypothèse scientifique, due à un savant professeur, et puisant son origine soit dans la tradition religieuse, soit dans un système philosophique, soit dans l’expérience sensible, chaque hypothèse scientifique tendait en se développant à absorber le système du monde, elle cherchait à chasser de la pensée de ceux qu’elle séduisait tout ce qui ne serait pas un prolongement ou une adaptation d’elle-même[1].

Ces hypothèses audacieuses, intolérantes et exclusives, se présentèrent dès leur naissance sous leur forme définitive et parfaite que rien ne peut modifier ; dans leur développement théorique, elles ne rencontrent aucun obstacle ; sans se soucier des objections, elles déroulent un système du monde ; mais sans s’assouplir elles se brisent et laissent immédiatement la place à des rivales éphémères auxquelles de nouvelles hypothèses succèdent bientôt[2]. Si aucune d’elles ne parvient à maîtriser les esprits, c’est qu’elle est gênée dans sa propagation sociale par l’éclosion simultanée d’un grand nombre de doctrines adverses qui, comme elles aspirent à tenir tout le champ de la pensée humaine. En se combattant âprement, elles se limitent mutuellement et s’étouffent les unes les autres. À vrai dire, elles ne se combattent pas ; elles s’étalent en ignorant l’existence de leurs adversaires ; les savants d’alors manient l’injure avec plus d’art que la discussion ; et l’historien, ébloui parle choc des opinions adverses qui s’attaquent par leur seule présence sans recourir à des arguments logiques, renonce vite à mettre de l’ordre dans le chaos agité des disputes.

Cette liberté d’interprétation de la nature qui résulte de la lutte violente entre hypothèses diverses constamment remises en question par les nouveaux arrivants et édifiées sur de nouvelles bases, liberté d’interprétation dont nos recherches précédentes nous ont donné une première vision, il nous faut la contempler dans toute son ampleur. Les ouvrages, que nous avons jusqu’à maintenant analysés, malgré leur indépendance mutuelle semblaient cependant ordonnés par rapport à une idée. Quelles qu’aient été en effet, les divergences d’opinion entre les différents adeptes de la philosophie hermétique, il nous a été loisible de rattacher leurs affirmations hétérogènes à ce théorème fondamental : « Les substances du règne métallique ont une tendance naturelle à devenir plus parfaites. » Aussi variées qu’aient été les théories des professeurs dont nous avons analysé l’œuvre, les éléments de chimie limitaient leur contenu à l’ensemble traditionnel de leur science.

Ces différents ouvrages nous ont préparés à envisager le développement irrégulier, imprévu et désordonné de doctrines étranges qui semblent aujourd’hui en dehors des préoccupations habituelles des chimistes, et dont nous allons donner une idée. Ces doctrines, qui ont contribué par leurs chocs à susciter la naissance de, la chimie moderne, ne doivent pas être jugées trop sévèrement par le lecteur , qui serait peut-être tenté de les prendre pour de fantastiques rêveries. L’argumentation des auteurs est indifféremment extraite de la théologie, de l’astrologie, de la philosophie, de la physique, de la chimie ou encore de la médecine ; parfois les dogmes et constatations de ces sciences d’origines diverses se combinent harmonieusement et se servent mutuellement de point d’appui. Ailleurs, une seule de ces disciplines, dépassant le domaine particulier qu’elle a pour mission d’explorer, s’élargit indéfiniment et tente de faire rentrer l’univers entier sous ses lois.

Parmi les ouvrages que nous citerons, un certain nombre sont dus à la plume d’écrivains étrangers ; leur influence en France a été si grande que l’historien de la chimie française ne doit pas les ignorer. Dans la classification de leurs doctrines, et de celle de leurs collègues français, nous avons suivi une méthode destinée à en faciliter la connaissance et non à imposer un ordre factice à des objets qui n’en comportent pas ; la variété des problèmes soulevés, les interprétations diverses de chacune, rendront, d’ailleurs sensible au lecteur l’anarchie intellectuelle dans laquelle se débattaient les savants, à l’époque du renouvellement des sciences.


B. — Quelle que fût, à l’époque que nous étudions, la vigueur des esprits qui tentèrent d’atteindre la vérité sur le monde, sans s’astreindre à croire servilement la parole réputée infaillible des maîtres du passé, aucun savant ne sut se libérer entièrement de la tradition ; et, sous les nouveautés les plus orgueilleusement annoncées, le regard attentif démêle la trace très reconnaissable des conceptions de l’âge précédent que les nouveaux arrivants ont précisément pour but de faire disparaître.

Voyez l’exemple de Paracelse[3]. L’un des premiers, parmi les savants de la Renaissance, il attire l’attention publique sur les bienfaits de la médecine ou de la chimie expérimentale. Par une conséquence de ses doctrines, les recherches concernant les propriétés des sels métalliques se firent de plus en plus nombreuses et parvinrent à former un matériel de connaissances expérimentales assez stables, pour que la chimie l’utilise afin de construire un solide édifice théorique. Son influence révolutionnaire fut violemment combattue par nombre d’écoles officielles et il serait bien difficile d’évaluer exactement ses effets sur le développement des sciences. La vision d’ensemble de son œuvre, l’histoire de sa carrière bizarre, de ses éclatants succès, de ses déboires sensationnels ne rentre pas dans le cadre du présent travail[4]. Signalons seulement que ce bruyant médecin, pour montrer au public instruit le mépris dans lequel il tenait la science universellement réputée des maîtres célèbres, avait brûlé au milieu de ses élèves les œuvres de Galien et d’Avicenne. Il se moquait ouvertement de la superstition du déterminisme astrologique, qui séduisait tout le moyen âge par son apparence de science, et il tente de renouveler les théories concernant le monde sublunaire[5].

Mais, dans les nouveautés proposées, que de choses ont été inspirées par les doctrines mêmes qu’il dédaigne et dont il désire achever la destruction ! L’analogie entre l’univers et le corps humain, leur similitude presque géométrique, la concordance entre les événements et les parties de notre grand monde, ou macrocosme, et ceux de l’organisme humain, petit monde ou microcosme, ne sont-ils pas dus à une transformation des rêveries astrologiques de ses prédécesseurs[6] ? Ne déclare-t-il pas avec la plus grande netteté que celui qui ignorerait la science des astres serait mis, par cela même, dans l’impossibilité de connaître l’art de guérir[7] ? Et ne met-il pas la production des métaux extraits de l’intérieur de la terre sous la dépendance d’influences planétaires[8] ? N’exagérons rien cependant ! Cette sympathie ou, si vous préférez, cette correspondance harmonieuse du monde céleste et de notre corps n’est due aucunement à l’action dominatrice des phénomènes astraux sur les phénomènes physiologiques ; ni à celle d’un inéluctable destin qui les enchaînerait tous les deux par ses infaillibles décrets. Ces mondes indépendants l’un de l’autre ne subissent pas l’action d’une fatalité externe ; et, de leur similitude, le savant conclut seulement à l’homogénéité de l’univers.

Que résulte-t-il de tout cela ? Si avec un tel système l’astrologie ne fut pas chassée de la pensée humaine, son domaine, qui empiétait autrefois sur celui des autres sciences, fut considérablement diminué et ramené à de plus modestes proportions. En effet, la similitude du monde stellaire et de l’organisme humain ne nous apparaît plus que comme un cas particulier des similitudes que la science aura pour objet de dévoiler entre les corps les plus variés dont est composé l’univers. De même qu’à chaque partie du corps correspond un astre errant, de même, à un objet terrestre, quel qu’il soit, correspondra quelque point ou quelque fonction de notre organisme. L’homme n’est-il pas à lui seul un résumé de la nature ? N’est-il pas semblable par quelque caractère à chacune des choses créées ? Paracelse aperçoit en lui « le mouvement des astres, la nature de la mer, de l’eau, de l’air ; les végétaux, les minéraux, les constellations et les quatre vents » ; par suite, explique-t -il, « un vrai médecin doit être en état de prononcer sur le corps de l’homme : voilà un saphir, voilà du mercure, voilà un cyprès, voilà des fleurs de violette jaune[9] ».

Bref, ce ne fut plus à l’image du monde céleste que l’esprit humain modela la science du monde sublunaire ; ces deux mondes sont semblables au « microcosme » et la connaissance du corps de l’homme projette, d’après les nouvelles doctrines, sa clarté sur la connaissance de l’univers. Allons plus loin. Pourquoi avions-nous établi un intermédiaire, l’organisme humain, entre les différentes choses qui nous ont paru analogues ?

Pourquoi ramener toutes les similitudes que notre science a pour mission d’établir à un cas particulier ? Supprimons-le ou, plutôt, remettons-le à sa vraie place. La science de l’homme, qui avait détrôné la science des astres du plan privilégie où elle était placée, ne formera plus le pivot central de la science humaine ; tous les points de vue seront équivalente et, sans révolution apparente, le savant aura supprimé les dernières entraves qui s’opposaient à l’entière liberté de sa pensée. Accumulons donc les comparaisons judicieuses entre nos différents ordres de connaissance. Notons soigneusement les analogies entre toutes les choses corporelles ou incorporelles, qu’elles nous soient révélées, ou par leurs qualités sensibles ou par leurs propriétés abstraites. Prolongeons aussi loin que nous le pouvons les conséquences de ces analogies, et déduisons-en, si possible, une série de faits observables qui serviront simultanément de preuve et d’illustration à nos conceptions théoriques[10]. Tel est l’aboutissant logique que le développement naturel des doctrines paracelsistes devait imposer à L’évolution de la chimie.

Ces conséquences éloignées, que Paracelse et ses successeurs immédiats n’avaient aucunement prévues, l’historien les voit se dérouler au travers des nouvelles doctrines que médecins, pharmaciens et chimistes se plaisent à imaginer. Nous allons en dire quelques mots. Tout d’abord avec Paracelse, la doctrine des analogies revêt une forme très simpliste. À l’exception des membres, organes purement animaux, les différentes parties du corps humain sont semblables aux sept astres errants ; le cœur est dans le microcosme, l’analogue du Soleil appartenant au macrocosme, la tête est semblable à la Lune, le foie est semblable à Mercure, le poumon est semblable à Jupiter, la rate est semblable à Saturne, les reins sont semblables à Vénus et le fiel est semblable à Mars. Ces similitudes entre le petit monde et le grand monde, les docteurs paracelsistes se contentent de les affirmer sans chercher à les justifier ; peut-être prenaient-elles origine dans une tradition mystique qui leur inspirait toute confiance ? Quoi qu’il en soit, les mêmes docteurs nous exposent avec assurance, et presque comme allant de soi, la série des analogies que les astrologues avaient cru découvrir entre les planètes et les métaux : l’or étant semblable au Soleil, l’argent à la Lune, le vif-argent à Mercure, l’étain à Jupiter, le plomb à Saturne, le cuivre à Vénus, le fer à Mars… Que vont-ils conclure de cette double série d’analogies ? Tout d’abord que l’organe et le métal semblables au même astre errant sont aussi semblables entre eux ; l’or et le cœur se ressemblent puisqu’ils ressemblent au Soleil ! Mais en dehors de cela ils ne pourraient rien tirer s’ils n’ajoutaient à leur doctrine fondamentale un axiome encore inexprimé. Cet axiome le voici :

« Les semblables attirent les semblables[11]. » À l’opposé donc de la pratique de Gallien qui guérissait les contraires par les contraires, le froid par le chaud, l’humide par le sec, nos docteurs vont traiter les maladies de cœur par l’or, les maux de tête par l’argent, etc., et au lieu de corriger la nature ils ne feront que de l’aider à suivre son cours. En cherchant la meilleure manière d’administrer les remèdes métalliques, la nouvelle école de médecin créa la pharmacie chimique, qui perfectionna les fourneaux et instruments de laboratoire ; cela encouragea vivement la naissance de la science expérimentale, qui s’installa définitivement sur les ruines de l’ancienne pharmacie galénique, après un combat acharné dont il ne nous appartient pas de raconter l’histoire détaillée[12].

Revenons aux analogies. Après les avoir établies, en invoquant pour les justifier des arguments plus ou moins solides, nos savants étaient satisfaits et croyaient avoir atteint la signification profonde des corps de la nature. Ils donnaient aux caractères apparents, qui leur faisaient pressentir les parentés entre les différentes substances du monde, le nom mystique de « signature des choses[13] ». Tout animal, tout végétal, tout minéral qui, par quelque côté, ressemblait à un de nos organes, a pour cet organe une sympathie particulière et, le cas échéant, lui porte secours. « C’est sur ce fondement, nous dit James, qu’ils prétendent que la dentaria, dont la racine ressemble à une chaîne de dents enfilées les unes avec les autres, nous indique par cette configuration un médicament propre pour les maux de dents et pour le scorbut. La pulmonaire est bonne dans les maladies du poumon ; aussi est-elle légère, spongieuse et configurée à peu près comme ce viscère. On prend du citron dans le cas où le cœur souffre et nous voyons qu’il en a à peu près la figure. Autre preuve que ce fruit est lui cordial, c’est que le cœur a du rapport avec le soleil et que la couleur jaune du citron représente en quelque sorte celle de cet astre. »

Les exemples précédents sont suffisants pour faire comprendre comment les « signatures des choses prirent une place considérable dans l’histoire de la médecine ; au contact de la science des docteurs, le chimiste abandonna bientôt les doctrines traditionnelles concernant le monde et les mixtes ; et, avec plus d’audace qu’eux, il étendit à tous les corps de l’univers les analogies qu’il avait remarquées entre deux corps particuliers.

Souchu de Rennefort ne nous apprend-il pas qu’« une aiguille est entre deux aimants comme un esprit entre deux opinions ». Et pour nous montrer que cette comparaison est autre chose qu’une illustration imagée d’une idée en somme banale ; il en fait des applications au monde moral et physique ; il dit « que la vertu de l’aimant d’attirer le fer est comparable à la vertu de Jésus-Christ attirant les mages ». Ou encore « que le mépris que l’aimant fait de l’or et de l’argent, son union avec le fer est analogue avec l’élection que Dieu a faite de la nature humaine plutôt que de l’angélique[14] ».

Blaise de Vigenère essaye de nous montrer que le feu et le sel sont deux corps absolument semblables ; la cuisson nous permet de conserver quelque temps la plupart des substances organiques : mais, si ces matières sont placées dans le sel, elles sont de même protégées contre l’altération putride. Ne voyons-nous pas là l’indice d’une analogie de nature entre le feu et le sel[15] ? Et sur cette analogie, pourquoi ne construirions-nous pas tout un système physique et chimique auquel elle servirait de base ? Comme d’ailleurs le monde sensible est analogue de tous points au monde intellectuel, dont il est une copie corporelle, l’étude de la chimie nous dévoile les vérités métaphysiques et religieuses qui, tout d’abord, semblaient en dehors de son domaine. Le mysticisme de Paracelse semble s’allier harmonieusement avec les traditions philosophiques du moyen âge, et l’autorité des Arabes, des cabalistes, de Scot Érigène, de Raymond Lulle et de bien d’autres savants célèbres soutiennent les nouvelles doctrines.

Barlet, dont le cours de chimie nous avait semblé précédemment incompréhensible et fantaisiste, croit aussi que l’intelligible est révélé par le sensible ; et c’est pour cela que ce philosophe s’est adonné à l’étude de la « physique résolutive » ! Mais il ne néglige pas cependant de signaler les correspondances entre les choses diverses dont notre monde est composé ; il pense, comme les paracelsistes, que les minéraux, les végétaux, les animaux ont des sympathies pour les planètes et aussi des sympathies entre eux. Ces correspondances, il les indique et les développe avec quelque complaisance ! À cela, il mêle encore des considérations pythagoriciennes sur l’harmonie du monde, et, par suite, il croit découvrir de nouvelles analogies entre les nombres et les choses.

Ces considérations mystiques qui nous semblent aujourd’hui si étranges, devaient exercer une séduction bien forte sur l’esprit d’un grand nombre de savants ; rappelons que Davidson dont nous avons analysé le cours de chimie, fait de la théorie des analogies la base de sa philosophie générale qui sert de charpente et même de fondation à des doctrines expérimentales ! La nature lui a paru hiérarchisée ; à chaque être primitif et purement spirituel, correspondent des copies, des arrière-copies, puis les images des copies avec leurs arrière-images, puis les phénomènes sensibles que seuls nous pouvons directement constater ! Et ce sont ces seules données sensibles qui servent de base à la science ! Par elles, grâce à la divination des analogies nous parvenons à connaître les réalités qui tout d’abord nous dépassaient ! Là, Davidson, sans contredire aux superficielles et brillantes rêveries paracelsistes, nous donne un véritable système, que les analogies et sympathies illustrent mais dont elles ne forment pas les traits principaux ! L’auteur a lu et médité ; il cite, aussi bien que les ouvrages contemporains, les écrits du néo-platonisme arabe. Nous entrevoyons dans son œuvre comment les traditions d’origine différente ont pu converger au même point et additionner leurs effets.

La plupart des médecins cependant ne poussaient ni leur érudition, ni leur méditation aussi loin ; ils ne demandaient qu’à découvrir les analogies encore inconnues ; ils les universalisaient, sans chercher à les transformer en systèmes cohérents et logiques. Dans leur hâte de conclure, ils se laissent entraîner à affirmer bien des choses qui, sans s’opposer à leur doctrine fondamentale, s’accordent difficilement entre elles et paraissent sujettes à bien des doutes.

Écoutons Nicolas de Locques, qui a assez bien exposé les doctrines des médecins de son temps. « L’homme, dit-il…, nature mitoyenne entre les supérieurs et les inférieurs… porte non seulement l’image de Dieu, mais de la nature angélique et renferme toutes les vertus des propriétés du ciel, des astres et des éléments et tout ce qui est compris dans la nature végétale, animale ou minérale[16]. » De ce principe il déduit toutes sortes d’applications ; citons-en seulement un cas. « Que l’esprit de nitre est plein des causes de pétrification dans le grand monde ès mines et dans le petit monde aux reins[17]. » Puis abandonnons l’organisme humain et voyons par quelles analogies sont décrites les propriétés chimiques des corps organiques. Nous apprenons par exemple « que l’esprit de vin est eau, parce qu’il en a la fluidité ; feu parce qu’il brûle ; air. parce qu’étant essensifié, il en a la spiritualité et la pénétration ; terre parce qu’il est tout sel »[18]. En essayant de découvrir les ressemblances de chaque substance chimique avec l’ensemble des autres substances, nos auteurs compliquaient à plaisir la description de chaque matière particulière ; peu à peu ils s’habituent à prendre leurs comparaisons pour les causes profondes des choses ; ils matérialisent leurs images et croient avoir, grâce à elles, pénétré à la fois les secrets de la composition chimique des corps les plus variés, et expliqué les raisons de leurs diverses qualités. Voici, pour nous en rendre compte, comment Locques parle de la plupart de minéraux.

« Les pierres communes ont leur frangibilité, opacité de l’aquosité du mercure, pour corps le rocher, pour matrice la terre, pour spécificateur le nitre. Le rubis a son corps du cristal, sa constance et sa dureté au feu de l’esprit de l’or, sa détermination du nitre et sa teinture de Mars. Le diamant a son corps du cristal, son feu ou son éclat du soufre et de l’esprit de la lune, pour matrice le roc et le nitre pour spécificateur. L’émeraude a son corps, du cristal, sa couleur de la teinture de Vénus, pour matrice le rocher, pour spécificateur le nitre. La jacynthe a pour matrice le cristal, pour matière le roc, pour sa couleur le soufre de Mars, pour détermination le nitre. La topaze a pour corps le cristal, pour matrice le roc, pour teinture l’esprit de Saturne. L’améthyste a pour corps et matrice le cristal et le roc, pour teinture, l’esprit de Jupiter, pour spécificateur l’esprit de nitre. Les uns et les autres ont leurs vertus et propriétés occultes spécifiques du ciel et des astres[19]. »

Le lecteur nous saura gré de ne pas multiplier les citations ; nous en avons assez dit pour qu’il se rende compte à quel point le désir de découvrir immédiatement l’homogénéité du monde exerçait de séduction sur la science en formation, puisque elle se basait tout entière sur des analogies mystiques entre les différentes parties de l’univers ! Nous en avons assez dit pour qu’il aperçoive que ces analogies, si affirmativement exprimées, allaient à l’encontre du but primitivement poursuivi et compliquaient, au lieu de la simplifier, la représentation des êtres et des phénomènes dont elles devaient nous donner connaissance. En effet, au lieu de ramener sur le même tableau hiérarchique les choses auxquelles elles s’appliquent, ces correspondances et sympathies établissaient des relations de différents ordres entre les diverses parties du monde ; leur ensemble ne pouvait plus se contempler d’un regard et pour ne pas voir leurs criants désaccords, il fallait être singulièrement illogique ! Non seulement elles étaient, par leur nature et par la volonté de leurs auteurs ; destructrices de toute autorité constituée, mais encore elles ne pouvaient former par leur union un corps de doctrine qui servît de base à la théorie chimique !

L’on nous demandera peut-être si, dans ces conditions, il était bien nécessaire de faire une place dans l’histoire de la chimie aux doctrines étranges de la Renaissance ? Puisque en se développant ces doctrines se détruisent d’elles-mêmes, puisqu’elles sont impuissantes par leur seul jeu à former le point de départ d’une véritable et solide science, pourquoi donc les mentionner ? À cette critique utilitaire nous répondrons tout d’abord qu’avant de parler des savants qui dans le cours du xviie siècle ont renouvelé la chimie il fallait bien décrire brièvement le milieu intellectuel dans lequel leur esprit s’est formé. C’est en effet par réaction contrôles correspondances, les analogies et les sympathies, que les écoles iatrochimiques et iatromécaniques se sont tout d’abord développées. C’est par opposition à cette concordance harmonique, que les paracelsistes avaient cru découvrir entre les êtres nombreux et variés dont est composé l’univers, que Sylvius et Tachénius réduisirent la théorie de tous les phénomènes observables à des luttes entre différents corps simples-chimiques ! C’est par opposition à ces qualités occultes, témoignage sensible de correspondances invisibles, que notre intelligence seule peut saisir que Descartes, Gassendi, Rohaut, Robert Boyle, Lémery et bien d’autres développèrent les théories mécaniques et corpusculaires qui chassèrent pour longtemps de la chimie toute explication harmonique pour ne laisser subsister que les représentations spaciales.

Les raisonnements par analogie ont joué le rôle d’excitant pour la science en formation ; ils ont remué les idées, ils ont fait crouler les bâtisses dans lesquelles la pensée humaine croyait pouvoir se reposer, ils ont creusé profondément le sol sur lequel prendra place le nouveau monument qui se construira lentement au cours du xviie siècle ; bref, ils ont achevé de détruire la philosophie du moyen âge et ils ont fait table rase de tout ce qui existait avant eux. Mais, quand il s’est agi de remplacer la philosophie scolastique par une nouvelle conception de la nature et du monde, quand il s’est agi de fournir de nouveaux cadres à la science expérimentale, quand il s’est agi en un mot de créer une théorie chimique, les correspondances, les similitudes, les analogies se sont montrées singulièrement impuissantes. Elles désorientaient l’esprit humain en le poussant dans plusieurs directions et vers plusieurs buts à la fois ; c’est en suivant cependant l’impulsion donnée par l’une d’elles, c’est en essayant de faire rentrer tous les phénomènes matériels dans les limites étroites d’une des manières d’agir de la nature, indiquée par les doctrines de la renaissance, que s’édifièrent les bases de la véritable science chimique[20].


C. — Nous allons maintenant dire quelques mots d’un savant du xviie siècle qui eut sur un grand nombre de ses contemporains une influence considérable, et à qui cependant l’histoire générale de la pensée humaine n’a pas conservé une place prépondérante. Les doctrines chimiques et médicales, les hypothèses concernant la composition de la matière, émises par Jean-Baptiste Van Helmont[21], ont en effet provoqué un grand nombre de recherches ; elles ont été passionnément discutées par beaucoup de médecins ; les pharmaciens ou chimistes ont tenté de les vérifier en expérimentant dans leurs laboratoires. Et pourtant après avoir excité les esprits, elles ont disparu de la science ; et cela sans avoir été combattues, sans contenir un illogisme fondamental qui devait les conduire à la ruine, simplement parce que malgré leur admirable unité ces doctrines formaient un système artificiel dont les bases ne sont imposées ni par la raison, ni par la tradition, ni par l’expérience ; si l’on ajoute à cela que leur auteur semble ignorer la géométrie et méprise la mécanique comme l’astronomie, on comprendra parfaitement que la philosophie cartésienne, sans daigner même le discuter, l’ait simplement éclipsé ! Aujourd’hui, de Van Helmont il ne reste plus que le nom.

La première remarque que l’on fait en lisant les « Principes de physique »[22], c’est que Van Helmont est ému d’une indignation profonde contre la philosophie d’Aristote et de Galien que lui avaient enseignée ses maîtres. La logique, à laquelle les anciens avaient attaché tant d’importance, n’a d’autre usage que de nous apprendre à nous répéter perpétuellement en d’autres termes. La théorie des quatre éléments est contraire à la saine physique ; elle est infirmée par les travaux de laboratoire, et la médecine a été trop longtemps faussée par elle. Enfin la théologie de ces professeurs est entièrement païenne et ne saurait convenir aux chrétiens. Comment ces derniers peuvent-ils admettre sans blasphémer que Dieu, « moteur immobile », agite les différents corps par une impulsion toute mécanique, « comme s’il mouvait toute chose avec un bâton et qu’il fallait que pour mouvoir il soit immobile[23] ». La foi ne leur a-t-elle pas appris « que Dieu par son seul et libre vouloir atteint toutes les choses sans contrainte ni obligation ». Pourquoi s’obstinent-ils à rechercher les causes profondes de la volonté divine qui nous sont inaccessibles ?

Du point de vue purement négatif, l’œuvre de Van Helmont est issue d’une réaction violente contre la philosophie scolastique, dont l’influence sur les esprits va s’atténuant peu à peu ; il se révolte à la fois contre les doctrines et les méthodes qu’il voit pratiquer autour de lui ; il dédaigne l’astrologie qui avait inspiré tant de confiance à nombre de ses prédécesseurs et, par suite, il ne fait plus de l’astronomie le modèle de toutes les autres sciences.

« Les astres, dit-il en terminant ses principes de physique, ne nécessitent et n’inclinent pas ni pour la vocation, ni pour les vices et pour les vertus. Et la vie et la fortune ne dépendent point d’eux[24]. » Certes, ajoute-t-il pourtant, l’Écriture dit que les étoiles sont des signes et si nous croyons fermement les affirmations de la genèse en même temps que la prescience de Dieu, nous serons amenés à reconnaître que « les astres entraîneront toujours la nécessité avec eux », mais cette nécessité théorique il nous est impossible de la lire, et ceux qui ont prétendu la deviner ont agi suivant des principes illusoires ! Peut-être est-elle accessible aux anges qui nous sont supérieurs ; en tous cas la connaissance de l’astronomie n’éclaire aucunement la route des physiciens ou des chimistes ; ce ne sont pas les recherches orgueilleuses sur l’état du ciel qui projetteront leur clarté sur les connaissances relatives aux phénomènes qui nous entourent. « Pour conclusion, ce n’est pas à nous à fouiller dans les célestes secrets de Dieu, puisque nous ignorons les terrestres qui devraient être mieux connus comme étant moins relevés. »

La doctrine de Van Helmont rejette donc l’homme sur la terre et le force à diriger tout près de lui la curiosité de ses regards. En dehors de quelques concessions vagues, plus apparentes que réelles, à la philosophie paracelsiste, notre auteur ne fait aucun appel à la science des astronomes pour construire sa théorie physique ou plutôt son système du monde. Et en dédaignant la contemplation du ciel, la géométrie et la mécanique, en dédaignant aussi les problèmes métaphysiques concernant le temps et l’espace, il réduit son système du monde à une systématisation des phénomènes matériels, c’est-à-dire à une chimie.

Les notions, qui servent de fondation à cette philosophie chimique, sont extrêmement différentes et s’appuient les unes sur les autres, de sorte qu’il est presque impossible de les séparer les unes des autres ; les extases religieuses, les commentaires à la genèse, les constatations expérimentales faites ou possibles, se mêlent inextricablement et forment un tout indissoluble que la moindre altération fausse. Bien que les chimistes puissent penser qu’en faisant un exposé d’ensemble de la philosophie de Van Helmont nous sortons de notre sujet, il est impossible d’éviter d’en tracer l’esquisse à grands traits ? Et d’abord quels sont les moyens par lesquels Van Helmont prétend parvenir à la connaissance de la vérité ? Ils sont difficiles à dégager ; posons en premier ceci : notre âme, de nature purement intellectuelle, aspire à contempler le tableau de la réalité ; cette contemplation ne saurait être le fruit de spéculations purement logiques qui manqueraient de base assurée, elle ne saurait résulter de raisonnements purement pratiques tels que les animaux eux-mêmes sont capables d’en fournir au sujet des accidents les plus ordinaires de la vie ; elle est due à une faculté plus haute et plus intuitive « la foi » qui illumine l’entendement et que Dieu donne librement à ceux qui travaillent et qui prient. Cette révélation qui nous fait apercevoir la vérité ne laisse la place à aucun doute[25].

La philosophie chimique de Van Helmont est donc entièrement construite sur des affirmations dogmatiques si assurées, que, sans aucune justification, elles entraînent notre conviction ; mais à l’encontre des affirmations essentielles de la philosophie cartésienne, elles ne nous sont pas données pour des évidences !

Elles ne sont ni dévoilées par l’expérience, ni innées dans notre raison. Où donc ont-elles pris leur source ? Tout d’abord dans les méditations de Van Helmont sur la genèse et « l’œuvre des six jours », — puis dans les doctrines néoplatoniciennes, théosophiques ou mystiques des savants de la renaissance, — puis enfin elles ont été inspirées ou confirmées par des travaux de laboratoire qui à eux seuls auraient été impuissants à les établir.

Maintenant que nous connaissons le cadre méthodologique, essayons d’en déterminer le contenu ; il s’agit pour Van Helmont de faire connaître exactement la nature des corps matériels ; il écarte en premier lieu, comme contraire à l’expérience, la théorie des quatre éléments enseignée par Aristote et répétée par Galien, puis par les écoles médicinales et chimiques ; le feu n’est aucunement un être corporel simple ; c’est un principe de changement, un ouvrier de la nature que l’art sait utiliser ; mais ce n’est pas une substance, il peut naître et disparaître ; l’agent universel de toutes les réactions matérielles que l’on reconnaît dans le feu n’a, d’après notre philosophe absolument rien de matériel puisqu’il ne persiste pas indéfiniment, qu’il peut naître comme il peut périr. Nous retrouverons plus tard les discussions concernant l’eau, l’air et la terre.

Van Helmont, après avoir nié la doctrine classique d’Aristote, essaye de montrer que les chimistes qui ont cru résoudre tous les corps de la nature en trois principes homogènes, le sel, le soufre et le mercure, n’ont pas une philosophie assurée ; ils se sont arrêtés en chemin sans se demander si la décomposition de certaines matières en trois principes différents était valable pour toutes les matières et si elle aboutissait à la dernière résolution possible[26] ! Par là leur théorie utilisable dans certains cas n’a absolument rien d’universel. Nous avons devant nous le champ libre pour établir les nouvelles doctrines.

Avant de contempler l’effrayante complexité des phénomènes naturels Van Helmont se souvient de la bible et il a l’esprit tout particulièrement attiré par la grande place qui est faite à l’eau dans l’histoire de la création.

« Il parait, évidemment, dit-il, que les eaux ont été créées avant le premier jour, quoi qu’elles ne soient, point nommées néanmoins qu’elles étaient comprises et enfermées sous le titre du ciel, et par conséquent qu’elles participaient en quelque chose à la nature céleste et que les eaux supérieures étaient parentes aux inférieures, puisqu’elles avaient été conjointes ensemble avant leur séparation[27]. » Se servant des indications plus ou moins vagues fournies par la genèse, Van Helmont va tenter de nous montrer que l’eau est le principe matériel de tous les corps créés par Dieu, que tous les corps, quels qu’ils soient, tirent leur origine de l’eau et qu’ils peuvent, dans certaines conditions, se transformer en eau insipide ; par de savantes expériences il croira avoir démontré la transmutation de la terre en eau, et par là il pense avoir rayé définitivement la terre du nombre des éléments ; d’ailleurs, à qui douterait de la possibilité de cette transformation, ne pourrait-on pas montrer que les plantes assimilent l’eau, qu’elles réduisent cette eau en leur substance propre, et que le résultat de la combustion des plantes d’origine aqueuse donne uniquement des cendres terreuses et de l’eau, ce qui prouve la justesse de notre assertion primitive ! Van Helmont va plus loin : il veut « faire voir que tous les corps (qu’on a cru être des mixtes), de quelle nature qu’ils puissent être, opaques ou transparents, solides ou liquides, semblables ou dissemblables (comme pierre, soufre, métal, miel, cire, huile, os, cerveau, cartilages, bois, écorces, feuilles, etc.), sont matériellement composés de l’eau simple, et peuvent être totalement réduits en eau insipide sans qu’il y reste la moindre chose de terrestre[28] ». Cette affirmation, sous différentes formes, est bien souvent répétée dans les œuvres de Van Helmont et elle est le principal caractère distinctif de sa philosophie chimique. Sur quels faits, sur quelle habile déduction notre savant va-t-il essayer de justifier cette hypothèse si hardie ? Donnons-lui encore la parole. « L’eau, dit-il, est la seule cause matérielle des choses créées : comme il appert en leur dissolution par l’alcahest qui réduit tous les corps, quelque solides qu’ils soient, en eau[29]. » Arrêtons-nous là un instant. Van Helmont pour justifier sa doctrine a fait appel à l’expérience. Cette liqueur alcahest ou dissolvant universel sert à la fois d’illustration et de preuve à l’ensemble de sa doctrine. Or qu’est-ce que cet alcahest que Van Helmont invoque constamment à l’appui de son système chimique ? Il serait curieux de le rechercher. Le mot est inusité[30]. La chose qu’il exprime est-elle une découverte récente ? Est-elle même connue de l’auteur ? L’a-t-il préparée dans son laboratoire, et l’a-t-il ensuite essayée sur un grand nombre de substances organiques ou inorganiques ? Quelles sont les conditions dans lesquelles elle se produit et dans les quelles elle se conserve ? À ces questions, l’examen attentif des œuvres de Van Helmont ne fournit aucune réponse. Si l’auteur n’hésite point à nous dévoiler quelques-uns des effets prodigieux et remarquables de son dissolvant universel, qui sait faire réapparaître l’eau sous les déguisements dont elle s’affuble dans les substances matérielles, il est par contre trop discret pour nous raconter les détails précis de sa formation et des expériences qui le concernent !

N’a-t-il pas déclaré quelque part qu’un flacon de cet alcahest ne lui aurait été confié que pour peu de jours et qu’il n’a donc pu effectuer toutes les opérations de laboratoire qu’il se promettait d’essayer[31] ? N’a-t-il pas commis l’inconséquence de conserver dans du verre ce dissolvant universel qui réduit en eau les matières les plus dures ?[32] Tout cela nous permet de supposer que la liqueur aleahest, loin d’avoir été véritablement découverte par Van Helmont, n’a jamais été qu’un produit de son imagination. Dans le désir de démontrer la justesse de tout son système, n’a-t-il pas cru avoir réalisé les expériences qu’il avait seulement projetées ? N’a-t-il pu confondre la réalité et sa doctrine et n’a-t-il pas cru avoir observé des faits qui n’étaient qu’une promotion de sa théorie ? Cette interprétation de la pensée de Van Helmont n’apparaîtra pas comme étrange si l’on se souvient que notre philosophe ne considérait le travail de laboratoire, aussi bien que les prières et les jeûnes, que comme une préparation à l’illumination de notre esprit ! Si la possibilité de l’alcahest était démontrée ; le système cosmologique de Van Helmont ne se dresserait-il pas sur un solide point d’appui ? Bref cet énigmatique alcahest nous apparaît comme une fiction destinée à soutenir une philosophie de la nature, et les expériences de laboratoire invoquées par l’auteur semblent être très librement interprétées et peu fidèlement reproduites dans son texte[33].

Si la matière de tous les corps créés peut se ramener à l’eau élémentaire, d’où proviennent les modifications qui donnent à cette substance unique tant d’aspects variés ? À ce problème, Van Helmont fait la réponse suivante : « Les objets les plus divers dont nous constatons par nos sens l’existence ne sont pas uniquement matériels. Outre leur principe corporel, qui représente la matière, ils sont formés ou spécifiés par un principe d’origine spirituelle et qui imprime à chaque objet son caractère propre.

Ces ferments spécificateurs ont été créés par la toute-puissance divine ; ils passent d’une substance à l’autre et causent par leurs réactions tous les phénomènes chimiques. Le ferment est un être formel et neutre qui n’est ni substance, ni accident créé dès le commencement du monde, en forme de lumière »[34], et dispersé dans l’univers afin d’y provoquer tous les événements qui doivent s’y produire. »

Ce ferment chez les corps vivants — et les corps vivants comprennent aussi bien les animaux et les végétaux que la plupart des métaux ou minéraux qui s’accroissent — se confond ou est accompagné d’un principe directeur, qui excite la génération et l’assimilation des substances étrangères ; ce principe directeur de nature toute spirituelle, Van Helmont l’appelle l’archée. De toute nécessité, cette archée « excite la génération… et donne la forme à l’ engendré jusqu’à la dernière période de sa vie. Cet esprit porte dans son idée l’image de tout ce qu’il doit engendrer…[35] »

L’eau et le ferment sont donc les seuls principes constituant les choses créées ; il nous sera loisible d’exprimer cette vérité en des termes usités par les Écoles. « Si le lecteur, dit Van Helmont, aime mieux confondre la cause efficiente avec le ferment des choses, et la matière des corps avec l’élément de l’eau, il n’importe[36]. » Mais, malgré cette concession à la philosophie officielle, Van Helmont revendique la nouveauté de sa doctrine.

Il a répondu d’avance à quelques objections qu’il prévoit ; voici la plus intéressante :

« On demandera peut-être si l’eau doit être la « matière de tous les corps sublunaires et qu’elle « ne souffre point d’être comprimée, d’où vient le « poids[37], à l’or et au plomb ? On répondra que l’esprit séminal de l’or a la puissance de transmuer l’eau en quelque autre chose fort différente de ladite eau ; et en cette transmutation, l’eau se pénètre elle-même tant de fois et est pour autant comprimée et condensée que la semence le requiert, pour faire l’excès de poids qui surpasse celui qu’elle avait avant sa transmutation : parce que, non seulement la matière est transmuée, mais toute son essence aussi passe sous les lois de la semence et est contrainte d’obéir, aussi bien aux dimensions de son poids, qu’à celle de la condensation. Voilà comment la nature de l’eau varie selon la diversité des semences et est tournée en tant de sortes de genres de terre, de minéraux, de sels, de liqueurs, de pierres, de plantes, d’animaux et de météores. Car lorsque l’eau se moisit en la terre, elle devient suc de terre, gomme, huile, résine, bois, fruits, etc. Et ce qui autrefois n’était que de l’eau, maintenant évolue et jette de la fumée. »

Van Helmont ne considère donc pas la densité ou pesanteur comme propriété spécifique de la matière ; n’étant aucunement physicien, il se soucie peu des considérations par lesquelles certains savants déterminèrent le lieu naturel des éléments et des mixtes[38]. Son attention est portée ailleurs ; il mesure à la balance la quantité de matière et, sans le dire expressément, il suppose la conservation de cette quantité ; si d’eau augmente de densité, c’est que sa substance se comprime, voilà tout ! Remarquons que cette théorie implicite concernant la constance de la quantité de matière n’est, chez Van Helmont, appuyée sur aucune notion physique ou mécanique ; il ne se pose aucune question concernant le poids et la masse ! La fameuse phrase de Lavoisier : « Rien ne se crée, rien ne se perd », sur laquelle le grand savant a construit son œuvre expérimentale admirable, nous apparaît déjà chez Van Helmont comme une notion intuitive, allant de soi, et que l’on ne pense pas à discuter.

Bien que, d’après Van Helmont, l’eau soit la seule matière de toutes les choses créées, il existe dans la nature un autre élément intransmuable : c’est l’air, qui remplit tout l’espace, et qui est le lien de toutes les transformations physiques et chimiques. Le savant, pour établir cette nouvelle assertion, va d’abord nous montrer expérimentalement que l’air et l’eau ne peuvent jamais être transmués l’un à l’autre[39]. « Il est constant, dit-il, que l’eau s’élève (par la force de la chaleur) en vapeur, et que cette vapeur n’est autre chose que de l’eau exténuée, qui est aussi bien eau qu’elle l’était avant son exhalaison : car lesdites vapeurs, répercutées par le chapiteau d’un alambic, retournent en eau, au même poids qu’auparavant… » Ces vapeurs, bien qu’aériformes, ne sauraient, pas plus dans la nature que dans le laboratoire du chimiste, se confondre avec de l’air ; l’air n’est pas humide du tout : s’il était humide, comment le vent serait-il susceptible de dessécher ? Si, comme on l’a supposé, les eaux du déluge avaient été transformées en air, cet air trop comprimé serait devenu épais, nébuleux, suffocant pour les créatures… D’ailleurs, « toute l’industrie humaine n’est pas capable de convertir une seule goutte d’eau en air, ni d’air en eau. N’est-ce pas un étrange abus de vouloir faire croire, comme certains savants le prétendent, que l’air condensé se puisse tourner en eau et qu’il puisse être la matière perpétuelle des fontaines : puisque l’air comprimé dans un canon de fer de la longueur d’une aune, en un espace d’environ quinze doigts de hauteur, fait un bruit comme un coup de mousquet et pousse une balle impétueusement, au travers d’un aix, ce qui ne se pourrait pas faire si l’air par la compression pouvait être convertie en eau[40]. » Admettons donc le caractère élémentaire et intransmuable de l’air. Admettons que cet air ne joue aucun rôle dans les réactions chimiques et que, comme l’éther des physiciens modernes, il soit le fluide incompressible à travers lequel se propagent les mouvements, à travers lequel les différents corps se meuvent. Par voie de conséquence, nous serons amenés à déclarer que l’air n’a aucune action chimique dans les combustions, son action est purement physique et mécanique. « Que, si le feu a besoin de l’air pour l’empêcher de suffoquer, ce n’est pas pour le nourrir et le substenter. Mais c’est seulement afin de pouvoir loger en cet air les vapeurs fuligineuses qui partent du combustible et qui le suffoqueraient[41]… » Mais si l’air n’entre pas en ligne de compte dans les phénomènes chimiques, il se mélange avec un grand nombre de substances aériformes, différentes de lui. Ces substances aériformes, Van Helmont les désigne par un mot qu’il a inventé, et qui est resté dans la science ; il les appelle des Gaz.

Suivant le principe, que l’eau est la seule matière des corps créés, {sc|Van Helmont}} va déclarer que les gaz, quels qu’ils soient, sont susceptibles, dans certaines conditions, de se transmuer en eau ; parmi les gaz, il cite « les vapeurs d’eau répandues dans l’atmosphère, et qui sont la cause matérielle des météores », le produit de la combustion du soufre, les vapeurs fuligineuses de la flamme et encore tous les fluides aériformes qu’il rencontre dans le cours de ses travaux.

Sa conception de la nature nous apparaît comme étant, tout entière, dominée par les mêmes principes ; et la théorie absolument homogène donne à son système du monde un caractère d’unité comme de grandeur. Peut-être, désirerait-on sur certains points, et en particulier sur la nature des ferments spirituels qui spécifient différemment la matière primitivement informe, des explications plus claires. Mais si nous rencontrons, dans l’œuvre de Van Helmont, quelques obscurités ou indéterminations au delà desquelles il nous est impossible de rien préciser, l’ensemble de la doctrine ne présente aucun illogisme irréductible. La critique n’a jamais essayé de faire crouler tout l’édifice, en mettant à nu quelque vice interne habilement dissimulé ; le monument élevé par le grand philosophe flamand n’a cependant pas subi l’épreuve du temps ; il s’est détruit de lui-même, car ses fondations étaient instables et peu assurées ; les principes mystiques sur lesquels il reposait ont laissé la place à des principes rationalistes. Les affirmations dogmatiques de Van Helmont, bien que s’accordant parfaitement avec les récits de la Genèse, n’en découlent cependant pas directement et elles semblent avoir été sollicitées plutôt que déduites des textes ; bref, elles paraissent artificielles et elles ne s’imposent aucunement à notre raison.

Cependant, cette philosophie, dont nous n’avons esquissé que les traits essentiels, susceptibles de porter un jour nouveau sur la théorie chimique, cette philosophie a attiré l’attention d’un grand nombre de chercheurs qui, sans l’accepter entièrement, ont subi son influence ; il nous faut maintenant rechercher dans la chimie, qui s’est si brillamment développée vers la fin du xviie siècle, le sceau des doctrines de Van Helmont.


D. — Il serait difficile de déterminer exactement quelle a été l’influence de Van Helmont sur l’ensemble de ses contemporains ou sur l’essor de la philosophie chimique. D’une part, les courants de pensée qui ont amené notre savant à construire son ingénieux système de chimie, ont peut-être agi sans lui et dans le même sens que lui pour provoquer l’éclosion de doctrines analogues à la sienne. D’autre part, l’action de son œuvre a pu être modifiée, accrue ou diminuée par l’action simultanée de théories médicinales ou autres, en vogue à la même époque. Enfin la partie négative de cette œuvre a pu servir à détruire la philosophie alors régnante, sans que la partie positive soit parvenue à s’établir solidement sur les ruines accumulées !

Sans prétendre donc parvenir à une précision absolue, nous livrons au lecteur les indications suivantes sur le rôle qu’a joué la méthodologie de Van Helmont dans la formation de la philosophie scientifique à la fin du xviie siècle.

Remarquons, en premier lieu, que l’alliance préconisée par Van Helmont entre la méthode expérimentale et la cosmologie biblique a eu, dès le xviie siècle, quelques partisans pieux qui observèrent avec attention les phénomènes matériels[42] ; l’accord entre les faits constatés et les affirmations de la Genèse, donnait aux théories chimiques des bases paraissant définitives et inébranlables ; il mit à la mode la contemplation de la nature et les recherches de laboratoire. Lisez, à titre d’exemple, « Les essais de physique prouvés par l’expérience et confirmés par l’Écriture Sainte[43] ». Didier vous apprendra d’abord que « tous les mixtes se peuvent réduire en pure eau élémentaire par la destruction ou séparation de leur esprit séminal et spécifique de son sujet ». Il vous dira ensuite que cette eau élémentaire est le premier principe, le principe corporel des mixtes ; puis enfin que « l’esprit de Dieu porté par les eaux » dont parle la Bible, est le second principe des mixtes, principe incorporel dont le rôle consiste à spécifier en choses variées ce que le premier principe avait laissé d’indéterminé. Autour de cette idée fondamentale, l’auteur irradie toute sa théorie physico-chimique qu’il fait effort pour adapter à chaque cas particulier. Mais là-dessus, comme sur les ouvrages analogues qui ont vu le jour jusqu’à la fin du xviiie siècle, nous n’insisterons pas davantage ; ils sont le plus souvent en dehors du domaine de la chimie ; ils tendent à devenir moins audacieux et finissent par se réduire à des tentatives de conciliation entre la science expérimentale et les conclusions plus ou moins forcées, que les auteurs croient pouvoir tirer des textes sacrés. Ils n’intéressent plus l’histoire des doctrines chimiques, et nous ne les signalons en passant que pour decrire le milieu intellectuel dans lequel les nouvelles doctrines ont pris naissance et se sont développées.

L’alliance de la religion et de la science expérimentale avait tout d’abord pour mission, dans, l’œuvre de Van Helmont, de détruire la philosophie d’Aristote et de Galien, qui, malgré son origine païenne, exerçait encore une séduction bien forte sur nombre de médecins et de pharmaciens ! Cette violente attaque des doctrines scolastiques ne fut peut être pas sans influence sur les cartésiens notoires qui, comme Malebranche, reprochaient à l’ enseignement qu’ils avaient reçut, aux formes substantielles, aux qualités occultes et aux appétits supposés des êtres inanimés, d’être difficilement conciliables avec la pensée chrétienne ! Bien certainement, l’œuvre de Van Helmont laissa à la philosophie corpusculaire et mécanique un terrain tout à fait prêt à la recevoir et la développer. Et quand Descartes, Gassendi et Boyle développèrent les conséquences de leur nouvelle méthode, les savants étaient tout disposés à écouter leurs enseignements !

Mais laissons là ces considérations générales et toujours discutables, dont une étude approfondie seule pourrait montrer la portée, et voyons comment la théorie chimique s’est modifiée et transformée chez ceux mêmes qui prétendaient être ses adeptes.

Van Helmont prétendait, nous l’avons vu, que les substances corporelles ne sont formées que d’un élément, et que cet élément n’est autre que l’eau. Cette affirmation, qui dans son œuvre semble dictée par des considérations métaphysiques et religieuses, fut reprise et développée par Olaus Borrichius[44] qui l’interpréta fort librement et la rendit indépendante de tout système métaphysique. Le célèbre savant danois tenta en effet de prouver que toutes les pierres, quelles que soient leurs différences apparentes, tirent leur matière de l’eau courante dans certaines circonstances que la science a précisément pour objet de déterminer. Les différences entre ces circonstances variées provoquent à elles seules les différences spécifiques entre les divers produits minéraux : les cailloux ; par exemple, les cristaux, les gemmes, les pierres précieuses. Ceci admis, nous demanderons à l’œuvre de Borrichius comment doit se diriger l’activité du savant ? quel problème doit-il se poser en étudiant les variétés de stalactites ? À cette question, il nous sera répondu que le naturaliste a pour but de rechercher dans quelles conditions de milieu se forment les espèces pierreuses. Le naturaliste va même plus loin ; il essaye aussi de deviner quel est le mécanisme interne de la réaction qui aboutit à la création des pierres. Et cela en suivant cette hypothèse inavouée et toute cartésienne que la matière se définit par l’espace qu’elle occupe… là, l’affirmation de Van Helmont rejoint dans certaines de ces conséquences la nouvelle philosophie mécanique ; par voies de déformations successives et sans révolution apparente, la chimie a pu passer d’une certaine conception de la matière à une autre fort différente. L’exemple donné par l’œuvre de Borrichius en est très caractéristique.

Pour faire admettre l’unité matérielle des corps variés qui composent l’univers, Van Helmont avait dû détruire les deux principaux systèmes chimiques qui se partageaient l’adhésion des savants : celui des péripatéticiens qui, fidèles à la vieille doctrine des quatre éléments, cherchaient à découvrir dans les mixtes les plus variés : le feu, l’air, l’eau et la terre ! Celui des paracelsistes qui prétendaient résoudre ces mêmes mixtes en trois principes : le sel, le mercure et le soufre !

Quelques chimistes essayèrent de former une synthèse harmonieuse de ces deux philosophies rivales qu’ils fondaient en système unique[45]. Van Helmont, loin de tenter une conciliation, répudie également ces doctrines adverses comme contraires à l’expérience et à la saine métaphysique ! Par sa pénétrante critique, il prépara la voie au scepticisme de Robert Boyle. L’œuvre de celui-ci, que nous aurons occasion d’étudier prochainement[46], transforma complètement en s’inspirant cependant d’elle la philosophie de la matière esquissée par Van Helmont. Nous serons étonnés de retrouver, sous les doctrines d’apparence révolutionnaires, si paradoxalement exposées par le grand savant anglais, sous ce mécanisme corpusculaire intransigeant, la trame nettement caractéristique de la chimie spiritualiste de Van Helmont. Contre les péripatéticiens et les paracelsistes, nous retrouverons au moins l’affirmation nettement formulée, qu’entre les substances les plus diverses dont l’expérience nous révèle l’existence, il n’y a pas de différence métaphysique absolue.

Pour démontrer cette hypothèse que les corps créés ne contiennent qu’un principe matériel qui est l’eau, Van Helmont avait prétendu qu’un dissolvant universel, l’alcahest, réduisait en liqueur les corps les plus durs et finalement les transformait en eau insipide ! Sur le rôle que cet hypothétique et merveilleux alcahest a joué dans les rêveries, les théories et les expériences des médecins, pharmaciens et chimistes, nous devons nous arrêter un instant.

Comment les savants ont-ils compris la fonction chimique de l’alcahest ; nous en avons proposé tout à l’heure une interprétation. L’alcahest, avons-nous dit, est une promotion de la théorie ; loin d’avoir été suggéré par la méthode expérimentale, ce dissolvant universel n’a été recherché par le chimiste que pour établir l’accord de son système et de la nature. Bien mieux, de la possibilité de cet alcahest, Van Helmont et ses adeptes ont conclu à son existence effective et ont raconté comme faites certaines expériences qu’ils avaient seulement supposées.

Que cette interprétation ait déjà été celle de quelques contemporains, nous en avons l’assurance par cette déclaration de Robert Boyle : « — Je veux cependant vous faire remarquer que, comme Helmont[47] ne nous donne aucune explication sur la manière dont les minéraux dérivent de l’eau, son principal argument, destiné à prouver que ces minéraux ainsi que les autres corps peuvent se résoudre en eau, est tiré de l’action de son alcahest, il ne peut en conséquence être examiné d’une manière satisfaisante par vous ou par moi. » — L’alcahest étant ignoré ou inconnu des expérimentateurs, la prétendue preuve se réduit, en dernière analyse, à une pétition de principe facile à mettre en évidence.

Pour que la théorie de l’alcahest ait une valeur philosophique, il aurait donc fallu que cette liqueur soit effectivement découverte, afin de permettre un accord entre les recherches de laboratoire et nos affirmations a priori. Un grand nombre d’habiles chercheurs eurent l’espoir de réaliser cette trouvaille sensationnelle et, pour cela, n’hésitèrent ni devant les dépenses, ni devant l’effort. Comment dirigèrent-ils leur travail ? Quelle en fut la récompense ?

Tout d’abord si nos chimistes n’ont jamais obtenu un dissolvant universel, ils travaillèrent tout au moins sur des lessives alcalines, des sels plus ou moins corrosifs, susceptibles de décomposer ou de dissoudre les matières organiques actuellement insolubles dans l’eau. Ces expériences conduisaient-elles sur la voie au bout de laquelle l’alcahest tant espéré se découvrirait à nos regards ? Quelques-uns sans doute

le pensèrent. – Quelques chercheurs crurent, découvrir, à défaut de l’alcahest, quelques-uns de ses succédanés, sels minéraux presque semblables à ce corps admirable. C’est tout du moins ce que nous apprenons en lisant le recueil suivant : « L’alcahest ou le dissolvant universel révélé dans plusieurs traités qui en découvrent le secret[48]. »

Si notre objet n’est pas de rechercher la réelle valeur des travaux expérimentaux entrepris par médecins et chimistes avides de découvertes sensationnelles, nous devons cependant laisser entrevoir au lecteur quel essor la philosophie et les espoirs mysticochimiques donnèrent aux travaux entrepris dans le laboratoire.

Cependant, pour beaucoup de savants, la notion de dissolvant universel, qui, dans la pensée de Van Helmont, avait un rôle si précis, perdit peu à peu son caractère particulier pour se fondre dans les rêveries traditionnelles de l’ancienne science. — Un certain nombre de médecins assimilèrent l’alcahest à la panacée universelle espérée, depuis si longtemps et que personne ne parvenait à isoler[49] ; des alchimistes confondirent le problème de la transmutation des métaux avec celui de la transmutation de tous les corps en une matière unique. Bref, en gagnant sa renommée, l’alcahest perdait sa précision, et sa conception, en se répandant, s’altérait en divers sens et ne présentait plus d’unité.

Ce qui acheva la destruction de l’hypothèse de Van Helmont, ne fut autre que le brillant développement de la philosophie atomistique. La nouvelle venue, en effet, ne voyait aucune différence théorique entre le solvant et le soluble qui formaient ensemble un nouveau corps par la convenance mécanique des particules dont ils sont composés. Dans ces conditions, pourquoi la figuration spécifique de certaines molécules serait-elle susceptible de composer un ensemble avec la figuration de toutes autres molécules[50] ?

En prétendant que l’air ne joue aucun rôle dans les réactions chimiques, que son action dans les phénomènes de combustion est purement physique ou mécanique, qu’il ne se combine donc pas avec les corps qui brûlent, qu’il n’est point un aliment du feu, que d’ailleurs le feu n’est point un élément ou constituant principal de notre monde et des mixtes, Van Helmont engageait les chimistes dans une voie tout à fait nouvelle ! Les savants s’habituèrent à voir que la notion du feu, claire au premier abord pour notre sens commun, est vague, indéterminée ; la science ne peut l’utiliser sans la soumettre à l’analyse. À la chaleur, à la lumière, au phénomène de combustion, à la formation des cendres, à la raréfaction des corps, à leur liquéfaction, à leur gazéification, à la cuisson de la viande, à l’apparition de la flamme, à une foule d’autres opérations dans lesquelles le feu joue un rôle, la même interprétation ne convient pas[51]… Retracer l’histoire de la manière dont toutes ces idées d’abord confondues se sont séparées les unes des autres pour former des chapitres indépendants de la physicochimie, quels sont entre ces chapitres les liens qu’un examen plus approfondi a rétablis, serait un immense travail ! Nous indiquerons cependant, dans la suite de cet ouvrage, comment les théories de la lumière ou de la chaleur se différencièrent peu à peu de la théorie de la combustion. Nous verrons comment, après avoir nié à la suite de Van Helmont le rôle joué par l’air dans les phénomènes chimiques, comment, après avoir créé la notion de gaz pour désigner les fluides aériformes, autres que l’air, répandus dans l’atmosphère, nos chimistes furent amenés à voir que notre air atmosphérique est lui-même un mélange de gaz hétérogènes ; enfin l’air de Van Helmont devint peu à peu semblable à l’éther des physiciens, à ce milieu dans lequel les corps se meuvent et à travers lequel se propagent leurs activités réciproques.

Nous devons encore signaler, que, sans faire appel à aucune expérience, sans invoquer aucune théorie physique ou métaphysique, sans même daigner l’ exprimer, Van Helmont faisait, de la constance de la quantité de matière, mesurée à la balance, une des bases de ses démonstrations expérimentales[52]. Un peu plus tard, Borrichius, pour rendre sensible aux physiciens que la congélation de l’eau est un phénomène purement mécanique, qu’il ne s’ajoute à ce liquide aucune « particule frigorifique », qui lui imposerait la forme solide, pesa de l’eau qu’un grand froid transforma en glace…, il la pesa de nouveau et lui trouva le même poids, ce qui doit prouver à son avis qu’aucune matière, étrangère ne s’est introduite dans le flacon ! Cette manière de voir est-elle nouvelle[53] ? Il semble qu’au xviiie siècle elle gagna en importance dans l’esprit de la plupart des savants, peut-être sous l’influence de la physique newtonienne. C’est en l’utilisant habilement que Lavoisier put dévoiler à ses contemporains étonnés une contradiction entre la théorie du phlogistique de Stahl et les phénomènes de combustion observés dans les laboratoires. Elle s’imposa sans qu’il soit possible de savoir quand, comme une indiscutable notion primitive. Si, nous ne pouvons déterminer quelle a été l’influence réelle de Van Helmont, sur la genèse de la première loi de la chimie connue sous le nom de loi de Lavoisier, nous devons pourtant reconnaître que, dans l’œuvre du mystique savant du rom|xvii|17}}e siècle, se trouvent déjà quelques-uns des fondements sur lesquels l’avenir a bâti l’édifice stable de la chimie.


E. — Sous l’influence indirecte des doctrines théosophiques et mystiques des savants de la Renaissance, dont les œuvres de Paracelse et de Van Helmont nous ont révélé les principales tendances, une véritable chimie de laboratoire était née et avait pris une grande extension. Bien entendu, les résultats des travaux expérimentaux suggérés par l’espérance de découvrir, par l’analogie de nouvelles « signatures des choses », ou encore par le désir de trouver des remèdes prodigieusement actifs, n’ont souvent qu’un rapport lointain avec les causes occasionnelles de leur subite éclosion. Exprimés tout d’abord dans le langage d’une philosophie avec laquelle ils s’accordaient péniblement, ces travaux de laboratoire modifièrent considérablement les systèmes qui les avaient fait naître. Et la chimie, par son évolution naturelle, fit disparaître jusqu’aux traces des circonstances qui avaient présidé à sa formation.

Ce développement subit et brillant de la pharmacie chimique provoqua, comme il fallait s’y attendre, une vive résistance de certains médecins, partisans attardés des vieilles doctrines galéniques. L’épithète de « paracelsiste » fut bientôt considérée dans les écoles françaises, par exemple, comme un terme de profond mépris, et ceux mêmes qui voulurent publiquement affirmer les bienfaits de la nouvelle science chimique prirent garde d’être confondus avec les disciples du Maître officiellement exécré.

Le récit des disputes passionnées, auxquelles se livrèrent les traditionalistes prudents et les hardis novateurs, appartient à l’histoire de la médecine ou de la pharmacie. Qu’il nous soit permis cependant, de signaler brièvement quelques aspects particulièrement caractéristiques de cette violente polémique.

Nous savons déjà[54] que la plupart des auteurs d’ouvrages destinés à l’enseignement de la chimie vantaient ouvertement, et quelquefois avec emphase, les bienfaits extraordinaires que cette science aurait rendus à l’humanité souffrante ; et par là ils voulaient en imposer l’étude aux futurs médecins. Quelques-uns de ces professeurs, Béguin ou Arnaud par exemple, déclarèrent que la chimie ne se proposait aucun autre but que d’être utile à l’art de guérir.

Afin de démontrer à ses collègues l’excellence de la chimie. Jacques Pascal, pharmacien à Béziers, publia un « discours contenant la conférence de la pharmacie chimique avec la galénique ou ordinaire[55] ». Il conseille très fermement d’employer, sans hésiter, les procédés indiqués par la chimie dans la préparation des médicaments. Pourquoi accorder notre confiance à cette pharmacie vulgaire, utilisée depuis bien longtemps dans la plupart des officines, pharmacie « qui ne fait rien avec méthode et tout par routine », qui ignore les propriétés et qualités des remèdes, qui, par exemple, sans savoir à quoi sert le suc des plantes, le prépare dans des appareils défectueux qui l’altèrent, etc.

Comparons à cette pharmacie ignorante la savante et bienfaisante chimie. Celle-ci sait extraire du suc des plantes les sels actifs qui seuls ont une action efficace ; elle n’oblige donc pas à absorber le tout et diminue le volume des médicaments à avaler ; elle fait plus encore : ces sels, elle sait, en les mélangeant avec d’autres matières, leur donner un goût agréable et, par suite, le malade les absorbe avec plaisir. La chimie apprend à confectionner des pilules et des sirops… Enfin, et surtout, la chimie a préparé des remèdes d’origine métallique qui ont fait des cures merveilleuses…

Les arguments de ceux qui médisent de cette admirable chimie sont fort ridicules. Jacques Pascal les méprise si ouvertement qu’il ne perd pas son temps à les réfuter. Voyons comme il expose l’un d’entre eux : « Plusieurs médecins se défiant de leur savoir craignent que si l’art chimique est une fois introduit…, cela ne soit préjudiciable à leur pratique…, et qu’il ne fasse perdre la bonne opinion qu’on pourrait prendre d’eux, tâchent, par tous les moyens, de le mépriser, figurant à un chacun [je dis de ceux qui ne s’y connaissent pas] que les remèdes, préparés par les moyens d’icelui, sont tellement chauds qu’ils ruinent le corps de ceux qui en usent : parce que, disent-ils, pour les apprêter, il faut qu’ils souffrent et qu’ils passent à travers beaucoup de feu qui leur imprime cette qualité, et néanmoins qu’ils soient violents en leurs opérations. En quoi, ils [ces médecins] montrent véritablement qu’ils sont plus dignes de pitié et d’excuse que de justice et réponse : vu qu’ils méprisent ce qu’ils n’entendent pas[56]. »

Les chimistes luttèrent avec acharnement contre l’opposition de certains docteurs ; leur méthode finit par s’imposer au public, autant par les brillantes guérisons obtenues par les sels métalliques, que par les promesses de guérison faites par quelques charlatans à des malades avides de recouvrer la santé.

Quoiqu’il en soit, dans une nouvelle édition de la pharmacopée de Bauderon[57], qui ne citait que des remèdes simples extraits par des procédés culinaires des animaux et des végétaux, Sauveron croit devoir ajouter à cet ouvrage un court traité de pharmacie chimique, contenant les principales préparations alors utilisées. L’éditeur, dans sa préface, vante vivement sa science préférée ; il indique quels sont les établissements où on l’enseigne. « Quiconque, déclare-t-il, veut exceller en médecine ne doit pas ignorer la chimie[58]. »

Soucy, dans l’intéressant « Sommaire de la Médecine chimique »[59], défend, avec autant de modération que de fermeté, les idées et les découvertes des célèbres novateurs modernes ; sans s’insurger contre une antique et vénérée tradition, il avance hardiment que tout n’est pas dit dans les sciences, que les médecins comme les chimistes peuvent encore, par leur labeur, fabriquer des remèdes autrefois ignorés. « C’est une erreur trop grande, écrit-il, que de ne vouloir ajouter foi à autre chose qu’à ce qui a été cru par ceux qui nous ont précédé et de rejeter les plus utiles enseignements à cause de leur nouveauté. Ceci s’observe néanmoins par plusieurs personnes, principalement en la médecine, où il y en a beaucoup qui veulent suivre les vestiges de l’antiquité. Cependant, il est très certain qu’on a pu inventer des choses qui accroissent beaucoup les mérites de cette science, encore que les anciens n’aient pas pu pénétrer jusque-là. Hippocrate et Galien n’ont pas dit tout ce qui se pouvait dire et quoique l’honneur qu’on leur rend soit fort juste, si est-ce qu’on ne doit pas pourtant jeter dans le mépris ceux qui depuis ont trouvé d’autres moyens pour guérir les hommes. Paracelse et tant de doctes chimistes doivent avoir quelque crédit et il faut les écouter pour connaître ce qu’ils savent. Les cures qu’ils ont faites parlent aussi d’elles-mêmes et les rendent recommandables à la postérité : il faut faire état de ceux qui suivent leurs traces et se servir de leurs remèdes qui se sont déjà autorisés par une longue expérience[60] ».

Parmi les docteurs qui professaient la médecine chimique, de nombreux charlatans s’étaient glissés et savaient inspirer confiance aux malades, que l’espoir de guérir flatte toujours. Ces docteurs, bien entendu, se faisaient payer très cher une prétendue panacée universelle, capable de faire disparaître miraculeusement tous les malaises ; la panacée universelle créait de nombreuses déceptions, et, par suite, jetait le discrédit sur l’ensemble de la médecine chimique. Contre ces sceptiques, que l’expérience malheureuse avait désabusés contre ceux qu’un jugement précipité portait à condamner la chimie en même temps que la charlatanerie, il fallait énergiquement défendre le rôle bienfaisant de la véritable science. Voici ce que dit à ce sujet Pestalossi : « Chimie, chimiste et remède chimique sont des noms qui épouvantent ordinairement le public malade, et cela par une prévention injuste, qui nait de la fausse idée par laquelle on confond les honnêtes gens qui savent cette profession avec les imposteurs dont toute la science n’est que forfanterie. Ces charlatans effrontés, qui promettent de guérir, avec un seul remède, de toutes sortes de maux, remèdes qu’ils ne connaissent pas eux-mêmes et savent encore moins appliquer. Mais la chimie médicinale est un art, dont l’utilité est connue de toutes les personnes d’érudition et de bon sens[61]. »

La chimie, après avoir pris droit de cité dans l’étude de la médecine, ne voulut pas se contenter du rôle modeste d’auxiliaire que l’art de guérir lui avait assigné. Elle prétendit dominer toute la science humaine et expliquer aussi bien les modifications de l’organisme que la plupart des phénomènes qu’il nous est donné d’observer ; les chimistes, avec Paracelse et Van Helmont, avaient essayé d’abattre définitivement la philosophie d’Aristote enseignée dans les écoles pour lui substituer une cosmologie chimique ; il nous faut voir comment leurs doctrines s’altérèrent, quand, au contact avec les faits, elles contribuèrent à former la chémiatrie, ou médecine chimique, qui eut au xviie siècle tant de succès.


I. — Les chimistes ne se contentèrent pas d’être les humbles auxiliaires du médecin et beaucoup d’entre eux prétendirent que leur science était apte à régenter l’art de guérir ! Ils osèrent tout d’abord avancer et soutinrent à la fin, comme chose certaine, que tout se passe dans la nature de même que dans le corps humain que toutes les réactions que nous constatons dans nos expériences sont identiques à celles qui se produisent dans notre organisme et que l’étude de la chimie dévoile au savant attentif les mystères, d’apparence impénétrable, des phénomènes de la vie[62].

Ce fut à l’école de Leyde que la médecine chimique fut d’abord fort vantée. Sylvius de La Boé[63] sut, par son éloquence, par son autorité et par l’exemple, se faire beaucoup de partisans, et le grand nombre de ses élèves, imbus de ses préjugés, inonda l’Europe de sa doctrine, dont personne ne songea à douter. Son brillant disciple, Otto Tachénius, lui donna, par ses travaux, une extension nouvelle et elle se répandit pendant longtemps dans les écoles.

Cette doctrine médico-chimique a été admirablement comprise par Boerhave, à qui nous emprunterons le résumé succinct qui suit : « On vit, dit-il, dans ces temps d’impéritie, tout se faire dans la Nature et dans le corps humain par le moyen d’instruments chimiques ; tous les mouvements étaient excités, dirigés, augmentés, diminués, calmés par de semblables opérations ; tous les différents phénomènes de l’univers et du corps humain n’étaient variés que de cette façon. Enfin rien ne s’expliquait dans les écoles que par cette voie ; tous les écrits des médecins furent remplis de cette doctrine… de ce que les acides rongeaient les métaux, c’en fut assez pour imaginer dans l’estomac un acide propre à dissoudre les aliments… ; comme les acides versés sur des alcalis entrent sur-le-champ en effervescence, on imagina que le chyle en faisait autant en se mêlant avec le sang des ventricules[64]. »

Écoutons maintenant comment cette doctrine chimique s’appliqua aux fonctions diverses de notre organisme. « On fit de l’estomac une fiole hermétique, dans laquelle l’âcreté assoupie du ferment faisait fermenter les aliments. Le chyle, disait-on, y devient acide et en sort tout bouillant ; rencontre en son chemin la bile alcaline ; là il se livre un combat singulier, que le suc pancréatique vient encore agacer en s’y mêlant : la masse alimentaire s’échauffe donc de plus en plus, ses parties opposées s’élancent avec plus d’ardeur les unes contre les autres ; une partie est jetée par son impétuosité dans les orifices des veines lactées, le reste à travers tous les détours de ces vaisseaux dans la masse du sang. Arrivée là, le combat recommence ; les ennemis qui restaient cachés font volte-face et ils leur font essuyer un nouvel assaut, tandis que ceux qui étaient à la suite des fuyards et arrêtés dans leur course, arrivant dans le sang, y donnent de nouvelles attaques, et, l’échec essuyé, ils se dispersent dans un endroit vaste, tombent dans la première cavité du cœur qu’ils rencontrent, où, tout furieux d’un nouveau feu qui les pénètre, ils s’envolent dans les isthmes des poumons, en parcourent tous les coins et recoins. Mais ce n’est pas encore là la fin ; chaque globule dispersé se trouve réuni avec les autres, à cause du concours des routes par lesquelles ils s’étaient échappés ; ils tombent dans une autre cavité du cœur où ils acquièrent de nouvelles forces qui les font parcourir le corps et revenir au cœur pour le ranimer. »

Les partisans du système de Sylvius admettaient, comme Paracelse l’avait prétendu, que les phénomènes du monde étaient semblables aux phénomènes dont l’organisme humain est le siège ; ils ajoutaient, guidés probablement par les spéculations de Van Helmont, que ces phénomènes étaient purement chimiques et que la chimie seule les expliquerait entièrement. Mais, contrairement aux sympathies, correspondances et analogies que les paracelsistes avaient rêvées et dont ils peuplaient l’univers, nos savants disent que les réactions chimiques sont dues au combat violent de substances antagonistes luttant les unes contre les autres, et dont l’opposition est rendue sensible dans les digestions, fermentations, effervescences, etc.

Cette philosophie chimique, réduite à ses termes essentiels, est assez indéterminée pour prendre des aspects fort variés ; il n’entre pas dans le plan de cet ouvrage d’examiner les différentes formes que lui imprimèrent les médecins et les pharmaciens ; une d’entre elles, pourtant, va attirer notre attention ; par son caractère simpliste, elle fut assurée d’un long succès.

Otto Tachénius, le propagateur de cette nouvelle doctrine, proposa de démontrer, « d’après le témoignage de l’expérience, que tous les êtres sublunaires sont composés de deux choses, à savoir de l’acide et de l’alcali ». Outre l’expérience, seule juge en dernier ressort, il place son opinion paradoxale sous l’autorité du grand Hippocrate qu’il interprète d’ailleurs fort librement[65]. Hippocrate donc avait écrit ce qui suit : « Tous les animaux, les hommes mêmes, sont composés d’eau et de feu, deux principes à la vérité dissemblables en vertus, mais capables d’union et de rapport dans l’usage ; les deux choses prises ensemble peuvent faire subsister toutes les autres et, réciproquement, elles-mêmes : mais prises séparément, ni l’une ni l’autre ne sauraient subsister, ni faire subsister rien autre. »

Cette pensée d’Hippocrate, Tachénius la prend pour une métaphore volontairement obscure. Il la traduit ainsi : « L’acide et l’alcali sont les instruments de la Nature et je ferai voir en son lieu que l’eau n’est autre chose que l’alcali et le feu l’acide[66]. » Cette affirmation est posée, plutôt que justifiée, à chacune des pages de la chimie d’Hippocrate[67]. Ainsi, conclut son auteur, vous trouverez partout « toutes choses en toutes choses, c’est-à-dire l’Acide et l’Alcali. »

Il est difficile, a dit Bertrand[68], de trouver une opinion qui ait fait plus de chemin en si peu de temps que celle de l’acide et de l’alcali, et dont on ait si fort outré tous les droits dans la physique. » Quelles sont, demanderons-nous tout d’abord, les découvertes expérimentales qui ont donné occasion à la nouvelle doctrine de se développer si rapidement ? Souvenons-nous que les acides minéraux étaient depuis longtemps connus des chimistes, qui les désignaient indistinctement sous le nom d’eau-forte ; peu à peu, cependant, ils apprirent à les séparer et étudièrent les propriétés spécifiques de chacun d’eux ; ils étaient, à l’époque de Tachénius, parfaitement habitués à ce concept.

Un grand nombre de chimistes[69] sont d’accord pour nous révéler l’origine de la notion d’alcali. « L’alcali, nous apprennent-ils, n’a été dans son véritable commencement qu’un sel tiré par la lessive des cendres d’une herbe qui vient en Asie, qu’on appelle Kali dans les lieux où elle croît, et en français soude. On nous en apporte les cendres à Marseille, dont on se sert principalement pour la composition du savon ; on a ensuite donné le nom d’alcali à tous les sels lixivieux des végétaux, et sur la ressemblance de quelques effets qu’on a remarqués entre ceux-ci et ceux qu’on sépare principalement des parties des animaux par la distillation, on a étendu encore le nom à ces derniers. Passant du nom aux propriétés physiques, on a fait de l’acide avec le sel alcali l’auteur des fermentations, des précipitations et de plusieurs autres effets que nous observons dans les opérations chimiques et les dispositions de quelques maladies. Ce progrès qui est tolérable, et qui a certainement ses utilités, n’a pas paru assez grand à certaines personnes : elles ont voulu, de plus, qu’ils fussent, l’un et l’autre, les principes des minéraux, des végétaux et des animaux ; que tous les corps pussent se résoudre en eux dans leur dissolution parfaite, et qu’ils fussent exempts eux-mêmes de toute composition. Ce système leur a paru si juste et si bien entendu qu’elles ont prétendu par là se défaire de toutes leurs erreurs, et puiser dans la source même de la Nature les lumières nécessaires pour devenir philosophes, comme elles le disent elles-mêmes dans leurs livres[70]. »


L’histoire de la formation du concept d’alcali, dont nous saisissons sur le vif la genèse et le développement, est fort instructive à connaître pour celui qui s’intéresse à la marche de l’esprit humain ! Nous voyons là comment une notion, en somme très spéciale, tend d’elle-même à s’élargir indéfiniment pour s’assimiler au monde entier ! L’alcali, il est vrai, ne suffisait pas à lui seul pour expliquer l’ univers, mais, avec son antagoniste l’acide, il forme un système symétrique capable de rendre raison de tous les phénomènes observables.

Les chimistes, ayant constaté que les acides minéraux font effervescence et réagissent violemment avec les lessives alcalines, furent mis par l’expérience sur la voie féconde qui devait les conduire plus tard à une théorie de la formation des sels neutres, des doubles décompositions, de la fabrication industrielle de la soude, de la potasse, de l’ammoniac et de nombreux acides.

Mais, tout d’abord, grisés par leur découverte et séduits par l’élégance d’une généralisation indéfinie, ils décidèrent d’appeler alcali tout corps qui réagit avec un menstrue acide ; la plupart des métaux furent, de ce fait, rangés dans la classe des alcalis ; déjà là, pourtant, naissait une difficulté ; certains d’entre les métaux se dissolvent aussi bien dans les liqueurs alcalines que dans les liqueurs acides. Robert Boyle[71] oppose aux prétentions outrées de la nouvelle philosophie cette expérience dont la conclusion lui paraît irréfutable. « Quelques spagyristes, dit il, voyant les eaux-fortes dissoudre la limaille de cuivre, concluent de ce fait que les esprits acides du menstrue rencontrent, dans le métal, un alcali sur lequel ils travaillent, ce qui est un argument peu probant, puisque du bon esprit urineux[72] que les chimistes prennent pour un alcali volatil, et qui réagit violemment avec les eaux-fortes, dissout comme je l’ai déjà noté la limaille de cuivre plus promptement et plus complètement que la liqueur acide n’est supposée le faire. »

Les chimistes cependant ne furent pas tous convaincus par l’objection de Robert Boyle ; rien ne les obligeait, en effet, à considérer les métaux comme des corps simples. Pourquoi ces derniers ne seraient-ils pas composés d’un mélange d’acide et d’alcali ? Cette nouvelle hypothèse n’expliquerait-elle pas les propriétés les plus variées des corps métalliques[73] ?

À ceux qui faisaient valoir que le fer est plus soluble dans l’esprit volatil ammoniac que dans les acides, pour combattre le dualisme de la nouvelle doctrine chimique, quelques savants répondirent que le fer ayant deux différentes parties, « à savoir un acide et un alcali, on ne doit pas s’étonner s’il peut être dissous par des menstrues de différentes natures ; car, comme la dissolution d’un corps ne se fait que par la séparation de son alcali d’avec son acide, avec lequel il était étroitement uni, il arrive que l’alcali du fer s’attache aux parties du dissolvant, quand il est acide, et abandonne le sien, et c’est de cette façon que l’or (supposé acide) calcine le fer : au lieu que c’est l’acide, qui commence cette séparation quand le dissolvant est un alcali. Et c’est en ce sens qu’agit l’esprit volatil du sel ammoniac ![74] »

Cette argumentation des chimistes qui, en bonne logique, est soutenable, a paru dénuée de bon sens et surtout a semblé fort arbitraire. Pour faire rentrer les phénomènes chimiques dans leur système simpliste, nos savants se voyaient forcés de voir partout des acides et des alcalis luttant les uns contre les autres. Ils étaient fort embarrassés pour expliquer comment les acides par exemple, dans certaines conditions, réagissaient les uns avec les autres. L’acide nitreux[75] ne forme-t-il pas quand on le mélange avec l’acide du sel marin[76] un nouveau corps, l’eau régale ? Comment expliquer ce phénomène ? Cela prouve tout simplement, a dit Nehemiah Grew[77], un des défenseurs de la doctrine, que l’acide du sel marin est un acide qui tient de la nature de l’alcali.

Malgré l’indépendance de leur esprit, nos chimistes ne dédaignaient pas absolument la théorie alors régnante sur la décomposition des substances les plus variées ; la théorie des quatre éléments d’Aristote et de Galien n’avait plus la faveur de plaire[78] ; elle était démodée alors et personne ne s’attardait à la réfuter : mais le système de Paracelse jouissait encore d’un certain prestige et beaucoup de savants admettaient la décomposition de tout corps analysable en les trois principes spagyriques. Sans s’inscrire en faux contre les résultats des analyses, les chimistes dualistes déclarèrent que ces analyses dues à l’expérience, n’étaient qu’un premier travail et que poussées plus loin elles donneraient des résultats très différents. « L’on tire ordinairement de tous les corps, a dit André, trois substances différentes à qui l’on donne les noms de sel, de soufre et de mercure, que l’on prétend être les derniers corps que l’on trouve dans la résolution des mixtes ; mais l’expérience a découvert enfin que ces trois substances étaient composées du sel acide et du sel alcali, que ces deux sels ne sont composés d’aucune autre substance et, par conséquent, qu’ils doivent être principes… Que l’artiste travaille tant qu’il lui plaira, il a bien trouvé le moyen de réduire le sel, le soufre et le mercure en ces deux sels, mais il ne trouvera jamais le secret de réduire ces deux sels en d’autres substances ; et, quoiqu’il se serve des deux. mêmes instruments dont il s’est servi pour la réduction des trois autres substances en ces deux sels, savoir du feu et de l’eau, il ne pourra pourtant jamais faire que le sel acide ne soit plus sel « acide et le sel alcali, sel alcali[79]. »

Nous connaissons maintenant les grandes lignes de la théorie. Comme il fallait s’y attendre, la nouvelle doctrine ne se contenta pas d’expliquer les phénomènes physiologiques qui font l’objet de la médecine et les réactions matérielles qui font l’objet de la chimie. Trouvant ce domaine trop étroit, elle s’enhardit jusqu’à vouloir rendre raison du monde entier… elle prétendit pénétrer les causes de l’aimantation, de la pesanteur, de la lumière, de toutes nos sensations, d’odorat, de goût, etc.[80]. Il serait trop long d’énumérer les arguments sur lesquels nos chimistes se basaient pour accroître indéfiniment la puissance de leur théorie. Nous en savons assez pour concevoir que cette théorie ingénieuse et fragile se trouvait en butte aux attaques venues de tous les points du monde savant. Tout d’abord les médecins galénistes, s’étant vus attaqués par elle, n’étaient pas disposés à suivre ces enseignements… Puis, au nom de la science expérimentale, Robert Boyle déclara trop simpliste le dualisme acide-alcali ; et il l’attaqua avec autant de succès qu’il avait attaqué dans le « chimiste sceptique » la doctrine des trois principes spagyriques ou des quatre éléments d’Aristote ; au nom de la philosophie corpusculaire, qui prétend se faire une représentation imagée de tous les éléments qu’elle mentionne, il déclara que les concepts d’acide et d’alcali étaient vagues et ne donnaient à notre esprit aucune idée bien définie, que par suite ces concepts ne pouvaient servir à aucune explication des corps réels.

Bertrand qui, dans certaines limites d’ordre pratique et médical, veut bien accorder quelque crédit à l’hypothèse des acides et des alcalis, refuse de concéder une valeur métaphysique au dualisme des chimistes ; contre leur philosophie, il accumule des arguments de divers ordres.

À ceux qui avancent que l’acide et l’alcali sont des substances simples ou principes, car ils supposent qu’on peut résoudre en acide et en alcali les autres corps, même ceux qui paraissent les plus simples, mais que l’on ne peut séparer de ces acides et de ces alcalis des substances de différentes natures, Bertrand oppose tout d’abord l’argument suivant, qui montre que la définition de corps simple n’était pas au xviie siècle comme aujourd’hui purement expérimentale.

« Il y a, dit-il, bien des choses à redire à cette preuve ; car premièrement ce n’est pas une marque certaine de simplicité de ne pouvoir être actuellement résolu en parties dissimilaires. Où est le chimiste qui ait trouvé un dissolvant capable de séparer l’or en diverses substances ?… Cependant l’or n’est pas simple, il est des plus composés et personne ne le nie » ; si la chimie a été jusqu’à présent impuissante à séparer ses parties, peut-être découvrira-t-elle un jour les moyens pour parvenir à ce résultat. Revenant à l’expérience faite, Bertrand demande aux chimistes s’il est légitime d’affirmer que leurs principes supposés soient contenus dans des substances dont il est impossible de les extraire. « En vain, dit-il, prétend-on que l’acide et l’alcali sont des corps simples et par conséquent principes, s’il y a des quantités de sujets où l’on ne peut pas prouver qu’ils se trouvent, comme je l’ai fait à l’égard de l’or, de l’argent, du corail et des perles[81]. »

Enfin, ajoute Bertrand, de quel droit nous dit-on que l’alcali, extrait de la calcination des cendres végétales, est une substance simple[82] ? De quel droit prétend-on que cet alcali préexistait à l’action du feu sur les plantes ? N’est-il pas, au contraire, dû à l’agitation violente des particules de matières qui sont contraintes par l’action du feu à former de nouveaux assemblages ? Remarquons cet argument ; il sera souvent repris et généralisé à toutes les analyses par ceux qui, durant le xviiie siècle, s’amuseront à narguer la chimie ! Cette science, dira-t-on bien souvent, fabrique les objets qu’elle croit extraire des autres corps, et ses produits seront ironiquement appelés « Créatures du feu », etc…[83].

Revenons à l’argumentation de Bertrand et demandons-lui, puisque le système acide-alcali est loin de le satisfaire, à quel caractère distinctif il reconnaît un corps simple ? « J’appelle principes, des corps simples et d’une substance uniforme, lesquels, par leur liaison et leur assemblage, composent tous les autres corps. C’est ce que quelques-uns appellent éléments ou semences des choses[84]. »

Comment, dans les systèmes que les philosophes ont fondé sur l’observation des choses, doit-on reconnaître le véridique ?

Pour connaître si un corps est simple, Bertrand pose les trois règles générales suivantes et, au nom de la troisième, il condamne le système de l’acide et de l’alcali.

« La première règle est que ce que l’on pose pour principe des êtres naturels doit être connu clairement et distinctement[85]… La deuxième règle est que les principes ne supposent rien d’inutile et d’extraordinaire[86]… La troisième règle enfin est que l’idée qu’on nous donne des principes, nous les représente comme capables d’un grand nombre de propriétés, et comme suffisant à produire toute la variété des corps, aussi bien que des effets que nous observons dans la nature. Ce serait sans doute une fausse hypothèse que celle qui enfermerait des principes qui ne pourraient suffire qu’à la composition d’un genre de corps et à l’ explication de quelques effets, et auraient besoin qu’on en suppose de nouveaux pour d’autres. Car cela serait contraire à cette simplicité que nous reconnaissons que Dieu tient dans tous ses ouvrages, à savoir de faire, par des lois très simples, toute la fécondité de l’univers, et c’est principalement ce défaut, outre plusieurs autres, qui nous empêche de croire que l’acide et l’alcali sont les principes de la nature[87]. »

La méthode dont se réclame Bertrand est la méthode cartésienne, qui commençait alors à dominer la chimie et la médecine ; si la citation précédente n’était pas assez décisive pour nous en convaincre, l’affirmation ci-dessous, où le principe de la pure philosophie mécanique est proclamé, suffirait pour lever nos doutes. « Il n’y a assurément que la matière mue en divers sens et figurée de même, qui ait toutes les conditions que nous avons remarquées être nécessaires aux principes, ce qui ne serait pas difficile à démontrer[88]. »

Si la métaphysique cartésienne condamnait le dualisme de l’acide et de l’alcali qu’elle trouvait trop complexe pour être digne de la perfection de Dieu, l’empirisme expérimental condamnait ce même dualisme, parce qu’il le trouvait trop simple pour enfermer l’univers entier sous ses lois…

Quelle a été à cet égard l’opinion de la plupart des chimistes, plus occupés à des découvertes de laboratoire qu’à des discussions philosophiques ? Certains d’entre eux, tels que Borrichius[89] ou Ettmuller[90], sans chercher à faire de la lutte entre l’acide et l’alcali la cause de tous les phénomènes observables, ne dédaignèrent pas, à l’occasion, de se servir des arguments que leur fournissait cette doctrine ; d’autres, tel Daniel Coxe, n’hésitèrent pas à l’invoquer, sans prétendre l’universaliser en racontant les expériences. « Il paraît, dit-il, y avoir une contrariété marquée entre les acides et les alcalis ; étant mêlés ensemble ils s’échauffent, ils se combattent, ils se dénaturent ; et ce que l’un détruit, l’autre le précipite. S’il y avait quelque analogie entre ces sels, ils s’uniraient sans tant d’efforts, et pour ainsi dire sans tant de répugnance[91]. » Quelques-uns encore, tel que Simpson[92], cherchèrent, en modifiant cette doctrine dualiste, à la mettre à l’abri de toute critique ; bien entendu, comme tous ses contemporains, l’auteur se vante de ne pas répéter servilement l’opinion de ses prédécesseurs : et il déclare qu’il n’invoquera pour se justifier ni l’autorité d’Aristote, ni celle d’Épicure, ni celle de Descartes, ni celle de Willis[93], ni enfin celle de Tachenius. Comme ses contemporains encore, il déclare marcher par ses propres moyens à la connaissance de la vérité. Et il espère faire du dualisme entre le soufre minéralisateur des métaux et des minerais d’une part, et les acides d’autre part, la cause de tous les phénomènes terrestres ; sa théorie faite, il tente d’en donner une application particulière à la formation des sources d’eaux thermales… Mais le nouveau dualisme de Simpson fut à peine remarqué.

Le dualisme acide-alcali fut bientôt abandonné des médecins qui l’avaient introduit dans la science ; à ce système ceux-ci substituèrent le mécanisme, l’animisme, ou encore les méthodes empiriques. Beaucoup d’entre eux[94] considérèrent les doctrines de Sylvius et Tachénius comme une étrange aberration de l’esprit humain et ils en parlèrent avec une ironie dédaigneuse ou amusante. Robert James se moqua agréablement des luttes que les chimistes supposèrent entre l’acide et l’alcali. « Il n’y a pas longtemps, dit-il, que dans les Écoles françaises, on craignait pour sa vie le duel des acides et des alcalis dans le corps, autant qu’un combat sur mer contre les Anglais. » Il n’hésita pas à rendre les chimistes responsables de cette théorie ridicule. « Quelques chimistes, dit-il encore, d’une imagination déréglée ont établi un grand nombre de théories imaginaires sur la supposition qu’il y a une certaine inimitié entre ces deux substances[95]. »

Ne croyez pas cependant que le système de l’acide et l’alcali disparut, anéanti sous le poids des critiques que ses prétentions avaient soulevées. De cet édifice étroit il serait facile de découvrir quelques fragments qui, durant toute l’évolution de la chimie, ont résisté à l’usure. Dès la fin du xviie siècle il trouva des alliés puissants chez certains partisans de la philosophie corpusculaire qui découvrirent un moyen élégant pour figurer l’opposition entre les corps antagonistes ! André, qui voulut défendre contre Boyle le dualisme alors à la mode, déclara, tout d’abord, qu’au point de vue expérimental ce système n’est pas arbitraire et peut rendre facilement raison des propriétés de tous les corps que la chimie étudie ; il reconnaît cependant que les définitions purement empiriques sont vagues et qu’elles ne fournissent aucune idée claire à notre esprit ! Mais les propriétés chimiques pour lesquelles on définit ordinairement les acides et les alcalis laissent pressentir la vérité sur leur structure, et de leur structure le savant peut déduire leurs propriétés… Voyons comment sont expliquées les propriétés du sel acide. « Le sel acide se connaît facilement au goût, à l’odeur, et par la fermentation qu’il fait avec les alcalis. Ce sel est composé de petites parties pointues, lesquelles s’insinuent dans les pores des corps qu’elles rencontrent et en font la désunion des parties ou la coagulation : car, suivant le mouvement différent, la figure particulière, la subtilité ou la grosseur de ces pointes, et la disposition de ces mêmes coups, ou bien elles passent au travers avec violence et en écartant les parties les unes des autres, ou bien elles s’y embarrassent de telle sorte qu’elles y perdent leurs forces et leurs mouvements et y restent bien souvent adhérentes. Nous remarquons en effet, que le sel acide fait la dissolution des corps durs, comme des pierres et des métaux (excepté l’or qui ne se peut dissoudre que dans des menstrues salés) et coagulent la plupart des corps mois et fluides, comme le lait, le sang, etc. » Notons encore ceci : d’après la doctrine d’André les acides ne forment pas une classe de corps ayant dans leur composition quelque chose de commun ; si nous les réunissons sous le même nom cela provient de ce que leurs molécules sont grossièrement semblables[96]. « Il y a autant de différentes sortes d’acides qu’il y a de corps dans la nature, et, quoique les particules, ou les atomes qui les composent, soient aiguës, cela n’empêche pourtant qu’elles n’aient toutes leurs figures différentes[97]. » Nous ferons les mêmes remarques au sujet des alcalis qui ont des particules poreuses en forme de gaine.

La philosophie corpusculaire, dont nous étudierons dans le chapitre suivant le brillant développement, a donc assimilé une doctrine qu’elle s’est contentée de traduire en son langage ; l’examen des œuvres de Lémery et d’Harstœcker nous donnera occasion de voir comment le mécanisme a absorbé la chémiâtrie, qu’à un regard superficiel il aurait complètement détruite.


G. — Avant d’abandonner l’école des chimistes pour examiner les progrès parallèles de la philosophie mécanique, il nous faut jeter un coup d’œil sur les disputes violentes qui animèrent les médecins vers le milieu du xviie siècle. Et, comme l’exposé seul des questions, des arguments et des ouvrages qui passionnaient cette époque déborderait de beaucoup l’objet du présent travail, nous nous contenterons, à titre d’exemple, de parcourir les quelques livres qu’inspira la fameuse querelle de l’antimoine dont la violence divisa la Faculté de médecine de Paris en deux clans ennemis ! De cette dispute même, nous ne retiendrons que les argumentations qui peuvent jeter un jour sur l’évolution de la chimie.

L’antimoine, dont les docteurs paracelsistes avaient usé et abusé, jouissait depuis cent ans du privilège d’exciter les médecins les uns contre les autres ; dès le milieu du xvie siècle, Loys de Launay[98] et Jacques Grévin[99] avaient échangé à son sujet quelques arguments bizarres et de pittoresques injures ; la Faculté de médecine s’était intéressée aux débats, et tout semblait rentré dans l’ordre.

Au milieu du xviie siècle la querelle reprit de plus belle ; les factums contenant les pires accusations et injures pour ou contre les partisans ou les adversaires de l’antimoine se succédèrent avec rapidité ! En 1666 un décret de la Faculté de médecine et un arrêt du parlement autorisèrent l’emploi de l’antimoine sur ordonnance des médecins.

Parmi les raisons que firent valoir dans les débats les ennemis de l’antimoine, il nous faut noter celle-ci : « Que ce minéral tient de la nature de l’arsenic, du mercure et du plomb, qui sont sans contredit des poisons et partant, qu’il doit être mis dans la même catégorie[100]. »

À quoi on leur répondait « que, bien que l’antimoine participe en quelque sorte du mercure et qu’il approche du plomb, il n’est pas pour cela poison, puisqu’on donne aux enfants de l’infusion de mercure pour faire mourir les vers et que pour guérir l’ileus, que le vulgaire appelle mal de misère, on fait avaler des balles de plomb. À l’égard de l’arsenic sa nature est bien différente de celle de l’antimoine. Car il est chaud, âcre, corrosif et vénéneux, qu’étant avalé et même appliqué extérieurement il cause des accidents très funestes ; au lieu que l’antimoine a une vertu rafraichissante et emplastique telle, que les anciens l’employaient aux remèdes des narines et des yeux[101] ».

Voici tout du moins ce qu’écrivaient ceux qui voulaient séparer les arguments des docteurs, de la manière dont ils les exposaient. Sur le ton de la polémique nous n’insisterons pas. Signalons, à titre d’échantillons, les injures relevées par la faculté voulant défendre ses membres contre le régent Blondel qui les avait traités tout simplement d’ « ignorants, empiriques, charlatans, larrons, bouffons, chimiques, colporteurs, perfides, hérétiques, semeurs de nouveauté, faux témoins, avortons, bâtards, faussaires, partisans de la sainte union de l’antimoine, calomniateurs, prévaricateurs, homicides et empoisonneurs privilégiés…[102] ».

Les ouvrages publiés pendant la période héroïque de cette polémique ont des titres hyperboliques et combatifs ; l’on vit paraître tout d’abord la « médecine de la science du plomb sacré des sages ou antimoine »[103], par le docteur Jean Chartier, qui fit un éloge outré de ce minéral ; de cet « infâme libelle », comme disaient les ennemis de l’antimoine[104], nous n’avons rien à dire ; signalons la réponse que lui fit Claude Germain dans ses dialogues intitulés : « Orthodoxe ou de l’abus de l’antimoine — dialogue très nécessaire pour détromper ceux qui donnent ou prennent le vin et la poudre émétique — où il est prouvé par raisons tirées de l’ancienne et nouvelle médecine et chimie, ta1e ces préparations ne peuvent ôter à l’antimoine ses qualités vénéneuses[105]. » L’auteur reproche aux médecins d’user de ce vomitif violent, très voisin de l’arsenic, et qui fait plus de mal que de bien[106]. Aux chimistes qui prétendent que tout se passe dans le corps humain comme dans le laboratoire de chimie, et qui ont le ridicule de conseiller l’usage interne de l’antimoine parce que ce corps est employé à purifier les métaux précieux, il fait l’amusante réplique suivante : « Nos orfèvres savent que l’antimoine dépouille l’or de ses impuretés et l’exalte en son souverain degré de perfection. Je ne puis néanmoins me persuader qu’il agisse en nous de la sorte et produise de semblables effets… si ce n’est qu’il nous fasse passer de cette vie mortelle et remplie de misères en l’éternelle et bienheureuse. C’est ainsi qu’on pourrait dire qu’il nous nettoie de toutes nos ordures et saletés[107]. »

À ces accusations, un brillant défenseur de ce nouveau remède[108] répliqua par : « L’antimoine justifié et l’antimoine triomphant », dans lequel il essaya de démontrer que l’antimoine ne doit point être rangé dans la catégorie des poisons. À cet ouvrage succéda un autre libelle : « Le rabat-joye de l’antimoine triomphant », où l’auteur[109] tentait de montrer que l’antimoine avait empoisonné un grand nombre de malades.

Quand les esprits se furent apaisés, Lamy fit paraître une intéressante dissertation sur l’antimoine[110], dans laquelle il défend avec calme et dignité ce minéral contre les calomnies. Examinons la partie de son ouvrage qui intéresse les chimistes ; voici d’abord la description de l’antimoine. « C’est un minéral composé d’un soufre à peu près semblable au commun et d’une substance métallique[111]. » Ce que l’auteur nomme antimoine est donc (le texte le fait voir clairement) ce que les chimistes de nos jours désignent par l’expression sulfure d’antimoine. Cet antimoine n’est pas un minéral simple, et seule la matière réguline peut prétendre à ce titre puisque personne n’est encore parvenu à la décomposer. Est-elle véritablement simple ou, comme un grand nombre d’alchimistes l’ont prétendu des métaux, contient-elle encore un soufre que l’analyse n’a pu jusqu’à présent isoler ? Lamy semble assez sceptique sur les opinions admises de son temps et il semble avoir une conception étrangement moderne de l’élément. Écoutons-le : « On distingue pour l’ordinaire deux sortes de soufre dans l’antimoine crud. L’un externe, semblable au commun, facile à séparer, et qui n’est point de l’essence de la substance métallique ; l’autre interne, essentiel à ce métal, et que l’on peut séparer des autres principes qui le composent. Mais comme cette pensée touchant le soufre interne de l’antimoine est appuyée sur des conjectures assez incertaines, et que je ne veux ici rien avancer dont on puisse douter et qui ne soit démontré par l’expérience, je ne déciderai point si, dans le régule ou la substance métallique de l’antimoine, il y a un soufre qui soit un de ses principes essentiels[112]. Ce qui me fait garder cette modération est que l’on ne peut résoudre l’antimoine en des corps plus simples, non plus que les autres métaux, et que dans toutes les préparations qui le déguisent, la substance métallique ne se détruit jamais, et l’on peut toujours lui redonner sa première forme[113]. »

Si maintenant nous demandons à Lamy quels impérieux motifs ont pu faire rejeter l’antimoine du rang des remèdes efficaces par certains docteurs, il nous répondra que trois sortes d’arguments sont utilisés pour mettre en évidence son rôle malfaisant ! Le premier, qui ne nous intéresse pas, est tiré des effets pernicieux que ce minéral aurait sur notre organisme ; le troisième, que nous négligerons d’examiner, est tiré de l’autorité de deux ou trois chimistes des anciens temps. Enfin le second a trait aux principes qui le composent ; on reproche en premier lieu à l’antimoine de contenir un soufre arsenical et par conséquent toxique. Or, répond Lamy, le soufre externe de l’antimoine est un soufre ordinaire qui ne se distingue par aucune propriété spéciale ; l’autre soufre, nous le savons déjà, n’a jamais pu être isolé par aucun procédé chimique, et Lamy ajoute à ce qu’il nous a précédemment appris : « Pour ce qui est du soufre interne de l’antimoine, il n’est pas facile de prouver qu’il y en ait. Il y a quelques conjectures pour cela, qui ne sont pas assez certaines. Mais supposons que l’ antimoine soit composé de sel de soufre et de mercure ; comme ces principes ne peuvent être séparés les uns des autres, on ne peut connaître leur nature, et, liés étroitement comme ils sont, ils demeurent en repos et n’ont aucune action. De sorte que, par le sel, le soufre ou le mercure de l’antimoine, supposé qu’il y en ait, on ne saurait prouver que c’est un poison puisque ces principes, si on les séparait, seraient peut être fort innocents et même salutaires[114]. »

On reproche aussi à l’antimoine de contenir des esprits arsenicaux ; mais ces esprits, personne ne les a vus, personne n’est parvenu à les isoler, et leur existence est un produit de notre imagination. Enfin, font remarquer ces détracteurs, l’antimoine voisine souvent avec l’arsenic dans le sein de la terre. Que vaut cette accusation ? Rien, répond l’avocat de l’antimoine ; pourquoi tous les corps ne seraient-ils pas contaminés par l’arsenic qui est universellement répandu ?


H. — Nous ne prétendons pas que les pages précédentes donnent un tableau complet de la prodigieuse activité intellectuelle des chimistes qui ont précédé Lémery ! Dans l’anarchie de pensée qui caractérise le début du xviie siècle, nous avons isolé plusieurs doctrines, dont nous avons suivi le développement ; ces doctrines mêmes, nous les avons réduites à leurs termes essentiels, nous les avons simplifiées pour en mettre à nu le squelette logique. S’il avait fallu dépeindre toutes les formes qu’elles ont été susceptibles de prendre pour s’adapter, soit aux autres idées auxquelles chaque chimiste tenait, soit à l’interprétation de chaque expérience, il aurait été nécessaire d’écrire un gros volume.

D’une manière générale, nous l’avons vu, ces philosophies chimiques tendaient à se substituer à la philosophie du moyen âge et à expliquer le monde entier par leur seul déroulement logique ; par ce caractère elles préparaient le terrain à la méthode cartésienne qui s’est développée sur leurs ruines. Ainsi que l’a reconnu fort nettement un savant cartésien notoire, Rohault[115], la tentative, les efforts infructueux et les déceptions des chimistes ont fourni le point de départ à la philosophie mécanique qui prit, vers la fin du xviie siècle, un si brillant essor ; la naissance et le développement de cette nouvelle méthode, les modifications qu’elle imposera à la théorie chimique seront l’objet de notre prochain chapitre.

  1. À ce sujet, lire Boerhave. Chimie, livre i, discours i.
  2. Gmelin a appelé la période que nous étudions « l’époque des Eclecliques », ne pouvant trouver un auteur dont les opinions ont dominé la chimie, et, d’autre part, voyant que l’hypothèse principale de chaque savant était due à une déformation d’idées plus anciennes rendues difficilement reconnaissables.
  3. Nous ne nous sommes pas proposés d’étudier Paracelse, mais seulement de voir comment son influence s’est fait sentir au xviie siècle. Pour la conception des trois principes paracelsistes, voir notre premier chapitre sur l’expérimentation paracelsiste, le chapitre vii.
  4. Sur Paracelse voir Gmelin. Geschichte der Chemie. Lessing, Sudhof, etc.
  5. Œuvres, traduction Grillo de Givry, vol. i, p. 39, Traité de l’entité des astres, chap. iv.
  6. Nous ne rechercherons pas dans la philosophie ancienne l’origine de la notion de similitude du grand monde et du petit monde.
  7. Œuvres, vol. i, p. 9.
  8. De l’entité naturelle, chap. 2.
  9. James, Dictionnaire de médecine. Discours historiques, trad. D1derot, p. cxiii.
  10. Il semble, d’après M. Gilson, que le raisonnement par analogie ait exercé au début du xvii siècle une véritable séduction sur la plupart des penseurs, et que son rôle n’ait pas été suffisamment mis en lumière par les historiens de la philosophie. Voir Étienne Gilson : « Le raisonnement par analogie chez T. Campanella » dans Études de philosophie médiévale, Strasbourg 1921, p. 125 à 145.
  11. Je ne sais si cet axiome se trouve dans Paracelse, mais il est supposé par la médecine paracelsiste ; et c’est d’ailleurs sous cette forme que se sont présentées tout d’abord les doctrines préparant la voie à la gravitation universelle de Newton. Voir Duhem : La Théorie physique, chap. vii, § ii. Les hypothèses ne sont pas le produit d’une création soudaine, mais le résultat d’une évolution progressive. Exemple tiré de l’attraction universelle.
  12. Nous en dirons quelques mots plus loin.
  13. Le traité de Crollius qui eut tant de succès est un pur développement des idées paracelsistes. James, p. cxiii.
  14. L’aimant mystique, 1659, p. 1.
  15. Traité du feu et du sel, Paris, 1643, in-4, , p. 53.
  16. Page 19, Les vertus magnétiques du sang, in-12, 1665.
  17. Proposition touchant la physique résolutive, 1665, page 23.
  18. Page 12.
  19. Page 37.
  20. Nous aurons occasion de le constater dans le volume ii de cet ouvrage quand nous exposerons la philosophie newtonienne et son rôle dans la formation de la théorie des affinités.
  21. Voir l’ouvrage récent de Strunz J.-B. Van Helmont, Leipzig et Vienne, 1907, où sa biographie, ainsi que ses doctrines principales sont exposées.
  22. Nous citons d’après la traduction française des œuvres de Van Helmont, par Le Conte, 1670, Lyon, in-4.
  23. Page 66.
  24. Page 125.
  25. Traité de l’âme.
  26. Plus tard, Robert Boyle a déclaré que la décomposition en 3 principes était peut être justifiée dans le laboratoire du pharmacien, mais qu’elle n’était pas digne de la méditation du philosophe.
  27. Page 6-7.
  28. Page 97.
  29. Page 62.
  30. Pour l’étymologie souvent discutée voir James : Encyclopédie, etc. , art. alcahest.
  31. D’après Boerhave, « Traité des menstrues », dernier chapitre.
  32. Critique de Kunckel : « Mais si l’alcahest dissout tout ce qui est, il doit aussi dissoudre le vase qui le renferme » ; cité par Hoefer, Histoire de la Chimie, vol. 2 p. 199.
  33. Ces expériences, nous n’essayerons ni de préciser leur signification ni de discuter leur valeur ; remarquons, seulement que leur traduction philosophique dépassait infiniment les quelques faits placés à leur base.
  34. Page 60.
  35. Page 64.
  36. Page 62.
  37. Page 87. (Dans le sens de grande densité.)
  38. Voir Davidson et Lefèvre cités dans le ier chapitre.
  39. Page 85.
  40. Page 81.
  41. Page 70.
  42. Nous aurons occasion, quand nous étudierons la physique souterraine de Becher, de constater le rôle de la Genèse sur la formation des théories chimiques.
  43. Paris, 1684, page 361.
  44. Voir COL 4. Observations sur la formation des pierres dans la terre et dans le corps des animaux. Extraits des actes de Copenhague 1677. Nous avons déjà analysé ce travail dans « la Genèse de la science des cristaux », chap. i.
  45. Voir chap. i.
  46. Voir chap. iv.
  47. Sceptical chymist Œuvres i, p. 325. Voir aussi Neuwentyt. L’existence de Dieu démontrée par les merveilles de la nature — critique de Van Helmont. « Nous ne dirons rien ici de quelques chimistes fameux qui ont prétendu que la base des métaux et minéraux n’est autre chose que de l’eau ; de là vient que si on doit ajouter foi à ce qu’ils disent, ces substances, de même que tous les animaux et toutes les plantes, peuvent être converties en eau par le moyen de leur fameux alcahest. » Édition française de 1760 : la première édition hollandaise date de 1725.
  48. Starkey, traduit par Lepelletier. Rouen 1704.
  49. Voir là-dessus de Comtes, « Discours philosophique de l’alcahest et de la médecine universelle » 1669, Paris, in-12.
  50. Nous aurons à revenir plus tard sur les théories de la dissolution. Nous ne donnons là qu’une indication provisoire. — Voir la question discutée dans Boerhave, traité des menstrues.
  51. Voir Boerhave, traité du feu.
  52. Meyerson a discuté cette question par rapport à Lavoisier dans l’ouvrage suivant : « Identité et réalité ». Nous aurons occasion d’y revenir aux chapitres vi et vii et surtout quand nous étudierons la philosophie newtonienne.
  53. COL6, p. 378. Sur l’eau glacée et sa congélation.
  54. Voir chap. i.
  55. Toulouse 1616, in-12.
  56. Page 122.
  57. Paris, 1633.
  58. Préface non paginée.
  59. Paris 1632, in-8.
  60. Page 53.
  61. Lyon 1715, in-12. Chimie raisonnée où l’on tâche de découvrir la nature et la manière d’agir les plus en usage en médecine et en chirurgie. Préface de l’ouvrage de Deidier.
  62. Boerhave, p. 11.
  63. Sur Sylvius et Tachénius, voir Eloy, Dic. de médecine.
  64. Chimie, p. 171.
  65. Chimie d’Hippocrate, p. 11,9 1666 en latin. Nous citons d’après l’ouvrage de Bertrand, que nous analysons plus loin.
  66. T. page 17.
  67. T. page 172.
  68. Réflexions nouvelles sur l’acide et l’alcali et de l’usage « que l’on en fait pour la physique et la médecine », p. 21.
  69. Bertrand, p. 21 et 22. — Rothe, p. 106, etc. James, p. 593. Voir chap. 5.
  70. Bertrand, p. 20.
  71. Refleclions upon the hypothesis of alcali and acidum, Œuvres, vol. 3 , p. 603.
  72. André François. Entretiens sur l’alcali et l’acide. Paris, 1672, page 123.
  73. Ammoniac.
  74. Bertrand, pages 7 et 8. L’or réduit quand il est fondu une verge de fer en scories. V. aussi André. C’était une expérience à laquelle on attachait beaucoup d’importance.
  75. Nitrique.
  76. Chlorhydrique.
  77. Recueil d’expériences et observations sur le combat qui procède du mélange des corps. Trad. Mesmin, voir les premières pages.
  78. Voir André. Il semble que Van Helmont ait pour longtemps fait tenir la théorie des quatre éléments en médiocre estime.
  79. Page 52 et suiv.
  80. Voir l’ouvrage de Bertrand qui combat toutes ces prétentions.
  81. Page 89.
  82. Pages 86 et 89 et 24 à 39.
  83. Voir De Venel, Art. chimie dans l’Encyclopédie, etc.
  84. Page 12.
  85. Page 16.
  86. Page 17.
  87. Page 19.
  88. Page 20.
  89. COL 6 — Différents passages des actes de Kopenhague.
  90. Chimie, pag. 6.
  91. T. P. 1674. COL6, pag. 118.
  92. Discourse of fermentation, 1675, Londres.
  93. Célèbre médecin anglais partisan du dualisme acide-alcali.
  94. Boerhave (déjà cité), R. James (dis. prél.). Eloy, etc., Sprengel. Voir art. médecine des Encyc. de Diderot, pag. 2-3.
  95. Art. alcali, encyclopédie, page 593.
  96. Page 15 et 16.
  97. Page 17.
  98. De la faculté et vertu admirable de l’antimoine avec réponse à quelques calomnies. La Rochelle, 1664 et 1666.
  99. Discours sur les vertus et facultés de l’antimoine, contre ce qu’en a écrit maître Loys de Launay, Paris, 1566.
  100. J. S., 1666, pag. 271, 2e argument.
  101. J. S., 1666, pag. 273, 2e réponse.
  102. 2e défense, p. 1.
  103. 1651.
  104. Légendes des 61 Docteurs qui ont écrit en faveur de l’antimoine. Il semble que le docteur Guy Patin ait été l’inspirateur de cette publication injurieuse.
  105. 1652.
  106. Voir aussi Boerhave, chimie
  107. Page 291.
  108. Renaudot, 1652.
  109. Perreau Jacques, 1654.
  110. 1680.
  111. Page 1.
  112. Certains pharmaciens pensèrent que le soufre pur du régule est à l’antimoine ce que le soufre impur du minerai est au sulfure d’antimoine.
  113. Pages 24 et 25.
  114. Page 64.
  115. Entretiens, page 10.