Apologie à Guillaume de Saint-Thierry/Chapitre II

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Traduction par Abbé Charpentier.
Librairie de Louis Vivès, éditeur (2p. 288-289).

Chapitre II.

Saint Bernard se justifie et fait l’éloge de l’ordre de Cluny.

4. Qui m’a jamais ouï parler mal de cet ordre, soit en public soit en particulier ? Est-il un seul membre de cet ordre que je n’aie vu avec joie, reçu avec honneur, entretenu avec déférence et exhorté Éloge de l’ordre de Cluny. au bien avec humilité ? J’ai toujours dit, et je le répète, que c’est un ordre saint et honorable qui ne se recommande pas moins par une pureté insigne que par sa grande distinction. Fondé par les Pères et préconçu par le Saint-Esprit lui-même, il est éminemment propre à sauver les âmes. Est-ce condamner ou mépriser un ordre que d’en parler ainsi ? Je me rappelle que plusieurs fois j’ai reçu l’hospitalité dans des monastères de cet ordre, et je prie le Seigneur de récompenser ses serviteurs de l’empressement avec lequel ils ont pourvu, plus généreusement qu’il n’était besoin, aux nécessités d’un pauvre infirme comme moi, et des témoignages de déférence dont ils m’ont honoré beaucoup plus que je ne le méritais. Je me suis recommandé à leurs prières, et je me suis joint à eux dans leurs réunions, souvent même, soit publiquement et en plein chapitre, soit en particulier, dans les cloîtres ; j’ai discouru avec plusieurs d’entre eux sur quelques passages des saintes Écritures, ou sur les choses du salut. Me suis-je jamais permis de détourner personne ouvertement ou en secret d’entrer dans cet ordre, ou d’engager quelqu’un de ses membres à passer dans le nôtre ? Bien au contraire, j’ai plutôt empêché ceux qui voulaient venir à nous d’exécuter leur dessein, et je n’ai point voulu leur ouvrir, quand ils sont venus frapper à ma porte. N’ai-je point, en effet, renvoyé le frère Nicolas à son monastère de Saint-Nicolas[1] ; et à vous-même, mon Père, j’en appelle à votre témoignage, ne vous ai-je point aussi renvoyé deux de vos frères ? Ne pourrais-je pas, si je le voulais, vous citer les noms de deux abbés[2] de votre ordre que vous connaissez très-bien, et qui depuis lors n’ont pas cessé de m’être unis par les liens d’une étroite amitié, que j’ai dissuadés de quitter leur poste, comme ils le désiraient, et se préparaient même à le faire pour entrer dans un autre ordre, ainsi que vous le savez parfaitement vous-même ? Comment donc peut-on penser et dire que je blâme un ordre dans lequel je conseille à mes amis de rester, auquel je renvoie ceux de ses religieux qui le quittent pour venir à moi, dont je réclame avec tant d’ardeur, et reçois avec tant de bonheur les bonnes prières ?

  1. Le Nicolas pour qui saint Bernard écrivit la lettre quatre-vingt-quatrième, était un religieux du monastère de Saint-Nicolas du Bois, au diocèse de Laon.
  2. L’un de ces abbés était Guillaume lui-même, comme on le voit par la quatre-vingt-sixième lettre de saint Bernard.