Apologie de Socrate (trad. Cousin)/Notes

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NOTES

SUR L’APOLOGIE DE SOCRATE.



Mêmes secours que pour l’Euthyphron.

Dacier et M. Thurot (Paris, 1806) ont traduit l’Apologie.


PAGES 85 et 86. — Tu crois accuser Anaxagore… les jeunes gens viendraient-ils chercher auprès de moi, avec tant d’empressement, une doctrine qu’ils pourraient aller à tout moment entendre débiter à l’orchestre, pour une drachme tout au plus…

Ἀναξαγόρου οἴει ϰατηγορεῖν… (Bekker, IIe partie, IIe vol. p. 108 et 109.)

Anaxagore eut entre autres disciples célèbres, Euripide qui répandit dans ses pièces la philosophie d’Anaxagore, et particulièrement sa doctrine sur la nature de la terre et du soleil (Voyez le Scholiaste de Pindare sur la première olympique, Hippolyt., v. 601 avec le Scholiaste, Orest. v. 983 avec le Scholiaste, les fragmens du Phaéton, et Walckenaer in reliquias Euripidis). Voilà pourquoi Socrate dit que l’on peut aller entendre au théâtre cette doctrine pour une drachme, qui était le maximum du prix des places si l’on en croit le Scholiaste de Lucien ad Timon., Harpocration et Suidas ad v. Θεωρικά ; et comme le chœur était la partie de la tragédie où le poète plaçait ordinairement les sentences et ses idées philosophiques (le morceau de l’Oreste cité plus haut appartient au chœur), et comme l’orchestre était la partie du théâtre où se tenait le chœur (Lexicon Photii ad v. Ὀρχήστρα, Socrate pour dire qu’on peut aller entendre débiter cette doctrine au théâtre pour une drachme, se sert de l’expression πρίασθαι δραχμῆς ἐϰ τῆς ὀρχήστρας, acheter pour une drachme de l’orchestre, et non pas avec tous les traducteurs français à l’orchestre, ou dans l’orchestre, ce qui transforme l’orchestre antique en une espèce de librairie, et semble faire croire que les livres y étaient étalés en vente, comme au foyer de nos théâtres modernes.


PAGES 87, 88, 89. — Y a-t-il quelqu’un qui admette quelque chose relatif aux démons, et qui croie pourtant qu’il n’y a pas de démons ?

Ἔσθ’ ὅστις δαιμόνια μὲν νομίζει πράγματα εἶναι, δαίμονας δὲ οὐ νομίζει. (BEKKER, p. 110.)

Socrate admettait une révélation surnaturelle qui lui enseignait en toute occasion ce qu’il devait faire et surtout ce qu’il devait éviter. Il croyait sentir en lui quelque chose au-dessus de l’humanité qui éclairait et le dirigeait. Il ne disait pas que ce fût un être positif ; il s’arrêtait au fait dont il avait la conscience, et se servait de l’expression : τὶ δαιμόνιον, non pas un dieu tout-à-fait, mais une espèce d’intermédiaire entre les dieux et les hommes, quelque chose qui appartient à la nature des démons que la Mythologie païenne place entre le ciel et la terre. L’orthodoxie du temps ne reconnaissant pas là précisément ses dieux, avec leur histoire et leurs noms propres, accuse Socrate de substituer à la religion établie καὶνὰ δαίμονια, c’est-à-dire, une religion nouvelle, fondée sur un mysticisme démoniaque. Soit, répond Socrate à Mélitus, du moins alors ne suis je pas athée. Car enfin tu ne m’accuses pas d’admettre l’accident sans le sujet, l’adjectif sans le substantif. Si j’admets τὶ δαιμόνιον, τινὰ δαιμόνια (sous-entendez πράγματα, comme πράγματα ἱππικὰ, πράγματα ἀνθώπεια, πράγματα αὐλητικὰ, et enfin plus bas expressément πράγματα δαιμόνια), quelque chose relatif aux démons, il faut que tu m’accordes que j’admets des démons, δαίμονας. Or, les démons sont enfans des dieux ou dieux eux-mêmes ; donc j’admets des dieux. Ce passage est très clair en lui-même. Malheureusement, il a été défiguré par tous les traducteurs, Schleiermacher excepté, lesquels s’obstinant, contre toute raison logique et grammaticale, à prendre δαιμόνια substantivement, et à le traduire par divinités, font faire à Socrate le raisonnement suivant : Selon toi, j’admets des divinités, cela suppose que j’admets des démons ; or, si j’admets des démons, il s’ensuit que j’admets des dieux ou des enfans de dieux ; donc j’admets des dieux. Conclure des divinités, c’est-à-dire des dieux aux dieux, n’est pas difficile. Mais on contestait précisément à Socrate qu’il admît des dieux ou des divinités ; et dans sa croyance à quelque chose relatif aux démons, on voyait une preuve qu’il n’admettait pas de dieux. C’est donc de là que Socrate devait partir pour prouver qu’il n’était pas athée. On voit maintenant pourquoi plusieurs fois dans l’Apologie, j’ai traduit δαιμόνια par quelque chose de relatif aux démons ou même par l’inusité démoniaque pour avoir un adjectif qui conduisît naturellement à démons, et exprimât nettement le rapport et l’ordre de toutes les parties du raisonnement de Socrate.


PAGE 89. — Cela serait tout aussi absurde que de croire qu’il y a des mulets nés de chevaux ou d’ânes, et qu’il n’y a ni ânes ni chevaux.


Ὁ μοίως γὰρ ἂν ἄτοπον εἴη. ὥσπερ ἂν εἴ τις ἵππων μὲν προῖδας ἡγοῖτο ἢ καὶ ὄνων τοὺς ἡμιόνους, ἵππους δὲ καὶ ὄνους μὴ ἡγοῖτο εἶναι. (BEKKER, p. 111.)

Forster est le premier qui ait proposé de retrancher . Schleiermacher a suivi Forster, et Bekker, entraîné par l’autorité de Schleiermacher et retenu par celle des manuscrits, le met dans son texte, mais entre crochets. Fischer, p. 106, défend très bien la leçon ordinaire. Il ne s’agit pas du père et de la mère du mulet, mais seulement du père, or, il faut nécessairement qu’un mulet ait pour père un cheval ou un âne. Wolf conserve avec raison et traduit : vel asinorum.


PAGE 98. — Je vais vous dire des choses qui vous déplairont, et où vous trouverez peut-être la jactance des plaidoyers ordinaires.

Ἐρῶ δὲ ὑμῖν φορτικὰ μὲν ϰαὶ διϰανιϰά. (BEKKER, p. 120.)

Ficin traduit : judicialia. Wolf : judiciaria. Mais on ne voit pas bien ce que cela signifie précisément. Schleiermacher : langweilige Geschichten, des histoires ennuyeuses. Mais d’abord il est impossible de faire abstraction de la racine δίκη dans διϰανιϰά. Ensuite il est difficile de se persuader qu’il ne s’agisse ici que de choses ennuyeuses, cet inconvénient étant déjà à-peu-près exprimé par φορτικὰ. J’entends donc plutôt par δεϰανικὰ des choses emphatiques comme dans les plaidoyers ordinaires. Socrate va dire du bien de lui, comme les avocats font ordinairement de leurs clients ; il est donc naturel qu’il se défende d’arrogance et proteste de la vérité de ses paroles. Lysias contre Ératosthènes dit : Il y en a qui ont l’habitudeπρὸς μὲν τὰ ϰατηγορούμενα μηδὲν ἀπολογεῖσθαι, περὶ δὲ σφῶν αὐτῶν ἕτερα λέγοντες…… Lysias. Reiske, t. I p. 409.


PAGE 110. — Si vous aviez, comme d’autres peuples, une loi qui, pour une condamnation à mort, exigeât un procès de plusieurs jours.

Quels sont ces peuples qui possédaient une jurisprudence criminelle aussi humaine ? Nul interprète n’en dit rien.