Apologie pour tous les grands personnages qui ont esté faussement soupçonnez de magie/Préface

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PREFACE.


Amy Lecteur, comme je ne fais nulle doute que Phistoire de Polydamas ne te soit cognuë, lequel voulant arrester un pesant caillou qui rouloit du haut d'une montaigne, fut accablé sous iceluy; aussi suis-je bien asseuré que tu ne manqueras de l'appliquer à mon dessein pour juger du hazard & de la difficulté de cette mienne entreprise ; qui te pourroit encores sembler beaucoup plus perilleuse si tu avois veu avec moy combien ces opinions communes que j'entreprends de combattre & renverser, sont enracinées dans la fantaisie de quelques Historiens, & maintenues obstinément par la plus-part de nos Demonographes, lesquels n'estans d'une complexion assez forte & bien tempérée pour résister à la contagion des Erreurs populaires & communes, se sont laissez gaigner facilement à la persuasion de t outes ces calomnies, qui se maintiennent aujourd'huy contre l'innocence & la bonne vie de ceux que la seule considération de leur mérite estoit plus que suffisante de délivrer de ce soupçon, si ces Escrivains qui le publient ne ressembloient proprement aux cornets & ventouses, lesquelles ne sont propres qu'à tirer le mauvais sang de la partie où on les applique. Mais si tu viens à considérer que cette lourde & pesante masse de pierre qui estoit proche de la ville de Harpasa en l'Asie se remuoit facilement avec le bout du doigt ; qu'il ne faut qu'un des oyseaux de l'Isle de Chypres pour faire esvanoüir & dissiper une grosse nuée de locustes & cavalettes, & que le seul moyen de remédier au croassement des grenoüilles est de mettre une lumière au lieu où elles sont : J'estime que tu n'espéreras un moindre effect de cette Apologie, & que tu ne desnieras ton consentement à la vérité que je veux enseigner & establir en icelle, pour la faire servir comme d'un Phare haut eslevé & grandement necessàire à tous ceux qui se laissent emporter avec si peu de discrétion & résistance aux bourrasques & tempestes des opinions communes & erronées. C'est pourquoy afin de ne rien obmettre de ce que tu pourrais désirer pour ton esclaircissement, il ne faut que déduire & expliquer deux mots de bonne foy, & ce avec la briefveté qui est requise à une Préface.

Le premier desquels t'advertira & te fera peut estre esmerveiller de ce que j'ay pris l'occasion de composer une si laborieuse Apologie sur une rencontre quasi de nulle conséquence. Tu sçais, comme je croy, que sur la fin du Quaresme dernier on publia un petit livre intitulé, Nouveau jugement de ce qui a esté dict & escrit pour & contre le livre de la Doctrine curieuse des beaux Esprits de ce temps : sur la fin duquel celuy qui en a esté l'Autheur a faict inserer deux invectives fort courtes & succinctes contre Homère & Virgile: pour quelle fin & avec combien peu de raison, ce n'est pas icy le lieu d'en discourir, mais tant y a que dans celle de Virgile il l'accuse d'avoir esté un indigne Enchanteur & Necromantien, & de ce qu'il avoit faict une infinité de choses esmerveillables par le moyen de la Magie. Ce que je recognus incontinent avoir esté transcrit mot pour mot du dernier livre que M. de Lancre a faict imprimer contre la mescreance du Sortilège : D'où venant à faire réflexion sur ce que j'avois leu, & à me resouvenir que non seulement Virgile, mais presque tous les grands personnages estoient pareillement soupçonnez de Magie, je commençay aussi tost de me douter que c'estoit à tort & sans raison : Sur quoy m'estant esclaircy de beaucoup de difficultez qui m'empeschoient de parvenir à l'entiere cognoissance de cette vérité, je n'ay voulu estre si peu affectionné au bien du public, & à la mémoire de tous ces fameux personnages, que de desnier la communication de ces pieces justificatives de leur innocence à ceux qui n'ont & n'auront peut estre pas si tost le temps ou la commodité de les rechercher avec autant de soin & de diligence que je me suis efforcé de faire en cette Apologie : laquelle te présente de premier abord le moyen asseuré & les conditions nécessaires pour juger des Autheurs, & principalement des Historiens & Demonographes, qui sont les deux principaux Architectes de ce labyrinthe de fausses opinions, d'où il seroit grandement difficile de se desvelopper sans l'addresse & conduitte de ce filet, duquel j'ay bien voulu pour cette occasion attacher l'un des bouts à ce premier Chapitre, apres lequel j'ay faict suivre immédiatement celuy de la Magie & de ses espèces, afin que l'on ne pust ignorer du chef & principal poinct de l'accusation & de la defence, qui consiste en la distinction de la Magie Diabolique & Naturelle : Et en suite d'iceluy j'ay recherché les causes générales que l'on a peu avoir de ce soupçon, sçavoir la Politique, la doctrine profonde & extraordinaire, la cognoissance des Mathématiques, la composition des livres, les observations superstitieuses, l'heresie, la haine, l'ignorance du siecle, la trop grande légèreté de croire beaucoup de choses fabuleuses, & le peu de soin & jugement des Autheurs & Escrivains, toutes lesquelles sont reduites & expliquées dans cinq Chapitres, qui m'ont ouvert & facilité le chemin pour entreprendre dans les quatorze qui suivent la defence particulière de Zoroastre, Orphée, Pythagore, Democrite, & des autres tant anciens que modernes: En quoy je n'ay pas suivy l'ordre du temps auquel ils ont fleury, parce qu'il ma semblé estre plus à propos de les ranger sous les tiltres de leurs diverses dignitez & offices ; de sorte qu'ayant faict ainsi des Philosophes, Médecins, Religieux, Evesques, Papes, & de tous les autres fameux personnages que je m'estois proposé de défendre ; il ne me restoit plus que d'attacher l'autre bout de mon filet au dernier Chapitre de cette Apologie, lequel te fera voir pour conclusion par quel moyen toutes ces faussetés se maintiennent, & ce que l'on doit attendre d'icelles si on ne les reprime.

Or comme ce premier mot ne tend qu'à me déclarer, & faire cognoistre ce qui est de mon intention; aussi faut-il advoüer que celuy que je veux maintenant déduire n'a autre but de m'excuser ou plustost justifier de ce que j'ay bigarré mon François de quelques sentences & authoritez Latines : Car je sçay bien que beaucoup d'Escrivains qui sont estimez des plus polis de ce siecle ne peuvent regarder que d'un œil desdaigneux les Escrits de ceux qui ne font profession comme eux de composer des fables & rencontres amoureuses pour l'entretien des femmes & petits enfans. Mais comme me je leur sçay bon gré de proportionner leur stile à la capacité de ceux à qui ils escrivent ; aussi ne devroient-ils trouver mauvais si j'en fais de mesme, & si je me suis réglé sur cette considération pour n'habiller à la Françoise ces passages Latins, puis qu'ils n'ont aucun besoin d'estre entendus de la populace, laquelle a coustume de se rapporter quand il est question de rechercher la vérité de toutes ces calomnies & faux soupçons, à l'authorité des Historiens, Demonographes & Autheurs de crédit, qui l'entretiennent par leur consentement en ces resveries. Et à la vérité si tout le monde vouloit suivre la fougue de ces esprits qui aiment mieux voir une période languissante & descharnée dans leurs livres, que le nom ou l'authorité des Autheurs, aux despens desquels bien souvent ils les composent ; quelle occasion nous resteroit il de travailler pour la postérité, veu que suivant cette maxime elle ne se serviroit de nos œuvres qu'à l'imitation des Rhodiens, qui ne faisoient que changer la teste des vieilles statues pour les faire servir à la représentation de quelques autres nouvelles ? Certes il me semble qu'il n'appartient qu'a ceux là qui n'esperens jamais d'estre citez, de ne citer personne : & c'est une trop grande ambition de se persuader d'avoir des conceptions capables de contenter une si grande diversité de Lecteurs sans rien emprunter d'autruy : Car s'il y eut jamais Autheurs qui pussent véritablement s'estimer tels, sont esté sans controverse Plutarque, Seneque & Montagne, qui n'ont toutesfois rien laissé chez les autres de ce qui pouvoit servir à l'embellissement de leurs discours: tesmoin les vers Grecs & Latins qui se recontrent presque à chaque ligne de leurs œuvres, & entre autres cette Consolation de sept ou huict fueilles que le premier envoya à Apollonius, dans laquelle on peut remarquer de compte fait plus de cent cinquante vers d'Homere, & presque autant d'Hesiode, Pindare, Sophocle & Euripide. Et de plus je ne croy point que ces nouveaux Censeurs de la façon d'escrire soient si peu judicieux que d'opposer aux authoritez précédentes celle d'Epicure, lequel en trois cens volumes qu'il laissa n'avoit pas mis & inseré une seule allégation, parce que ce seroit me fournir les moyens de leur condemnation, veu que les œuvres de Plutarque, Seneque & Montagne sont tous les jours leuës, fueilletées, vendues & réimprimées, ou à grand' peine le catalogue de celles d'Epicure nous est-il resté dans Diogenes Laerce. Ce que je ne dis point toutesfois pour approuver la façon de faire de ceux qui se despouillent volontairement des richesses de leur esprit pour mendier celles des autres, qui ne paroissent que sous l'esclat d'une montre empruntée, & qui se couvrent des armes d'autruy, jusques à ne monstrer pas seulement le bout des doigts : Mais il faut confesser que je suis tellement desgousté de ces longs & inutils discours que l'on nous donne maintenant, & que le sage Phocion pourroit mieux que jamais comparer à une forest de Cyprès, dont les arbres sont beaux & verdoyans, & neantmoins ne produisent aucun fruict de valeur, que j'estime ceux-là rencontrer le plus à propos & tenir le milieu de ces deux extremitez, qui marient leurs conceptions avec celles des Anciens, quand la matière le peut permettre, pour ne faire ressembler leurs lecteurs à ceux-là qui dans le Prophete Jeremie estans venus pour puiser de l'eau s'en retournèrent à vuide tous confus & affligez. Et comme il n'appartient qu'aux ames eslevées, transcendantes, & qui ont quelque chose par dessus le commun, de nous donner leurs conceptions pures nuës, seules & sans autre escorte que de la vérité : & que c'est une marque d'un esprit bas & ravalé de ne rien entreprendre de soy mesme ; aussi estce le propre charactere de celuy qui est autant esloigné d'une vaine gloire, que l'ignorance & bestise, de suivre la piste & le chemin frayé par les plus doctes & mieux sensez, & ne point tant s'amuser à ce qui peut pipper & chatouiller les aureilles des Lecteurs, qu'il vienne à négliger ce qui est nécessaire pour la pleine & entière satisfaction de leur esprit. Qui est ce que je me suis particulièrement efforcé de faire en cette Apologie, de laquelle si tu veux juger estant des-interessé de passion & avec toute sincérité, je m'asseure & me promets tant de ta bienvieillance, que tu ne luy voudras dernier ce qu'elle en a tousjours espéré : & ce principalement quand tu auras considéré la difficulté de la piece, les particularitez qu'il m'a fallu toucher, & la nouveauté du sujet, qui me doit seule favoriser & défendre.

In nova surgentem, majoraq viribus ausum,
Nec per inaccessos metuentem vadere faltus.