Après la pluie, le beau temps/37

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XXXVII

DÉCISION IMPRÉVUE


On attendait avec impatience des nouvelles de Plaisance ; le notaire fut exact au rendez-vous.

Mademoiselle Primerose.

Eh bien, cher Monsieur, quelles nouvelles ?

Le notaire.

Victoire complète, mais pas sans combat. Pour ne pas vous faire languir, voici l’acte de résiliation de la tutelle et le consentement au mariage, qu’il a signé sans savoir ce qu’il signait. Voici les comptes de la tutelle, parfaitement en règle ; je les ai parcourus en wagon. Vous avez, ma chère pupille, quatre-vingt-dix mille francs de rente. Vous devriez en avoir plus de cent, avec les économies et les intérêts depuis douze ans ; mais si vous m’en croyez, nous ne ferons pas de chicanes là-dessus. M. Dormère est dans un état d’accablement qui lui ôterait la force de supporter un nouveau coup.

Mademoiselle Primerose.

Racontez-nous donc, cher Monsieur, comment il a reçu votre communication et ma lettre.

Le notaire.

Votre lettre n’a pas produit un effet agréable à la lecture des premières lignes.

Mademoiselle Primerose.

C’est bien ce que je voulais : le faire enrager d’abord, et l’atterrer ensuite.

Le notaire.

Vous avez parfaitement réussi. Il est devenu de toutes les couleurs ; il est resté très pâle et accablé, au point de ne pouvoir parler. Il a demandé la preuve d’une voix altérée. Je la lui ai présentée. »

Le notaire continua son récit à la grande satisfaction de Mlle Primerose. Quand il arriva aux dénégations de Georges, elle s’écria :

« Impudent menteur ! effronté scélérat ! »

Mais lorsque le notaire en fut à la signature des actes et à la disparition de Georges, elle voulut savoir ce qui s’était passé entre le père et le fils.

« Je ne puis vous le dire ; mais probablement quelque chose de très vif, car, en prenant mon billet de chemin de fer, à sept heures, j’ai vu Georges descendre de la calèche de son père, avec deux grosses malles qu’il a fait enregistrer en prévenant les employés d’y veiller avec soin, parce que l’une d’elles, qu’il désigna, contenait des papiers et des objets de valeur.

« Son père l’aura chassé et il aura voulu profiter de l’état de stupeur de son père pour faire main basse sur tout.

Mademoiselle Primerose.

Voici le fruit de l’éducation insensée et coupable que lui a donnée ce malheureux homme. Jolie vieillesse qu’il s’est préparée !

« À présent, cher Monsieur, j’ai aussi des affaires à régler ; aurez-vous l’obligeance de passer dans ma chambre pour que nous en causions à notre aise ?

Le notaire.

Je suis à vos ordres, Mademoiselle. »

Ils quittèrent le salon, laissant Geneviève et Jacques causer de ce qui les intéressait.

« Geneviève, dit Jacques timidement, j’ai quelque chose à te demander.

Geneviève, riant.

Et on dirait que tu as peur.

Jacques.

Oui, j’ai peur… que tu ne me refuses.

Geneviève.

Moi, que je te refuse une chose qui te ferait plaisir ! Oh ! Jacques.

Jacques.

Geneviève, tu sais que je pars demain soir pour faire mes adieux à mes parents ?

Geneviève.

Oui ;… après ? — Parle donc, mon Jacques chéri ; tu sais si je t’aime et si je puis rien te refuser.

Jacques.

Eh bien, si mes parents consentaient à ce que nous nous mariions avant le départ pour Rome, me l’accorderais-tu ? »

Geneviève sauta de dessus sa chaise.

« Avant, avant quinze jours ? dit-elle avec surprise.

Jacques, tristement.

Tu vois bien ! voilà que tu me quittes au premier mot que je t’en dis. »

Geneviève reprit immédiatement sa place.

Geneviève.

Je ne te quitte pas, Jacques ; je ne te quitte pas ; seulement… je suis étonnée… ; je ne m’attendais pas.

Jacques.

Me refuseras-tu la première prière que je t’adresse, ma Geneviève ?

Geneviève.

Puis-je te refuser ce que tu désires, mon Jacques bien-aimé ? Il en sera ce que tu voudras. Ma volonté ne s’opposera jamais à la tienne.

Jacques.

Mais le veux-tu ?

Geneviève.

Oui, je le veux puisque tu le veux, mais trouves-tu que ce soit raisonnable ? nous sommes si jeunes tous les deux.

Jacques.

Nous sommes jeunes, sans doute. Mais notre position, la tienne surtout, n’est ni franche ni stable.

Geneviève.

Comment, pas stable ? Il est convenu que je serai ta femme, que tu seras mon mari. Que veux-tu de plus assuré que cette position ?

Jacques.

L’avenir peut nous échapper, mon amie ; tu n’as ni père ni mère, personne qui te protège que moi et Mlle Primerose ; suppose que Mlle Primerose vienne à mourir, tu restes seule avec un jeune zouave de vingt-trois ans ; je ne puis convenablement venir demeurer avec toi, et tu ne peux pas vivre seule. Que deviendrons-nous ?

Geneviève, souriant.

Tu fais des suppositions improbables, mon pauvre Jacques ! Pourquoi veux-tu que Mlle Primerose meure ?

Jacques.

Je suis loin de le vouloir, mais enfin c’est possible.

Geneviève.

Nous pouvons tous mourir aussi.

Jacques.

Voilà qui est improbable, pour le coup. Mais tu ne veux pas : n’en parlons plus.

Geneviève.

Si fait, parlons-en encore. Et quant à moi, je te jure que si tes parents, ma cousine Primerose et mon subrogé tuteur le trouvent bon, j’en serai très heureuse. Tu sais que tout mon cœur est à toi, et qu’unir ma vie à la tienne est mon vœu le plus ardent.

Jacques.

Je me soumets à ta décision, ma Geneviève. Prenons conseil d’abord de Mlle Primerose et de ton subrogé tuteur ; s’ils trouvent des inconvénients à notre prompt mariage, j’en abandonnerai la pensée, je n’en parlerai pas à mes parents, et nous suivrons notre premier projet.

Geneviève.

Merci, mon ami ; je sens que c’est plus raisonnable. »

Mlle Primerose et le notaire ne tardèrent pas à rentrer ; dès qu’ils furent assis, Jacques commença son attaque, qui surprit beaucoup le notaire et qui fit sourire Mlle Primerose. Jacques développa ses raisons avec tant de véhémence que Mlle Primerose se mit à rire bien franchement et que Geneviève ne put s’empêcher de l’imiter ; le notaire ne disait rien et réfléchissait.

Mademoiselle Primerose.

Voyons, grave notaire, quel est votre avis ? Parlez franchement.

Le notaire.

Ma foi, répondit-il, je n’y vois pas d’inconvénients. Si véritablement les suppositions de Jacques se réalisent, si Mlle Primerose subit avant l’âge la loi commune des hommes, que deviendrait en effet ma pupille ? Et si, comme le prévoit Jacques, il se trouvait blessé dans un combat, il ne peut convenablement s’établir entre une jeune personne et une demoiselle dont il n’est pas parent. Le mariage rendrait la position convenable et naturelle.

« Et votre avis à vous, Mademoiselle ?

Mademoiselle Primerose.

Le mien est conforme au vôtre, mon cher notaire.

Le notaire.

Et le vôtre, ma pupille ?

Geneviève.

Le mien est de faire ce que veut Jacques.

Le notaire.

Alors la question me semble tranchée.

Jacques.

Sauf l’approbation de mes parents.

Le notaire.

C’est juste. C’est un complément nécessaire pour procéder au contrat. Et à présent qu’on n’a plus besoin ni du notaire ni du tuteur, je vous présente mes hommages et je m’en vais après avoir embrassé la charmante mariée. »

Geneviève s’avança joyeusement en lui tendant la main et reçut sur le front le baiser paternel de son subrogé tuteur.

Jacques lui serra les deux mains avec une chaleur de reconnaissance qui fit pousser un cri au pauvre notaire. Il sortit en riant et en se secouant les mains. Jacques le suivit, lui fit des excuses de sa vigoureuse étreinte et lui adressa quelques questions encore sur les actes nécessaires.

Mademoiselle Primerose.

Te voilà tout interdite, ma pauvre enfant. Tu ne voulais donc pas que nous disions oui ?

Geneviève.

Ma cousine, je ne sais ce que je voulais, ni ce que je veux. Un refus m’eût beaucoup chagrinée, et votre consentement m’effraye plus qu’il ne me satisfait.

Mademoiselle Primerose.

Pourquoi cela, mon enfant ? Les motifs que nous a donnés Jacques sont réellement sages et prudents. J’espère qu’aucune de ses prévisions ne se réalisera, mais s’il avait vu juste dans l’avenir, quels regrets n’aurions-nous pas tous de ne l’avoir pas écouté !

Geneviève.

C’est vrai, chère cousine ; aussi je ne m’y oppose pas. Je trouve seulement que c’est un peu promptement décidé.

Mademoiselle Primerose.

Bah ! À quoi servent les lenteurs, les délais ?… Ce qui me fait penser que j’ai remis à plus tard à serrer mes papiers. J’y vais et je ne reviens plus, parce que je suis fatiguée ; il est dix heures et demie. »

Mlle Primerose embrassa Geneviève et sortit. Un instant après, Jacques entra.

Jacques.

Tu es seule, Geneviève ? Laisse-moi te bien embrasser, ma femme mon amie. »

Il embrassa tendrement Geneviève.

Geneviève.

Pars-tu toujours demain, Jacques ?

Jacques.

Plus que jamais ; j’ai hâte de tout décider. Je partirai même dès le matin.

Geneviève.

Je ne te verrai donc pas demain ?

Jacques.

Non, ma Geneviève, mais je reviendrai bientôt. Mes parents comprendront que nous avons bien des préparatifs à faire.

Geneviève.

Adieu donc, mon Jacques. Que c’est triste de me séparer de toi, même pour peu de jours !


Jacques lui serra les mains.

Jacques.

Dans quinze jours nous ne nous quitterons plus. Adieu, mon amie, adieu. »

Geneviève l’accompagna jusqu’à la porte et lui dit encore un dernier adieu.

« Comme ce salon est triste sans Jacques, pensa-t-elle en rentrant. Au fait, il a raison de nous avoir tant pressés : c’est trop pénible d’être séparés. »

En se couchant, elle prévint sa bonne du nouveau projet qui avait été décidé ; Pélagie l’approuva fort et alla en faire part au fidèle Rame, qui s’en réjouit avec elle.